François VILLON
Ballade des menus propos
Je connais bien mouches en lait,
Je connais à la robe l'homme,
Je connais le beau temps du laid,
Je connais au pommier la pomme,
Je connais l'arbre à voir la gomme,
Je connais quand tout est de même,
Je connais qui besogne ou chôme,
Je connais tout, fors que moi-même.
Je connais pourpoint au collet,
Je connais le moine à la gonne1,
Je connais le maître au valet,
Je connais au voile la nonne,
Je connais quand pipeur2 jargonne,
Je connais fous nourris de crèmes,
Je connais le vin à la tonne,
Je connais tout, fors que moi-même.
Je connais cheval et mulet,
Je connais leur charge et leur somme,
Je connais Bietrix et Bellet3,
Je connais jet4 qui nombre et somme,
Je connais vision en somme5,
Je connais la faute des Boèmes6,
Je connais le pouvoir de Rome,
Je connais tout, fors que moi-même.
Prince, je connais tout en somme,
Je connais colorés et blêmes,
Je connais mort qui tout consomme,
Je connais tout, fors que moi-même.
François VILLON (orthographe
modernisée).
1.
longue robe à manches portée par les moines.
2. tricheur, trompeur.
3. Béatrice et Isabelle, héroïnes de chansons de geste ou
filles publiques ?
4. jeton.
5. sommeil.
6. ceux de Bohême, c'est-à-dire les hérétiques hussites.
Michel de MONTAIGNE
Connais-toi toi-même
Le précepte donné à chacun de nous de se connaître
lui-même doit être d'une grande importance, puisque le
Dieu de la science et de la lumière le fit graver au front
de son temple, considérant qu'il contenait tout ce qu'il
avait à nous apprendre. Platon dit aussi que la sagesse
n'est rien d'autre que la mise en œuvre de ce principe, et
Socrate le vérifie par le menu, comme on le voit chez
Xénophon. Seuls ceux qui ont accès à une science, quelle
qu'elle soit, peuvent en percevoir les difficultés et les
obscurités. C'est qu'il faut en effet disposer de quelque
intelligence pour être capable de remarquer ce qu'on
ignore, et il faut pousser la porte pour savoir si elle
est close. De là vient cette subtilité que l'on trouve
chez Platon, disant que ceux qui savent n'ont rien à
demander, puisqu'ils savent ; mais ceux qui ne savent pas,
non plus, puisque pour demander quelque chose, il faut
savoir ce que l'on veut connaître.
Ainsi, dans cette science de soi-même, le fait que
chacun se trouve si sûr de lui et se considère comme un
bon connaisseur signifie en fait que personne n'y entend
rien, comme Socrate l'apprend à Euthydème. Moi qui ne me
soucie de rien d'autre, je trouve à cette maxime une
profondeur et des variations tellement infinies, que mon
apprentissage n'a pas d'autre résultat que de me faire
sentir combien il me reste à apprendre. D'avoir si souvent
reconnu ma faiblesse vient le penchant que j'ai pour la
modestie, l'obéissance aux croyances qui me sont
prescrites, ma constante froideur et modération
d'opinions. Et c'est de là aussi que me vient la haine
envers cette arrogance importune et querelleuse qui, parce
qu'elle ne croit qu'elle-même et ne se fie qu' à
elle-même, est l'ennemie absolue de l'étude et de la
vérité. Entendez ces gens-là faire les maîtres à penser !
Les premières sottises qu'ils proposent, elles sont dans
le style qu'on emploie pour la religion et les lois.
MONTAIGNE, Essais, livre III, ch. 13,
"De l'expérience"(transcription
en français moderne de Guy de Pernon).
1. Les autres écrivains forment l'homme ; moi je le
raconte, et j'en montre un en particulier, bien mal formé.
Si j'avais à le façonner de nouveau, je le ferais vraiment
différent de ce qu'il est : mais voilà, il est ainsi fait.
Les traits que je lui prête ne sont pas faux, bien qu'ils
changent et se diversifient. Le monde n'est qu'une
perpétuelle balançoire ; toutes choses s'y balancent sans
cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides
d'Egypte - par un mouvement général, et par leur mouvement
propre. La constance elle-même n'est en fait qu'un
mouvement plus languissant. Je ne puis être sûr de mon
objet d'étude : il avance en vacillant, en chancelant,
comme sous l'effet d'une ivresse naturelle. Je le prends
comme il est, au moment où je m'intéresse à lui. Je ne
peins pas l'être, je peins la trace de son passage ; non
le passage d'un âge à l'autre, ou comme dit le peuple, de
sept ans en sept ans, mais de jour en jour, de minute en
minute. Et je dois toujours mettre mon histoire à jour !
Il se peut que je change bientôt, non seulement à cause
d'un coup du sort, mais intentionnellement : mon livre est
le registre des événements divers et changeants, d'idées
en suspens, et même à l'occasion, contraires, soit que je
sois moi-même un autre, soit que je traite mes sujets dans
d'autres circonstances ou sous un angle différent. Si bien
qu'il m'arrive de me contredire, mais comme le disait
Démade, la vérité, elle, je ne la contredis pas. Si mon
esprit pouvait se fixer, je ne me remettrais pas sans
cesse en cause, je prendrais des décisions ; mais il est
toujours en apprentissage et à faire ses preuves.
2. Je présente ici une vie humble et sans
lustre ; c'est sans importance, car on peut rattacher
aussi bien toute la philosophie morale à une vie simple et
discrète qu'à une vie faite d'une plus riche étoffe :
chacun porte en lui-même la forme entière de la condition
humaine.
3. Les auteurs se font connaître au public par
quelque trait particulier et original. Je suis le premier
à le faire par l'universalité de mon être, en tant que
Michel de Montaigne, et non comme grammairien ou poète, ou
juriste. Si les gens se plaignent de ce que je parle trop
de moi, moi je me plains de ce qu'ils ne pensent même pas
à eux.
4. Mais est-il légitime que moi, si attaché à
ma vie privée, je prétende me faire connaître des autres?
Est-il légitime également de présenter dans le monde où la
forme et l'art ont tant d'importance et d'autorité, des
productions spontanées, crues et simples, dues à une
nature encore bien faible? N'est-ce pas vouloir bâtir une
muraille sans pierres, ou quelque chose du même genre, que
de faire des livres sans être savant ? Les inventions
musicales obéissent aux règles de l'art, les miennes au
hasard. Je respecte les principes au moins en cela que
jamais personne ne traita un sujet qu'il comprît et connût
mieux que moi celui auquel je me consacre, et que je suis
là-dessus l'homme le plus savant qui soit en vie. Et par
ailleurs, jamais personne ne pénétra plus avant en sa
matière, ni n'en examina plus précisément les éléments et
les conséquences, et ne parvint plus exactement et plus
complètement au but qu'il avait fixé à son entreprise.
Pour la parfaire, je n'ai besoin que d'y mettre de la
fidélité au modèle , et elle y est, la plus sincère et la
plus pure possible. Je dis vrai, non pas autant que je le
voudrais, mais autant que j'ose le dire, et je l'ose un
peu plus en vieillissant, car il semble que les usages
concèdent à cet âge-là un peu plus de liberté pour
bavasser et pour parler de soi. Il ne risque pas de se
produire ici ce que je vois souvent, à savoir que
l'artisan et sa besogne ne se ressemblent pas : un homme
dont la fréquentation est si agréable a-t-il écrit des
choses aussi sottes? Ou bien des écrits si savants
émanent-ils de quelqu'un dont la fréquentation est si
décevante? Quelqu'un dont la conversation est fort
ordinaire et les écrits de grande valeur est quelqu'un qui
tire sa qualité de quelque chose d'extérieur à lui-même.
Un savant n'est pas savant en tout ; mais celui qui a du
talent en a en tout, même dans ce qu'il ignore..
MONTAIGNE, Essais (1582), livre III, ch.
2, "Sur le repentir"(transcription
en français moderne de Guy de Pernon).
Jean de La FONTAINE
L'homme et son image
Un homme qui
s'aimait sans avoir de rivaux
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde :
Il accusait toujours les miroirs d'être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux
Présentait partout à ses yeux
Les conseillers muets dont se servent nos dames :
Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,
Miroirs aux poches des galants,
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure.
Mais un canal, formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés :
Il s'y voit, il se fâche, et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.
Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau;
Mais quoi, le canal est si beau
Qu'il ne le quitte qu'avec peine.
On voit bien où je veux venir.
Je parle à tous; et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d'entretenir.
Notre âme, c'est cet homme amoureux de lui-même ;
Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui,
Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes;
Et quant au canal, c'est celui
Que chacun sait, le livre des Maximes1.
J.
de LA FONTAINE, Fables, I, 11.
1. La fable est dédiée à La
Rochefoucauld, auteur de ces Maximes.
David HUME
La fiction de l'identité
Pour
ma part, quand j’entre le plus intimement dans ce
que j’appelle moi-même, je bute toujours sur
quelque perception particulière ou sur une autre,
de chaud ou de froid, de lumière ou d’ombre,
d’amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je
ne peux jamais, à aucun moment, me saisir moi-même
sans une perception, et jamais je ne puis observer
autre chose que la perception. Quand mes
perceptions sont supprimées pour un temps, comme
par un sommeil profond, aussi longtemps que je
suis sans conscience de moi-même, on peut vraiment
dire que je n’existe pas. Et si toutes mes
perceptions étaient supprimées par la mort, et que
je ne puisse ni penser, ni sentir, ni voir, ni
aimer, ni haïr après la dissolution de mon corps,
je serais entièrement annihilé, et je ne conçois
pas ce qu’il faudrait de plus pour faire de moi
une parfaite non-entité. Si quelqu’un, à partir
d’une réflexion sérieuse et sans préjugé, pense
qu’il a une notion différente de lui-même, je dois
avouer que je ne puis raisonner plus longtemps
avec lui. Tout ce que je peux lui accorder, c’est
qu’il peut avoir raison aussi bien que moi, et que
nous différons essentiellement sur ce point. Il
peut peut-être percevoir quelque chose de simple
et de continu, qu’il appelle lui-même, mais je
suis certain qu’il n’existe pas un tel principe en
moi.
Mais en écartant certains métaphysiciens de
ce genre, je peux m’aventurer à affirmer du reste
des hommes qu’ils ne sont rien qu’un ensemble, une
collection de différentes perceptions qui se
succèdent les unes aux autres avec une
inconcevable rapidité et qui sont dans un flux et
un mouvement perpétuels. Nos yeux ne peuvent
tourner dans leurs orbites sans faire varier nos
perceptions. Notre pensée est encore plus variable
que notre vue, et tous nos autres sens et toutes
nos autres facultés contribuent à ce changement.
Il n’est pas un seul pouvoir de l’âme qui demeure
inaltérablement identique peut-être pour un seul
moment. L’esprit est une sorte de théâtre où
différentes perceptions font successivement leur
apparition, passent, repassent, glissent et se
mêlent en une infinie variété de positions et de
situations. Il n’y a en lui proprement ni
simplicité en un moment, ni identité en différents
moments. La comparaison du théâtre ne doit pas
nous induire en erreur. Ce sont seulement les
perceptions successives qui constituent l’esprit.
Nous n’avons pas la plus lointaine notion du lieu
où ces scènes sont représentées ni des matériaux
dont il se compose.
[…] L’identité que nous attribuons à l’esprit de
l’homme est une identité fictive du même genre que
celle que nous attribuons aux corps végétaux et
animaux. Elle ne peut donc avoir une origine
différente. Elle doit procéder d’une semblable
opération de l’imagination sur des objets
semblables. Mais, de peur que cet argument ne
convainque pas le lecteur, quoique, selon moi, il
soit parfaitement décisif, je lui ferai peser
l’argument suivant, encore plus serré et immédiat.
Il est évident que l’identité que nous attribuons
à l’esprit humain, quelque parfaite que nous
puissions l’imaginer, n’est pas capable de fondre
ensemble les diverses perceptions différentes en
une seule perception, et de leur faire perdre
leurs caractères de distinction et de différence
qui leur sont essentiels. De plus, il est vrai que
chaque perception distincte qui entre dans la
composition de l’esprit est une existence
distincte, et est différente, discernable et
séparable de toute autre perception, soit
contemporaine, soit successive. Mais, comme,
malgré cette distinction et cette séparabilité,
nous supposons que toute la série des perceptions
est unie par identité, une question naît
naturellement sur la relation d’identité :
est-elle quelque chose qui lie réellement nos
différentes perceptions ensemble ou qui associe
seulement leurs idées dans l’imagination ?
C’est-à-dire, en d’autres termes, quand nous nous
prononçons sur l’identité d’une personne,
observons-nous un lien réel entre les perceptions
ou sentons-nous seulement un lien entre les idées
que nous formons de ces perceptions ? Cette
question, nous pourrions facilement la trancher si
nous nous rappelions ce qui a déjà été largement
prouvé, que l’entendement n’observe jamais de
connexion réelle entre les objets, et que même
l’union de la cause et de l’effet, quand on
l’examine strictement, se réduit à une association
coutumière des idées. Car il suit de là avec
évidence que l’identité n’est rien qui appartienne
réellement à ces différentes perceptions et les
unisse entre elles, mais elle n’est qu’une qualité
que nous leur attribuons à cause de l’union de
leurs idées dans l’imagination quand nous y
réfléchissons. Or les seules qualités qui peuvent
unir des idées dans l’imagination sont ces trois
relations ci-dessus mentionnées. Ce sont les
principes d’union du monde des idées ; sans eux,
tout objet distinct est séparable par l’esprit,
peut être considéré séparément, et ne paraît pas
avoir plus de connexion avec tout autre objet que
s’il en était séparé par la plus grande différence
et le plus grand éloignement. C’est donc de
certaines de ces trois relations de ressemblance,
de contiguïté et de causalité que l’identité
dépend ; et, comme l’essence même des ces
relations consiste en ce qu’elles produisent une
transition facile des idées, il s’ensuit que nos
notions d’identité personnelle proviennent
entièrement du progrès aisé et ininterrompu de la
pensée le long d’une suite d’idées reliées, selon
les principes ci-dessus expliqués.
David HUME, Traité de la nature
humaine, livre I, De l’entendement (1739)
Jean-Jacques
ROUSSEAU
Et cet autre ce sera moi
J'ai remarqué souvent
que, même parmi ceux qui se piquent le plus de
connaître les hommes, chacun ne connaît guère que soi,
s'il est vrai même que quelqu'un se connaisse ; car
comment bien déterminer un être par les seuls rapports
qui sont en lui-même, et sans le comparer avec rien ?
Cependant cette connaissance imparfaite qu'on a de soi
est le seul moyen qu'on emploie à connaître les
autres. On se fait la règle de tout, et voilà
précisément où nous attend la double illusion de
l'amour-propre ; soit en prêtant faussement à ceux que
nous jugeons les motifs qui nous auraient fait agir
comme eux à leur place ; soit dans cette supposition
même, en nous abusant sur nos propres motifs, faute de
savoir nous transporter assez dans une autre situation
que celle où nous sommes.
J'ai fait ces observations surtout par rapport
à moi, non dans les jugements que j'ai portés des
autres, m'étant senti bientôt une espèce d'être à
part, mais dans ceux que les autres ont portés de moi
; jugements presque toujours faux dans les raisons
qu'ils rendaient de ma conduite, et d'autant plus faux
pour l'ordinaire, que ceux qui les portaient avaient
plus d'esprit. Plus leur règle était étendue, plus la
fausse application qu'ils en faisaient les écartait de
l'objet.
Sur ces remarques j'ai résolu de faire faire à
mes lecteurs un pas de plus dans la connaissance des
hommes, en les tirant s'il est possible de cette règle
unique et fautive de toujours juger du cœur d'autrui
par le sien ; tandis qu'au contraire il faudrait
souvent pour connaître le sien même, commencer par
lire dans celui d'autrui. Je veux tâcher que pour
apprendre à s'apprécier, on puisse avoir du moins une
pièce de comparaison ; que chacun puisse connaître soi
et un autre, et cet autre ce sera moi. […]
Pour bien connaître un caractère il y faudrait
distinguer l'acquis d'avec la nature, voir comment il
s'est formé, quelles occasions l'ont développé, quel
enchaînement d'affections secrètes l'a rendu tel, et
comment il se modifie, pour produire quelquefois les
effets les plus contradictoires et les plus
inattendus. Ce qui se voit n'est que la moindre partie
de ce qui est ; c'est l'effet apparent dont la cause
interne est cachée et souvent très compliquée. Chacun
devine à sa manière et peint à sa fantaisie ; il n'a
pas peur qu'on confronte l'image au modèle, et comment
nous ferait-on connaître ce modèle intérieur, que
celui qui le peint dans un autre ne saurait voir, et
que celui qui le voit en lui-même ne veut pas montrer
?
Nul ne peut écrire la vie d'un homme que
lui-même. Sa manière d'être intérieure, sa véritable
vie n'est connue que de lui ; mais en l'écrivant il la
déguise ; sous le nom de sa vie, il fait son apologie
; il se montre comme il veut être vu, mais point du
tout comme il est. Les plus sincères sont vrais tout
au plus dans ce qu'ils disent, mais ils mentent par
leurs réticences, et ce qu'ils taisent change
tellement ce qu'ils feignent d'avouer, qu'en ne disant
qu'une partie de la vérité ils ne disent rien. […]
Il faudrait pour ce que j'ai à dire inventer un
langage aussi nouveau que mon projet : car quel ton,
quel style prendre pour débrouiller ce chaos immense
de sentiments si divers, si contradictoires, souvent
si vils et quelquefois si sublimes dont je fus sans
cesse agité ? Que de riens, que de misères ne faut-il
pas que j'expose, dans quels détails révoltants,
indécents, puérils et souvent ridicules ne dois-je pas
entrer pour suivre le fil de mes dispositions
secrètes, pour montrer comment chaque impression qui a
fait trace en mon âme y entra pour la première fois ?
Tandis que je rougis seulement à penser aux choses
qu'il faut que je dise, je sais que des hommes durs
traiteront encore d'impudence l'humiliation des plus
pénibles aveux ; mais il faut faire ces aveux ou me
déguiser ; car si je tais quelque chose on ne me
connaîtra sur rien, tant tout se tient, tant tout est
un dans mon caractère, et tant ce bizarre et singulier
assemblage a besoin de toutes les circonstances de ma
vie pour être bien dévoilé.
Si je veux faire un ouvrage écrit avec soin
comme les autres, je ne me peindrai pas, je me
farderai. C'est ici de mon portrait qu'il s'agit et
non pas d'un livre. Je vais travailler pour ainsi dire
dans la chambre obscure ; il n'y faut point d'autre
art que de suivre exactement les traits que je vois
marqués. Je prends donc mon parti sur le style comme
sur les choses. Je ne m'attacherai point à le rendre
uniforme ; j'aurai toujours celui qui me viendra, j'en
changerai selon mon humeur sans scrupule, je dirai
chaque chose comme je la sens, comme je la vois, sans
recherche, sans gêne, sans m'embarrasser de la
bigarrure. En me livrant à la fois au souvenir de
l'impression reçue et au sentiment présent je peindrai
doublement l'état de mon âme, savoir au moment où
l'événement m'est arrivé et au moment où je l'ai
décrit ; mon style inégal et naturel, tantôt rapide et
tantôt diffus, tantôt sage et tantôt fou, tantôt grave
et tantôt gai fera lui-même partie de mon histoire.
Enfin quoi qu'il en soit de la manière dont cet
ouvrage peut être écrit, ce sera toujours par son
objet un livre précieux pour les philosophes : c'est
je le répète, une pièce de comparaison pour l'étude du
cœur humain, et c'est la seule qui existe.
Jean-Jacques ROUSSEAU, Préambule des Confessions
(manuscrit de Neuchâtel), 1764.
Cette vie, qui m'avait d'abord enchanté, ne tarda
pas à me devenir insupportable. Je me fatiguai de
la répétition des mêmes scènes et des mêmes idées.
Je me mis à sonder mon cœur, à me demander ce que
je désirais. Je ne le savais pas, mais je crus
tout à coup que les bois me seraient délicieux. Me
voilà soudain résolu d'achever dans un exil
champêtre une carrière à peine commencée et dans
laquelle j'avais déjà dévoré des siècles.
J'embrassai ce projet avec l'ardeur
que je mets à tous mes desseins ; je partis
précipitamment pour m'ensevelir dans une
chaumière, comme j'étais parti autrefois pour
faire le tour du monde.
On m'accuse d'avoir des goûts inconstants,
de ne pouvoir jouir longtemps de la même chimère,
d'être la proie d'une imagination qui se hâte
d'arriver au fond de mes plaisirs, comme si elle
était accablée de leur durée ; on m'accuse de
passer toujours le but que je puis atteindre :
hélas ! je cherche seulement un bien inconnu dont
l'instinct me poursuit. Est-ce ma faute si je
trouve partout des bornes, si ce qui est fini n'a
pour moi aucune valeur ? Cependant je sens que
j'aime la monotonie des sentiments de la vie, et
si j'avais encore la folie de croire au bonheur,
je le chercherais dans l'habitude.
La solitude absolue, le spectacle de la
nature, me plongèrent bientôt dans un état presque
impossible à décrire. Sans parents, sans amis,
pour ainsi dire, sur la terre, n'ayant point
encore aimé, j'étais accablé d'une surabondance de
vie. Quelquefois je rougissais subitement, et je
sentais couler dans mon cœur comme des ruisseaux
d'une lave ardente ; quelquefois je poussais des
cris involontaires, et la nuit était également
troublée de mes songes et de mes veilles. Il me
manquait quelque chose pour remplir l'abîme de mon
existence : je descendais dans la vallée, je
m'élevais sur la montagne, appelant de toute la
force de mes désirs l'idéal objet d'une flamme
future ; je l'embrassais dans les vents ; je
croyais l'entendre dans les gémissements du fleuve
; tout était ce fantôme imaginaire, et les astres
dans les cieux, et le principe même de vie dans
l'univers.
Toutefois cet état de calme et de trouble,
d'indigence et de richesse, n'était pas sans
quelques charmes : un jour je m'étais amusé à
effeuiller une branche de saule sur un ruisseau et
à attacher une idée à chaque feuille que le
courant entraînait. Un roi qui craint de perdre sa
couronne par une révolution subite ne ressent pas
des angoisses plus vives que les miennes à chaque
accident qui menaçait les débris de mon rameau. Ô
faiblesse des mortels ! ô enfance du cœur humain
qui ne vieillit jamais ! voilà donc à quel degré
de puérilité notre superbe raison peut descendre !
Et encore est-il vrai que bien des hommes
attachent leur destinée à des choses d'aussi peu
de valeur que mes feuilles de saule.
Mais comment exprimer cette foule de
sensations fugitives que j'éprouvais dans mes
promenades ? Les sons que rendent les passions
dans le vide d'un cœur solitaire ressemblent au
murmure que les vents et les eaux font entendre
dans le silence d'un désert : on en jouit, mais on
ne peut les peindre.
L'automne me surprit au milieu de ces
incertitudes : j'entrai avec ravissement dans les
mois des tempêtes. Tantôt j'aurais voulu être un
de ces guerriers errant au milieu des vents, des
nuages et des fantômes ; tantôt j'enviais jusqu'au
sort du pâtre que je voyais réchauffer ses mains à
l'humble feu de broussailles qu'il avait allumé au
coin d'un bois. J'écoutais ses chants
mélancoliques, qui me rappelaient que dans tout
pays le chant naturel de l'homme est triste, lors
même qu'il exprime le bonheur. Notre cœur est un
instrument incomplet, une lyre où il manque des
cordes et où nous sommes forcés de rendre les
accents de la joie sur le ton consacré aux
soupirs.
Le jour, je m'égarais sur de grandes
bruyères terminées par des forêts. Qu'il fallait
peu de chose à ma rêverie ! une feuille séchée que
le vent chassait devant moi, une cabane dont la
fumée s'élevait dans la cime dépouillée des
arbres, la mousse qui tremblait au souffle du nord
sur le tronc d'un chêne, une roche écartée, un
étang désert où le jonc flétri murmurait ! Le
clocher solitaire s'élevant au loin dans la vallée
a souvent attiré mes regards ; souvent j'ai suivi
des yeux les oiseaux de passage qui volaient
au-dessus de ma tête. Je me figurais les bords
ignorés, les climats lointains où ils se rendent ;
j'aurais voulu être sur leurs ailes. Un secret
instinct me tourmentait ; je sentais que je
n'étais moi-même qu'un voyageur, mais une voix du
ciel semblait me dire : « Homme,
la saison de ta migration n'est pas encore venue ;
attends que le vent de la mort se lève, alors tu
déploieras ton vol vers ces régions inconnues que
ton cœur demande. »
Levez-vous vite, orages désirés qui devez
emporter René dans les espaces d'une autre vie !
Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage
enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne
sentant ni pluie, ni frimas, enchanté, tourmenté
et comme possédé par le démon de mon cœur.
La nuit, lorsque l'aquilon ébranlait ma
chaumière, que les pluies tombaient en torrent sur
mon toit, qu'à travers ma fenêtre je voyais la
lune sillonner les nuages amoncelés, comme un pâle
vaisseau qui laboure les vagues, il me semblait
que la vie redoublait au fond de mon cœur, que
j'aurais la puissance de créer des mondes. Ah ! si
j'avais pu faire partager à une autre les
transports que j'éprouvais ! O Dieu ! si tu
m'avais donné une femme selon mes désirs ; si,
comme à notre premier père, tu m'eusses amené par
la main une Eve tirée de moi-même... Beauté
céleste ! je me serais prosterné devant toi, puis,
te prenant dans mes bras, j'aurais prié l'Eternel
de te donner le reste de ma vie.
Hélas ! j'étais seul, seul sur la terre !
Une langueur secrète s'emparait de mon corps. Ce
dégoût de la vie que j'avais ressenti dès mon
enfance revenait avec une force nouvelle. Bientôt
mon cœur ne fournit plus d'aliment à ma pensée, et
je ne m'apercevais de mon existence que par un
profond sentiment d'ennui.
Je luttai quelque temps contre mon mal,
mais avec indifférence et sans avoir la ferme
résolution de le vaincre. Enfin, ne pouvant
trouver de remède à cette étrange blessure de mon
cœur, qui n'était nulle part et qui était partout,
je résolus de quitter la vie.
Prêtre du Très-Haut, qui m'entendez,
pardonnez à un malheureux que le ciel avait
presque privé de la raison. J'étais plein de
religion, et je raisonnais en impie ; mon cœur
aimait Dieu, et mon esprit le méconnaissait ; ma
conduite, mes discours, mes sentiments, mes
pensées, n'étaient que contradiction, ténèbres,
mensonges. Mais l'homme sait-il bien toujours ce
qu'il veut, est-il toujours sûr de ce qu'il pense
?
F.R. de CHATEAUBRIAND, René (1802).
STENDHAL
Je ne me connais point moi-même
Pour employer
mes loisirs dans cette terre étrangère, j'ai envie
d'écrire un petit mémoire de ce qui m'est arrivé
pendant mon dernier voyage à Paris, du 21 juin
1821 au ...novembre 1830. C'est un espace de neuf
ans et demi. Je me gronde moi-même depuis deux
mois, depuis que j'ai digéré la nouvelleté de ma
position pour entreprendre un travail quelconque.
« Sans travail, le vaisseau de la vie humaine n'a
point de lest. » J'avoue que le courage d'écrire
me manquerait si je n'avais pas l'idée qu'un jour
ces feuilles paraîtront imprimées et seront lues
par quelque âme que j'aime, par un être tel que
Mme Roland ou M. Gros, le géomètre. Mais les yeux
qui liront ceci s'ouvrent à peine à la lumière, -
je suppute que mes futurs lecteurs ont dix ou
douze ans.
Ai-je tiré tout le parti possible pour mon
bonheur des positions où le hasard m'a placé
pendant les neuf ans que je viens de passer à
Paris ? Quel homme suis-je ? Ai-je du bon sens ?
Ai-je du bon sens avec profondeur ?
Ai-je un esprit remarquable ? En vérité, je
n'en sais rien. Encore par ce qui m'arrive au jour
le jour, je pense rarement à ces questions
fondamentales, et alors mes jugements varient
comme mon humeur. Mes jugements ne sont que des
aperçus.
Voyons si, en faisant mon examen de
conscience, la plume à la main, j'arriverai à
quelque chose de positif et qui reste longtemps
vrai pour moi. Que penserai-je de ce que je
me sens disposé à écrire en le relisant vers 1835,
si je vis ? Sera-ce comme pour mes ouvrages
imprimés ? J'ai un profond sentiment de tristesse
quand faute d'autre livre je les relis.
Je sens, depuis un mois que j'y pense, une
répugnance réelle à écrire uniquement pour parler
de moi, du nombre de mes chemises, de mes
accidents d'amour-propre. D'un autre côté, je me
trouve loin de la France, j'ai lu tous les livres
amusants qui ont pénétré en ce pays. Toute la
disposition de mon cœur était d'écrire un livre
d'imagination sur une intrigue d'amour arrivée à
Dresde, en août 1813, dans une maison voisine de
la mienne, mais les petits devoirs de ma place
m'interrompent assez souvent, ou, pour mieux dire,
je ne puis jamais en prenant mon papier être sûr
de passer une heure sans être interrompu. Cette
petite contrariété éteint net l'imagination chez
moi. Quand je reprends ma fiction, je suis dégoûté
de ce que je pensais. A quoi un homme sage
répondra qu'il faut se vaincre soi-même. Je
répliquerai : il est trop tard, j'ai 49 ans ;
après tant d'aventures, il est temps de songer à
achever la vie le moins mal possible.
Ma principale objection n'était pas la vanité
qu'il y a à écrire sa vie. Un livre sur un tel
sujet est comme tous les autres ; on l'oublie bien
vite, s'il est ennuyeux. Je craignais de déflorer
les moments heureux que j'ai rencontrés, en les
décrivant, en les anatomisant. Or, c'est ce que je
ne ferai point, je sauterai le bonheur.
Le génie poétique est mort, mais le génie
du soupçon est venu au monde. Je suis
profondément convaincu que le seul antidote qui
puisse faire oublier au lecteur les éternels Je
que l'auteur va écrire, c'est une parfaite
sincérité.
Aurai-je le courage de raconter les choses
humiliantes sans les sauver par des préfaces
infinies ? Je l'espère.
Malgré les malheurs de mon ambition, je ne
crois pas les hommes méchants, je ne me crois
point persécuté par eux, je les regarde comme des
machines poussées, en France, par la vanité
et ailleurs par toutes les passions, la vanité y
comprise.
Je ne me connais point, moi-même, et c'est
ce qui quelquefois, la nuit quand j'y pense, me
désole. Suis-je bon, méchant, spirituel, bête ?
Ai-je su tirer un bon parti des hasards au milieu
desquels m'a jeté et la toute-puissance de
Napoléon (que toujours j'adorai) en 1810, et la
chute que nous fîmes dans la boue en 1814, et
notre effort pour en sortir en 1830 ? Je crains
bien que non, j'ai agi par humeur, au hasard.
STENDHAL, Souvenirs d'égotisme,
1832.
Marcel
PROUST
Le son vrai de notre cœur
« La
littérature, disait Sainte-Beuve, n'est pas pour
moi distincte ou, du moins, séparable du reste de
l'homme et de l'organisation... On ne saurait s'y
prendre de trop de façons et de trop de bouts pour
connaître un homme, c'est-à-dire autre chose qu'un
pur esprit. Tant qu'on ne s'est pas adressé sur un
auteur un certain nombre de questions et qu'on n'y
a pas répondu, ne fût-ce que pour soi seul et tout
bas, on n'est pas sûr de le tenir tout entier,
quand même ces questions sembleraient les plus
étrangères à la nature de ses écrits : Que
pensait-il de la religion ? Comment était-il
affecté du spectacle de la nature ? Comment se
comportait-il sur l'article des femmes, sur
l'article de l'argent ? Était-il riche, pauvre ;
quel était son régime, sa manière de vivre
journalière ? Quel était son vice ou son faible ?
Aucune réponse à ces questions n'est indifférente
pour juger l'auteur d'un livre et le livre
lui-même, si ce livre n'est pas un traité de
géométrie pure, si c'est surtout un ouvrage
littéraire, c'est-à-dire où il entre de tout. »
L’œuvre de Sainte-Beuve n'est pas une œuvre
profonde. La fameuse méthode, qui en fait, selon
Taine, selon Paul Bourget et tant d'autres, le
maître inégalable de la critique du XIXe, cette
méthode qui consiste à ne pas séparer l'homme et
l’œuvre, à considérer qu'il n'est pas indifférent
pour juger l'auteur d'un livre, si ce livre n'est
pas « un traité de géométrie pure », d'avoir
d'abord répondu aux questions qui paraissent les
plus étrangères à son œuvre (comment se
comportait-il, etc.), à s'entourer de tous les
renseignements possibles sur un écrivain, à
collationner ses correspondances, à interroger les
hommes qui l'ont connu, en causant avec eux s'ils
vivent encore, en lisant ce qu'ils ont pu écrire
sur lui s'ils sont morts, cette méthode méconnaît
ce qu'une fréquentation un peu profonde avec
nous-mêmes nous apprend : qu'un livre est le
produit d'un autre moi que celui que
nous manifestons dans nos habitudes, dans la
société, dans nos vices. Ce moi-là, si nous
voulons essayer de le comprendre, c'est au fond de
nous-mêmes, en essayant de le recréer en nous, que
nous pouvons y parvenir. Rien ne peut nous
dispenser de cet effort de notre cœur. Cette
vérité, il nous faut la faire de toutes pièces et
il est trop facile de croire qu'elle nous
arrivera, un beau matin, dans notre courrier, sous
forme d'une lettre inédite, qu'un bibliothécaire
de nos amis nous communiquera, ou que nous la
recueillerons de la bouche de quelqu'un qui a
beaucoup connu l'auteur. Parlant de la grande
admiration qu'inspire à plusieurs écrivains de la
nouvelle génération l'œuvre de Stendhal,
Sainte-Beuve disait : « Qu'ils me permettent de
leur dire, pour juger au net de cet esprit assez
compliqué, et sans rien exagérer dans aucun sens,
j'en reviendrai toujours de préférence,
indépendamment de mes propres impressions et
souvenirs, à ce que m'en diront ceux qui l'ont
connu en ses bonnes années et à ses origines, […]
qui l'ont beaucoup vu et goûté sous sa forme
première. »
Pourquoi cela ? En quoi le fait d'avoir été
l'ami de Stendhal permet-il de le mieux juger ? Le
moi qui produit les œuvres est offusqué
pour ces camarades par l'autre, qui peut être très
inférieur au moi extérieur de beaucoup de gens. Du
reste, la meilleure preuve en est que
Sainte-Beuve, ayant connu Stendhal, ayant
recueilli auprès de M. Mérimée et de M. Ampère
tous les renseignements qu'il pouvait, s'étant
muni, en un mot, de tout ce qui permet, selon lui,
au critique de juger plus exactement d'un livre, a
jugé Stendhal de la façon suivante : « Je viens de
relire, ou d'essayer, les romans de Stendhal ; ils
sont franchement détestables. » [...]
En aucun temps, Sainte-Beuve ne semble
avoir compris ce qu’il y a de particulier dans
l’inspiration et le travail littéraire, et ce qui
le différencie entièrement des occupations des
autres hommes et des autres occupations de
l’écrivain. Il ne faisait pas de démarcation entre
l’occupation littéraire, où, dans la solitude,
faisant taire ces paroles, qui sont aux autres
autant qu’à nous, et avec lesquelles, même seuls,
nous jugeons les choses sans être nous-mêmes, nous
nous remettons face à face avec nous-mêmes, nous
tâchons d’entendre, et de rendre, le son vrai de
notre cœur, et non la conversation ! […] En
réalité, ce qu’on donne au public, c’est ce qu’on
a écrit seul, pour soi-même, c’est bien l’œuvre de
soi. Ce qu’on donne à l’intimité, c’est-à-dire à
la conversation […], c’est l’œuvre d’un soi bien
plus extérieur, non pas du moi profond qu’on ne
retrouve qu’en faisant abstraction des autres et
du moi qui connaît les autres, le moi qui a
attendu pendant qu’on était avec les autres, qu’on
sent bien le seul réel, et pour lequel seuls les
artistes finissent par vivre, comme un dieu qu’ils
quittent de moins en moins et à qui ils ont
sacrifié une vie qui ne sert qu’à l’honorer.
Marcel PROUST, Contre Sainte-Beuve,
1908-1910.
|