VOLTAIRE
/ ROUSSEAU
suite
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Le 1er novembre 1755, un tremblement
de terre, suivi d'un raz-de-marée et d'un
incendie, ravagea Lisbonne. On compta plus de
70.000 victimes. Voltaire, saisi par une émotion
indiscutable, y vit néanmoins l'occasion de
réfuter les thèses optimistes. Ce courant,
représenté par Leibniz, Pope et Wolf, affirme
que le monde créé par Dieu est organisé par la
Providence de manière à ce qu'un Mal nécessaire,
en proportion infime, soit compensé par un Bien
toujours plus grand. La formule Tout est
pour le mieux dans le meilleur des mondes
possibles, que Voltaire caricaturera à
plaisir dans Candide, incarne à vrai
dire à ses yeux le danger redoutable du
fatalisme et de l'inaction. Ici encore, le poème
empreint de pessimisme qu'il envoie à Rousseau
trouve en ce dernier un adversaire.
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OBJECTIF
: UNE LECTURE ANALYTIQUE DU TEXTE ARGUMENTATIF :
Vous pourrez d'abord, sur la page
concernée, prendre connaissance des caractères
essentiels du texte
argumentatif.
Concentrant notre attention sur le
texte de Rousseau, mais sans négliger le poème de
Voltaire, nous allons entreprendre de suivre les étapes
d'une lecture analytique : après avoir déterminé un projet
de lecture, nous verrons si les réponses aux questions
qu'appelle le type de texte permettent de le valider.
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POÈME SUR
LE DÉSASTRE DE LISBONNE
(1756)
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LETTRE
SUR LA PROVIDENCE
18 août 1756
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O
malheureux mortels ! ô terre déplorable !
O de tous les mortels assemblage effroyable !
D'inutiles douleurs éternel entretien !
Philosophes trompés qui criez: « Tout est bien »
Accourez, contemplez ces ruines affreuses
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants l'un sur l'autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés;
Cent mille infortunés que la terre dévore,
Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours
Dans l'horreur des tourments leurs lamentables jours
!
Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous : « C'est l'effet des éternelles lois
Qui d'un Dieu libre et bon nécessitent le choix » ?
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :
« Dieu s'est vengé, leur mort est le prix de leurs
crimes » ?
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants ?
Lisbonne, qui n'est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices ?
Lisbonne est abîmée, et l'on danse à Paris.
Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,
De vos frères mourants contemplant les naufrages,
Vous recherchez en paix les causes des orages :
Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups,
Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.
Croyez-moi, quand la terre entrouvre ses abîmes,
Ma plainte est innocente et mes cris légitimes.
[...]
Quel bonheur ! Ô mortel et faible et
misérable,
Vous criez « Tout est bien » d’une voix lamentable,
L’univers vous dément, et votre propre cœur
Cent fois de votre esprit a réfuté l’erreur.
Éléments, animaux, humains, tout est en guerre.
Il le faut avouer, le mal est sur la
terre. [...]
Que peut donc de l'esprit la plus vaste étendue?
Rien; le livre du sort se ferme à notre vue.
L'homme, étranger à soi, de l'homme est ignoré.
Que suis-je, où suis-je, où vais-je, et d'où suis-je
tiré ?
Atomes tourmentés sur cet amas de boue
Que la mort engloutit et dont le sort se joue,
Mais atomes pensants, atomes dont les yeux,
Guidés par la pensée, ont mesuré les cieux;
Au sein de l'infini nous élançons notre être,
Sans pouvoir un moment nous voir et nous connaître.
Ce monde, ce théâtre et d'orgueil et d'erreur,
Est plein d'infortunés qui parlent de bonheur.
Tout se plaint, tout gémit en cherchant le bien-être
:
Nul ne voudrait mourir, nul ne voudrait renaître.
Quelquefois, dans nos jours consacrés aux douleurs,
Par la main du plaisir nous essuyons nos pleurs;
Mais le plaisir s'envole, et passe comme une ombre;
Nos chagrins, nos regrets, nos pertes sont sans
nombre.
Le passé n'est pour nous qu'un triste souvenir;
Le présent est affreux, s'il n'est point d'avenir,
Si la nuit du tombeau détruit l'être qui pense.
Un jour tout sera bien, voilà notre
espérance;
Tout est bien aujourd'hui, voilà l'illusion.
Les sages me trompaient, et Dieu seul a raison.
Humble dans mes soupirs, soumis dans ma souffrance,
Je ne m'élève point contre la Providence.
Sur un ton moins lugubre on me vit autrefois
Chanter des doux plaisirs les séduisantes lois :
D'autres temps, d'autres mœurs : instruit par la
vieillesse,
Des humains égarés partageant la faiblesse
Dans une épaisse nuit cherchant à m'éclairer,
Je ne sais que souffrir, et non pas murmurer.
Un calife autrefois, à son heure dernière,
Au Dieu qu'il adorait dit pour toute prière:
« Je t'apporte, ô seul roi, seul être illimité,
Tout ce que tu n'as pas dans ton immensité,
Les défauts, les regrets, les maux et l'ignorance. »
Mais il pouvait encore ajouter l'espérance. |
Vos deux derniers poèmes1, Monsieur, me
sont parvenus dans ma solitude, et quoique mes
amis connaissent l’amour que j’ai pour vos écrits,
je ne sais de quelle part ceux-ci me pourraient
venir, à moins que ce ne soit de la vôtre… Je ne
vous dirai pas que tout m’en plaise également,
mais les choses qui m’y blessent ne font que
m’inspirer plus de confiance pour celles qui me
transportent… Tous mes griefs sont donc contre
votre Poème sur le désastre de Lisbonne,
parce que j’en attendais des effets plus dignes de
l’Humanité qui paraît vous l’avoir inspiré. Vous
reprochez à Pope et à Leibniz d’insulter à nos
maux en soutenant que tout est bien, et vous
amplifiez tellement le tableau de nos misères que
vous en aggravez le sentiment : au lieu de
consolations que j’espérais, vous ne faites que
m’affliger ; on dirait que vous craignez que je ne
voie pas assez combien je suis malheureux, et vous
croiriez, ce semble, me tranquilliser beaucoup en
me prouvant que tout est mal.
Ne vous y trompez pas, Monsieur, il arrive
tout le contraire de ce que vous proposez. Cet
optimisme que vous trouvez si cruel, me console
pourtant dans les mêmes douleurs que vous me
peignez comme insupportables. Le poème de Pope2
adoucit mes maux, et me porte à la patience, le
vôtre aigrit mes peines, m’excite au murmure, et
m’ôtant tout hors une espérance ébranlée, il me
réduit au désespoir. Dans cette étrange opposition
qui règne entre ce que vous prouvez et ce que
j’éprouve, clamez la perplexité qui m’agite, et
dites-moi qui s’abuse du sentiment ou de la
raison.
« Homme, prends patience, me disent
Pope et Leibniz. Tes maux sont un effet nécessaire
de ta nature, et de la constitution de cet
univers. Si l’Être éternel n’a pas mieux fait,
c’est qu’il ne pouvait mieux faire. »
Que me dit maintenant votre poème ?
« Souffre à jamais, malheureux. S’il est un
Dieu qui t’ait créé, sans doute il est
tout-puissant ; il pouvait prévenir tous tes
maux : n’espère donc jamais qu’ils
finissent ; car on ne saurait voir pourquoi
tu existes, si ce n’est pour souffrir et
mourir. » Je ne sais ce qu’une pareille
doctrine peut avoir de plus consolant que
l’optimisme, et que la fatalité même : pour moi,
j’avoue qu’elle me paraît plus cruelle encore que
le manichéisme. Si l’embarras de l’origine du mal
vous forçait d’altérer quelqu’une des perfections
de Dieu, pourquoi justifier sa puissance aux
dépends de sa bonté ? S’il faut choisir entre deux
erreurs, j’aime encore mieux la première. [...]
Je ne vois pas qu’on puisse chercher la
source du mal moral ailleurs que dans l’homme
libre, perfectionné, partant corrompu ; et,
quant aux maux physiques, ils sont inévitables
dans tout système dont l’homme fait partie ;
la plupart de nos maux physiques sont encore notre
ouvrage. Sans quitter votre sujet de Lisbonne,
convenez, par exemple, que la nature n’avait point
rassemblé là vingt mille maisons de six à sept
étages, et que si les habitants de cette grande
ville eussent été dispersés plus également, et
plus légèrement logés, le dégât eût été beaucoup
moindre, et peut-être nul. Combien de malheureux
ont péri dans ce désastre, pour vouloir prendre
l’un ses habits, l’autre ses papiers, l’autre son
argent ?
Vous auriez voulu, et qui ne l’eût pas
voulu ! que le tremblement se fût fait au
fond d’un désert. Mais que signifierait un pareil
privilège ? [...] Serait-ce à dire que la nature
doit être soumise à nos lois ? J’ai appris
dans Zadig, et la nature me confirme de
jour en jour, qu’une mort accélérée n’est pas
toujours un mal réel et qu’elle peut passer
quelquefois pour un bien relatif. De tant d’hommes
écrasés sous les ruines de Lisbonne, plusieurs,
sans doute, ont évité de plus grands malheurs
; et malgré ce qu’une pareille description a
de touchant, et fournit à la poésie, il n’est pas
sûr qu’un seul de ces infortunés ait plus souffert
que si, selon le cours ordinaire des choses, il
eût attendu dans de longues angoisses la mort qui
l’est venue surprendre.
Pour revenir, Monsieur, au système que vous
attaquez, je crois qu’on ne peut l’examiner
convenablement, sans distinguer avec soin le mal
particulier, dont aucun philosophe n’a jamais nié
l’existence, du mal général que nie l’optimisme.
Il n’est pas question de savoir si chacun de nous
souffre ou non, mais s’il était bon que l’univers
fût, et si nos maux étaient inévitables dans la
constitution de l’univers, et au lieu de Tout
est bien, il vaudrait peut-être mieux
dire : Le tout est bien, ou Tout
est bien pour le tout. Alors il est très
évident qu’aucun homme ne saurait donner des
preuves directes ni pour ni contre. Si je ramène
ces questions diverses à leur principe commun, il
me semble qu’elles se rapportent toutes à celle de
l’existence de Dieu. Si Dieu existe, il est
parfait ; s’il est parfait, il est sage,
puissant et juste ; s’il est juste et
puissant, mon âme est immortelle ; si mon âme
est immortelle, trente ans de vie ne sont rien
pour moi, et sont peut-être nécessaires au
maintien de l’univers. Si l’on m’accorde la
première proposition, jamais on n’ébranlera les
suivantes ; si on la nie, il ne faut point
disputer sur ses conséquences.[...]
A Dieu ne plaise que je veuille vous
offenser ou vous contredire, mais il s'agit de la
cause de la Providence, dont j'attends tout. Après
avoir longtemps puisé dans vos leçons des
consolations et du courage, il m'est dur que vous
m'ôtiez maintenant tout cela, pour ne m'offrir
qu'une espérance incertaine et vague, plutôt comme
un palliatif actuel que comme un dédommagement à
venir. Non, j'ai trop souffert en cette vie pour
n'en pas attendre une autre. Toutes les subtilités
de la métaphysique ne me feront pas douter un
moment de l’immortalité de l’âme, et d’une
Providence bienfaisante.
1. Poème
sir la Loi naturelle et Poème sur le
désastre de Lisbonne (1756).
2. Essai sur
l'homme (1733).
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1) Situation
du texte :
Voici comment Rousseau présenta plus tard sa réponse
au poème de Voltaire :
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Je
n'étais pas guéri de mon attaque, quand je reçus
un exemplaire du poème sur la ruine de Lisbonne
que je supposai m'être envoyé par l'auteur. Cela
me mit dans l'obligation de lui écrire, et de lui
parler de sa pièce. Je le fis par une lettre qui a
été imprimée longtemps après, sans mon aveu, comme
il sera dit ci-après.
Frappé de voir ce pauvre homme, accablé,
pour ainsi dire, de prospérités et de gloire,
déclamer toutefois amèrement contre les misères de
cette vie, et trouver toujours que tout était mal,
je formai l'insensé projet de le faire rentrer en
lui-même, et de lui prouver que tout était bien.
Voltaire, en paraissant toujours croire en Dieu,
n'a réellement jamais cru qu'au diable, puisque
son Dieu prétendu n'est qu'un être malfaisant qui,
selon lui, ne prend de plaisir qu'à nuire.
L'absurdité de cette doctrine, qui saute aux yeux,
est surtout révoltante dans un homme comblé des
biens de toute espèce, qui, du sein du bonheur,
cherche à désespérer ses semblables par l'image
affreuse et cruelle de toutes les calamités dont
il est exempt. Autorisé plus que lui à compter et
peser les maux de la vie humaine, j'en fis
l'équitable examen, et je lui prouvai que de tous
ces maux, il n'y en avait pas un dont la
Providence ne fût disculpée, et qui n'eût sa
source dans l'abus que l'homme a fait de ses
facultés plus que dans la nature elle-même. Je le
traitai dans cette lettre avec tous les égards,
toute la considération, tout le ménagement, et je
puis dire avec tout le respect possibles.
Cependant, lui connaissant un amour-propre
extrêmement irritable, je ne lui envoyai pas cette
lettre à lui-même, mais au docteur Tronchin, son
médecin et son ami, avec plein pouvoir de la
donner ou supprimer, selon ce qu'il trouverait de
plus convenable. Tronchin donna la lettre.
Voltaire me répondit en peu de lignes qu'étant
malade et garde-malade lui-même, il remettait à un
autre temps sa réponse, et ne dit pas un mot sur
la question. Tronchin, en m'envoyant cette lettre,
en joignit une où il marquait peu d'estime pour
celui qui la lui avait remise.
Je n'ai jamais publié ni même montré ces
deux lettres, n'aimant point à faire
parade de ces sortes de petits triomphes; mais
elles sont en originaux dans mes recueils. Liasse
A. n° 20 et 21. Depuis lors, Voltaire a publié
cette réponse qu'il m'avait promise, mais qu'il ne
m'a pas envoyée. Elle n'est autre que le roman de
Candide, dont je ne puis parler, parce
que je ne l'ai pas lu. (Confessions, IX)
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Il semble légitime, après avoir pris connaissance des
circonstances au cours desquelles la lettre fut envoyée et
des précautions que Rousseau affirme avoir prises pour ne
pas blesser son correspondant, de s'attendre à ce que ce
texte prenne un caractère nettement polémique.
Choisissons-nous ce projet de lecture : la
Lettre sur la Providence a-t-elle les
caractères d'un pamphlet ?
2) Le
système énonciatif :
-
La lettre offre bien sûr tous les indices de la relation
épistolaire : un "je" s'adresse à un "vous".
Ce "je" s'affirme volontiers, souvent suivi de
verbes d'opinion : "je ne vois pas, je crois..."
Cette expressivité est néanmoins nuancée, dans la deuxième
partie de la lettre, par des formules impersonnelles : "il
me semble, il n'est pas question,
il est très évident". Le discours semble se
réfugier souvent dans l'exposé doctrinal et l'argument
d'autorité au détriment d'une relation vraiment polémique.
Le "vous" est bien sûr pris à parti par
l'impératif ("convenez") et par la volonté de
mettre l'adversaire en contradiction avec lui-même ("J'ai
appris dans Zadig"). Il peut même s'accompagner
d'une véritable intention péjorative ("votre sujet de
Lisbonne") qui nous met encore en balance dans notre
projet. Car, pour l'essentiel, Rousseau reste courtois, fait
même preuve d'allégeance à l'égard de quelqu'un dont, de
toute évidence, il connaît bien l'œuvre et les ferments
actifs ("puisé dans vos leçons des consolation et du
courage").
- Les modalisateurs sont forts ("il
est très évident", "il n'est pas question de
savoir", "ne me feront pas douter un moment"),
accentuant le degré de certitude. Les évaluatifs paraissent
un peu maigres dans une visée polémique, mais sont néanmoins
présents : on notera l'allusion malveillante de la formule
ironique ("ce que la description a de touchant
et fournit à la poésie").
Au
terme de cet examen, notre hésitation est encore entière :
doit-on vraiment considérer ce texte comme polémique ou
céder à l'impression que nous ont laissée les formes
impersonnelles ?
3) Le
registre :
-
Le vocabulaire est incontestablement emprunté au
registre philosophique, ce qui, vu le sujet, peut paraître
normal. Mais que l'on examine celui de Voltaire dans son Poème,
et que l'on en constate la nature concrète et réaliste!
Celui de Rousseau paraît beaucoup plus conforme à une
méditation métaphysique dans son abstraction, comme dans sa
préoccupation de se dégager du "mal particulier". A
l'évidence, Rousseau entend se situer sur un promontoire
idéologique d'où les misères humaines paraissent
accessoires, sinon légitimes.
- La syntaxe est, comme souvent chez
Rousseau, ample et oratoire. On pourra constater là aussi
combien Voltaire, malgré les tonalités obligées de
l'expression poétique, est plus concis dans sa phrase, et
plus incisif. La phrase de Rousseau ne sait trouver cette
densité que pour constituer une chaîne logique d'arguments :
dans la deuxième partie du texte, la succession des
conditionnelles ne vise pas à persuader mais à convaincre.
Le ton est ici doctrinal et didactique. L'adversaire est
sommé d'entrer dans cette sophistique qui rend inutile toute
entreprise de réfutation.
C'est pourquoi il nous faut ici abandonner notre projet de
lecture et renoncer à privilégier dans ce texte l'étude des
formes polémiques. Le registre n'est-il pas plutôt
didactique et doctrinal ?
4) L'organisation
:
-
A l'évidence, elle est extrêmement soignée pour une
lettre : après deux premiers paragraphes consacrés au rappel
des deux thèses, Rousseau réfute la thèse adverse dans les
deux paragraphes suivants, et c'est ici que, bien sûr, on
peut noter la plus forte concentration d'effets polémiques.
Le dernier paragraphe est consacré à l'affirmation de la
thèse optimiste. Stratégie claire qui trahit l'exposé
réfléchi et non l'indignation ou la colère qui
bouleverseraient l'organisation d'un discours polémique.
- Les types d'arguments sont bien loin de
ceux de Voltaire : c'est par l'exemple que celui-ci souhaite
persuader. Comme il le fera dans Candide,
l'évocation des cadavres et des chairs martyrisées suffit à
la dénonciation de l'Optimisme. Chez Rousseau, les exemples
restent théoriques et supputatifs ("De tant d'hommes
écrasés [...], plusieurs, sans doute, ont échappé
à de plus grands malheurs"). Les arguments, au
contraire, répondent à un souci de logique qui établit une
nécessité : la foi en Dieu exclut absolument l'existence du
Mal. La nuance consentie ("Le tout est bien" au
lieu de "Tout est bien") ne renforce que plus
clairement notre impression d'un exposé dogmatique où l'on
ne recule pas devant des arguties théologiques capables de
justifier l'horreur ("si les habitants de cette grande
ville eussent été dispersés plus également, et plus
légèrement logés, le dégât eût été beaucoup moindre").
Notre lecture inverse donc notre projet initial et
renforce l'opposition des deux hommes : quand Voltaire
livre une émotion sincère, quoique visiblement inscrite
dans un processus de dénonciation, Rousseau s'attache à
rester sur le plan des idées. Sa réponse trahit un évident
dogmatisme, que peut-être on peut justifier par la volonté
de croire en un Ordre universel capable de venger les
injustices d'ici-bas ("Non, j'ai trop souffert en
cette vie pour n'en pas attendre une autre").
|
Dans
les
années qui suivent, les échanges directs entre
les deux hommes se font plus rares : leur
querelle est avivée par l'hostilité de Rousseau
à l'égard du théâtre, qui lui inspire la
Lettre à d'Alembert sur les spectacles
(1758). Voltaire, qui réside encore à Genève et
organise des représentations théâtrales dans sa
propriété des Délices, ne peut manquer de se
sentir visé dans cette lettre qui s'indigne
contre le souhait de d'Alembert de voir la
comédie autorisée dans la République :
« Le théâtre, me
dit-on, dirige comme il peut et doit l'être,
rend la vertu aimable le vice odieux. Quoi
donc ? avant qu'il y eut des comédies
n'aimait-on point les gens de bien, ne
haïssait-on point les méchants, et ces
sentiments sont-ils plus faibles dans les
lieux dépourvus de spectacles ? Le théâtre
rend la vertu aimable . Il opère un grand
prodige de faire ce que la nature et la raison
sont avant lui ! Les méchants sont haïs sur la
scène... Sont-ils aimés dans la société, quand
on les y connaît pour tels ? Est-il bien sûr
que cette haine soit plutôt l'ouvrage de
l'auteur, que des forfaits qu'il leur fait
commettre ? Est-il bien sûr que le simple
récit de ces forfaits nous en donnerait moins
d'horreur que toutes les couleurs dont il nous
les peint ? Si tout son art consiste à nous
montrer des malfaiteurs pour nous les rendre
odieux, je ne vois point ce que cet art a de
si admirable, et l'on ne prend là-dessus que
trop d'autres leçons sans celle-là. Oserai-je
ajouter un soupçon qui me vient ? Je doute que
tout homme à qui l'on exposera d'avance les
crimes de Phèdre ou de Médée, ne les déteste
plus encore au commencement qu'a la fin de la
pièce; et si ce doute est fondé, que faut- il
penser de cet effet si vanté du théâtre
? »
Dés lors,
Voltaire considère Rousseau comme un traître à
la philosophie et ne répond plus à ses lettres,
d'autant que ce dernier, dans ses Lettres
écrites de la Montagne,
s'est avisé d'attribuer à Voltaire l'un des
textes les plus dangereux qui soient, le Sermon
des cinquante, que
celui-ci avait bel et bien composé d'ailleurs et
qu'il s'amusait à imputer à Frédéric II.
Voltaire ne pardonna jamais cette
délation [« Je ne le regarde personnellement
que comme le chien de Diogène, ou plutôt que
comme un chien descendu d’un bâtard de ce
chien », dit-il de Rousseau à d’Alembert
en 1762] et s'employa avec application à
diffuser anonymement libelles et pamphlets
contre « le gueux ». Ces textes, il faut le
dire, ne sont pas toujours, par leur férocité
mesquine, à l'avantage de Voltaire. On retiendra
le fameux Sentiment
des citoyens (1764) où
il révèle que Rousseau a abandonné ses enfants :
|
«
Est-il permis à un homme né dans notre ville
d’offenser à ce point nos pasteurs, dont la
plupart sont nos parents et nos amis, et qui
sont quelquefois nos consolateurs ? Considérons
qui les traite ainsi: est-ce un savant qui
dispute contre des savants ? Non, c’est l’auteur
d’un opéra et de deux comédies sifflées. Est-ce
un homme de bien qui, trompé par un faux zèle,
fait des reproches indiscrets à des hommes
vertueux ? Nous avouons avec douleur et en
rougissant que c’est un homme qui porte encore
les marques funestes de ses débauches, et qui,
déguisé en saltimbanque, traîne avec lui de
village en village, et de montagne en montagne,
la malheureuse dont il fit mourir la mère, et
dont il a exposé les enfants à la porte d’un
hôpital en rejetant les soins qu’une personne
charitable voulait avoir d’eux, et en abjurant
tous les sentiments de la nature comme il
dépouille ceux de l’honneur et de la religion.»
|
On
pourra, sur une autre page, voir la manière dont
Rousseau s'explique sur cet abandon de ses enfants
dans sa Lettre
à Mme de Francueil. C'est ce Sentiment
des citoyens qui, en tout cas, poussa
Jean-Jacques à se justifier en écrivant les
Confessions,
où il inséra la dernière lettre qu'il écrivit à
Voltaire :
«
Je ne vous aime point, Monsieur; vous
m'avez fait les maux qui pouvaient m'être les
plus sensibles, à moi votre disciple et votre
enthousiaste. Vous avez perdu Genève pour le
prix de l'asile que vous y avez reçu; vous avez
aliéné de moi mes concitoyens pour le prix des
applaudissements que je vous ai prodigués parmi
eux : c'est vous qui me rendez le séjour de mon
pays insupportable; c'est vous qui me ferez
mourir en terre étrangère, privé de toutes les
consolations des mourants, et jeté pour tout
honneur dans une voirie, tandis que tous les
honneurs qu'un homme peut attendre vous
accompagneront dans mon pays. Je vous hais,
enfin, puisque vous l'avez voulu; mais je vous
hais en homme encore plus digne de vous aimer si
vous l'aviez voulu. De tous les sentiments dont
mon cœur était pénétré pour vous, il n'y reste
que l'admiration qu'on ne peut refuser à votre
beau génie et l'amour de vos écrits. Si je ne
puis honorer en vous que vos talents, ce n'est
pas ma faute. Je ne manquerai jamais au respect
qui leur est dû ni aux procédés que ce respect
exige. »
à Montmorency, le 21 mai 1760 (Confessions,
X).
|
Ces propos de Rousseau ont pu être
même moins tempérés, comme le montre ce passage
d'une lettre à M. Moltou (29 janvier 1760) :
«
Vous me parlez de ce Voltaire ! Pourquoi
le nom de ce baladin souille-t-il vos lettres ?
Le malheureux a perdu ma patrie ; je le haïrais
davantage si je le méprisais moins. Je ne vois
dans ses grands talents qu'un opprobre de plus
qui le déshonore par l'indigne usage qu'il en
fait. Ses talents ne lui servent, ainsi que ses
richesses, qu'à nourrir la dépravation de son
cœur […] Ce fanfaron d'impiété, ce beau génie et
cette âme basse, cet homme si grand par ses
talents, et si vil par leur usage, nous laissera
de longs et cruels souvenirs de son séjour parmi
nous. La ruine des mœurs, la perte de la
liberté, qui en est la suite inévitable, seront
chez nos neveux les monuments de sa gloire et de
sa reconnaissance. S'il reste dans leur cœur
quelque amour pour la patrie, ils détesteront sa
mémoire, et il en sera plus souvent maudit
qu'admiré. »
|
Voltaire de son côté, se cantonne définitvement
sur son premier diagnostic : Rousseau est un
fou, plus digne de pitié que de haine :
«
C'est un pauvre fou qui n'est pas si méchant
qu'on le croit: sa folie consiste dans les
inconséquences, et dans une vanité dont aucun
barbier n'approcha jamais. Il a fait une
mauvaise comédie, et il a écrit contre la
comédie; il a publié que le théâtre de Paris
corrompait les mœurs, et il vient de donner au
public un roman d'Hèloïse ou d'Aloïse, dont
plusieurs endroits feraient rougir madame que
voilà, si elle savait lire. Il est allé à Genève
abjurer la religion catholique pour vivre en
France. Le pauvre homme a fait lui-même de la
musique française, que j'ai eu la bonté de
corriger. Il a imprimé, dans le dictionnaire
encyclopédique, quelques âneries sur l'harmonie,
qu'il m'a fallu encore relever; et pour
récompense il écrit contre moi. II ne lui manque
plus que d'être peintre, et d'écrire contre
Vanloo et contre Drouais ; il faut pardonner à
un pauvre homme qui a le cerveau blessé. Il
s'est mis dans un tonneau, qu'il a cru être
celui de Diogène, et pense de là être en droit
de faire le cynique ; il crie de son tonneau aux
passants : Admirez mes haillons. La seule
manière de le punir est de ne regarder ni sa
personne ni son tonneau ; il vaut mieux
l'ignorer que de le battre. » (Lettres sur
La Nouvelle Héloïse, 1761).
|
Pourtant, si leur correspondance cesse dès le début des
années 1760, les deux hommes n'ont cessé de se
fréquenter par la pensée et de dialoguer silencieusement
dans la lecture attentive de leurs œuvres. En témoignent
par exemple les nombreuses annotations dont Voltaire
émailla les livres de Rousseau. On peut en relever au
hasard quelques-unes sur son exemplaire du Contrat
social conservé à la Bibliothèque de
Saint-Petersbourg. Ces notes marginales disent bien sûr
la réprobation, voire la rage, mais aussi la connivence
et même l'admiration :
Pitoyable
— fou que tu es, ne sais-tu pas que les
Américains septentrionaux se sont exterminés
par la guerre ? — qu’en sais-tu ? as-tu
vu des sauvages faire l’amour ? — Polisson. Il
te sied bien de faire de telles prédictions !
— quelle chimère que ce juste milieu !
— très beau — singe de Diogène,
comme tu te condamnes toi-même ! — faux,
j’ai eu deux chevaux de carrosse qui ont vécu
35 ans — galimatias — tout cela est
abominable et c’est bien mal connaître la
nature — trop cynique et révoltant
— chimère — cela est confus et
obscur — bon — tout cela n’est pas
exposé assez nettement — au contraire,
les lois protègent le pauvre contre le riche
— fade louange d’un vil factieux, et d’un
prêtre absurde que tu détestes dans ton cœur
— quoi ! te contrediras-tu toujours
toi-même ? — sophisme — très faux
— point du tout — quel style
— quel contresens ! — que de
futilités écrites avec arrogance !
— quelle conséquence ? et mon chien ne
fait-il pas ce qu’il veut ? — voilà donc
un incrédule dévot — tu commences par
parler de toi, et tu parles toujours de toi,
tu n’es pas adroit — et toujours toi
— tu mens impudemment — bon cela
— hardi et bon — bon
— excellente idée — faux, très faux
— ici tu argumentes bien — tu as
raison ici — trop fort — très beau
— quelle fatuité — on a trouvé cette
plaisanterie mauvaise, elle me paraît fort
bonne etc.
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Lettre
de Rousseau à Christophe de Beaumont ,
alors archevêque de Paris, annotée par
Voltaire : « Ne vois-tu pas que tu te
décrédites, quand tu dis que tout le monde
est après toi ? »
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« Le style, c'est l'homme », dit Buffon. Roland
Barthes préfère pour sa part parler d'un « humus
silencieux » responsable du jaillisssemnt des
métaphores personnelles. Au-delà des clivages
philosophiques, la personnalité de Voltaire et
de Rousseau s'exprime tout entière dans leur
écriture :
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L'ARME
POLÉMIQUE :
Voltaire :
on pense à l'ironie mordante, parfois un peu
facile et superficielle (Lettre à Rousseau).
Elle est révélatrice d'un tempérament satirique
et railleur, mais aussi d'un certain sectarisme
(ainsi dans la constante dénaturation des thèses
de l'adversaire).
Rousseau : celui-ci privilégie
l'argumentation rhétorique et les procédés
oratoires (Prosopopée de Fabricius) qui
élèvent le débat au-dessus des personnes.
Visiblement mal à l'aise dans l'esprit
que requiert l'échange épistolaire avec
Voltaire, il est néanmoins capable de se mettre
à son niveau (Réponse à Voltaire).
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LES
RESSOURCES DE L'EXEMPLE :
Voltaire : le
choix constant d'exemples historiques est révélateur de son
pragmatisme. C'est dans les faits que Voltaire va chercher
la justification de ses principes, contre les mythes ou les
idées reçues (Lettre à Rousseau, Le Mondain,
article Homme). Empruntés au domaine économique ou
quotidien, ces exemples trahissent aussi sa méfiance à
l'égard de la métaphysique (Poème sur le désastre de
Lisbonne).
Rousseau :dédaigneux
des détails et des réalités concrètes (Lettre sur la
Providence), il se lance volontiers dans le
panégyrique ou la diatribe morale que lui inspire
l'Antiquité (Prosopopée de Fabricius), voire dans
une rêverie mythologique aux accents empreints de lyrisme (Discours
sur l'inégalité).
LA
TONALITÉ DU DISCOURS :
Voltaire : une
netteté un peu sèche et railleuse, sobre d'effets, affermit
la position personnelle (Lettre à Rousseau).
Le choix de la poésie didactique laisse transparaître
quelque émotion ou quelque tendance au pessimisme (Poème
sur le désastre de Lisbonne, article Homme).
Rousseau : le choix de genres antiques
(prosopopée, discours) convient à l'expression de
l'indignation morale. Cette prose oratoire et
volontiers injonctive est toute pénétrée de préceptes (Prosopopée
de Fabricius, Lettre sur la Providence).
OBJECTIF
: DISSERTATION LITTÉRAIRE :
À
l'affirmation de Voltaire « Le paradis terrestre est où je
suis » (Le Mondain), répond
celle de Rousseau : « Le pays des chimères est en ce monde
le seul digne d'être habité » (La Nouvelle
Héloïse).
En quoi la querelle des deux hommes trouve-t-elle
son origine dans cette opposition fondamentale ?
Il s'agit en effet d'une opposition fondamentale car elle
oppose la détermination de Voltaire dans le projet
d'aménager le présent ("Il faut cultiver notre jardin")
au recul de Rousseau par rapport à son temps, voire à son
état de rêverie contemplative et nostalgique. Il conviendra
toutefois de ne pas exagérer cette opposition : les deux
philosophes ont par exemple défendu le même idéal de
tolérance et prôné un christianisme dégagé du politique.
Voltaire fit d'ailleurs relier à part la Profession de
foi du vicaire savoyard de l'Emile (on
pourra constater dans un extrait
de la première des Lettres écrites de la Montagne
(1764) la parenté des thèmes développés par Rousseau avec
ceux de l'auteur du Traité sur la tolérance).
Néanmoins leurs différends sont majeurs sur la plupart des
points :
1)
Cette opposition concerne la vie terrestre et trahit un
désaccord métaphysique :
Devant les questions métaphysiques, Voltaire
fait preuve d'un pessimisme mesuré : l'homme est misérable,
voué à l'ignorance (Poème sur le désastre de Lisbonne).
Son impuissance à connaître les fins dernières et les
véritables desseins de la Providence ne doivent pourtant pas
l'entraîner au désespoir : si tout n'est pas au mieux dans
le monde, tout peut être amélioré. Le dédain de la
métaphysique conduit ainsi Voltaire au projet social comme à
la tentation provocatrice de la jouissance (Le Mondain).
Si Voltaire refuse de quitter le plan concret de
l'humain, Rousseau, au contraire, s'en abstrait souvent.
Auprès de l'ordre souverain de la Providence, la vie humaine
et ses misérables besoins sont négligeables voire coupables
(Lettre sur la Providence). Cette conscience aiguë
de la faute morale attachée au progrès explique
l'attachement de Rousseau à des valeurs sociales proches de
l'état naturel et à la vertu politique (Prosopopée de
Fabricius).
2)
Cette opposition ne manque pas d'entraîner une prise de
position politique :
La conviction voltairienne que le monde
est tout ce qui est donné à l'homme engendre une
condamnation de la prétendue vertu primitive appuyée sur une
apologie du progrès et du bonheur dans la civilisation (Le
Mondain). Tout projet social n'est pas étranger à
Rousseau, mais il est significatif qu'il choisisse le plan
du mythe ou se définisse dans la critique du présent (Réponse
à Voltaire). Sur le plan des arts, cette divergence
prend un éclat particulier au beau milieu du siècle des
Lumières : alors que Voltaire incarne les valeurs de la
bourgeoisie philosophique et prend conscience de
l'importance libératrice de l'acte d'écrire, Rousseau se
tourne délibérément vers le modèle patriarcal et exerce son
métier d'écrivain contre ses prévenances morales.
3)
Cette opposition est enfin à la source d'une morale
radicalement inverse :
On est frappé par le pragmatisme de
Voltaire, qui se manifeste par le recours à l'exemple
historique ou quotidien, par ce matérialisme à demi avoué
qui le fait applaudir à la course au progrès et aligner ses
critères moraux sur l'efficacité voire la réussite (Lettre
sur le Commerce, Le Mondain). On note au
contraire la nostalgie de Rousseau qui l'amène à juger
perverse toute volonté de progrès : elle s'exprime par le
recours à l'exemple antique ou mythologique (Prosopopée
de Fabricius) et choisit de cantonner le vocabulaire
dans un registre moral où se défend une conception austère
de l'innocence.
Dans cette opposition fondamentale, il appartient
encore à chacun de se situer et de vérifier peut-être le
jugement de Goethe : « Avec Voltaire, c'est le monde
ancien qui finit, et avec Rousseau, c'est un monde
nouveau qui commence.» Ce constat se vérifie sans
doute à l'aube du XIXème siècle. Mais les caprices de
l'Histoire n'ont pas manqué de l'inverser. Avec la
faillite des systèmes socialistes de toutes espèces dans
lesquels Rousseau aurait pu, à la rigueur, se reconnaître,
la pensée de Voltaire s'est trouvée mieux correspondre à
nos démocraties libérales. Quelque chose néanmoins survit
à chaque fois que la pensée de l'un s'impose davantage que
celle de l'autre : chacune est en effet animée des
ferments qui tour à tour nourrissent les utopies des
regrets du passé et les propulsent vers l'avenir.
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