LA
LECTURE DU TEXTE THEÂTRAL
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Reportez-vous au afin de vous
familiariser avec les caractères du texte théâtral.
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Alfred
de Musset,
(1834), Acte IV, scène
XI
(Florence,
1537. Le duc Alexandre de Médicis fait régner
la débauche et la tyrannie. Son cousin
Lorenzo, que le peuple appelle avec mépris
Lorenzaccio, a joué depuis deux ans le rôle du
compagnon de débauche pour l'assassiner. Ainsi
il a ménagé pour le duc un faux rendez-vous
avec sa tante Catherine dans sa propre
chambre, où il a pris soin, avec son valet
Scoronconcolo, d'habituer les voisins au
tapage. Voici le duc pris au piège de Lorenzo
malgré les avertissements du cardinal Cibo
("Lorenzo aurait fait demander des chevaux de
poste pour s'enfuir dans la nuit même".)
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La
chambre de Lorenzo. Entrent le Duc
et Lorenzo.
LE
DUC. — Je suis transi, - il fait vraiment
froid. (Il ôte son épée). Eh
bien, mignon, qu'est-ce que tu fais donc ?
LORENZO. — Je roule votre baudrier
autour de votre épée, et je la mets sous
votre chevet. Il est bon d'avoir toujours
une arme sous la main. (Il entortille
le baudrier de manière à empêcher l'épée
de sortir du fourreau.)
LE DUC. — Tu sais que je n'aime pas les
bavardages, et il m'est revenu que la
Catherine était une belle parleuse. Pour
éviter les conversations, je vais me
mettre au lit. - A propos, pourquoi donc
as-tu fait demander des chevaux de poste à
l'évêque de Marzi ?
LORENZO. — Pour aller voir mon frère, qui
est très malade, à ce qu'il m'écrit.
LE DUC. — Va donc chercher ta tante.
LORENZO. — Dans un instant. (Il
sort.)
LE DUC, seul. — Faire la cour à
une femme qui vous répond « oui »
lorsqu'on lui demande « oui ou non » cela
m'a toujours paru très sot, et tout à fait
digne d'un Français. Aujourd'hui, surtout
que j'ai soupé comme trois moines, je
serais incapable de dire seulement : « Mon
cœur, ou mes chères entrailles », à
l'infante d'Espagne. Je veux faire
semblant de dormir ; ce sera peut-être
cavalier, mais ce sera commode. (Il se
couche. - Lorenzo rentre l'épée à la
main.)
LORENZO. — Dormez-vous, seigneur ? (Il
le frappe.)
LE DUC. — C'est toi, Renzo ?
LORENZO. — Seigneur, n'en doutez pas. (Il
le frappe de nouveau. - Entre
Scoronconcolo).
SCORONCONCOLO. — Est-ce fait ?
LORENZO. — Regarde, il m' a mordu au
doigt. Je garderai jusqu'à la mort cette
bague sanglante, inestimable diamant.
SCORONCONCOLO. — Ah ! mon Dieu ! c'est le
duc de Florence !
LORENZO, s'asseyant sur le bord de la
fenêtre. — Que la nuit est belle !
Que l'air du ciel est pur ! Respire,
respire, cœur navré de joie !
SCORONCONCOLO. — Viens, Maître, nous en
avons trop fait ; sauvons-nous.
LORENZO. — Que le vent du soir est doux et
embaumé ! Comme les fleurs des prairies
s'entrouvrent ! O nature magnifique, ô
éternel repos !
SCORONCONCOLO. — Le vent va glacer sur
votre visage la sueur qui en découle.
Venez, seigneur.
LORENZO. — Ah ! Dieu de bonté ! quel
moment !
SCORONCONCOLO, à part. — Son âme
se dilate singulièrement. Quant à moi, je
prendrai les devants.
LORENZO. — Attends ! Tire ces rideaux.
Maintenant, donne-moi la clef de cette
chambre.
SCORONCONCOLO. — Pourvu que les voisins
n'aient rien entendu !
LORENZO. — Ne te souviens-tu pas qu'ils
sont habitués à notre tapage ? Viens,
partons. (Ils sortent.)
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Problématique : le
"chapeau" vous aura appris à quel moment de
l'action se situe cette scène : il s'agit d'un
meurtre attendu par le spectateur depuis au moins
l'acte précédent, au cours duquel Lorenzo en a
informé le vieux républicain Philippe Strozzi. Par
rapport à cette attente, le meurtre qui se déroule
sous les yeux du spectateur paraît bien rapide et
presque escamoté. Pourquoi ? La représentation
particulière - et presque décevante - de cette
scène manifeste-t-elle une indication essentielle
à la compréhension des vrais enjeux du personnage
?
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Objectif 1 : situation de la scène dans l'œuvre :
? quels sont les indices qui
signalent au spectateur qu'il ne s'agit ici nullement du
dénouement, mais d'une dernière péripétie qui génère de
nouvelles attentes. Lesquelles ?
? vous savez que les codes
classiques, au nom de la bienséance, proscrivaient toute
représentation d'un meurtre sur la scène. Vous pourrez
montrer comment Musset déroge à cette règle mais déplace
aussi l'intérêt du spectateur vers l'exaltation finale de
Lorenzo (vous pourrez comparer cette
représentation du meurtre du duc Alexandre de Médicis avec
sa dans ses Chroniques
florentines).
? par quels autres caractères
la scène échappe-t-elle au , tel que vous pouvez le connaître par des
œuvres de Corneille ou de Racine ? Soyez notamment
attentif à la diversité des tons employés, à la nature des
personnages présents et au rôle qu'il semblent jouer les
uns par rapport aux autres.
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Faites
un rapide bilan de ces remarques préliminaires. Le
sens du meurtre perpétré par Lorenzo commence à
s'éclaircir. S'agit-il à votre avis d'un geste
politique ? Pourquoi ?
Pour caractériser le genre de la pièce, le
mélange des tons que vous avez pu constater dans
la scène - et la date de composition de l'œuvre -
vous auront orienté vers . Celui-ci a ses textes
fondateurs : Racine et Shakespeare de
Stendhal et la Préface de Cromwell de
Victor Hugo ont manifesté un souci de rupture par
rapport au théâtre classique et prôné, au nom d'un
certain réalisme, le mélange des genres. L'étude
de ce mélange (ce que Hugo nomme le sublime et le
grotesque) pourrait alimenter votre projet de
lecture.
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Objectif
2 : la distribution de la parole :
La
parole au théâtre capte des destinataires divers, qu'elle
informe à plusieurs niveaux. Délimitez soigneusement ce
qui dans la scène appartient au dialogue, au monologue,
à l'aparté :
le dialogue : quel type de relation révèle celui de
Lorenzo et du Duc (soyez attentif aux pronoms employés,
aux termes par lesquels les personnages s'interpellent et
à la tournure de leurs phrases) ? Montrez que les
répliques de Lorenzo reposent sur une double énonciation
qui révèle son jeu (à quoi peut penser le spectateur
lorsque Lorenzo souligne qu'"il est bon d'avoir toujours
une arme sous la main" ?).
La relation maître-valet s'inverse avec l'entrée de
Scoronconcolo. Montrez que Lorenzo emploie les paroles du
maître avec un sang-froid qui détonne brusquement avec son
exaltation précédente. Qu'est-ce que cela signale de la
complexité du personnage ? Le ton de Scoronconcolo révèle
une relation qui dépasse celle du valet au maître.
Pourquoi ?
le monologue : resté seul, le Duc se prépare d'une
manière "cavalière" à recevoir Catherine. Quel rôle joue
pour le spectateur ce court monologue ? Que révèle-t-il du
personnage ?
Son meurtre accompli, Lorenzo se laisse aller à savourer
le moment, sourd aux injonctions de Scoronconcolo. Que
révèlent du sens donné au meurtre ce lyrisme soudain et le
fait que le personnage s'adresse à son cœur et non à son
valet, qu'il a pourtant commencé à prendre à témoin ?
Pourquoi faut-il parler ici de monologue et non d'aparté?
l'aparté : il s'agit ici de la brève observation de
Scoronconcolo, signalée par la didascalie. Montrez qu'elle
souligne l'incompréhension du valet par rapport à
l'euphorie du maître et laisse Lorenzo seul devant son
meurtre.
Récapitulez
l'essentiel de vos remarques et commencez à les faire
servir à votre projet de lecture : comment se manifeste le
mélange des genres sur les plans du langage, de l'action,
des personnages ? Montrez que le meurtre répond à un enjeu
personnel pour Lorenzo, dont tout ici contribue à
souligner la solitude.
Objectif
3 : l'occupation de l'espace :
-
Musset avait souhaité proposer "un théâtre dans un
fauteuil" (c'est-à-dire un théâtre fait pour être lu : ses
pièces n'ont pas été représentées avant la fin du XIX°
siècle). Montrez que les didascalies, assez abondantes,
jouent en effet un rôle informatif sur des actions qui
échapperaient au lecteur, plus qu'un rôle indicatif sur la
mise en scène à observer.
-
montrez néanmoins que le texte signale des actions que le
lecteur peut découvrir a posteriori : que révèle
par exemple cette didascalie interne évoquant, dans les
propos de Lorenzo, la "bague sanglante" imprimée par le
duc sur sa main ? et que deviner dans l'inquiétude de
Scoronconcolo à propos d'un "tapage" que rien n'a
autrement manifesté ?
-
comment peut-on justifier la relative rapidité de cette
exécution, en tout cas dans la part que les didascalies
lui réservent ? Montrez que cette sobriété contraste avec
le retentissement psychologique exprimé par Lorenzo,
signalant la portée symbolique d'un geste réduit pour cela
dans ses formes au strict minimum.
-
quelle valeur symbolique peut-on donner à l'attitude de
Lorenzo, s'asseyant après le meurtre, "sur le bord de la
fenêtre" ? Quel rôle joue cet espace soudain ouvert sur la
nature dans l'expression des sentiments du personnage?
Récapitulez à nouveau l'essentiel de vos remarques : elles
pourront tourner autour de cette économie de la
dramaturgie sur le plan spatial, qui révèle un théâtre
métaphysique, proche sur ce plan de la tragédie.
Objectif 4 : les relations entre
les personnages :
-
la pièce de théâtre est tout entière tendue vers un enjeu
dramatique que le premier acte expose avant que les autres
nous fassent assister à son accomplissement. Le proposé par A.J. Greimas permet de
schématiser les rapports qui s'instaurent entre les
personnages. Si l'on considère que l'enjeu essentiel pour
Lorenzo (sujet) est de tuer le Duc (objet)
afin d'y trouver un apaisement que l'on devine
essentiellement personnel (destinataire), cette
scène révèle des rapports significatifs (adjuvants/opposants)
entre les "actants" :
-
quel double rôle joue Lorenzo à l'égard du Duc ? Montrez
qu'il se présente comme son adjuvant, quand les
didascalies et sa double énonciation le situent comme
opposant. Quelle relation le lie à Scoronconcolo ? Si
celui-ci est son adjuvant, que penser de son
incompréhension du sens profond du meurtre (il ignorait
que la victime serait le Duc, il ne peut comprendre
l'exaltation finale de Lorenzo) ? Ces remarques vous
permettront de mettre en valeur la solitude de Lorenzo.
-
les niveaux de langue : un personnage se révèle aussi dans
sa parole. Opposez le vocabulaire du Duc à celui de
Lorenzo dans leur monologue respectif (caractères de la
syntaxe, registre de langue, degrés de la métaphore). Si
le dialogue n'est ici jamais clairement l'expression d'un
conflit (pas d'interruptions de la parole par exemple), il
n'en reste pas moins que le discours de chacun des
personnages semble ne jamais trouver d'écho. Pourquoi ?
Vous pourrez rassembler toutes vos remarques et mieux les
organiser en fonction de votre projet de lecture. Vous
pourrez mieux déterminer en quoi consiste le mélange des
genres propre au drame romantique et proposer une analyse
du personnage qui mette en valeur la force de sa volonté
et l'échec auquel il est voué dans un monde trop étroit
pour lui.
Ces "axes de lecture" constitueront votre bilan et
pourraient , une fois construits, nourrir le développement
d'un commentaire littéraire.
FICHE
PRATIQUE : Les questions à poser au texte
théâtral |
Situation
de la scène dans l'œuvre :
- exposition
? nœud ? péripétie ? dénouement ?
- genre
théâtral auquel appartient l'œuvre :
comique, tragique, dramatique ? la scène
échappe-t-elle au genre attendu ? ?
exercices
sur les genres théâtraux.
- que
sait déjà le spectateur ? que lui apprend
la scène ?
La
distribution de la parole (qui parle à qui ?)
:
- le
monologue : dialogue avec soi ou
invocation ? le personnage exprime-t-il un
conflit intérieur ou fournit-il des
éléments nécessaires à l'action (récit,
portrait) ?
- le
dialogue : vrai dialogue ou faux dialogue
(double énonciation : quiproquo, allusions
destinées au spectateur) ? quelles
relations exprime-t-il ( conflit,
confidence, fusion) ?
- l'aparté
: que révèle-t-il de la place du
personnage et de sa complicité avec le
public ?
- le
personnage muet : trahit-il sa présence
par des gestes, des mimiques ?
L'occupation
de l'espace :
- fréquence
ou rareté des didascalies ?
- que
signalent-elles de la mise en scène
souhaitée par l'auteur ?
- certaines
répliques signalent-elles au lecteur une
action particulière (didascalies internes)
?
Les
relations entre les personnages :
- quel
est l'enjeu dramatique ? à partir de là,
quels rôles jouent les personnages les uns
par rapport aux autres (adjuvants,
opposants) ?
- en
quoi le langage est-il révélateur des
personnages : niveaux de langue,
métaphores, répartition de répliques
brèves ou longues (tirades, interruptions)
dans la phrase ou le vers ?
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EXERCICE
D'APPLICATION :
Comme
vous le verrez dans , un tableau vous permettra
de relever vos remarques et de les assortir toujours d'une
interprétation. Proposons-nous ce type de travail sur ce
texte de Beaumarchais :
Beaumarchais
Le Barbier de Séville, acte I
scène 3.
[La
didascalie initiale de la pièce signale
ainsi les deux personnages : BARTHOLO,
médecin, tuteur de Rosine. ROSINE, jeune
personne d’extraction noble, et pupille de
Bartholo.]
BARTHOLO,
ROSINE
La jalousie1 du premier étage
s’ouvre, et Bartholo et Rosine se mettent à
la fenêtre.
ROSINE.
Comme le grand air fait plaisir à
respirer !… Cette jalousie s’ouvre si
rarement…
BARTHOLO. Quel papier tenez-vous là ?
ROSINE. Ce sont des couplets de La
Précaution inutile, que mon maître à
chanter m’a donnés hier.
BARTHOLO. Qu’est-ce que La Précaution
inutile ?
ROSINE. C’est une comédie nouvelle.
BARTHOLO. Quelque drame encore ! quelque
sottise d’un nouveau genre !
ROSINE. Je n’en sais rien.
BARTHOLO. Euh, euh, les journaux et l’autorité
nous en feront raison. Siècle barbare !…
ROSINE. Vous injuriez toujours notre pauvre
siècle.
BARTHOLO. Pardon de la liberté !
Qu’a-t-il produit pour qu’on le loue ?
Sottises de toute espèce : la liberté de
penser, l’attraction, l’électricité, le
tolérantisme, l’inoculation, le quinquina,
l’Encyclopédie, et les drames…
ROSINE. (Le papier lui échappe et tombe
dans la rue.) Ah ! ma
chanson ! ma chanson est tombée en vous
écoutant ; courez, courez donc,
monsieur ! ma chanson, elle sera
perdue !
BARTHOLO. Que diable aussi, l’on tient ce
qu’on tient.
Il quitte le balcon.
ROSINE regarde en dedans et fait signe
dans la rue. St, st ! (Le
comte paraît.) Ramassez vite et
sauvez-vous.
Le comte ne fait qu’un saut, ramasse le
papier et rentre.
BARTHOLO sort de la maison et cherche.
Où donc est-il ? Je ne vois rien.
ROSINE. Sous le balcon, au pied du mur.
BARTHOLO. Vous me donnez là une jolie
commission ! il est donc passé
quelqu’un ?
ROSINE. Je n’ai vu personne.
BARTHOLO, à lui-même. Et moi qui ai
la bonté de chercher !… Bartholo, vous
n’êtes qu’un sot, mon ami : ceci doit
vous apprendre à ne jamais ouvrir de jalousies
sur la rue.
Il rentre.
ROSINE, toujours au balcon. Mon
excuse est dans mon malheur : seule,
enfermée, en butte à la persécution d’un homme
odieux, est-ce un crime de tenter à sortir
d’esclavage ?
BARTHOLO, paraissant au balcon.
Rentrez, signora ; c’est ma faute si vous
avez perdu votre chanson ; mais ce
malheur ne vous arrivera plus, je vous jure.
Il ferme la jalousie à la clef.
1.
Contrevent formé de planchettes minces
assemblées parallèlement d'où l'on peut
observer sans être vu.
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ÉTAPES
DE L'ANALYSE
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PROCÉDÉS
RELEVÉS
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INTERPRÉTATION
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Situation
de la scène
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- scène
3 de l'acte I : nous nous trouvons encore dans
l'exposition. Les deux personnages se situent
clairement l'un par rapport à l'autre (pupille
jeune et amoureuse / tuteur vieux et jaloux). Les
manigances de Rosine pour envoyer un mot à son
amoureux, comme la décision finale de Bartholo,
lourde de menaces, laissent attendre un conflit
classique de la comédie d'intrigue.
- nous
avons clairement affaire en effet à ce genre, très
répandu à l'époque. Beaumarchais résume ainsi sa
pièce : « Un vieillard amoureux
[Bartholo] prétend épouser demain sa pupille
[Rosine] ; un jeune amant [le comte
Almaviva] plus adroit le prévient, et ce jour
même en fait sa femme à la barbe et dans la
maison du tuteur ».
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Ces
topoï de la comédie d'intrigue laissent
attendre un autre personnage dont le rôle ne
manquera pas d'être déterminant pour s'opposer à
la tyrannie du tuteur : le valet (en l'occurrence
le barbier Figaro).
Ainsi
la scène apparaît déjà familière au spectateur,
même au XVIIIème siècle, où l'on peut avoir en
mémoire La Précaution inutile de Scarron
(citée dans la scène, comme en abyme) et L'École
des femmes de Molière.
A
ce stade peut s'élaborer une problématique :
quelle est la part de l'originalité dans
l'écriture de cette scène ?
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Distribution
de la parole
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-
cette distribution est intéressante ici à plus
d'un titre, puisqu'on y observe ses trois formes
classiques :
- le dialogue, qui manifeste ici l'opposition des
personnages (autoritarisme inquisiteur de
Bartholo, obscurantisme de ses jugements et
apparente docilité de Rosine, car, pour finir, se
révèle très clairement sa duplicité);
- l'aparté qui révèle que Bartholo n'est nullement
dupe de la manigance de Rosine;
- le monologue, qui sert finalement à celle-ci
pour se disculper auprès d'elle-même et du
spectateur (double énonciation).
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Tout
dans les propos des personnages révèle le mensonge
sur lequel est bâtie leur relation. Bartholo s'y
pose en tyran domestique, doublé d'un ignorant
réactionnaire, ce qui ne manque pas de lui aliéner
le public du siècle des Lumières. Rosine, au
contraire, sait se poser en victime pour justifier
un stratagème qu'elle exécute avec sang-froid et
malignité.
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Occupation
de l'espace
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- le
balcon organise l'espace scénique : c'est l'espace
réduit de la conversation entre Bartholo et
Rosine, qui ouvre sur deux autres espaces : celui,
caché, de l'intérieur de la maison où Bartholo se
retire pour descendre, et celui, visible, de la
scène sous ce balcon où le comte se saisit
prestement du billet.
- l'abondance
des didascalies donne à la scène son rythme :
elles concernent surtout la vivacité avec laquelle
Rosine exécute son plan et font ressortir la
pesanteur de Bartholo, conscient néanmoins de sa
balourdise.
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Cette
scène montre comment, au théâtre, le décor est
signifiant. La polysémie du mot jalousie
achève de rendre cet espace symbolique, ce que
Rosine sait manifester dès sa première réplique.
Ici, dans son extrême simplicité, l'organisation
de l'espace dit tout des relations entre les
personnages. Elle figure plus subtilement encore
leur espace mental : la fermeture de Bartholo,
inhibition psychologique et sociale, et la
détermination de Rosine qui ne se pose ici
aucunement en ingénue.
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Les
relations entre les personnages
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- l'enjeu
dramatique est clairement posé dans cette scène :
le spectateur attend de savoir comment Rosine se
défera de la tutelle de Bartholo, opposant évident
dans le schéma actantiel. Les deux personnages se
situent donc dans un conflit d'où on ne pourra
sortir que par l'apparition d'un adjuvant.
- le
langage reste courant dans la bouche des deux
personnages et leurs répliques restent brèves. La
scène veut dans son écriture accompagner l'action
et vise surtout à garder un certain rythme.
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La
scène ne renouvelle en rien les caractères de la
comédie d'intrigue, telle qu'elle est transmise
par la tradition de la commedia dell'arte. Les
personnages continuent à être des types familiers.
Pourtant, la volonté de les situer dans un cadre
contemporain, et l'épaisseur psychologique qu'on
s'attend à trouver encore davantage dans le
personnage de Rosine, laissent attendre une
volonté plus marquée d'originalité.
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Qu'avons-nous
répondu à la problématique que nous formulions au
début de ce tableau ?
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