orsque
le roi de Prusse, Frédéric II, se félicite en 1775 d'avoir
vécu dans "le siècle de Voltaire", il salue avant tout
l'homme qui a le mieux incarné l'esprit de son temps. Le
siècle était philosophe, en effet, et Voltaire donne à ce
mot une portée toute neuve.
« Le
philosophe sait rendre la terre plus fertile et ses
habitants plus heureux. Le vrai philosophe défriche les
champs incultes, augmente le nombre des charrues, et par
conséquent des habitants ; occupe le pauvre et l'enrichit,
encourage les mariages, établit l'orphelin, ne murmure
point contre des impôts nécessaires, et met le Cultivateur
en état de les payer avec allégresse. Il n'attend rien des
hommes, et il leur fait tout le bien dont il est capable.»
(Lettre
à Damilaville)
De ce bien, Voltaire était plus que d'autres capable. La
plupart de ses compagnons philosophes eurent le courage
de leurs idées : Montesquieu écrit L'esprit des
Lois, Diderot dirige l'Encyclopédie,
Rousseau définit un nouveau Contrat social.
Tous contribuent à donner à la littérature une ambition
nouvelle qu'a rappelée Sartre :
« Un ouvrage de
l'esprit était alors un acte doublement [...] puisqu'il
produisait des idées qui devaient être à l'origine de
bouleversements sociaux et puisqu'il mettait en danger
son auteur. Et cet acte, quel que soit le livre
considéré, se définit toujours de la même manière : il
est libérateur. Au temps des encyclopédistes,
il s'agit de contribuer par sa plume à la libération de
l'homme tout court.»
Cependant Voltaire seul fut aux yeux de l'Europe le
héraut de la liberté car, seul, il osa engager son nom
et mettre son énergie dans d'obscurs faits divers où il
sentait l'Homme menacé. Lorsqu'on lui demande, en 1762,
pourquoi il s'intéresse au sort du père Calas,
injustement condamné, Voltaire répond : "C'est
que je suis homme"
et lance aux juges : "Vous
devez compte aux hommes du sang des hommes !".
En 1763, il présente son Traité sur la tolérance
comme une "requête
de l'humanité".
N'exagérons pas l'ampleur du sacrifice ni celle du
courage intellectuel : Voltaire engage parfois dans ses
combats des convictions intolérantes et des stratégies
un peu mesquines. Mais au-delà des occasions et des
aubaines de stigmatiser « l'Infâme », son engagement
finit toujours par révéler la vibration sincère d'un
homme atteint par l'Injustice que d'autres subissent, et
qui se sent le devoir de la dénoncer en raison même des
privilèges qui sont les siens.
C'est à ce champion des droits de l'Homme, comme
on dirait aujourd'hui, qu'est consacré ce dossier, et
plus particulièrement à deux faits divers languedociens
où Voltaire intervint alors que "ce n'était pas son
affaire" :
« Vous dirais-je que tandis que le désastre
étonnant des Calas et des Sirven affligeait ma
sensibilité, un homme dont vous devinerez
l'état à ses discours, me reprocha l'intérêt
que je prenais à deux familles qui m'étaient
étrangères ! De quoi vous mêlez-vous ? me
dit-il ; laissez les morts ensevelir leurs
morts. Je lui répondis : [...] J'ai passé ma
vie à chercher, à publier cette vérité que
j'aime. Je n'ai donc fait dans les horribles
désastres des Calas et des Sirven que ce que
font tous les hommes : j'ai suivi mon
penchant. Celui d'un philosophe n'est pas de
plaindre les malheureux, c'est de les servir.»
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1
« Jean-Jacques n’écrit que pour écrire et moi j’écris pour
agir » (Lettre à Jacob Vernes, 25 avril 1767.)