L'apologue 

 

 

 

Objet d'étude :
La littérature d'idées du XVIème au XVIIIème siècle.
Parcours :
Imagination et pensée au XVIIème siècle
.

 

  Pertinent dans ces deux objets d'étude (l'un en Seconde, l'autre en Première), l'apologue est au nombre des ressources de l'argumentation, bien qu'il tienne avant tout du récit. Il s'agit en effet d'une courte fiction destinée à illustrer une vérité morale. Loin de correspondre, comme on le croit parfois, à la volonté de déjouer quelque censure, ce procédé mise bien plutôt sur la sagacité du lecteur auquel on délègue la fonction essentielle de décrypter la teneur d'un message :
                           C'est proprement un charme: il rend l'âme attentive,
                                        Ou plutôt il la tient captive,
                                        Nous attachant à des récits
                           Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits.
                               (La Fontaine, A Madame de Montespan, Fables, VII).

 

1.  Examinez le texte suivant :

  Par une froide journée d'hiver, un troupeau de porcs-épics s'était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s'éloigner les uns des autres. Quand le besoin de se chauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de façon qu'ils étaient ballottés de çà et de là entre les deux souffrances, jusqu'à ce qu'ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendit la situation supportable. Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur propre intérieur, pousse les hommes les uns vers les autres; mais leurs nombreuses qualités repoussantes et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. La distance moyenne qu'ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c'est la politesse et les belles manières. En Angleterre, on crie à celui qui ne se tient pas à distance : Keep your distance! - Par ce moyen, le besoin de chauffage mutuel n'est, à la vérité, satisfait qu'à moitié, mais en revanche on ne ressent pas la blessure des piquants. - Celui-là cependant qui possède beaucoup de calorique propre préfère rester en dehors de la société pour n'éprouver ni ne causer de peine.
Arthur SCHOPENHAUER, Parerga et Paralipomena (1851)

  La composition du texte apparaît clairement : à un petit récit, qui offre tous les caractères exagérément simplifiés du texte narratif (montrez-le), succède en quelques lignes un court développement conclusif ("Ainsi") qui, lui, tient du discours argumentatif (quelles en sont les formes ?). Ces deux mouvements constituent une seule et même démarche : les éléments du récit sont déjà assez signifiants pour que la leçon morale dégagée par la suite soit presque superflue (comment néanmoins s'y exprime le pessimisme du philosophe ? qui est, selon vous, celui qui "possède beaucoup de calorique" ?).

   On appelle apologue ce type de narration dont la visée est philosophique et morale. Le procédé est très répandu depuis l'Antiquité et s'épanouit particulièrement aux XVII° et XVIII° siècles (pensez aux Fables de La Fontaine; on peut aussi évoquer la plupart des contes de Voltaire et notamment la fin de Candide). A ces époques, l'apologue semble correspondre à une stratégie commode qui consiste à laisser s'exprimer seules par le récit des vérités qui pourraient être dangereuses pour l'auteur, et ainsi contourne la censure. Mais, en fait, le genre de l'apologue satisfait bien davantage une intention pédagogique : « Il y a certaines vérités qu'il ne suffit pas de persuader, mais qu'il faut encore faire sentir. Telles sont les vérités de morale. Peut-être qu'[un] morceau d'histoire touchera plus qu'une philosophie subtile », écrit Montesquieu au seuil des Lettres Persanes (voir à ce sujet la dissertation que nous proposons à l'issue d'un corpus de documents). De son côté, dans le chapitre IX du Taureau Blanc, Voltaire fait dire au personnage du serpent : « Je voudrais surtout que sous le voile de la fable, le conte laissât entrevoir aux yeux exercés quelque vérité fine qui échappe au vulgaire.»
   Ainsi l'apologue dissipe les craintes de Socrate à l'égard de l'écriture, qu'il accusait de réduire toujours le lecteur, par ses « paroles gelées », à un apprenant passif : ce type de récit sollicite au contraire une vigilance sans failles capable de permettre à chacun de saisir et de s'approprier son enseignement. Car, déjà, les apologues les plus anciens se gardent bien de conclure explicitement : le mythe se cantonne au récit, laissant la leçon s'étendre seule sur tous les champs du savoir et de la sensibilité; dans ses paraboles, le Christ laisse souvent ses auditeurs perplexes, justifiant ainsi le choix de cette forme :

 Voilà pourquoi je leur parle en paraboles : parce qu'ils regardent sans regarder et qu'ils entendent sans entendre ni comprendre. Car le cœur de ce peuple s'est épaissi, ils sont devenus durs d'oreille, ils se sont bouché les yeux, pour ne pas voir de leurs yeux, ne pas entendre de leurs oreilles, ne pas comprendre avec leur cœur. Et je les aurai guéris !
(Évangile selon saint Matthieu, 13, 1-23)

   Le choix de l'apologue, forme légère et parfois vulgaire, peut enfin correspondre à la volonté de récompenser le lecteur ou l'auditeur capables de dépasser leur première impression pour déceler, dans ce qui ne semblait être que laideur et futilité, les beautés et richesses bien cachées sous cette écorce. C'est ce que soutiennent ici Erasme et Rabelais, dans des textes convergents où tous deux reconnaissent cette vertu à deux « Silènes » exemplaires : Socrate et le Christ.

ERASME
Adages (1515)

  On dit que les Silènes étaient des figurines fendues d'une manière telle qu'on pouvait séparer les deux parties et ouvrir la figurine; fermées elles ne présentaient qu'une apparence risible et déformée de joueur de flûte, mais ouvertes elles montraient soudain une divinité, de telle sorte que la plaisante tromperie rendait plus agréable l'art du sculpteur. Puis le sujet des statuettes fut tiré du grotesque Silène, pédagogue de Bacchus, et bouffon des divinités poétiques. Car celles-ci ont elles aussi, à l'imitation des princes de chez nous, leurs fous de Cour. [...] Telle est à coup sûr la nature des choses vraiment honnêtes : ce qu'elles ont de précieux, elles le renferment et le cachent à l'intérieur, ce qu'elles ont de plus méprisable elles l'exposent au premier plan et dissimulent leur trésor comme sous une vile écorce pour ne pas le montrer aux yeux profanes. Tout opposée est la manière des choses vulgaires et inconsistantes : leur aspect extérieur est séduisant, et ce qu'elles ont de plus beau elles le montrent du premier coup aux passants; mais si on jette un regard à l'intérieur elles ne sont rien moins que ce qu'elles proposaient par leur titre et leur aspect.

  RABELAIS
Gargantua (1535)

  En lisant les joyeux titres de quelques livres de notre invention [...], vous pensez trop facilement qu'on n'y trouve que des moqueries, folâtreries et joyeux mensonges, puisque l'enseigne extérieure (le titre) est, sans chercher plus loin, habituellement reçue comme moquerie et plaisanterie. Mais il ne faut pas considérer si légèrement les œuvres des hommes. Il faut ouvrir le livre et soigneusement peser ce qui y est traité. Alors vous reconnaîtrez que la drogue qui y est contenue est d'une tout autre valeur que ne le promettait la boîte. [...] Avez-vous jamais vu un chien rencontrant quelque os à moelle ? Si vous l'avez vu, vous avez pu noter avec quelle dévotion il guette son os, avec quel soin il le garde, avec quelle ferveur il le tient, avec quelle prudence il l'entame, avec quelle passion il le brise, avec quel zèle il le suce. Qui le pousse à faire cela ? Quel est l'espoir de sa recherche ? Quel bien en attend-il ? Rien de plus qu'un peu de moelle. [...] A son exemple, il vous faut être sages pour humer, sentir et estimer ces beaux livres de haute graisse, légers à la poursuite et hardis à l'attaque. Puis, par une lecture attentive et une méditation assidue, rompre l'os et sucer la substantifique moelle.

 L'apologue s'adresse donc aussi bien au cœur et à l'imagination qu'à l'esprit, et c'est au plaisir que l'on prend à écouter des histoires qu'il faut mesurer tous ses atouts de persuasion.

 

 

2.   Moralités :
                                                                                                 Quelle Morale puis-je inférer de ce fait ?
                                                                                                 Sans cela, toute fable est un œuvre imparfait.

                                                                                                                            (La Fontaine, Fables, XII, 2)

  La fable est le plus caractéristique des apologues par sa composition généralement partagée entre le récit et le discours. Celui-ci apparaît sous forme de « moralité » avant ou après le récit, mais peut aussi disparaître totalement derrière la narration, comme chez La Fontaine. Le récit seul, en effet, comme dans la parabole, fournit assez d'indices pour éclairer le lecteur. Le fabuliste justifie ainsi cette prééminence nécessaire de la narration :
     Une morale nue apporte de l’ennui :
     Le conte fait passer le précepte avec lui.
     En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire ;
     Et conter pour conter me semble peu d’affaire.
(VI, 1).

 

  Voici quelques fables de La Fontaine que nous avons privées de leur "moralité". A vous de choisir, parmi celles que nous proposons ensuite, la conclusion morale qui appartient à chacun de ces récits.
Il vous faudra bien sûr justifier votre choix par des indices pertinents.

Le Petit Poisson et le Pêcheur (V, 3)

     

      Petit poisson deviendra grand,
      Pourvu que Dieu lui prête vie.
      Mais le lâcher en attendant,
      Je tiens pour moi que c’est folie ;
Car de le rattraper il n’est pas trop certain.
Un Carpeau qui n’était encore que fretin,
Fut pris par un Pêcheur au bord d’une rivière.
Tout fait nombre, dit l’homme en voyant son butin ;
Voilà commencement de chère et de festin :
      Mettons-le en notre gibecière.
Le pauvre Carpillon lui dit en sa manière :
Que ferez-vous de moi ? je ne saurais fournir
      Au plus qu’une demi bouchée,
      Laissez-moi Carpe devenir :
      Je serai par vous repêchée.
Quelque gros Partisan m’achètera bien cher,
      Au lieu qu’il vous en faut chercher
      Peut-être encor cent de ma taille
Pour faire un plat. Quel plat ? croyez-moi ; rien qui vaille.
- Rien qui vaille ? Eh bien soit, repartit le Pêcheur ;
Poisson mon bel ami, qui faites le Prêcheur,
Vous irez dans la poêle ; et vous avez beau dire,
      Dès ce soir on vous fera frire.  [...]

 

La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf (I, 3).

     

      Une Grenouille vit un Bœuf,
      Qui lui sembla de belle taille.
Elle qui n’était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse s’étend, et s’enfle et se travaille,
      Pour égaler l’animal en grosseur ;
      Disant : - Regardez bien, ma sœur,
Est-ce assez ? Dites-moi ; n’y suis-je point encore ?
- Nenni. - M’y voici donc ? - Point du tout. - M’y voilà ?
- Vous n’en approchez point. La chétive pécore
      S’enfla si bien qu’elle creva.
[...]

 

 

  ③ Le Renard et le Bouc (III, 5)

 

Capitaine Renard allait de compagnie
Avec son ami Bouc des plus hauts encornés.
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez ;
L’autre était passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits.
       Là chacun d’eux se désaltère.
Après qu’abondamment tous deux en eurent pris,
Le Renard dit au Bouc : « Que ferons-nous, compère ?
Ce n’est pas tout de boire, il faut sortir d’ici.
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi ;
Mets-les contre le mur. Le long de ton échine
       Je grimperai premièrement ;
       Puis sur tes cornes m’élevant,
       À l’aide de cette machine,
       De ce lieu-ci je sortirai,
       Après quoi je t’en tirerai.
– Par ma barbe, dit l’autre, il est bon ; et je loue
       Les gens bien sensés comme toi.
      Je n’aurais jamais, quant à moi,
      Trouvé ce secret, je l’avoue. »
Le Renard sort du puits, laisse son compagnon,
      Et vous lui fait un beau sermon
      Pour l’exhorter à patience.
« Si le ciel t’eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de barbe au menton,
      Tu n’aurais pas, à la légère,
Descendu dans ce puits. Or, adieu, j’en suis hors.
Tâche de t’en tirer, et fais tous tes efforts :
      Car pour moi, j’ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d’arrêter en chemin. »  [...]

 

  ④ Les deux Coqs (VII, 12)

 

Deux Coqs vivaient en paix : une Poule survint,
       Et voilà la guerre allumée.
Amour, tu perdis Troie ; et c’est de toi que vint
      Cette querelle envenimée
Où du sang des Dieux même on vit le Xanthe teint !
Longtemps entre nos Coqs le combat se maintint ;
Le bruit s’en répandit par tout le voisinage :
La gent qui porte crête au spectacle accourut.
      Plus d’une Hélène au beau plumage
Fut le prix du vainqueur. Le vaincu disparut :
Il alla se cacher au fond de sa retraite,
      Pleura sa gloire et ses amours,
Ses amours qu’un rival, tout fier de sa défaite
Possédait à ses yeux. Il voyait tous les jours
Cet objet rallumer sa haine et son courage ;
Il aiguisait son bec, battait l’air et ses flancs,
      Et, s’exerçant contre les vents,
      S’armait d’une jalouse rage.
Il n’en eut pas besoin. Son vainqueur sur les toits
   S’alla percher, et chanter sa victoire.
      Un Vautour entendit sa voix :
      Adieu les amours et la gloire ;
Tout cet orgueil périt sous l’ongle du Vautour.
      Enfin, par un fatal retour,
      Son rival autour de la Poule
      S’en revint faire le coquet.
      Je laisse à penser quel caquet ;
      Car il eut des femmes en foule.
[...]

 

  ⑤ Le Rat et l’Huître (VIII, 9)

Un Rat, hôte d’un champ, rat de peu de cervelle,
Des lares paternels un jour se trouva sou.
Il laisse là le champ, le grain, et la javelle,
Va courir le pays, abandonne son trou.
      Sitôt qu’il fut hors de la case :
« Que le monde, dit-il, est grand et spacieux !
Voilà les Apennins, et voici le Caucase. »
La moindre taupinée était mont à ses yeux.
Au bout de quelques jours, le voyageur arrive
En un certain canton où Thétys sur la rive
Avait laissé mainte huître ; et notre Rat d’abord
Crut voir, en les voyant, des vaisseaux de haut bord.
« Certes, dit-il, mon père était un pauvre sire :
Il n’osait voyager, craintif au dernier point :
Pour moi, j’ai déjà vu le maritime empire ;
J’ai passé les déserts ; mais nous n’y bûmes point. »
D’un certain magister le Rat tenait ces choses,
      Et les disait à travers champs ;
N’étant pas de ces Rats qui, les livres rongeants,
      Se font savants jusques aux dents.
      Parmi tant d’huîtres toutes closes,
Une s’était ouverte ; et, bâillant au soleil,
      Par un doux zéphyr réjouie,
Humait l’air, respirait, était épanouie,
Blanche, grasse, et d’un goût, à la voir, non pareil.
D’aussi loin que le Rat voit cette Huître qui bâille :
« Qu’aperçois-je ? dit-il, c’est quelque victuaille ;
Et, si je ne me trompe à la couleur du mets,
Je dois faire aujourd’hui bonne chère, ou jamais. »
Là-dessus, maître Rat, plein de belle espérance,
Approche de l’écaille, allonge un peu le cou,
Se sent pris comme aux lacs ; car l’huître tout d’un coup
Se referme. Et voilà ce que fait l’ignorance. [...]

 

  ⑥ La Tortue et les deux Canards (X, 2)

 

Une Tortue était, à la tête légère,
Qui lasse de son trou voulut voir le pays.
Volontiers on fait cas d’une terre étrangère :
Volontiers gens boiteux haïssent le logis.
      Deux Canards à qui la Commère
      Communiqua ce beau dessein,
Lui dirent qu’ils avaient de quoi la satisfaire :
      Voyez-vous ce large chemin ?
Nous vous voiturerons par l’air en Amérique.
      Vous verrez mainte République,
Maint Royaume, maint peuple ; et vous profiterez
Des différentes mœurs que vous remarquerez.
Ulysse en fit autant. On ne s’attendait guère
       De voir Ulysse en cette affaire.
La Tortue écouta la proposition.
Marché fait, les oiseaux forgent une machine
       Pour transporter la pèlerine.
Dans la gueule en travers on lui passe un bâton.
Serrez bien, dirent-ils ; gardez de lâcher prise.
Puis chaque Canard prend ce bâton par un bout.
La Tortue enlevée on s’étonne partout
       De voir aller en cette guise
       L’animal lent et sa maison,
Justement au milieu de l’un et l’autre Oison.
Miracle, criait-on ; Venez voir dans les nues
       Passer la Reine des Tortues.
- La Reine : Vraiment oui. Je la suis en effet ;
Ne vous en moquez point. Elle eût beaucoup mieux fait
De passer son chemin sans dire aucune chose ;
Car lâchant le bâton en desserrant les dents,
Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants.
Son indiscrétion de sa perte fut cause. [...]

 Voici dans le désordre les moralités enlevées à chaque fable. Pour réattribuer à chacune sa moralité, remplissez le tableau qui suit, dont vous trouverez une correction :


La Fortune se plaît à faire de ces coups :
Tout vainqueur insolent à sa perte travaille.
Défions-nous du Sort, et prenons garde à nous
      Après le gain d’une bataille.

fable  n°...


Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout Bourgeois veut bâtir comme les grands Seigneurs,
    Tout petit Prince a des Ambassadeurs,
       Tout Marquis veut avoir des Pages.

fable  n°...


Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l’auras :
       L’un est sûr, l’autre ne l’est pas.

fable  n°...


Cette fable contient plus d’un enseignement :
      Nous y voyons premièrement :
Que ceux qui n’ont du monde aucune expérience
Sont, aux moindres objets, frappés d’étonnement ;
      Et puis nous y pouvons apprendre
      Que tel est pris qui croyait prendre.

fable  n°...


Imprudence, babil, et sotte vanité,
       Et vaine curiosité
       Ont ensemble étroit parentage ;
       Ce sont enfants tous d’un lignage.

fable  n°...


En toute chose il faut considérer la fin.

fable  n°...

CORRECTION

 

 

BAC :

  On pourra, à l'aide des textes présents sur le site, et pour lesquels nous proposons un commentaire, constituer un parcours sur l'apologue dans l'esprit de l'objet d'étude « La littérature d'idées du XVIème au XVIIIème siècle », imposé au baccalauréat :

  • une fable : La Mort et le bûcheron de La Fontaine
  • un récit : La dent d'or de Fontenelle ou la lettre XII des Lettres persanes de Montesquieu
  • une pièce de théâtre : L'Île des esclaves de Marivaux
  • un poème : Le Crapaud de Tristan Corbière.
  • une nouvelle : cultivant l'ellipse et la concision, elle sollicite souvent la participation du lecteur dans la recherche d'une vérité morale (irréalisme, litotes, fréquente chute finale, dépourvue de conclusion explicite). Nous consacrons à ce genre la séquence ci-dessous :

 

Dino Buzzati
Les Journées perdues

(I Giorni perduti, in Centottanta racconti, 1982)

  Journaliste, romancier et nouvelliste italien (Belluno, 1906 — Milan, 1972), Buzzati est à l'origine d'une œuvre vouée à la recherche de l'insolite caché derrière la banalité quotidienne (Barnabo des montagnes, 1933; Le Désert des Tartares, 1940; Peur à la Scala, 1949; Un amour, 1963; Le K, 1966; Poèmes-Bulles, 1969; Les Nuits difficiles, 1972; Le Rêve de l'escalier, 1973). Le recueil dont nous tirons cette nouvelle est posthume.

un incipit in medias res : plongé d'emblée "au milieu des choses", le lecteur est capté par une situation énigmatique qui lui épargne les indices spatio-temporels, les portraits et les descriptions. Cette intemporalité du récit signale un enjeu universel et  métaphysique.

la caractérisation du personnage : réduit à l'essentiel, privé de psychologie, il porte ici un nom énigmatique (consonances saxonnes et méditerranéennes mêlées) ou n'est désigné que par l'indéfini.

la focalisation interne fait partager au lecteur la perception fragmentaire de Kazirra et souligne l'étrangeté de la situation.

la simplicité du schéma narratif souligne la perturbation intervenue dans la vie du personnage et met en relief la portée morale du récit.

le caractère symbolique des caisses condense en quelques images fugitives la vie de Kazirra : comment le narrateur suggère-t-il son indifférence passée ?

la situation finale souligne l'irréalisme du récit et laisse le lecteur tirer lui-même son interprétation.

  Quelques jours après avoir pris possession de sa somptueuse villa, Ernst Kazirra, rentrant chez lui, aperçut de loin un homme qui sortait, une caisse sur le dos, d’une porte secondaire du mur d’enceinte, et chargeait la caisse sur un camion.
  Il n’eut pas le temps de le rattraper avant son départ. Alors, il le suivit en auto. Et le camion roula longtemps, jusqu’à l’extrême périphérie de la ville, et s’arrêta au bord d’un vallon.
  Kazirra descendit de voiture et alla voir. L’inconnu déchargea la caisse et, après quelques pas, la lança dans le ravin, qui était plein de milliers et de milliers d’autres caisses identiques.
  Il s’approcha de l’homme et lui demanda : « Je t’ai vu sortir cette caisse de mon parc. Qu’est-ce qu’il y avait dedans ? Et que sont toutes ces caisses ? »
  L’autre le regarda et sourit : « J’en ai encore d’autres sur le camion, à jeter. Tu ne sais pas ? Ce sont les journées.
- Quelles journées ?
- Tes journées.
- Mes journées ?
- Tes journées perdues. Les journées que tu as perdues. Tu attendais, n’est-ce pas ? Elles sont venues. Qu’en as-tu fait ? Regarde-les, intactes, encore pleines. Et maintenant... »
  Kazirra regarda. Elles formaient un tas énorme. Il descendit la pente et en ouvrit une.
  A l’intérieur, il y avait une route d’automne, et au fond Graziella, sa fiancée, qui s’en allait pour toujours. Et il ne la rappelait même pas.
  Il en ouvrit une autre. C’était une chambre d’hôpital, et sur le lit son frère Josué, malade, qui l’attendait. Mais lui était en voyage d’affaires.
  Il en ouvrit une troisième. A la grille de la vieille maison misérable se tenait Duk, son mâtin fidèle qui l’attendait depuis deux ans, réduit à la peau et aux os. Et il ne songeait pas à revenir.
  Il se sentit prendre par quelque chose qui le serrait à l’entrée de l’estomac. Le manutentionnaire était debout au bord du vallon, immobile comme un justicier.
  « Monsieur ! cria Kazirra. Écoutez-moi. Laissez-moi emporter au moins ces trois journées. Je vous en supplie. Au moins ces trois. Je suis riche. Je vous donnerai tout ce que vous voulez. »
  Le manutentionnaire eut un geste de la main droite, comme pour indiquer un point inaccessible, comme pour dire qu’il était trop tard et qu’il n’y avait plus rien à faire. Puis il s’évanouit dans l’air, et au même instant disparut aussi le gigantesque amas de caisses mystérieuses. Et l’ombre de la nuit descendait.

 

 

 

 

 

 

  Exercice :

1) La brièveté, l'irréalisme de la nouvelle sollicitent une interprétation.. Si vous deviez résumer ce texte en une maxime, quelle serait-elle ?

2) Composition du texte :
Précisez les différentes étapes du schéma narratif et dites en quoi il met en valeur la moralité que vous avez dégagée.

3) Les personnages :
Comment les deux hommes sont-ils caractérisés ? Pourquoi ?
Après avoir étudié les indices de lieux, dites en quoi ils nous renseignent sur les personnages.
Quelle image de Kazirra le narrateur nous donne-t-il ? Sur quoi fondez-vous votre analyse ?
En quoi le manutentionnaire est-il un homme étrange ? Quel rôle symbolique pourrait-on lui attribuer ?

4) Genre et registre :
Dans quel genre littéraire rangez-vous cette nouvelle ? Pourquoi ? Confirmez votre réponse en caractérisant, à l’aide d’exemples, le registre de la nouvelle.

 

  L'apologue par excellence, c'est le mythe : récit et discours tout à la fois, il offre en outre de très grandes possibilités de relecture, dont chacun, à diverses époques, est libre de réactiver les significations. Dans le domaine pictural, ces variations sont innombrables. Ainsi pour le mythe d'Icare dont nous vous proposons d'examiner la version traditionnellement attribuée à Bruegel l'Ancien. Vous pourrez d'abord prendre connaissance de la tradition mythologique et, sur le site, du poème-éloge de Philippe Desportes.

 Passez votre curseur sur l'image pour observer les lignes de force.

Pieter Bruegel l'Ancien (?), Paysage avec la chute d'Icare, 1558 (Musées royaux des beaux arts de Bruxelles).

  Le titre de la toile commence par intriguer : nous attendons Icare en plein ciel et nous l'y cherchons vainement. Notre regard commence à suivre (), vers la gauche, les sillons du laboureur, imitant en cela le regard du berger qui tourne résolument le dos à la mer. Cette première ligne de force nous amène à épouser la courbure du golfe qui nous fait suivre la ligne d'horizon. A nouveau, les limites de la baie, à droite, guident notre œil qui, maintenant, est contraint de descendre vers l'ombre du tableau où il ne tarde pas à découvrir les deux jambes d'Icare qui vient de tomber.

Interprétation :

  • les figures du travail : laboureur, berger, pêcheur... Le peintre condense ici les formes du travail humain, et renvoie à une réalité, une économie toutes terrestres. Commentez la position de ces trois figures par rapport à celle d'Icare.

  • réduite à un détail presque imperceptible (deux jambes près d'être englouties), la figure d'Icare est présentée dans un registre burlesque inattendu : les lectures classiques du mythe en font en effet un parangon de l'aventure humaine la plus haute et la plus absolue, fût-ce dans la défaite. Opposez à ce détail la place considérable occupée dans la toile par le rayonnement du soleil et par le laboureur. Que veut signifier le peintre, à votre avis ?

  • Quelle position personnelle prend le peintre dans cet apologue ? Faut-il lui prêter une morale conservatrice représentant de manière exemplaire le châtiment de l'homme qui prétend transgresser ses limites naturelles ? ou au contraire lui faire exprimer une leçon pathétique sur l'ignorance et la solitude à laquelle sont condamnées les plus hautes entreprises (« Aucune charrue ne s'arrête pour un homme qui meurt », dit un proverbe germanique) ?