L E S   G E N R E S  L I T T É R A I R E S

 

 

 


  Si la notion de type de texte est assez claire (le texte se définit en fonction de son intention et de son type d'organisation ; voyez notre tableau), la notion de genre littéraire est plus floue : chaque époque définit sa notion de genre selon les attentes des lecteurs et les idéologies dominantes.
  Néanmoins, dans chaque grand genre (roman, poésie, théâtre, argumentation), certains textes obéissent à un système d'énonciation comparable, sont traversés d'un même registre (l'impression particulière ressentie par le lecteur) ou traitent des thèmes convergents. On se tiendra à cette définition sommaire pour recenser les genres littéraires les plus fréquents, sans oublier que le propre de l'écrivain est de faire voler en éclat les prétendues barrières entre les genres :

 

LES GENRES

Voir sur Amazon :

   autobiographique

   comique

   didactique

   dramatique

   épique

   épistolaire

   lyrique

   merveilleux et fantastique

   oratoire

   polémique

   romanesque

   tragique

 

 

 

  Approche du genre : les trois radicaux grecs qui constituent le mot définissent l'autobiographie comme "l'écriture de sa propre vie". Peu répandu dans l'Antiquité, le genre éclot vraiment avec l'humanisme occidental et la réhabilitation de l'individu (« Je suis moi-même la matière de mon livre », affirme Montaigne au début des Essais, qui constituent l'œuvre la plus authentiquement autobiographique... et la plus inclassable).

  Formes dominantes :
Types de discours : narratif, descriptif.
La fonction expressive est évidemment dominante (je, moi) : mais si les réflexions, les sentiments concernent l'expérience personnelle, l'autobiographe n'a de cesse de prendre à témoin son lecteur auquel il donne le statut de témoin, juge ou confident, et obéit à une visée universelle qui le fait homme parmi les hommes.
La pacte de sincérité qui est à la base de l'entreprise autobiographique n'exclut pas une certaine manipulation, consciente ou non. L'auteur "transforme son expérience en destin" (Malraux), fournit des arguments propres à le déculpabiliser (Rousseau) ou cède au simple plaisir de raconter. Refusant plus ou moins la "littérature", il en donne enfin les plus éclatants exemples (Sartre).

  Texte théorique :
Philippe Lejeune : Le pacte autobiographique.

  Œuvres caractéristiques :
Confessions : racontant sa vie, l'auteur peut avouer ses erreurs et chercher à les justifier (saint Augustin, J.J. Rousseau).
Journal intime : l'auteur confie au jour le jour à ses carnets anecdotes et réflexions (A. Gide, J. Green).
Mémoires : l'auteur est conscient d'avoir joué dans l'Histoire un rôle digne d'être rapporté (Chateaubriand : Mémoires d'outre-tombe) et décide de fondre son "misérable tas de secrets" dans ce par quoi il rejoint les mythes universels (A. Malraux : Antimémoires). Il choisit au contraire de dénoncer sa légende (J.P. Sartre : Les mots).
Autoportraits : l'auteur part à la recherche de soi à travers une trame non linéaire où, à la manière d'un puzzle, se dessine peu à peu sa personnalité (M. Leiris : L'âge d'homme ; R. Barthes : Roland Barthes par lui-même).
"Autofiction" : le terme a été inventé par Serge Doubrovski (Fils, 1977). Désigné clairement comme "roman", le récit de vie confond néanmoins auteur et personnage (Annie Ernaux : Les Années), au contraire du roman autobiographique qui met en scène des personnages au nom fictif (J. Vallès : L'Enfant) et de l'autobiographie fictive (Marguerite Yourcenar : Mémoires d'Hadrien).

  Exemple :
le solennel pacte autobiographique du préambule des Confessions de J.J. Rousseau :

  Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi.
  Moi seul. Je sens mon cœur et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus ; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m'a jeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu.
  Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra ; je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon, et s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire ; j'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être, jamais ce que je savais être faux. Je me suis montré tel que je fus, méprisable et vil quand je l'ai été, bon, généreux, sublime, quand je l'ai été: j'ai dévoilé mon intérieur tel que tu l'as vu toi-même. Être éternel, rassemble autour de moi l'innombrable foule de mes semblables; qu'ils écoutent mes confessions, qu'ils gémissent de mes indignités, qu'ils rougissent de mes misères. Que chacun d'eux découvre à son tour son cœur au pied de ton trône avec la même sincérité ; et puis qu'un seul te dise, s'il l'ose : Je fus meilleur que cet homme-là.

 

 

 

  Approche du genre le mot "comique" (du grec kômos, fête carnavalesque et rurale en l'honneur de Dionysos) désignait dans l'Antiquité toute pièce de théâtre. A partir du XVII° siècle, il qualifie les œuvres essentiellement théâtrales (les comédies) qui s'opposent à la tragédie dans leur finalité, qui est le rire, et leur dénouement heureux. Le registre comique s'applique à des sujets ordinaires, traités dans un style familier, où souvent domine l'intention satirique et morale : la comédie "châtie les mœurs en riant" (Jean de Santeul), tournant en ridicule  des caractères ou des vices à la mode.

  Formes dominantes :
Types de texte : théâtral, narratif.
comiques de caractère (personnages pittoresques en proie à une passion), de situation (imbroglio, quiproquos), de mots (calembours), de mœurs (satire sociale).
registres : burlesque, héroï-comique, ironique, satirique.
le rire est provoqué par la dénonciation caricaturale des ridicules et par l'expression mécanisée d'une passion.

  Textes théoriques :
Aristote : Poétique - Molière : L'Impromptu de Versailles, Critique de L'École des Femmes - N. Boileau : Art poétique - V. Hugo : Préface de Cromwell - H. Bergson : Le Rire - Ch. Mauron : Psychocritique du genre comique.

  Œuvres caractéristiques :
la comédie de mœurs tourne en dérision un travers à la mode (Molière, Tartuffe),
la
comédie d'intrigue est davantage occupée par la conduite de l'action (P. Corneille : L'Illusion comique) et les jeux de scène (quiproquo, imbroglio de la commedia dell'arte ; vaudeville : Labiche, Feydeau),
la
comédie de caractères dépeint les ravages d'une passion (Molière, L'Avare).
la
farce, héritée du Moyen-Age, où elle était destinée à servir d'entracte aux mystères religieux (La farce de Maître Pathelin), est une pièce bouffonne qui, dans une intrigue stéréotypée, met en scène des personnages populaires au langage grossier (Molière, La Jalousie du Barbouillé) ; la sotie (XV° siècle) ajoute à ces procédés une attaque hardie contre les pouvoirs établis.
saynètes, sketches (R. Devos), intermèdes, divertissements sont des genres libres et variés.
la
parodie (Scarron : Le Virgile travesti) caricature une œuvre d'art dans une intention burlesque ; le pastiche (M. Proust : Pastiches et mélanges), dans une intention plus fine, imite les traits caractéristiques du style d'un écrivain.
dans le roman, le registre comique prend diverses formes : héroï-comique (Rabelais, Gargantua), pittoresque (Scarron, Roman comique ; Maupassant, Contes normands).

  Exemple :
une comédie de mœurs : voyez la scène VI de L'Île des Esclaves de Marivaux.
exercices sur les genres théâtraux.

 

 

 

 

  Approche du genre : le genre argumentatif, direct ou indirect, est ici concerné au premier chef dans son intention d'informer autant que de convaincre. Le mot "didactique" est formé sur le grec διδακθικοσ (didaktikos, « propre à instruire »). Mais les œuvres qui entrent dans le genre didactique ne se caractérisent pas toujours par une simple fonction référentielle ou informative, et c'est à ce titre qu'elles font partie de la littérature. De fait, nous ferons entrer dans cette catégorie un ensemble de textes où, si le propos est toujours d'instruire, les formes sont extrêmement diverses, que la littérature entreprenne de réfléchir sur elle-même ou qu'elle s'allie à toutes les sciences humaines.

  Formes dominantes :
Types de texte : explicatif, argumentatif, narratif, descriptif, poétique.
Le registre didactique, sous la diversité des formes que nous recensons dans ce genre, se caractérise essentiellement par l'alternance entre les fonctions référentielle et expressive, celle-ci garantissant que la littérature retrouve bien ses droits derrière l'érudition. Selon les sous-genres (manifeste littéraire), la tonalité peut être injonctive.

  Œuvres caractéristiques :
L'essai propose un discours argumenté sur un problème d'ordre divers (art, culture société). Souvent lié à la simple compilation (littérature d'érudition du XVII° siècle), il a évolué vers une réflexion personnelle sans souci d'exhaustivité (Voltaire : Essai sur les mœurs ; Chateaubriand : Essai sur les révolutions).
Chronique historique : présente dans l'Antiquité (Thucydide, Tacite) et le Moyen-Age (Joinville, Villehardouin), l'Histoire devient une science sous l'impulsion de la méthode expérimentale chère aux philosophes (Voltaire : Le siècle de Louis XIV), sans pour autant renoncer aux pouvoirs visionnaires de l'imagination (J. Michelet  : Histoire de France). L'"école des Annales" inaugure une histoire capable de saisir jusqu'à la minutie, à l'instar du roman, la vie des petites gens (E. Leroy-Ladurie : Montaillou, village occitan).
Biographie : distincte de l'hagiographie (récit édifiant de la vie des saints), la biographie s'est  largement répandue à mesure que de plus en plus de personnages s'imposaient à une actualité fortement médiatisée. Elle touche surtout à la littérature quand elle est le fait des écrivains eux-mêmes (Chateaubriand : Vie de Rancé ; J. Michelet : Jeanne d'Arc ; J. Green : Frère François) ou qu'elle sait, par sympathie, en épouser l'esprit (J. Lacouture : André Malraux ; A. Lanoux : Bonjour, M. Zola).
Manifeste littéraire : émanation d'un groupe ou d'une école dont il expose les principes, le manifeste peut prendre la forme de la préface (V. Hugo : Préface de Cromwell), de l'opuscule (Défense et illustration de la langue française de J. Du Bellay ; Art poétique de N. Boileau ; Manifeste du surréalisme d'A. Breton), du tract (A la niche les glapisseurs de dieu ! du groupe surréaliste), d'un simple texte (Fonction du poète  de V. Hugo ; Les collines, La Jolie rousse de G. Apollinaire) ou d'une lettre (Lettre à P. Demeny d'A. Rimbaud).
Genres moraux : les maximes sont des sentences (maxima sententia) exprimant, sous forme de vérités générales, une expérience morale. La maxime (et ses variétés : aphorisme, apophtegme, proverbe) s'est épanouie dans l'âge classique, soucieux de codifier les passions (La Rochefoucauld, Chamfort, Vauvenargues) et de parvenir, sous forme de jeu de société, à une extrême concision verbale. C'est sous forme de maximes que s'achèvent souvent les exempla, récits brefs visant à donner un modèle de comportement ou de morale, les fables (La Fontaine), les apologues (paraboles évangéliques; récits et anecdotes exploités par les philosophes du XVIII° : Fontenelle, Montesquieu, Voltaire), les portraits (La Bruyère, Caractères), où domine néanmoins le genre narratif.
Genre philosophique : qu'il s'agisse d'essais (Montaigne), de dialogues (Diderot), de traités (Descartes), de pensées (Pascal) ou de dictionnaires (Voltaire, Dictionnaire philosophique ; Diderot et alii, Encyclopédie), il n'est pas toujours aisé de séparer la philosophie de la littérature, même si l'on se souvient que, pour Proust, une thèse dans un roman fait l'effet d'un coup de revolver dans un salon. L'œuvre d'un Bergson se signale par une évidente qualité formelle. Mais, si l'on consent à excepter les philosophes, on conviendra qu'une part non négligeable de la poésie classique et même romantique (Voltaire, Hölderlin, Hugo) ressortit à l'interrogation philosophique, comme le roman (A. Camus : La Peste, J.P. Sartre : La Nausée) ou le conte justement dit "philosophique" (Voltaire : Candide, Zadig).
Critique littéraire : née avec la codification des règles classiques (N. Boileau : Réflexion VII sur Longin), la critique s'est diversifiée dès le XIX° siècle : Sainte-Beuve (Lundis), Taine prétendent expliquer la création par la biographie de l'écrivain et son milieu. Conception dénoncée par M. Proust (Contre Sainte-Beuve) et déjà infirmée par l'intuition fraternelle et passionnée de Ch. Baudelaire (Curiosités esthétiques). Au XX°siècle, pendant que s'épanouit la critique universitaire (A. Thibaudet , Physiologie de la critique), les méthodes psychanalytiques (G. Bachelard, Ch. Mauron, G. Poulet) et l'apport des sciences du langage (G. Genette, Figures; R. Barthes, Le degré zéro de l'écriture ; J. Rousset, Forme et signification) tendent à effacer la personne de l'écrivain pour n'y plus voir que le lieu de passage d'un langage et de formes où l'humanité trouve ses significations fondamentales.

  Exemple :
un manifeste littéraire : P. Verlaine - Art poétique (Jadis et naguère).

De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

Il faut aussi que tu n'ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'Indécis au Précis se joint.

C'est des beaux yeux derrière des voiles,
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est, par un ciel d'automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !

Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !

Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L'Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l'Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !
Prends l'éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d'énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où ?

O qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d'un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?

De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée
Vers d'autres cieux à d'autres amours.

Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littérature.



             Léo Ferré, Art poétique (1964).

 

 

 

 

  Approche du genre : le bas-latin drama (action) est à l'origine de l'adjectif, qui désigne très généralement toute œuvre théâtrale. Il prend néanmoins un sens particulier avec l'apparition du drame. Né au début du XVIII° siècle du déclin de la tragédie et de l'observation des mœurs à laquelle s'est vouée la comédie, le drame se compose de deux sous-genres : le drame bourgeois et le drame romantique. Dans les deux cas, le ressort tragique du fatum a disparu : les personnages manifestent leur liberté, et le dénouement, souvent malheureux, n'est dû qu'à des facteurs humains. Le mélange des registres (tragique, sublime, grotesque, pathétique) satisfait au désir de vraisemblance.

  Formes dominantes :
Types de texte : théâtral, prose ou poésie.
Le
drame bourgeois (XVIII° siècle) est né d'une contestation de la tragédie. Il se caractérise par un décor familial où se nouent des intrigues domestiques. Toujours écrit en prose, il force la note pathétique (comédie larmoyante de Nivelle de La Chaussée) et moralisatrice (Diderot, Le Fils naturel ; Sedaine, Le philosophe sans le savoir). Plus que par les caractères, le drame bourgeois est intéressé par les conditions sociales et prône des vertus citadines : mesure, tolérance, vertu. Il partage avec le genre plus populaire du mélodrame le goût des coups de théâtre.
Le
drame romantique est issu de l'admiration partagée en Europe, dès la fin du XVIII° siècle, pour le théâtre élisabéthain (Shakespeare). Le sujet en est souvent historique (Hugo, Les Burgraves ; Musset, Lorenzaccio), pour lequel les auteurs soignent la couleur locale. La contestation des unités de temps et de lieu, et le mélange des genres (sublime et grotesque) souhaitent se conformer à la vie même. Les personnages manifestent des tempéraments nobles et passionnés (Vigny, Chatterton) qui les confrontent à un monde souvent trop étroit pour eux. Pour exprimer ce conflit, les registres peuvent aller jusqu'au lyrisme ou à l'épopée (Hugo, Ruy Blas). Ce type de drame, destiné dans certains pays d'Europe à exalter des valeurs nationales, reflète les conceptions majeures du Romantisme : révolution sociale, triomphe du cœur sur la raison, désespoir existentiel.
Le
drame moderne : à partir de la fin du XIX° siècle, le drame revient à des sujets sociaux, souvent anti-bourgeois (H. Becque, Les Corbeaux ; J. Anouilh, Le voyageur sans bagage), voire politiques (Sartre, Les mains sales). Il peut au contraire allier au goût de l'absurde une réflexion métaphysique (Beckett, En attendant Godot ; Ionesco, Le Roi se meurt).

Textes théoriques :
D. Diderot : Entretiens sur Le Fils naturel - Beaumarchais : Essai sur le genre dramatique sérieux - Mme de Staël : De l'Allemagne - Stendhal : Racine et Shakespeare - V. Hugo : Préface de Cromwell - B. Brecht : Écrits sur le théâtre.

  Exemple :
le drame romantique : voyez l'extrait de Lorenzaccio d'A.de Musset, étudié dans le cadre de la  lecture méthodique du texte théâtral.
exercices sur les genres théâtraux.

 

 

 

 

  Approche du genrele mot épopée est issu du grec epos, parole, et poiein, faire. L'épopée consiste donc à raconter, et il est probable que les premiers récits présentaient tous les caractères du genre épique : narration d'un haut fait devenu légendaire, nimbé d'éléments merveilleux et dont le héros, à la valeur surhumaine, entre en conflit avec des forces gigantesques dont il triomphe, fût-ce dans la défaite. Ce personnage, toujours masculin, est porteur d'une morale destinée à exalter une collectivité (famille, nation) ou symboliser la grandeur humaine.

  Formes dominantes :
Types de texte : poétique, narratif, descriptif.
la focalisation 0 permet de confronter les forces en présence et favorise les plans d'ensemble.
la syntaxe est marquée par la longue phrase cadencée, qui, en poésie, multiplie les coupes et les enjambements, et, dans la prose, privilégie l'énumération.
l'énormité des actions et la valeur des héros sont exprimées par l'hyperbole, les évaluatifs mélioratifs.
l'abondance des métaphores achève de transfigurer le réel, auquel elle confère une puissance sacrée (animisme, merveilleux).

  Textes théoriques :
Aristote : Poétique - Voltaire : Essai sur la poésie épique - V. Hugo : Préface de Cromwell - Hegel : Esthétique - N. Frye : Anatomie de la critique - B. Brecht : Écrits sur le théâtre.

  Œuvres caractéristiques :
Épopée : Iliade et Odyssée (Homère), Énéide (Virgile), La Chanson des Nibelungen, Les Martyrs (Chateaubriand), Les Tragiques (A. d'Aubigné), La Henriade (Voltaire). Ces œuvres se caractérisent par une unité d'action qui commande l'organisation autour d'une geste guerrière. On pourrait  y ajouter les grandes œuvres poétiques issues du Romantisme : La Légende des siècles et Châtiments de V. Hugo ; Jocelyn de Lamartine.
Chanson de geste : le mot geste est issu du pluriel latin gesta (exploits). Il s'agit bien d'épopées, telle La Chanson de Roland. Cette dénomination est sans doute d'origine carolingienne, les chansons évoquant les exploits guerriers étant alors regroupées en cycles, ou gestes.
Roman : Nombre de romans touchent au registre épique, parfois héroï-comique (Rabelais, Gargantua). Le roman historique, notamment,  (Notre-Dame de Paris de V. Hugo, dont il faudrait citer ici tous les romans) et même le roman naturaliste (E. Zola, L'Assommoir) touchent à l'épique en brossant de larges fresques. On pourra toutefois s'interroger sur la viabilité du genre épique dans le roman (voir notre article à propos de La Chartreuse de Parme de Stendhal).

Récit historique : Le tempérament de certains historiens (J. Michelet, Histoire de France) soulève leur récit d'un souffle épique qui donne à certains épisodes une dimension mythologique.
Théâtre épique : B. Brecht a appelé ainsi un théâtre qui refuse l'illusion et prône l'attitude critique du spectateur (la distanciation). Morcelée en tableaux discontinus, la pièce s'intéresse à un personnage problématique confronté à une situation socio-historique, par rapport auquel le spectateur est invité à la réflexion politique (La Vie de Galilée).

  Exemple :
L'expiation, où V. Hugo évoque la bataille de Waterloo (Châtiments).

La plaine, où frissonnaient les drapeaux déchirés,
Ne fut plus, dans les cris des mourants qu'on égorge,
Qu'un gouffre flamboyant, rouge comme une forge ;
Gouffre où les régiments, comme des pans de murs,
Tombaient, où se couchaient comme des épis mûrs
Les hauts tambours-majors aux panaches énormes,
Où l'on entrevoyait des blessures difformes !
Carnage affreux ! moment fatal ! L'homme inquiet
Sentit que la bataille entre ses mains pliait.
Derrière un mamelon la garde était massée.
La garde, espoir suprême et suprême pensée !
- Allons ! faites donner la garde !  - cria-t-il.
Et, lanciers, grenadiers aux guêtres de coutil,
Dragons que Rome eût pris pour des légionnaires,
Cuirassiers, canonniers qui traînaient des tonnerres,
Portant le noir colback ou le casque poli,
Tous, ceux de Friedland et ceux de Rivoli,
Comprenant qu'ils allaient mourir dans cette fête,
Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête.
Leur bouche, d'un seul cri, dit : Vive l'empereur !
Puis, à pas lents, musique en tête, sans fureur,
Tranquille, souriant à la mitraille anglaise,
La garde impériale entra dans la fournaise.

 

 

 

 

  Approche du genre : l'adjectif provient du latin epistula (lettre). Le genre épistolaire est très répandu dans l'Antiquité (Sénèque, Lettres à Lucilius) et a constitué jusqu'à nos jours un élément indispensable de la vie intellectuelle. La lettre a permis aux écrivains d'agir (Voltaire), de se dévoiler de manière plus intime (Balzac) ou d'exposer leur esthétique (Flaubert), nous donnant ainsi de précieux documents sur l'élaboration de leur œuvre.

  Formes dominantes :
Types de discours : narratif, descriptif, argumentatif.
Fonctions expressive et impressive très marquées (je > tu, vous) qui peuvent exprimer la confidence, l'échange intellectuel, la requête ou le simple badinage.

  Œuvres caractéristiques :
Correspondance : destinée à dépasser son destinataire pour être lue par un cercle élargi (Mme de Sévigné, Voltaire) ou rassemblée a posteriori pour éclairer la personnalité d'un artiste (Flaubert, Van Gogh : Lettres à Théo).
Épître : Lettre en vers portant à l'origine sur un sujet moral ou philosophique (Horace : Épître aux Pisons, Boileau) puis sur des sujets variés (Marot, Voltaire).
Roman épistolaire : il peut être constitué des lettres d'un seul personnage (Guilleragues : Lettres de la Religieuse portugaise), mais prend tout son sens lorsqu'il repose sur un échange de correspondance (Montesquieu : Lettres persanes , Rousseau : La Nouvelle Héloïse, Choderlos de Laclos : Les Liaisons dangereuses). Le procédé permet au lecteur d'être proche de la subjectivité des personnages et de bénéficier de plusieurs éclairages.
Lettre ouverte : lettre rendue publique après avoir réellement atteint un destinataire (Voltaire : Lettre à Rousseau ; R.M. Rilke : Lettre à un jeune poète), ou publiée, par-delà celui-ci (qui peut être fictif), à l'intention de tous les lecteurs (B. Pascal : Provinciales ; E. Zola : J'accuse). Elle rejoint ainsi le genre polémique.

  Exemples :
voyez les extraits des Lettres persanes ou des Liaisons dangereuses, cités dans notre étude de ces romans, et notre classement des types de lettres dans le chapitre "Travaux d'écriture".

 

 

 

 

  Approche du genre : le mot lyrisme est issu du mot lyre, en raison du rôle joué par cet instrument (c'est celui d'Apollon et d'Orphée) dans l'accompagnement musical. Il caractérise l'expression poétique des émotions, et c'est à ce titre qu'on peut appeler thèmes lyriques le sentiment de la Nature, l'amour et l'amitié, la mélancolie, l'effroi devant la mort, l'adoration religieuse... Hugo définit comme lyriques les temps primitifs : «la première parole de l'homme n'est qu'un hymne : la prière est toute sa religion, l'ode est toute sa poésie.»

  Formes dominantes :
Types de texte : poétique, descriptif, narratif.
Le registre lyrique se caractérise par une fonction expressive très marquée (prédominance du vocabulaire affectif, interrogations, exclamations, invocations).
Importance des figures de style qui expriment l'accord avec le monde (métaphores, animisme, personnifications).
Rythme de la phrase ou du vers (cadences, coupes), soucieux de musicalité.

  Œuvres caractéristiques :
les formes fixes (rondeau, sonnet),
l'ode est vouée à une poésie morale ou philosophique (Ronsard),
l'
élégie à la poésie amoureuse et à la plainte (Goethe, Élégies nationales ; Rilke, Élégies de Duino),
les
psaumes (Marot, Malherbe) et les hymnes (Ronsard) à la célébration ;
la
méditation (Lamartine) et la contemplation (Hugo), sont presque devenus des genres, caractéristiques de l'esprit romantique ;
la
chanson (G. Brassens, J. Brel, L. Ferré) décline aujourd'hui les grands thèmes lyriques. La complainte (Laforgue) est une chanson exprimant des lamentations.

  Exemples :
voyez les poèmes de nos groupements de textes "Le discours du carpe diem" et "Inspiration mythologique au XVI° siècle", ou encore les poèmes de Jules Laforgue, rassemblés sous la problématique "Héritage et modernité".

 

 

 

 

  Approche du genre : la distinction entre merveilleux (du latin mirabilia, choses admirables) et fantastique (du grec phantasia, imagination) tient au statut différent du personnage à l'égard d'événements qui, dans les deux cas, relèvent du surnaturel. Dans le merveilleux, une cohérence parfaite s'installe entre le personnage et l'univers dans lequel il évolue, alors que dans le fantastique, le personnage est terrifié par l'apparition de phénomènes qu'il perçoit comme étranges. «Il faut prendre garde, en effet, que le fantastique n'a aucun sens dans un univers merveilleux. Il y est même inconcevable. Dans un monde de miracles, l'extraordinaire perd sa puissance. Il n'épouvante que s'il rompt et discrédite une ordonnance immuable, inflexible, que rien en aucun cas ne saurait modifier et qui semble la garantie même de la raison.» Quand le merveilleux propose au lecteur un monde féerique où rien ne doit l'étonner, le registre fantastique le laisse dans une perpétuelle hésitation : doit-il reconnaître l'évidence du phénomène surnaturel ou se conforter dans son rationalisme ?

  Formes dominantes :
Types de texte : narratif, descriptif, poétique, théâtral.

  Textes théoriques :
Ch. Nodier : Du fantastique en littérature - V. Propp : Morphologie du conte - B. Bettelheim : Psychanalyse des contes de fées - M. Soriano : Les contes de Perrault - R. Caillois : Images, images... - T. Todorov : Introduction à la littérature fantastique.

  Œuvres caractéristiques :
Conte de fées : déjà présent sous cette forme dans les fables milésiennes (Apulée : L'Âne d'or), le conte de fées présente souvent des personnages populaires secourus par une aide magique (Perrault, Grimm, Andersen).
Féeries : partie intégrante de la fable ou du conte philosophique, la féerie crée un univers enchanteur, dans le cadre du divertissement (comédie-ballet, comme la Psyché de Molière et Corneille) ou de l'éducation morale : Ch. Nodier, Trilby ; J. Giraudoux, Ondine.
Romans gothiques : à l'origine du fantastique, ils sont considérés par André Breton comme l'expression profonde des secousses morales et politiques du XVIII° siècle : C.R. Maturin (Melmoth ou l'Errant), M.G. Lewis (Le Moine), H. Walpole (Le Château d'Otrante), M. Shelley (Frankenstein), B. Stoker (Dracula).
Le
roman fantastique s'est plu, à partir du XVIII° siècle (J. Cazotte, Le Diable amoureux), à déranger les mentalités rationalistes modernes en cultivant l'étrange à partir de thèmes récurrents (pactes avec le diable, vampires, fantômes...) et d'une écriture habile, propre à  maintenir l'incertitude et fortifier l'identification du lecteur avec le personnage : P. Mérimée, La Vénus d'Ille ; G. de Maupassant, Le Horla ; Villiers de l'Isle-Adam, Contes cruels.
Science-fiction : elle se caractérise par la rêverie engendrée par la curiosité scientifique. Elle prend la forme du voyage imaginaire (Cyrano de Bergerac, Voltaire : Micromégas) ou de l'anticipation (J. Verne, G. Klein) . Soucieuse de rationalité, mais cultivant l'angoisse, la science-fiction tient à la fois du merveilleux et du fantastique. Elle a fourni à ce titre l'essentiel des grands mythes contemporains.
Utopie : elle s'apparente au récit de voyage mais décrit une société idéale (Thomas More, Utopia). À l'inverse, la dystopie (A. Huxley : Le Meilleur des mondes) décrit les ravages d'une société bureaucratique et totalitaire. L’auteur d’une uchronie modifie, lui, une situation historique pour en imaginer les conséquences (Roger Caillois, Ponce-Pilate).

  Exemple :
premier indice du genre fantastique dans un roman qui, jusque là, baignait dans la féerie (Boris Vian : L'écume des jours, XX) :

- Ca va ? dit Colin.
- Pas encore, dit Chick.
Pour la quatorzième fois, Chick refaisait le nœud de cravate de Colin, et ça n'allait toujours pas.
- On pourrait essayer avec des gants, dit Colin.
- Pourquoi ? demanda Chick. Ça ira mieux ?
- Je ne sais pas, dit Colin. C'est une idée sans prétention.
- On  a bien fait de s'y prendre en avance ! dit Chick.
- Oui, dit Colin. Mais on sera quand même en retard si on n'y arrive pas.
- Oh ! dit Chick. On va y arriver.
Il réalisa un ensemble de mouvements rapides étroitement associés et tira les deux bouts avec force. La cravate se brisa par le milieu et lui resta dans les doigts.
- C'est la troisième, remarqua Colin, l'air absent.
- Oh ! dit Chick. Ça va... je le sais...
Il s'assit sur une chaise et se frotta le menton d'un air absorbé.
- Je ne sais pas ce qu'il y a, dit-il.
- Moi non plus, dit Colin. Mais c'est anormal.
- Oui, dit Chick, nettement. Je vais essayer sans regarder.
Il prit une quatrième cravate et l'enroula négligemment autour du cou de Colin, en suivant des yeux le vol d'un brouzillon, d'un air très intéressé. Il passa le gros bout sous le petit, le fit revenir dans la boucle, un tour vers la droite, le repassa dessous, et,  par malheur, à ce moment-là, ses yeux tombèrent sur son ouvrage et la cravate se referma brutalement, lui écrasant l'index. Il laissa échapper un gloussement de douleur.
- Bougre de néant ! dit-il. La vache !
- Elle t'a fait mal ? demanda Colin compatissant.
Chick se suçait vigoureusement le doigt.
- Je vais avoir l'ongle tout noir ! dit-il.
- Mon pauvre vieux ! dit Colin.
Chick marmotta quelque chose et regarda le cou de Colin.
- Minute !... souffla-t-il. Le nœud est fait !... Bouge pas !...
Il recula avec précaution sans le quitter des yeux et saisit sur la table, derrière lui, une bouteille de fixateur à pastel. Il porta lentement à sa bouche l'extrémité du petit tube à vaporiser et se rapprocha sans bruit. Colin chantonnait en regardant ostensiblement le plafond.
Le jet de pulvérin frappa la cravate en plein milieu du nœud. Elle eut un soubresaut rapide, clouée à sa place par le durcissement de la résine.

© J.J. Pauvert

 

 

 

 

  Approche du genre : l'adjectif "oratoire" est issu du verbe latin orare (parler, prier). Il englobe les types de discours destinés à être prononcés devant un public. Le genre, très ancien (orateurs grecs et latins :  Démosthène), s'est épanoui à l'âge classique (Bossuet, Massillon, Bourdaloue). La rhétorique antique a codifié ces types de discours en trois genres : le genre judiciaire est consacré à la défense d'une cause; le genre épidictique exprime un  idéal collectif par l'éloge ou le blâme; le genre délibératif vise à conseiller les membres d'une assemblée en confrontant des arguments contradictoires.

   Formes dominantes :
Types de texte : argumentatif, poétique, injonctif.
Le registre oratoire valorise la fonction impressive (injonctions, apostrophes, invocations, questions rhétoriques, dialogisme).
Forte modalisation de l'opinion (évaluatifs hyperboliques, emphase, images saisissantes).
Rythme de la phrase (période) ou du vers, entraînant l'auditoire par une adhésion plus sentimentale que rationnelle.

  Œuvres caractéristiques : le discours épidictique peut être commandé par
l'éloge : le registre laudatif marque ces productions vouées à la louange. Le
dithyrambe est à l'origine un cantique sacré adressé à Dionysos (il est à l'origine de la tragédie grecque). Comme le panégyrique, il désigne aujourd'hui un hommage adressé à une personne (Desportes, Icare est chu...) ou une institution. L'oraison funèbre reprend les caractéristiques du genre, auxquelles elle adjoint une méditation métaphysique (J.B. Bossuet, Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre ; A. Malraux, Oraison funèbre de Jean Moulin). L'éloge paradoxal entreprend de louer les vertus de ce que l'opinion commune a tendance à condamner (J. du Bellay : Le Poète courtisan; Erasme : Éloge de la folie; Molière : Dom Juan).
le blâme : en concentrant toutes les formes oratoires, il englobe les types de productions que nous avons rangés dans le genre polémique.
l'exhortation : morale (la
consolation), militaire (la harangue), ou religieuse (la prière, l'homélie, le sermon : J.B. Bossuet, Sermon sur la mort).
la requête : le
plaidoyer et le réquisitoire (voyez la page qui leur est consacrée) appartiennent aux genres épidictique et judiciaire (on préférera alors le terme de plaidoirie à celui de plaidoyer).

  Exemple :
L'éloge dans l'oraison funèbre :
Louis Bourdaloue
: Oraison funèbre de Louis de Bourbon, prince de Condé (1686).

  Pour mourir en parfait chrétien, il voulut mourir par avance à ce qu'il avait le plus tendrement aimé. C'est à vous seul, mon Dieu, qu'il voulut consacrer les derniers moments de sa vie. Pour se détacher de la chair et du sang, il vous en fit, Seigneur, un sacrifice digne de vous qui l'acceptâtes, et de lui qui vous le présenta; et pour exécuter lui-même l'arrêt de cette douloureuse séparation, à laquelle vous le prépariez, il vous immola toute la tendresse de son cœur, en faisant retirer le prince son fils et la princesse sa belle-fille, dont la présence était encore pour lui quelque chose de si doux, et dont, pour tout autre que pour vous, il n'aurait pas voulu, ô mon Dieu, perdre un seul moment. Et c'est alors qu'uniquement occupé de vous, et déjà mort à tout le reste, il entra en esprit dans votre sanctuaire, pour n'avoir plus d'autres pensées que celles de votre justice et de votre miséricorde : Introibo in potentias Domini, memorabor justitiœ tuœ solius. C'est alors, mes chers auditeurs, que renonçant à tout le faste de la gloire mondaine, et se souvenant seulement qu'il était pécheur, il donna ces marques publiques d'un cœur contrit et humilié, que Dieu ne méprisa jamais dans le plus vil coupable, mais que je ne sais s'il n'admire point, aussi bien que la foi du centenier, dans un héros pénitent. C'est alors qu'empruntant la voix et employant le ministère de celui qui l'assistait, il déclara le désespoir où il était d'avoir, par ses discours et par ses exemples, mal édifié son prochain, et en particulier ses domestiques et ses amis. C'est alors qu'ajoutant au mérite de la patience le désir de la souffrance et le zèle de la pénitence, réduit à une langueur extrême, il s'affligea de ne pas souffrir assez, et souhaita, pour l'expiation de ses fautes, d'endurer les douleurs les plus aiguës. C'est alors que, rempli de foi, il répondit à toutes les prières de l'Église, se les faisant répéter, parce qu'il y trouvait, disait-il, les motifs les plus solides de son espérance, et achevant d'une voix mourante, mais qui était encore le souffle de cette vie divine de la grâce dont Dieu l'animait, les psaumes qu'on lui commençait. C'est alors qu'embrassant la croix de son Dieu, et s'unissant à elle par de saints baisers, il pria celui qui allait être son juge de n'oublier pas qu'il était son Sauveur, lui disant ces paroles affectueuses qui justifièrent le publicain : Deus, propitius esto mihi peccatori. C'est alors que, se livrant aux ferveurs de la charité la plus consommée, il ne fut plus touché que du seul regret d'avoir trop tard aimé son Dieu, et de la seule crainte de ne pouvoir pas l'aimer jusqu'à la fin. Je crains, dit-il, que mon esprit ne s'affaiblisse, et que par là je ne sois privé de la consolation que j'aurais eue de mourir occupé de lui et m'unissant à lui.

 

 

 

POLÉMIQUE

 

  Approche du genrel'adjectif polémique est issu du grec polemos (guerre). Ce genre très ancien (satires de Juvénal) regroupe des textes engagés dans l'actualité, dont ils condamnent les errements moraux, religieux, politiques. L'écrivain du XX° siècle a particulièrement revendiqué ce rôle (Sartre : Qu'est-ce que la littérature ?), pour lequel les formes adaptées choisissent un genre court et mordant : article, lettre ouverte, chanson.

 

  Formes dominantes :
Types de texte : argumentatif, poétique.
Le registre polémique se caractérise par une fonction expressive très marquée (violence du vocabulaire péjoratif). A celui-ci peuvent s'ajouter les registres ironique et/ou satirique (traits caricaturaux).
Soucieux de réalisme et de précision, le texte polémique peut néanmoins user d'un registre oratoire dans la volonté de persuader : rythmes de la phrase ou du vers exprimant la colère, images saisissantes.

  Œuvres caractéristiques :
l'éditorial , dans un contexte journalistique, exprime le point de vue de la rédaction ; la satire raille violemment les mœurs (La Satire Ménippée ; M. Régnier, N. Boileau : Satires ; B. Pascal : Provinciales) ; l'épigramme lui ajoute son sens de la pointe.
libelle (Voltaire : Sentiment des citoyens), factum, pasquin, pamphlet (P.L. Courier ; J. Gracq : La littérature à l'estomac), diatribe, philippique sont des termes très voisins : ils désignent des écrits violemment polémiques qui s'en prennent à des individus.
le poème prête souvent sa forme ramassée et ses effets lyriques ou épiques à la verve polémique (V. Hugo : Châtiments).

  Exemple :
Comment, dans l'essai, le dialogisme sert la verve polémique :
Denis Diderot : Contribution à l'Histoire des deux Indes de l'abbé Raynal (1770).

  Hommes ou démons, qui que vous soyez, oserez-vous justifier les attentats contre ma liberté naturelle par le droit du plus fort ? Quoi ! celui qui veut me rendre esclave n'est point coupable ? Il use de ses droits ? Où sont-ils ces droits ? Qui leur a donné un caractère assez sacré pour faire taire les miens ? Je tiens de la nature le droit de me défendre ; elle ne t'a donc pas donné celui de m'attaquer. Si tu te crois autorisé à m'opprimer, parce que tu es plus fort et plus adroit que moi, ne te plains donc pas quand mon bras vigoureux ouvrira ton sein pour y chercher ton cœur ; ne te plains pas, lorsque, dans tes entrailles déchirées, tu sentiras la mort que j'y aurai fait passer avec tes aliments. Je suis plus fort ou plus adroit que toi ; sois à ton tour victime ; expie maintenant le crime d'avoir été oppresseur.
  Mais, dit-on, dans toutes les régions ou dans tous les siècles, l'esclavage s'est plus ou moins généralement établi.
  Je le veux : mais qu'importe ce que les autres peuples ont fait dans les autres âges ? Est-ce aux usages du temps ou à sa conscience qu'il faut en appeler ? Est-ce l'intérêt, l'aveuglement, la barbarie ou la raison et la justice qu'il faut écouter ? Si l'universalité d'une pratique en prouvait l'innocence, l'apologie des usurpations, des conquêtes, de toutes les sortes d'oppressions serait achevée.
  Mais les anciens peuples se croyaient, dit-on, maîtres de la vie de leurs esclaves ; et nous, devenus humains, nous ne disposons plus que de leur liberté, de leur travail.
  Il est vrai. Tous les codes, sans exception, se sont armés pour la conservation de l'homme même qui languit dans la servitude. Ils ont voulu que son existence fût sous la protection du magistrat, que les tribunaux seuls en pussent précipiter le terme. Mais cette loi, la plus sacrée des institutions sociales, a-t-elle jamais eu quelque force ? L'Amérique n'est-elle pas peuplée de colons atroces, qui usurpant insolemment les droits souverains, font expier par le fer ou la flamme les infortunées victimes de leur avarice ? Je vous défie, vous, le défenseur ou le panégyriste de notre humanité et de notre justice, je vous défie de me nommer un des assassins, un seul qui ait porté sa tête sur un échafaud.
  Supposons, je le veux bien, l'observation rigoureuse de ces règlements qui à votre gré honorent si fort notre âge. L'esclave sera-t-il beaucoup moins à plaindre ? Eh quoi ! le maître qui dispose de l'emploi de mes forces ne dispose-t-il pas de mes jours qui dépendent de l'usage volontaire et modéré de mes facultés ? Qu'est-ce que l'existence pour celui qui n'en a pas la propriété ? On dirait que les lois ne protègent l'esclave contre une mort prompte que pour laisser à ma cruauté le droit de le faire mourir tous les jours. Dans la vérité, le droit d'esclavage est celui de commettre toutes sortes de crimes.
  Je hais, je fuis l'espèce humaine, composée de victimes et de bourreaux ; et si elle ne doit pas devenir meilleure, puisse-t-elle s'anéantir !

 

 

 

 

 

 Approche du genre : à l'origine, on appelle roman un texte en prose ou en vers écrit en langue romane (Le roman de la Rose, Le Roman de Renart). Dès le XVI° siècle, il désigne un récit en prose d'aventures imaginaires. Le genre romanesque, après avoir été longtemps considéré comme inférieur parce qu'il était lu de préférence dans la classe bourgeoise, arrive à son apogée avec elle au XIX° siècle. Il est depuis lors un genre protéiforme, où se sont accomplies toutes les expériences, faisant fi même des vieilles distinctions : « On oppose souvent le roman [...] à l'épopée, en disant que celle-ci raconte les aventures d'un groupe, celui-là d'un individu. Mais depuis Balzac au moins, il est clair que le roman, dans ses formes les plus hautes, prétend dépasser cette opposition. » (Michel Butor, Essai sur le roman, 1992)

  Formes dominantes :
Types de discours : narratif, descriptif.
Le roman fait alterner le récit autour d'un certain point de vue (ou focalisation) et le discours (monologue intérieur, dialogues, interventions du narrateur).
Sa construction est généralement axée sur les perturbations subies par un état initial et les attentes qu'elles génèrent. Pour cela le narrateur choisit un type de narration capable d'entretenir le pacte de lecture (narrations antérieure, postérieure, simultanée).
Parmi un ensemble souvent important de personnages, l'un d'entre eux (sujet ou individu problématique) poursuit une quête d'ordre varié autour de laquelle se définissent des adjuvants et des opposants (Stendhal , Le Rouge et le Noir ; G. Flaubert, Madame Bovary).
Dès le XVII° siècle (Furetière, Le Roman bourgeois), le roman s'est accompagné d'une intention réaliste ou naturaliste qui a fait de lui l'instrument privilégié de l'étude des mœurs, dans les descriptions (Balzac, La Comédie humaine) comme dans le langage des personnages (E. Zola, L'Assommoir). Évoquant certaines impudeurs dont ce type de roman peut se rendre coupable, E.M. Cioran écrit : « Il a fait le trottoir de la littérature. Nul souci de décence ne l'embarrasse, point d'intimité qu'il ne viole. Avec une égale désinvolture, il fouille les poubelles et les consciences. Le romancier, dont l'art est fait d'auscultation et de commérages, transforme nos silences en potins. »

Le roman semble sauf en tout cas des errements idéologiques où a sombré la philosophie car il est « le territoire où personne n'est possesseur de la vérité » (Milan Kundera).

  Textes théoriques :
H. de Balzac : préface de La Comédie humaine - G. de Maupassant : préface de Pierre et Jean - E. Zola : Le Roman expérimental - J. Prévost : Les problèmes du roman - L. Goldmann : Pour une sociologie du roman - G. Lukacs : Balzac et le réalisme français - E. Auerbach : Mimesis - G. Blin : Stendhal et les problèmes du roman - A. Robbe-Grillet : Pour un nouveau roman - G. Genette : Figures.

 Œuvres caractéristiques :
voyez notre liste de romans, classés par genres.
le
conte est un genre romanesque plus court, dont l'ancêtre est le fabliau médiéval : centré sur une péripétie, il prend souvent une dimension symbolique et morale (Marguerite de Navarre, L'Heptaméron ; Flaubert, Trois contes).
la
nouvelle : initiée par Boccace dans son Decameron (et elle-même issue de genres plus anciens comme le fabliau, l'exemplum ou le lai), la nouvelle a la même brièveté mais reste préoccupée par les répercussions psychologiques d'un événement (P. Mérimée, G. de Nerval : Sylvie, G. de Maupassant, D. Boulanger). Cultivant l'ellipse et la concision, elle sollicite la participation du lecteur : litotes, fréquente chute finale, dépourvue de conclusion explicite (D. Buzzati : Les Journées perdues; K. Taylor : Inconnu à cette adresse).
le roman naît dans toute sa variété au XVIIIème siècle (l'
histoire est alors sa forme la plus répandue) avant de s'épanouir dans sa vocation réaliste au XIXème. Il a cependant tôt sécrété sa contestation : l'antiroman (Diderot, Jacques le Fataliste ; A. Gide : Les Faux-monnayeurs) affecte de retirer ses privilèges au narrateur et laisse le lecteur trouver son ordre dans une narration déconstruite. Le Nouveau Roman (A. Robbe-Grillet, M. Butor, N. Sarraute, C. Simon) a procédé à une critique en règle du roman traditionnel et consacré "la mort du personnage".

  Exemples :
voyez les extraits du Père Goriot d'H. de Balzac, de La Chartreuse de Parme de Stendhal et du Voleur d'enfants de J. Supervielle, étudiés dans le cadre de la lecture méthodique des discours descriptif et narratif. Voyez encore notre étude de Don Quichotte, Manon Lescaut, Un Roi sans divertissement, Jacques le Fataliste, Les Liaisons dangereuses et nos pages sur le personnage de roman.

 

 

 

 

Approche du genre : en dépit de l'usage banal que l'on fait de cet adjectif, son acception littéraire est exclusivement liée aux rapports que l'homme entretient avec le destin. Le mot "tragédie" est issu des mots grecs tragos (le bouc) et ôdê (le chant). Ce "chant du bouc" est en fait la liturgie par laquelle on avait coutume de célébrer Dionysos. Ceci explique que la tragédie soit un genre sacré et n'ait guère d'autre expression que théâtrale. Au contraire du drame, la tragédie repose sur la conscience de la fatalité, contre laquelle se brisent inéluctablement les entreprises humaines. Devant ce conflit perdu d'avance, les sentiments cathartiques du public sont la terreur, la pitié et l'admiration.

Formes dominantes :
Type de texte :  théâtral.
les sujets tragiques sont souvent extraordinaires et, volontiers empruntés à la mythologie ou à l'histoire ancienne, ils mettent en scène des personnages aristocratiques qui, pris au piège, révèlent la puissance et la noblesse de leur tempérament (cruauté, héroïsme, sacrifice). « Le monde de la tragédie, écrit André Malraux, est toujours le monde antique : l'homme, la foule, les éléments, les femmes, le destin. Il se réduit à deux personnages, le héros et son sens de la vie. » (Le Temps du mépris).
la dramaturgie repose sur un état de crise, que les trois unités classiques condensent à l'extrême. L'action bannit la représentation de l'événement au profit de ses retentissements dans l'âme des personnages.
dans le registre tragique, le langage est noble; l'alexandrin lui prête souvent une solennité qui convient à l'expression de la plainte.

Textes théoriques :
J. Racine : préface de Bérénice - N. Boileau : Art poétique - F. Nietzsche : La Naissance de la Tragédie - Alain : Système des Beaux-Arts - L. Goldmann : Le dieu caché - J.M. Domenach : Le retour du tragique.

Œuvres caractéristiques :
la tragi-comédie (P. Corneille, Le Cid) est "une tragédie qui finit bien";
la
tragédie religieuse (R. Garnier, Les Juives) est au XVI° siècle une préfiguration de la tragédie classique. Celle-ci s'épanouit au XVII° siècle (P. Corneille, Polyeucte ; J. Racine : Phèdre) avant de disparaître au siècle suivant malgré les efforts de Voltaire (Zaïre).

Exemples:
exercices sur les genres théâtraux.
Eschyle : Les Perses (étude de l'œuvre).
l'aveu de Phèdre (J. Racine, Phèdre, I, 4) :

Mon mal vient de plus loin. A peine au fils d'Egée
Sous les lois de l'hymen je m'étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait s'être affermi,
Athènes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler.
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D'un sang qu'elle poursuit tourments inévitables.
Par des vœux assidus je crus les détourner :
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l'orner ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.
D'un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l'encens :
Quand ma bouche implorait le nom de la Déesse,
J'adorais Hippolyte; et le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisais fumer,
J'offrais tout à ce Dieu que je n'osais nommer.
Je l'évitais partout. O comble de misère !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.
Contre moi-même enfin j'osai me révolter :
J'excitai mon courage à le persécuter.

Pour bannir l'ennemi dont j'étais idolâtre,
J'affectai les chagrins d'une injuste marâtre ;
Je pressai son exil, et mes cris éternels
L'arrachèrent du sein et des bras paternels.
Je respirais, Œnone, et depuis son absence,
Mes jours moins agités coulaient dans l'innocence.
Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,
De son fatal hymen je cultivais les fruits.
Vaine précautions ! Cruelle destinée !
Par mon époux lui-même à Trézène amenée,
J'ai revu l'ennemi que j'avais éloigné :
Ma blessure trop vive a aussitôt saigné,
Ce n'est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C'est Vénus tout entière à sa proie attachée.
J'ai conçu pour mon crime une juste terreur ;
J'ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur.
Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire,
Et dérober au jour une flamme si noire :
Je n'ai pu soutenir tes larmes, tes combats ;
Je t'ai tout avoué ; je ne m'en repens pas,
Pourvu que de ma mort respectant les approches,
Tu ne m'affliges plus par d'injustes reproches,
Et que tes vains secours cessent de rappeler
Un reste de chaleur tout prêt à s'exhaler.

 

 

 

Consulter : Théorie de la littérature (cours d'Antoine Compagnon)
                       Atelier de théorie littéraire (Fabula).

 

 Consultez les pages sur les registres littéraires et sur les mouvements littéraires.