Si la notion de type de texte est
assez claire (le texte se définit en
fonction de son intention et de son type
d'organisation ; voyez notre tableau),
la notion de genre littéraire est plus floue
: chaque époque définit sa notion de genre
selon les attentes des lecteurs et les
idéologies dominantes.
Néanmoins, dans chaque grand genre (roman,
poésie, théâtre, argumentation), certains
textes obéissent à un système d'énonciation
comparable, sont traversés d'un même registre
(l'impression particulière ressentie par le
lecteur) ou traitent des thèmes convergents.
On se tiendra à cette définition sommaire
pour recenser les genres littéraires les
plus fréquents, sans oublier que le propre
de l'écrivain est de faire voler en éclat
les prétendues barrières entre les genres
:
Approche du genre : les
trois radicaux grecs qui constituent le mot définissent
l'autobiographie comme "l'écriture de sa propre vie".
Peu répandu dans l'Antiquité, le genre éclot vraiment
avec l'humanisme occidental et la réhabilitation de
l'individu (« Je suis moi-même la matière de mon livre
», affirme Montaigne au début des Essais, qui
constituent l'œuvre la plus authentiquement
autobiographique... et la plus inclassable).
Formes dominantes :
Types
de discours : narratif, descriptif.
La
fonction expressive est évidemment dominante (je, moi) :
mais si les réflexions, les sentiments concernent
l'expérience personnelle, l'autobiographe n'a de cesse
de prendre à témoin son lecteur auquel il donne le
statut de témoin, juge ou confident, et obéit à une
visée universelle qui le fait homme parmi les hommes.
La
pacte de sincérité qui est à la base de l'entreprise
autobiographique n'exclut pas une certaine manipulation,
consciente ou non. L'auteur "transforme son expérience
en destin" (Malraux), fournit des arguments propres à le
déculpabiliser (Rousseau) ou cède au simple plaisir de
raconter. Refusant plus ou moins la "littérature", il en
donne enfin les plus éclatants exemples (Sartre).
Œuvres caractéristiques :
Confessions
: racontant sa vie,
l'auteur peut avouer ses erreurs et chercher à les
justifier (saint Augustin, J.J.
Rousseau). Journal
intime : l'auteur
confie au jour le jour à ses carnets anecdotes et
réflexions (A.
Gide, J. Green). Mémoires
: l'auteur est conscient
d'avoir joué dans l'Histoire un rôle digne d'être
rapporté (Chateaubriand : Mémoires d'outre-tombe)
et décide de fondre son "misérable tas de secrets" dans
ce par quoi il rejoint les mythes universels (A. Malraux
:Antimémoires).
Il choisit au contraire de dénoncer sa légende (J.P.
Sartre : Les mots).
Autoportraits
: l'auteur part à la
recherche de soi à travers une trame non linéaire où, à
la manière d'un puzzle, se dessine peu à peu sa
personnalité (M. Leiris : L'âge d'homme ; R.
Barthes : Roland Barthes par lui-même).
"Autofiction"
: le
terme a été inventé par Serge Doubrovski (Fils,
1977). Désigné clairement comme "roman", le récit de vie
confond néanmoins auteur et personnage (Annie Ernaux : Les Années), au contraire du
roman
autobiographique
qui met en scène des personnages au nom fictif (J.
Vallès : L'Enfant) et de l'autobiographie
fictive (Marguerite Yourcenar : Mémoires
d'Hadrien).
Je
forme une entreprise qui n'eut jamais
d'exemple et dont l'exécution n'aura point
d'imitateur. Je veux montrer à mes
semblables un homme dans toute la vérité de
la nature ; et cet homme ce sera moi.
Moi seul. Je sens mon cœur et je
connais les hommes. Je ne suis fait comme
aucun de ceux que j'ai vus ; j'ose croire
n'être fait comme aucun de ceux qui
existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins
je suis autre. Si la nature a bien ou mal
fait de briser le moule dans lequel elle m'a
jeté, c'est ce dont on ne peut juger
qu'après m'avoir lu.
Que la trompette du jugement dernier
sonne quand elle voudra ; je viendrai, ce
livre à la main, me présenter devant le
souverain juge. Je dirai hautement : voilà
ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que
je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la
même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais,
rien ajouté de bon, et s'il m'est arrivé
d'employer quelque ornement indifférent, ce
n'a jamais été que pour remplir un vide
occasionné par mon défaut de mémoire ; j'ai
pu supposer vrai ce que je savais avoir pu
l'être, jamais ce que je savais être faux.
Je me suis montré tel que je fus, méprisable
et vil quand je l'ai été, bon, généreux,
sublime, quand je l'ai été: j'ai dévoilé mon
intérieur tel que tu l'as vu toi-même. Être
éternel, rassemble autour de moi
l'innombrable foule de mes semblables;
qu'ils écoutent mes confessions, qu'ils
gémissent de mes indignités, qu'ils
rougissent de mes misères. Que chacun d'eux
découvre à son tour son cœur au pied de ton
trône avec la même sincérité ; et puis qu'un
seul te dise, s'il l'ose : Je fus meilleur
que cet homme-là.
Approche du genre : le
mot "comique" (du grec kômos, fête
carnavalesque et rurale en l'honneur de Dionysos)
désignait dans l'Antiquité toute pièce de théâtre. A
partir du XVII° siècle, il qualifie les œuvres
essentiellement théâtrales (les comédies) qui s'opposent
à la tragédie dans leur finalité, qui est le rire, et
leur dénouement heureux. Le registre
comique s'applique à des sujets ordinaires,
traités dans un style familier, où souvent domine
l'intention satirique et morale : la comédie "châtie les
mœurs en riant" (Jean de Santeul), tournant en
ridicule des caractères ou des vices à la mode.
Formes dominantes :
Types
de texte : théâtral, narratif.
comiques
de caractère (personnages pittoresques en proie à une
passion), de situation (imbroglio, quiproquos), de mots
(calembours), de mœurs (satire sociale). registres
: burlesque,
héroï-comique,
ironique,
satirique.
le
rire est provoqué par la dénonciation caricaturale des
ridicules et par l'expression mécanisée d'une passion.
Textes théoriques :
Aristote
: Poétique - Molière : L'Impromptu de
Versailles, Critique de L'École des Femmes - N.
Boileau : Artpoétique - V. Hugo :
Préface de Cromwell - H. Bergson : Le
Rire - Ch. Mauron : Psychocritique du genre
comique.
Œuvres
caractéristiques :
la
comédie de mœurs tourne
en dérision un travers à la mode (Molière, Tartuffe),
la
comédie d'intrigue est
davantage occupée par la conduite de l'action (P.
Corneille : L'Illusion comique) et les jeux de
scène (quiproquo, imbroglio de la commedia dell'arte ;
vaudeville : Labiche,
Feydeau),
la
comédie de caractères dépeint
les ravages d'une passion (Molière, L'Avare).
la
farce, héritée du
Moyen-Age, où elle était destinée à servir d'entracte
aux mystères religieux (La farce de Maître
Pathelin), est une pièce bouffonne qui, dans une
intrigue stéréotypée, met en scène des personnages
populaires au langage grossier (Molière, LaJalousie
du Barbouillé) ; la sotie
(XV° siècle) ajoute à ces procédés une attaque hardie
contre les pouvoirs établis.
saynètes,
sketches (R.
Devos), intermèdes, divertissements sont des genres
libres et variés.
la
parodie
(Scarron : Le Virgile travesti) caricature une
œuvre d'art dans une intention burlesque
; le pastiche
(M. Proust : Pastiches et mélanges), dans une
intention plus fine, imite les traits caractéristiques
du style d'un écrivain.
dans
le roman, le registre comique prend diverses formes :
héroï-comique (Rabelais, Gargantua),
pittoresque (Scarron, Roman comique ;
Maupassant, Contesnormands).
Approche du genre : le
genre argumentatif, direct ou indirect, est ici concerné
au premier chef dans son intention d'informer autant que
de convaincre. Le mot "didactique" est formé sur le grec
διδακθικοσ (didaktikos, « propre à instruire
»). Mais les œuvres qui entrent dans le genre didactique
ne se caractérisent pas toujours par une simple fonction
référentielle ou informative, et c'est à ce titre
qu'elles font partie de la littérature. De fait, nous
ferons entrer dans cette catégorie un ensemble de textes
où, si le propos est toujours d'instruire, les formes
sont extrêmement diverses, que la littérature
entreprenne de réfléchir sur elle-même ou qu'elle
s'allie à toutes les sciences humaines.
Formes dominantes :
Types
de texte : explicatif, argumentatif, narratif,
descriptif, poétique.
Le
registre
didactique, sous la diversité des formes que nous
recensons dans ce genre, se caractérise essentiellement
par l'alternance entre les fonctions référentielle et
expressive, celle-ci garantissant que la littérature
retrouve bien ses droits derrière l'érudition. Selon les
sous-genres (manifeste littéraire), la tonalité peut
être injonctive.
Œuvres caractéristiques :
L'essai
propose un discours argumenté sur un
problème d'ordre divers (art, culture société). Souvent
lié à la simple compilation (littérature d'érudition du
XVII° siècle), il a évolué vers une réflexion
personnelle sans souci d'exhaustivité (Voltaire : Essai
sur lesmœurs ; Chateaubriand : Essai
sur les révolutions).
Chronique
historique : présente
dans l'Antiquité (Thucydide, Tacite) et le Moyen-Age
(Joinville, Villehardouin), l'Histoire devient une
science sous l'impulsion de la méthode expérimentale
chère aux philosophes (Voltaire : Le siècle de
Louis XIV), sans pour autant renoncer aux
pouvoirs visionnaires de l'imagination (J.
Michelet : Histoire de France).
L'"école des Annales" inaugure une histoire capable de
saisir jusqu'à la minutie, à l'instar du roman, la vie des
petites gens (E. Leroy-Ladurie : Montaillou, village
occitan).
Biographie
: distincte de l'hagiographie (récit édifiant de la vie
des saints), la biographie s'est largement répandue
à mesure que de plus en plus de personnages s'imposaient à
une actualité fortement médiatisée. Elle touche surtout à
la littérature quand elle est le fait des écrivains
eux-mêmes (Chateaubriand : Vie deRancé
; J. Michelet : Jeanne d'Arc ; J. Green :
Frère François) ou qu'elle sait, par sympathie, en
épouser l'esprit (J. Lacouture : André
Malraux ; A. Lanoux :
Bonjour, M. Zola).
Manifeste
littéraire : émanation d'un groupe ou d'une école
dont il expose les principes, le manifeste peut prendre la
forme de la préface (V. Hugo : Préface de Cromwell),
de l'opuscule (Défense
et illustrationde la langue française
de J. Du Bellay ; Artpoétique de N. Boileau ; Manifeste
du surréalisme d'A. Breton), du tract (A
la niche les glapisseurs dedieu !
du groupe surréaliste), d'un simple texte (Fonction
du poète de V. Hugo ; Les collines,
La Jolie rousse de G. Apollinaire) ou d'une
lettre (Lettre à P. Demeny d'A. Rimbaud).
Genres
moraux : les maximes
sont des sentences (maxima sententia) exprimant,
sous forme de vérités générales, une expérience morale. La
maxime (et ses variétés : aphorisme, apophtegme, proverbe)
s'est épanouie dans l'âge
classique, soucieux de codifier les passions (La
Rochefoucauld, Chamfort, Vauvenargues) et de parvenir,
sous forme de jeu de société, à une extrême concision
verbale. C'est sous forme de maximes que s'achèvent
souvent les exempla, récits
brefs visant à donner un modèle de comportement ou de
morale, les fables (La
Fontaine), les apologues
(paraboles évangéliques; récits et anecdotes exploités par
les philosophes du XVIII° : Fontenelle,
Montesquieu, Voltaire), les portraits
(La Bruyère, Caractères),
où domine néanmoins le genre narratif.
Genre
philosophique : qu'il
s'agisse d'essais (Montaigne),
de dialogues (Diderot),
de traités (Descartes),
de pensées (Pascal)
ou de dictionnaires
(Voltaire, Dictionnaire
philosophique ; Diderot et alii, Encyclopédie),
il n'est pas toujours aisé de séparer la philosophie de
la littérature, même si l'on se souvient que, pour
Proust, une thèse dans un roman fait l'effet d'un coup
de revolver dans un salon. L'œuvre d'un Bergson se
signale par une évidente qualité formelle. Mais, si l'on
consent à excepter les philosophes, on conviendra qu'une
part non négligeable de la poésie classique et même
romantique (Voltaire, Hölderlin, Hugo) ressortit à
l'interrogation philosophique, comme le roman (A. Camus
: La Peste, J.P. Sartre : La Nausée)
ou le conte justement dit "philosophique" (Voltaire :
Candide, Zadig).
Critique
littéraire : née avec la codification des règles
classiques (N. Boileau : Réflexion VII sur Longin),
la critique s'est diversifiée dès le
XIX° siècle : Sainte-Beuve (Lundis),
Taine prétendent expliquer la création par la biographie
de l'écrivain et son milieu. Conception dénoncée par M.
Proust (Contre
Sainte-Beuve) et déjà infirmée par
l'intuition fraternelle et passionnée de Ch.
Baudelaire (Curiosités esthétiques). Au
XX°siècle, pendant que s'épanouit la critique
universitaire (A. Thibaudet , Physiologie de la
critique), les méthodes psychanalytiques (G.
Bachelard, Ch. Mauron, G. Poulet) et l'apport des sciences
du langage (G. Genette, Figures; R. Barthes, Le
degré zéro de l'écriture ; J. Rousset, Forme
et signification) tendent à effacer la personne de
l'écrivain pour n'y plus voir que le lieu de passage d'un
langage et de formes où l'humanité trouve ses
significations fondamentales.
Exemple :
un
manifeste littéraire : P.
Verlaine - Art poétique (Jadis
et naguère).
De
la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n'ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'Indécis au Précis se joint.
C'est des beaux yeux derrière des voiles,
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est, par un ciel d'automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !
Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L'Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l'Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !
Prends
l'éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d'énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où ?
O qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d'un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?
De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée
Vers d'autres cieux à d'autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littérature.
Approche du genre : le
bas-latin drama (action) est à l'origine de
l'adjectif, qui désigne très généralement toute œuvre
théâtrale. Il prend néanmoins un sens particulier avec
l'apparition du drame. Né au début du XVIII° siècle du
déclin de la tragédie et de l'observation des mœurs à
laquelle s'est vouée la comédie, le drame se compose de
deux sous-genres : le drame bourgeois et le drame
romantique. Dans les deux cas, le ressort tragique du fatum
a disparu : les personnages manifestent leur liberté, et
le dénouement, souvent malheureux, n'est dû qu'à des
facteurs humains. Le mélange des registres
(tragique, sublime, grotesque, pathétique) satisfait au
désir de vraisemblance.
Formes dominantes :
Types
de texte : théâtral, prose ou poésie.
Le
drame bourgeois (XVIII°
siècle) est né d'une contestation de la tragédie. Il se
caractérise par un décor familial où se nouent des
intrigues domestiques. Toujours écrit en prose, il force
la note pathétique (comédie larmoyante de Nivelle de La
Chaussée) et moralisatrice (Diderot, Le Fils
naturel ; Sedaine, Le philosophe sans le
savoir). Plus que par les caractères, le drame
bourgeois est intéressé par les conditions sociales et
prône des vertus citadines : mesure, tolérance, vertu.
Il partage avec le genre plus populaire du mélodrame le
goût des coups de théâtre.
Ledrame
romantique est issu
de l'admiration partagée en Europe, dès la fin du XVIII°
siècle, pour le théâtre élisabéthain (Shakespeare). Le
sujet en est souvent historique (Hugo, LesBurgraves
; Musset, Lorenzaccio),
pour lequel les auteurs soignent la couleur locale. La
contestation des unités de temps et de lieu, et le
mélange des genres (sublime et grotesque) souhaitent se
conformer à la vie même. Les personnages manifestent des
tempéraments nobles et passionnés (Vigny, Chatterton)
qui les confrontent à un monde souvent trop étroit pour
eux. Pour exprimer ce conflit, les registres peuvent
aller jusqu'au lyrisme
ou à l'épopée
(Hugo, Ruy Blas). Ce type de drame, destiné
dans certains pays d'Europe à exalter des valeurs
nationales, reflète les conceptions majeures du Romantisme
: révolution sociale, triomphe du cœur sur la raison,
désespoir existentiel.
Le
drame moderne
: à partir de la fin du XIX° siècle, le drame revient à
des sujets sociaux, souvent anti-bourgeois (H. Becque, Les
Corbeaux ; J. Anouilh, Le voyageur sansbagage), voire politiques (Sartre, Les
mains sales). Il peut au contraire allier au goût
de l'absurde une réflexion métaphysique (Beckett, En
attendant Godot ; Ionesco, Le Roi se meurt).
Textes théoriques :
D.
Diderot : Entretiens sur Le Fils naturel -
Beaumarchais : Essai sur le genredramatique
sérieux - Mme de Staël : De l'Allemagne
- Stendhal : Racine et Shakespeare - V. Hugo :
Préface de Cromwell - B. Brecht : Écrits
sur le théâtre.
Approche du genre : le
mot épopée est issu du grec epos, parole, et
poiein, faire. L'épopée consiste donc à raconter,
et il est probable que les premiers récits présentaient
tous les caractères du genre épique : narration d'un
haut fait devenu légendaire, nimbé d'éléments
merveilleux et dont le
héros, à la valeur surhumaine, entre en conflit
avec des forces gigantesques dont il triomphe, fût-ce
dans la défaite. Ce personnage, toujours masculin, est
porteur d'une morale destinée à exalter une collectivité
(famille, nation) ou symboliser la grandeur humaine.
Formes dominantes :
Types
de texte : poétique, narratif, descriptif.
la
focalisation 0 permet de confronter les forces en
présence et favorise les plans d'ensemble.
la
syntaxe est marquée par la longue phrase cadencée, qui,
en poésie, multiplie les coupes et les enjambements, et,
dans la prose, privilégie l'énumération.
l'énormité
des actions et la valeur des héros sont exprimées par
l'hyperbole, les évaluatifs mélioratifs.
l'abondance
des métaphores achève de transfigurer le réel, auquel
elle confère une puissance sacrée (animisme,
merveilleux).
Textes théoriques :
Aristote
: Poétique - Voltaire : Essai sur la
poésie épique - V. Hugo : Préface de Cromwell
- Hegel : Esthétique - N. Frye : Anatomie
de la critique - B. Brecht : Écrits sur le
théâtre.
Œuvres
caractéristiques : Épopée
: Iliade
et Odyssée (Homère), Énéide (Virgile),
La Chanson des Nibelungen, LesMartyrs
(Chateaubriand), Les Tragiques (A.
d'Aubigné), LaHenriade
(Voltaire). Ces œuvres se caractérisent par une unité
d'action qui commande l'organisation autour d'une
geste guerrière. On pourrait y ajouter les
grandes œuvres poétiques issues du Romantisme
: La Légende des siècles et Châtiments
de V. Hugo ; Jocelyn de Lamartine. Chanson
de geste : le mot geste est issu du
pluriel latin gesta (exploits). Il s'agit
bien d'épopées, telle La Chanson de Roland.
Cette dénomination est sans doute d'origine
carolingienne, les chansons évoquant les exploits
guerriers étant alors regroupées en cycles, ou gestes.
Roman
: Nombre de romans touchent au registre
épique, parfois héroï-comique (Rabelais,
Gargantua). Le roman historique,
notamment, (Notre-Dame de Paris de V.
Hugo, dont il faudrait citer ici tous les romans) et
même le roman
naturaliste (E. Zola, L'Assommoir)
touchent à l'épique en brossant de larges fresques. On
pourra toutefois s'interroger sur la viabilité du
genre épique dans le roman (voir notre
article à propos de La Chartreuse de Parme
de Stendhal).
Récit
historique : Le
tempérament de certains historiens (J. Michelet, Histoire
deFrance) soulève leur récit d'un
souffle épique qui donne à certains épisodes une
dimension mythologique.
Théâtre
épique : B.
Brecht a appelé ainsi un théâtre qui refuse l'illusion
et prône l'attitude critique du spectateur (la distanciation).
Morcelée en tableaux discontinus, la pièce s'intéresse
à un personnage problématique confronté à une
situation socio-historique, par rapport auquel le
spectateur est invité à la réflexion politique (La
Vie de Galilée).
Exemple : L'expiation,
où V. Hugo évoque la bataille de Waterloo (Châtiments).
La
plaine, où frissonnaient les drapeaux
déchirés,
Ne fut plus, dans les cris des mourants qu'on
égorge,
Qu'un gouffre flamboyant, rouge comme une
forge ;
Gouffre où les régiments, comme des pans de
murs,
Tombaient, où se couchaient comme des épis
mûrs
Les hauts tambours-majors aux panaches
énormes,
Où l'on entrevoyait des blessures difformes !
Carnage affreux ! moment fatal ! L'homme
inquiet
Sentit que la bataille entre ses mains pliait.
Derrière un mamelon la garde était massée.
La garde, espoir suprême et suprême pensée !
- Allons ! faites donner la garde ! -
cria-t-il.
Et, lanciers, grenadiers aux guêtres de
coutil,
Dragons que Rome eût pris pour des
légionnaires,
Cuirassiers, canonniers qui traînaient des
tonnerres,
Portant le noir colback ou le casque poli,
Tous, ceux de Friedland et ceux de Rivoli,
Comprenant qu'ils allaient mourir dans cette
fête,
Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête.
Leur bouche, d'un seul cri, dit : Vive
l'empereur !
Puis, à pas lents, musique en tête, sans
fureur,
Tranquille, souriant à la mitraille anglaise,
La garde impériale entra dans la fournaise.
Approche du genre : l'adjectif
provient du latin epistula (lettre). Le genre
épistolaire est très répandu dans l'Antiquité (Sénèque,
Lettres
à Lucilius) et a constitué jusqu'à nos
jours un élément indispensable de la vie intellectuelle.
La lettre a permis aux écrivains d'agir (Voltaire), de
se dévoiler de manière plus intime (Balzac) ou d'exposer
leur esthétique (Flaubert), nous donnant ainsi de
précieux documents sur l'élaboration de leur œuvre.
Formes dominantes :
Types
de discours : narratif, descriptif, argumentatif.
Fonctions
expressive et impressive très marquées (je > tu,
vous) qui peuvent exprimer la confidence, l'échange
intellectuel, la requête ou le simple badinage.
Œuvres caractéristiques :
Correspondance
: destinée à dépasser son destinataire pour être
lue par un cercle élargi (Mme de Sévigné, Voltaire) ou
rassemblée a posteriori pour éclairer la
personnalité d'un artiste (Flaubert, Van Gogh : Lettres
à Théo).
Épître
: Lettre en vers portant à l'origine sur un sujet moral ou
philosophique (Horace : Épître aux Pisons,
Boileau) puis sur des sujets variés (Marot, Voltaire). Roman
épistolaire :
il peut être constitué des lettres d'un seul personnage
(Guilleragues : Lettres de la Religieuse portugaise),
mais prend tout son sens lorsqu'il repose sur un échange
de correspondance (Montesquieu :Lettres
persanes , Rousseau : La Nouvelle Héloïse,
Choderlos de Laclos :Les
Liaisons dangereuses). Le procédé permet au
lecteur d'être proche de la subjectivité des personnages
et de bénéficier de plusieurs éclairages.
Lettre
ouverte : lettre
rendue publique après avoir réellement atteint un
destinataire (Voltaire : Lettre
à Rousseau ; R.M. Rilke
: Lettre à un jeune poète), ou publiée,
par-delà celui-ci (qui peut être fictif), à l'intention
de tous les lecteurs (B. Pascal : Provinciales
; E. Zola : J'accuse). Elle rejoint ainsi le
genre polémique.
Approche du genre : le
mot lyrisme est issu du mot lyre, en
raison du rôle joué par cet instrument (c'est celui
d'Apollon et d'Orphée) dans l'accompagnement musical. Il
caractérise l'expression poétique des émotions, et c'est
à ce titre qu'on peut appeler thèmes lyriques le
sentiment de la Nature, l'amour et l'amitié, la
mélancolie, l'effroi devant la mort, l'adoration
religieuse... Hugo définit comme lyriques les temps
primitifs : «la première parole de l'homme n'est qu'un
hymne : la prière est toute sa religion, l'ode est toute
sa poésie.»
Formes dominantes :
Types
de texte : poétique, descriptif, narratif.
Le
registre
lyrique se caractérise par une fonction expressive
très marquée (prédominance du vocabulaire affectif,
interrogations, exclamations, invocations).
Importance
des figures de style qui expriment l'accord avec le
monde (métaphores, animisme, personnifications).
Rythme
de la phrase ou du vers (cadences, coupes), soucieux de
musicalité.
Œuvres
caractéristiques :
l'ode
est vouée à une poésie morale ou
philosophique (Ronsard),
l'élégie
à la poésie amoureuse et à la
plainte (Goethe, Élégies nationales ; Rilke, Élégies
de Duino),
les
psaumes (Marot,
Malherbe) et les hymnes
(Ronsard) à la célébration ;
la
méditation (Lamartine)
et la contemplation
(Hugo), sont presque devenus des
genres, caractéristiques de l'esprit
romantique ;
la
chanson
(G. Brassens, J. Brel, L. Ferré)
décline aujourd'hui les grands thèmes lyriques. La
complainte (Laforgue)
est une chanson exprimant des lamentations.
Approche du genre : la
distinction entre merveilleux (du latin mirabilia,
choses admirables) et fantastique (du grec phantasia,
imagination) tient au statut différent du personnage à
l'égard d'événements qui, dans les deux cas, relèvent du
surnaturel. Dans le merveilleux, une cohérence parfaite
s'installe entre le personnage et l'univers dans lequel
il évolue, alors que dans le fantastique, le personnage
est terrifié par l'apparition de phénomènes qu'il
perçoit comme étranges. Quand le merveilleux propose au
lecteur un monde féerique où rien ne doit
l'étonner, le registre
fantastique le laisse dans une perpétuelle
hésitation : doit-il reconnaître l'évidence du phénomène
surnaturel ou se conforter dans son rationalisme ?
Formes dominantes :
Types
de texte : narratif, descriptif, poétique, théâtral.
Textes
théoriques :
Ch. Nodier : Du
fantastique en littérature - V. Propp : Morphologie
du conte - B. Bettelheim : Psychanalyse des
contes de fées - M. Soriano : Les contes dePerrault - R. Caillois : Images, images...
- T. Todorov : Introduction à la littérature
fantastique.
Œuvres caractéristiques :
Conte
de fées : déjà
présent sous cette forme dans les fables milésiennes
(Apulée : L'Âne d'or), le conte de fées
présente souvent des personnages populaires secourus par
une aide magique (Perrault, Grimm, Andersen).
Féeries
: partie intégrante de la
fable ou du conte philosophique, la féerie crée un
univers enchanteur, dans le cadre du divertissement
(comédie-ballet, comme la Psyché de Molière et
Corneille) ou
de l'éducation morale : Ch. Nodier, Trilby ;
J. Giraudoux, Ondine.
Romans
gothiques
: à l'origine du
fantastique, ils sont considérés par André Breton comme
l'expression profonde des secousses morales et
politiques du XVIII° siècle : C.R. Maturin (Melmoth
ou l'Errant), M.G. Lewis (Le Moine), H.
Walpole (Le Château d'Otrante), M. Shelley (Frankenstein),
B. Stoker (Dracula).
Le
roman fantastique s'est
plu, à partir du XVIII° siècle (J. Cazotte, Le
Diable amoureux), à déranger les mentalités
rationalistes modernes en cultivant l'étrange à partir
de thèmes
récurrents (pactes avec le diable, vampires,
fantômes...) et d'une écriture habile, propre à
maintenir l'incertitude et fortifier l'identification du
lecteur avec le personnage : P. Mérimée, La Vénus
d'Ille ; G. de Maupassant, Le Horla ;
Villiers de l'Isle-Adam, Contes cruels.
Science-fiction
: elle
se caractérise par la rêverie engendrée par la curiosité
scientifique. Elle prend la forme du voyage imaginaire
(Cyrano de Bergerac, Voltaire : Micromégas) ou
de l'anticipation (J. Verne, G. Klein) . Soucieuse de
rationalité, mais cultivant l'angoisse, la
science-fiction tient à la fois du merveilleux et du
fantastique. Elle a fourni à ce titre l'essentiel des
grands mythes
contemporains.
Utopie
: elle
s'apparente au récit de voyage mais décrit une société
idéale (Thomas More, Utopia). À l'inverse, la dystopie
(A. Huxley : Le Meilleur des mondes) décrit
les ravages d'une société bureaucratique et totalitaire.
L’auteur d’une uchronie
modifie, lui, une situation historique pour en imaginer
les conséquences (Roger Caillois, Ponce-Pilate).
Exemple :
premier
indice du genre fantastique dans un roman qui, jusque
là, baignait dans la féerie (Boris Vian : L'écume
des jours, XX) :
Approche
du genre : l'adjectif
"oratoire" est issu du verbe latin orare (parler,
prier). Il englobe les types de discours
destinés à être prononcés devant un public. Le genre,
très ancien (orateurs grecs et latins :
Démosthène), s'est épanoui à l'âge classique (Bossuet,
Massillon, Bourdaloue). La rhétorique antique a codifié
ces types de discours en trois genres : le genre
judiciaire est consacré
à la défense d'une cause; le genre épidictique
exprime un idéal collectif par l'éloge
ou le blâme; le genre délibératif
vise à conseiller les membres d'une assemblée en
confrontant des arguments contradictoires.
Formes dominantes :
Types
de texte : argumentatif, poétique, injonctif.
Le
registre
oratoire valorise la fonction impressive
(injonctions, apostrophes, invocations, questions
rhétoriques, dialogisme).
Forte
modalisation de l'opinion (évaluatifs hyperboliques,
emphase, images saisissantes).
Rythme
de la phrase (période)
ou du vers, entraînant l'auditoire par une adhésion plus
sentimentale que rationnelle.
Œuvres caractéristiques : le
discours épidictique peut être commandé par
l'éloge
: le registre
laudatif marque ces productions vouées à la
louange. Le dithyrambe est
à l'origine un cantique sacré adressé à Dionysos (il est
à l'origine de la tragédie grecque). Comme le
panégyrique, il désigne
aujourd'hui un hommage adressé à une personne
(Desportes, Icare
est chu...) ou une institution. L'oraison
funèbre reprend les
caractéristiques du genre, auxquelles elle adjoint une
méditation métaphysique (J.B. Bossuet, Oraison
funèbre d'Henrietted'Angleterre ; A.
Malraux, Oraison funèbre de Jean Moulin). L'éloge
paradoxal entreprend
de louer les vertus de ce que l'opinion commune a
tendance à condamner (J. du Bellay : Le
Poète courtisan; Erasme : Éloge
de la folie; Molière : Dom
Juan).
le
blâme : en concentrant toutes les formes oratoires, il
englobe les types de productions que nous avons rangés
dans le genre polémique.
l'exhortation
: morale (la consolation),
militaire (la harangue),
ou religieuse (la prière,
l'homélie,
le sermon :
J.B. Bossuet, Sermon sur la mort).
la
requête : le plaidoyer
et le
réquisitoire (voyez la page
qui leur est consacrée) appartiennent aux genres
épidictique et judiciaire (on préférera alors le terme
de plaidoirie à celui de plaidoyer).
Pour mourir en parfait chrétien, il voulut
mourir par avance à ce qu'il avait le plus
tendrement aimé. C'est à vous seul, mon Dieu,
qu'il voulut consacrer les derniers moments de
sa vie. Pour se détacher de la chair et du
sang, il vous en fit, Seigneur, un sacrifice
digne de vous qui l'acceptâtes, et de lui qui
vous le présenta; et pour exécuter lui-même
l'arrêt de cette douloureuse séparation, à
laquelle vous le prépariez, il vous immola
toute la tendresse de son cœur, en faisant
retirer le prince son fils et la princesse sa
belle-fille, dont la présence était encore
pour lui quelque chose de si doux, et dont,
pour tout autre que pour vous, il n'aurait pas
voulu, ô mon Dieu, perdre un seul moment. Et
c'est alors qu'uniquement occupé de vous, et
déjà mort à tout le reste, il entra en esprit
dans votre sanctuaire, pour n'avoir plus
d'autres pensées que celles de votre justice
et de votre miséricorde : Introibo in
potentias Domini, memorabor justitiœ tuœ
solius.
C'est alors, mes chers auditeurs, que
renonçant à tout le faste de la gloire
mondaine, et se souvenant seulement qu'il
était pécheur, il donna ces marques publiques
d'un cœur contrit et humilié, que Dieu ne
méprisa jamais dans le plus vil coupable, mais
que je ne sais s'il n'admire point, aussi bien
que la foi du centenier, dans un héros
pénitent. C'est alors qu'empruntant la voix et
employant le ministère de celui qui
l'assistait, il déclara le désespoir où il
était d'avoir, par ses discours et par ses
exemples, mal édifié son prochain, et en
particulier ses domestiques et ses amis. C'est
alors qu'ajoutant au mérite de la patience le
désir de la souffrance et le zèle de la
pénitence, réduit à une langueur extrême, il
s'affligea de ne pas souffrir assez, et
souhaita, pour l'expiation de ses fautes,
d'endurer les douleurs les plus aiguës. C'est
alors que, rempli de foi, il répondit à toutes
les prières de l'Église, se les faisant
répéter, parce qu'il y trouvait, disait-il,
les motifs les plus solides de son espérance,
et achevant d'une voix mourante, mais qui
était encore le souffle de cette vie divine de
la grâce dont Dieu l'animait, les psaumes
qu'on lui commençait. C'est alors
qu'embrassant la croix de son Dieu, et
s'unissant à elle par de saints baisers, il
pria celui qui allait être son juge de
n'oublier pas qu'il était son Sauveur, lui
disant ces paroles affectueuses qui
justifièrent le publicain : Deus,
propitius esto mihi peccatori.
C'est alors que, se livrant aux ferveurs de la
charité la plus consommée, il ne fut plus
touché que du seul regret d'avoir trop tard
aimé son Dieu, et de la seule crainte de ne
pouvoir pas l'aimer jusqu'à la fin. Je crains,
dit-il, que mon esprit ne s'affaiblisse, et
que par là je ne sois privé de la consolation
que j'aurais eue de mourir occupé de lui et
m'unissant à lui.
Approche du genre : l'adjectif
polémique est issu du grec polemos (guerre).
Ce genre très ancien (satires de Juvénal) regroupe des
textes engagés dans l'actualité, dont ils condamnent les
errements moraux, religieux, politiques. L'écrivain du
XX° siècle a particulièrement revendiqué ce rôle (Sartre
: Qu'est-ce que la littérature ?), pour lequel
les formes adaptées choisissent un genre court et
mordant : article, lettre ouverte, chanson.
Formes dominantes :
Types
de texte : argumentatif, poétique.
Le
registre
polémique se caractérise par une fonction
expressive très marquée (violence du vocabulaire
péjoratif). A celui-ci peuvent s'ajouter les registres ironique
et/ou satirique
(traits caricaturaux).
Soucieux
de réalisme et de précision, le texte polémique peut
néanmoins user d'un registre
oratoire dans la volonté de persuader : rythmes de
la phrase ou du vers exprimant la colère, images
saisissantes.
Œuvres
caractéristiques :
l'éditorial
, dans un contexte journalistique, exprime le point de vue
de la rédaction ; la satire
raille violemment les mœurs (La Satire Ménippée ;
M. Régnier, N. Boileau : Satires ; B. Pascal : Provinciales)
; l'épigramme
lui ajoute son sens de la pointe. libelle
(Voltaire : Sentiment
des citoyens), factum,
pasquin,
pamphlet (P.L. Courier ; J. Gracq : La
littérature à l'estomac), diatribe,
philippique sont des termes
très voisins : ils désignent des écrits violemment
polémiques qui s'en prennent à des individus.
le
poème prête souvent sa forme ramassée et ses effets
lyriques ou épiques à la verve polémique (V. Hugo :
Châtiments).
Exemple :
Comment,
dans l'essai, le dialogisme
sert la verve polémique :
Denis Diderot : Contribution à l'Histoire des deux
Indes de l'abbé Raynal (1770).
Hommes ou démons, qui que vous soyez,
oserez-vous justifier les attentats contre ma
liberté naturelle par le droit du plus fort ?
Quoi ! celui qui veut me rendre esclave n'est
point coupable ? Il use de ses droits ? Où
sont-ils ces droits ? Qui leur a donné un
caractère assez sacré pour faire taire les
miens ? Je tiens de la nature le droit de me
défendre ; elle ne t'a donc pas donné celui de
m'attaquer. Si tu te crois autorisé à
m'opprimer, parce que tu es plus fort et plus
adroit que moi, ne te plains donc pas quand
mon bras vigoureux ouvrira ton sein pour y
chercher ton cœur ; ne te plains pas, lorsque,
dans tes entrailles déchirées, tu sentiras la
mort que j'y aurai fait passer avec tes
aliments. Je suis plus fort ou plus adroit que
toi ; sois à ton tour victime ; expie
maintenant le crime d'avoir été oppresseur.
Mais, dit-on, dans toutes les régions
ou dans tous les siècles, l'esclavage s'est
plus ou moins généralement établi.
Je le veux : mais qu'importe ce que les
autres peuples ont fait dans les autres âges ?
Est-ce aux usages du temps ou à sa conscience
qu'il faut en appeler ? Est-ce l'intérêt,
l'aveuglement, la barbarie ou la raison et la
justice qu'il faut écouter ? Si l'universalité
d'une pratique en prouvait l'innocence,
l'apologie des usurpations, des conquêtes, de
toutes les sortes d'oppressions serait
achevée.
Mais les anciens peuples se croyaient,
dit-on, maîtres de la vie de leurs esclaves ;
et nous, devenus humains, nous ne disposons
plus que de leur liberté, de leur travail.
Il est vrai. Tous les codes, sans
exception, se sont armés pour la conservation
de l'homme même qui languit dans la servitude.
Ils ont voulu que son existence fût sous la
protection du magistrat, que les tribunaux
seuls en pussent précipiter le terme. Mais
cette loi, la plus sacrée des institutions
sociales, a-t-elle jamais eu quelque force ?
L'Amérique n'est-elle pas peuplée de colons
atroces, qui usurpant insolemment les droits
souverains, font expier par le fer ou la
flamme les infortunées victimes de leur
avarice ? Je vous défie, vous, le défenseur ou
le panégyriste de notre humanité et de notre
justice, je vous défie de me nommer un des
assassins, un seul qui ait porté sa tête sur
un échafaud.
Supposons, je le veux bien,
l'observation rigoureuse de ces règlements qui
à votre gré honorent si fort notre âge.
L'esclave sera-t-il beaucoup moins à plaindre
? Eh quoi ! le maître qui dispose de l'emploi
de mes forces ne dispose-t-il pas de mes jours
qui dépendent de l'usage volontaire et modéré
de mes facultés ? Qu'est-ce que l'existence
pour celui qui n'en a pas la propriété ? On
dirait que les lois ne protègent l'esclave
contre une mort prompte que pour laisser à ma
cruauté le droit de le faire mourir tous les
jours. Dans la vérité, le droit d'esclavage
est celui de commettre toutes sortes de
crimes.
Je hais, je fuis l'espèce humaine,
composée de victimes et de bourreaux ; et si
elle ne doit pas devenir meilleure,
puisse-t-elle s'anéantir !
Approche du genre : à
l'origine, on appelle roman un texte en prose ou en vers
écrit en langue romane (Le roman de la Rose,
Le Roman de Renart). Dès le XVI° siècle, il
désigne un récit en prose d'aventures imaginaires. Le
genre romanesque, après avoir été longtemps considéré
comme inférieur parce qu'il était lu de préférence dans
la classe bourgeoise, arrive à son apogée avec elle au
XIX° siècle. Il est depuis lors un genre protéiforme, où
se sont accomplies toutes les expériences, faisant fi même des vieilles distinctions : « On oppose souvent le roman [...] à l'épopée, en disant que celle-ci raconte les aventures d'un groupe, celui-là d'un individu. Mais depuis Balzac au moins, il est clair que le roman, dans ses formes les plus hautes, prétend dépasser cette opposition. » (Michel Butor, Essai sur le roman, 1992)
Formes dominantes :
Types
de discours : narratif, descriptif.
Le
roman fait alterner le récit autour d'un certain point
de vue (ou focalisation)
et le discours (monologue
intérieur, dialogues, interventions du
narrateur).
Sa
construction est généralement axée sur les
perturbations subies par un état initial et les
attentes qu'elles génèrent. Pour cela le narrateur
choisit un type de narration capable d'entretenir le
pacte de lecture (narrations antérieure, postérieure,
simultanée).
Parmi
un ensemble souvent important de personnages,
l'un d'entre eux (sujet ou individuproblématique) poursuit une quête d'ordre
varié autour de laquelle se définissent des adjuvants
et des opposants (Stendhal , Le Rouge et le Noir
; G. Flaubert, Madame Bovary).
Dès
le XVII° siècle (Furetière, Le Roman bourgeois),
le roman s'est accompagné d'une intention réaliste
ou naturaliste
qui a fait de lui l'instrument privilégié de l'étude
des mœurs, dans les descriptions (Balzac, LaComédie humaine) comme dans le langage des
personnages (E. Zola, L'Assommoir).
Évoquant certaines impudeurs dont ce type de roman
peut se rendre coupable, E.M. Cioran écrit : « Il
a fait le trottoir de la littérature. Nul souci de
décence ne l'embarrasse, point d'intimité qu'il ne
viole. Avec une égale désinvolture, il fouille les
poubelles et les consciences. Le romancier, dont
l'art est fait d'auscultation et de commérages,
transforme nos silences en potins. »
Le
roman semble sauf en tout cas des errements idéologiques
où a sombré la philosophie car il est « le
territoire où personne n'est possesseur de la vérité »
(Milan
Kundera).
Textes théoriques :
H.
de Balzac : préface de La Comédie humaine - G.
de Maupassant : préface de Pierre et Jean
- E. Zola : Le Roman expérimental - J. Prévost
: Les problèmes duroman - L.
Goldmann : Pour une sociologie du roman - G.
Lukacs : Balzac et le réalisme français - E.
Auerbach : Mimesis - G. Blin : Stendhal
et les problèmes du roman - A. Robbe-Grillet : Pour
un nouveauroman - G. Genette : Figures.
Œuvres
caractéristiques :
voyez
notre liste
de romans, classés par genres.
le
conte est un genre
romanesque plus court, dont l'ancêtre est le fabliau
médiéval : centré sur une péripétie,
il prend souvent une dimension symbolique et morale
(Marguerite de Navarre, L'Heptaméron ;
Flaubert, Troiscontes).
la
nouvelle
: initiée par Boccace dans
son Decameron (et elle-même issue de genres
plus anciens comme le fabliau, l'exemplum ou le lai),
la nouvelle a la même brièveté mais reste préoccupée par
les répercussions psychologiques d'un événement (P.
Mérimée, G. de Nerval : Sylvie,
G. de Maupassant, D. Boulanger). Cultivant l'ellipse et
la concision, elle sollicite la participation du lecteur
: litotes, fréquente chute finale, dépourvue de
conclusion explicite (D. Buzzati : Les
Journées perdues; K. Taylor : Inconnu à
cette adresse). le
roman naît dans toute sa variété au XVIIIème
siècle (l'histoire est
alors sa forme la plus répandue) avant de s'épanouir
dans sa vocation réaliste au XIXème. Il a cependant tôt
sécrété sa contestation : l'antiroman
(Diderot,Jacques
le Fataliste ; A. Gide : Les
Faux-monnayeurs) affecte de retirer ses
privilèges au narrateur et laisse le lecteur trouver son
ordre dans une narration déconstruite. Le Nouveau
Roman (A. Robbe-Grillet, M.
Butor, N. Sarraute, C. Simon) a procédé à une critique
en règle du roman traditionnel et consacré "la mort du
personnage".
Approche du genre : en
dépit de l'usage banal que l'on fait de cet adjectif,
son acception littéraire est exclusivement liée aux
rapports que l'homme entretient avec le destin. Le mot
"tragédie" est issu des mots grecs tragos (le
bouc) et ôdê (le chant). Ce "chant du bouc"
est en fait la liturgie par laquelle on avait coutume de
célébrer Dionysos. Ceci explique que la tragédie soit un
genre sacré et n'ait guère d'autre expression que
théâtrale. Au contraire du drame, la tragédie repose sur
la conscience de la fatalité, contre laquelle se brisent
inéluctablement les entreprises humaines. Devant ce
conflit perdu d'avance, les sentiments cathartiques du
public sont la terreur, la pitié et l'admiration.
Formes dominantes :
Type
de texte : théâtral.
les
sujets tragiques sont souvent extraordinaires et,
volontiers empruntés à la mythologie ou à l'histoire
ancienne, ils mettent en scène des personnages
aristocratiques qui, pris au piège, révèlent la
puissance et la noblesse de leur tempérament (cruauté,
héroïsme, sacrifice). « Le monde de la tragédie, écrit
André Malraux, est toujours le monde antique :
l'homme, la foule, les éléments, les femmes, le
destin. Il se réduit à deux personnages, le héros et
son sens de la vie. » (Le Temps du mépris).
la
dramaturgie repose sur un état de crise, que les trois
unités classiques condensent à l'extrême. L'action
bannit la représentation de l'événement au profit de ses
retentissements dans l'âme des personnages.
dans
le registre
tragique, le langage est noble; l'alexandrin lui
prête souvent une solennité qui convient à l'expression
de la plainte.
Textes théoriques :
J.
Racine : préface de Bérénice - N. Boileau : Art
poétique - F. Nietzsche : La Naissance de la
Tragédie - Alain : Système des Beaux-Arts
- L. Goldmann : Le dieu caché - J.M. Domenach
: Le retour du tragique.
Œuvres caractéristiques :
la
tragi-comédie (P.
Corneille, Le Cid) est "une tragédie qui finit
bien";
la
tragédie religieuse (R.
Garnier, Les Juives) est au XVI° siècle une
préfiguration de la tragédie
classique. Celle-ci
s'épanouit au XVII° siècle (P. Corneille, Polyeucte
; J. Racine : Phèdre) avant de disparaître au
siècle suivant malgré les efforts de Voltaire (Zaïre).
Mon
mal vient de plus loin. A peine au fils
d'Egée
Sous les lois de l'hymen je m'étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait s'être
affermi,
Athènes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais
parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et
brûler.
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D'un sang qu'elle poursuit tourments
inévitables.
Par des vœux assidus je crus les détourner :
Je lui bâtis un temple, et pris soin de
l'orner ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison
égarée.
D'un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait
l'encens :
Quand ma bouche implorait le nom de la
Déesse,
J'adorais Hippolyte;
et le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisais
fumer,
J'offrais tout à ce Dieu que je n'osais
nommer.
Je l'évitais partout. O comble de misère !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de
son père.
Contre moi-même enfin j'osai me révolter :
J'excitai mon courage à le persécuter.
Pour
bannir l'ennemi dont j'étais idolâtre,
J'affectai les chagrins d'une injuste marâtre
;
Je pressai son exil, et mes cris éternels
L'arrachèrent du sein et des bras paternels.
Je respirais, Œnone,
et depuis son absence,
Mes jours moins agités coulaient dans
l'innocence.
Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,
De son fatal hymen je cultivais les fruits.
Vaine précautions ! Cruelle destinée !
Par mon époux lui-même à Trézène amenée,
J'ai revu l'ennemi que j'avais éloigné :
Ma blessure trop vive a aussitôt saigné,
Ce n'est plus une ardeur dans mes veines
cachée :
C'est Vénus tout entière à sa proie attachée.
J'ai conçu pour mon crime une juste terreur ;
J'ai pris la vie en haine, et ma flamme en
horreur.
Je voulais en mourant prendre soin de ma
gloire,
Et dérober au jour une flamme si noire :
Je n'ai pu soutenir tes larmes, tes combats ;
Je t'ai tout avoué ; je ne m'en repens pas,
Pourvu que de ma mort respectant les
approches,
Tu ne m'affliges plus par d'injustes
reproches,
Et que tes vains secours cessent de rappeler
Un reste de chaleur tout prêt à s'exhaler.