Le plan
thématique et la première partie du plan
dialectique de la dissertation ou de l'essai
vous demanderont d'aller dans le sens de la thèse proposée
par le sujet (étayer veut dire soutenir).
On croit souvent qu'il ne s'agit que de l'illustrer par
des exemples. Or il convient bel et bien de l'alimenter
par des arguments. Ceux-ci pourront d'ailleurs, regroupés
autour de différents domaines (moral, économique,
politique, religieux etc.), constituer les axes du plan
que l'on nomme plan thématique.
Voici une liste d'arguments ; lesquels retiendriez-vous
pour étayer la thèse suivante :
"Ceux
qui dominent la norme écrite sont le plus
souvent assurés des meilleurs emplois, sinon de
l'autorité"?
(Claude Hagège, Le Français et les siècles,
1987)
a
. Ce sont encore les concours écrits qui préparent aux
plus hautes fonctions. Les grandes écoles scientifiques
imposent encore à leur concours la traditionnelle
dissertation littéraire.
b
. L'oral permet souvent de mieux juger la personnalité
d'un individu. Les entretiens d'embauche sont devenus
déterminants et paraissent plus fiables que la lettre de
motivation.
c .
L'oral public est une forme d'écrit. L'homme politique
rédige soigneusement ses discours pour qu'il atteigne en
public son maximum d'efficacité et il en est ainsi de
tout orateur soucieux d'être convaincant.
d .
L'oral est devenu prépondérant dans certaines
formations. Les métiers de la représentation, de
l'animation et surtout les carrières axées sur les
langues valorisent les performances orales.
e
. Les techniques modernes n'ont pas fait reculer
l'écrit. L'informatique elle-même suppose une bonne
maîtrise de l'écrit puisqu'elle a accru la nécessité de
déchiffrer rapidement les messages et qu'elle entraîne
un souci de perfection formelle.
f .
Les techniques modernes ont donné à l'oral une place
accrue. Les médias audiovisuels concurrencent sévèrement
l'écrit et, comme la télévision, ont imposé de nouveaux
critères de qualité et d'efficacité.
Essayez d'annexer les arguments non retenus à la thèse
proposée, en les inversant ou en les nuançant (ce peut
être en effet un moyen d'obtenir des arguments quand on
manque !).
Rédigez un développement composé en utilisant tous les
arguments et en suivant ce plan :
-
première partie : importance de la norme écrite dans le
domaine professionnel
- deuxième partie : importance de la norme écrite dans
le domaine social
- troisième partie : importance de la norme écrite dans
le domaine culturel.
Exercice
2 : de l'exemple à l'argument
Si, devant une thèse qu'il vous faut étayer, vous ne savez
trouver que des exemples, dressez-en une liste au
brouillon sans souci d'abord de les organiser. Puis, par
une démarche inductive, essayez de remonter aux arguments
qui permettraient de les regrouper.
A.
«
Toute une nation s'accoutume à regarder comme
les nécessités de la vie les choses les plus
superflues ; ce sont tous les jours de
nouvelles nécessités qu'on invente, et on ne
peut plus se passer des choses qu'on ne
connaissait point trente ans auparavant. »
(Fénelon, Les Aventures de Télémaque,
1699)
Ainsi,
devant la thèse de Fénelon, qu'on vous demande d'étayer en
soulignant son actualité, il vous viendra sans doute à
l'esprit une liste d'objets usuels dont on ne peut que
souligner le caractère superflu (vous aurez soin néanmoins
d'écarter toute invention nouvelle qui aura permis
d'améliorer la vie humaine) :
le smartphone et ses applications diverses ; certains
ustensiles ménagers (micro-ondes, congélateur) ;
l'équipement audiovisuel (lecteur DVD, bornes wifi) ; les
consoles de jeux ; la télévision ; certains produits
alimentaires (pour animaux ou pour bébés) ; l'ordinateur ...
Demandez-vous ce qui, dans notre société, a rendu
ces objets apparemment indispensables. Vous pourrez
penser aux nouvelles conditions de vie (insécurité,
stress, rythmes trépidants), au manque de
communication ou aux simples effets de la publicité
et de la mode.
Vous êtes maintenant placés au niveau de
l'argument : sélectionnez-en trois et intégrez à
chacun les exemples qui conviennent.
Voici une série
d'énoncés plus ou moins rédigés instruisant le
procès que l'animal pourrait intenter à l'homme :
regroupez les
énoncés qui vous paraissent semblables,
reliez les
exemples à leurs arguments,
répartissez
cet ensemble en trois thèmes :
- l'homme s'arroge tous les droits dans la
nature,
- il fait preuve d'un sadisme gratuit,
- il joue ainsi à l'apprenti sorcier (recherchez
le sens de cette expression).
1- L'homme s'est
approprié la nature, disposant en maître de tous les
êtres vivants.
2- Les animaux sont égaux ou supérieurs aux
hommes dans leur capacité de survie et d'adaptation.
3 - Chaque animal a sa place, son rôle dans la
chaîne alimentaire.
4 - Cirques, zoos, tableaux de chasse... : quelle
image l'homme donne-t-il de lui-même dans cet
univers concentrationnaire ?
5 - Danger du clonage, d'expériences dont on ne
connaît pas les conséquences.
6 - De quel droit l'homme domine-t-il,
enferme-t-il des êtres vivants ?
7 - Destruction de l'environnement (déforestation,
réchauffement climatique, pollutions) : où vont les
animaux ?
8 - Destructions d'espèces entières.
9 - Droit à la liberté dans la nature, courir, se
reproduire.
10 - Expériences "gratuites" : oreilles de chiens
greffées sur un rat.
11 - Injections
de maladies incurables qui mènent à la souffrance
et la mort.
12 - Expériences non maîtrisées où l'homme lui-même
court des dangers.
13 - Exploitation pour la nourriture : élevage
intensifs de poulets aveugles.
14 - Extermination de la faune sauvage : les loups,
les ours.
15 - Souffrance
infligée, cruauté.
16 - Faire mourir les animaux pour assurer sa propre
survie.
17 - Imprévoyance : détruire les animaux, c'est
détruire l'équilibre du monde.
18 - Expériences
inutiles puisque l'homme est différent de
l'animal.
19 - Mépris pour les êtres vivants.
20 - Nourriture génétiquement modifiée : maladies
que se propagent, même chez les hommes.
21 - Objectifs mineurs ou égoïstes : produits de
beauté, médicaments.
22 - Retirer l'animal de ses semblables, de ses
petits, de son milieu naturel.
23 - Faire le mal
sciemment.
24 - Tuer par plaisir : chasse.
25 - L'homme s'autorise avec les animaux des
meurtres qu'il condamne ailleurs.
Rédigez un développement organisé de manière
thématique où vous prendrez la défense des
animaux. Votre dissertation progressera vers une
thèse finale qui représentera à l'homme le risque
qu'il prend pour lui-même en les maltraitant.
Exercice
3 : utiliser un corpus pour étayer une thèse
Objet
d'étude :
le roman et ses personnages ; visions de l'homme
et du monde.
TEXTE A -
Honoré de Balzac, Le Chef-d'œuvre inconnu, 1832.
[L'action
de ce roman se déroule en 1612. Fraîchement débarqué à
Paris, un jeune peintre ambitieux, Nicolas Poussin, se rend
au domicile de Maître Porbus, un célèbre peintre de cour,
dans l'espoir de devenir son élève. Arrivé sur le palier, il
fait une étrange rencontre.]
Un
vieillard vint à monter l'escalier. À la bizarrerie de son
costume, à la magnificence de son rabat de dentelle, à la
prépondérante sécurité de la démarche, le jeune homme devina
dans ce personnage2 ou le protecteur ou l'ami du
peintre ; il se recula sur le palier pour lui faire place,
et l'examina curieusement, espérant trouver en lui la bonne
nature d'un artiste ou le caractère serviable des gens qui
aiment les arts ; mais il aperçut quelque chose de
diabolique dans cette figure, et surtout ce je ne sais quoi
qui affriande3 les artistes. Imaginez un front
chauve, bombé, proéminent, retombant en saillie sur un petit
nez écrasé, retroussé du bout comme celui de Rabelais ou de
Socrate ; une bouche rieuse et ridée, un menton court,
fièrement relevé, garni d'une barbe grise taillée en pointe,
des yeux vert de mer ternis en apparence par l'âge, mais qui
par le contraste du blanc nacré dans lequel flottait la
prunelle devaient parfois jeter des regards magnétiques au
fort de la colère ou de l'enthousiasme. Le visage était
d'ailleurs singulièrement flétri par les fatigues de l'âge,
et plus encore par ces pensées qui creusent également l'âme
et le corps. Les yeux n'avaient plus de cils, et à peine
voyait-on quelques traces de sourcils au-dessus de leurs
arcades saillantes. Mettez cette tête sur un corps fluet et
débile4, entourez-la d'une dentelle étincelante
de blancheur et travaillée comme une truelle à poisson5,
jetez sur le pourpoint6 noir du vieillard une
lourde chaîne d'or, et vous aurez une image imparfaite de ce
personnage auquel le jour faible de l'escalier prêtait
encore une couleur fantastique. Vous eussiez dit d'une toile
de Rembrandt7 marchant silencieusement et sans
cadre dans la noire atmosphère que s'est appropriée ce grand
peintre.
1. rabat : grand
col rabattu porté autrefois par les hommes.
2. Ce vieillard s'appelle Frenhofer.
3. affriande : attire par sa délicatesse.
4. débile : qui manque de force physique, faible.
5. truelle à poisson : spatule coupante servant à découper
et à servir le poisson.
6. pourpoint : partie du vêtement qui couvrait le torse
jusqu'au-dessous de la ceinture.
7. Rembrandt : peintre néerlandais du XVIIe siècle. Ses
toiles exploitent fréquemment la technique du clair-obscur,
c'est-à-dire les effets de contraste produits par les
lumières et les ombres des objets ou des personnes
représentés.
TEXTE B -
Victor Hugo, L'Homme qui rit, 1869.
[L'action se
déroule en Angleterre, à la fin du XVIle siècle. Enfant,
Gwynplaine a été enlevé par des voleurs qui l'ont
atrocement défiguré pour en faire un monstre de foire :
ses joues ont été incisées de la bouche aux oreilles, de
façon à donner l'illusion d'un sourire permanent. Devenu
adulte, il se produit dans une troupe de comédiens.]
Quoi
qu'il en fût, Gwynplaine était admirablement réussi.
Gwynplaine était un don fait par la providence à la
tristesse des hommes. Par quelle providence ? Y a-t-il une
providence Démon comme il y a une providence Dieu ? Nous
posons la question sans la résoudre.
Gwynplaine était un saltimbanque. Il se faisait voir
en public. Pas d'effet comparable au sien. Il guérissait les
hypocondries1 rien qu'en se montrant. [...]
C'est en riant que Gwynplaine faisait rire. Et
pourtant il ne riait pas. Sa face riait, sa pensée non.
L'espèce de visage inouï que le hasard ou une industrie
bizarrement spéciale lui avait façonné, riait tout seul.
Gwynplaine ne s'en mêlait pas. Le dehors ne dépendait pas du
dedans. Ce rire qu'il n'avait point mis sur son front, sur
ses joues, sur ses sourcils, sur sa bouche, il ne pouvait
l'en ôter. On lui avait à jamais appliqué le rire sur le
visage. C'était un rire automatique, et d'autant plus
irrésistible qu'il était pétrifié. Personne ne se dérobait à
ce rictus. Deux convulsions de la bouche sont
communicatives, le rire et le bâillement. Par la vertu de la
mystérieuse opération probablement subie par Gwynplaine
enfant, toutes les parties de son visage contribuaient à ce
rictus, toute sa physionomie y aboutissait, comme une roue
se concentre sur le moyeu2 ; toutes ses émotions,
quelles qu'elles fussent, augmentaient cette étrange figure
de joie, disons mieux, l'aggravaient. Un étonnement qu'il
aurait eu, une souffrance qu'il aurait ressentie, une colère
qui lui serait survenue, une pitié qu'il aurait éprouvée,
n'eussent fait qu'accroître cette hilarité des muscles ;
s'il eût pleuré, il eût ri ; et, quoi que fît Gwynplaine,
quoi qu'il voulût, quoi qu'il pensât, dès qu'il levait la
tête, la foule, si la foule était là, avait devant les yeux
cette apparition, l'éclat de rire foudroyant. Qu'on se
figure une tête de Méduse gaie.
1. hypocondries :
états dépressifs et mélancoliques.
2. moyeu : pièce centrale d'une roue.
TEXTE C - Émile
Zola, L'Assommoir, 1877.
[Dans L'Assommoir,
Zola décrit le milieu des ouvriers parisiens. Le roman
retrace l'itinéraire de Gervaise, une modeste
blanchisseuse. Dans l'extrait suivant, elle rend visite à
Goujet, surnommé Gueule-d'Or.]
C'était
le tour de la Gueule-d'Or. Avant de commencer, il jeta à la
blanchisseuse un regard plein d'une tendresse confiante.
Puis, il ne se pressa pas, il prit sa distance, lança le
marteau de haut, à grandes volées régulières. Il avait le
jeu classique, correct, balancé et souple. Fifine, dans ses
deux mains, ne dansait pas un chahut de bastringue1,
les guibolles2 emportées par-dessus les jupes;
elle s'enlevait, retombait en cadence, comme une dame noble,
l'air sérieux, conduisant quelque menuet3 ancien.
Les talons de Fifine tapaient la mesure, gravement, et ils
s'enfonçaient dans le fer rouge, sur la tête du boulon, avec
une science réfléchie, d'abord écrasant le métal au milieu,
puis le modérant par une série de coups d'une précision
rythmée. Bien sûr, ce n'était pas de l'eau-de-vie que la
Gueule-d'Or avait dans les veines, c'était du sang, du sang
pur, qui battait puissamment jusque dans son marteau, et qui
réglait la besogne. Un homme magnifique au travail, ce
gaillard-là ! Il recevait en plein la grande flamme de la
forge. Ses cheveux courts, frisant sur son front bas, sa
belle barbe jaune, aux anneaux tombants, s'allumaient, lui
éclairaient toute la figure de leurs fils d'or, une vraie
figure d'or, sans mentir. Avec ça, un cou pareil à une
colonne, blanc comme un cou d'enfant ; une poitrine vaste,
large à y coucher une femme en travers ; des épaules et des
bras sculptés qui paraissaient copiés sur ceux d'un géant,
dans un musée. Quand il prenait son élan, on voyait ses
muscles se gonfler, des montagnes de chair roulant et
durcissant sous la peau ; ses épaules, sa poitrine, son cou
enflaient ; il faisait de la clarté autour de lui, il
devenait beau, tout-puissant, comme un Bon Dieu.
1. bastringue :
cabaret.
2. guibolles : jambes (dans la langue populaire).
3. menuet : danse.
TEXTE D -
Marcel Proust, Le Temps retrouvé, 1927.
[Le Temps
Retrouvé est le dernier tome d'À la recherche du
temps perdu, vaste fresque dans laquelle l'auteur
transpose l'expérience de sa vie. Retiré du monde depuis
plusieurs années, le narrateur se rend à une soirée
mondaine lors de laquelle il croise d'anciennes
connaissances « métamorphosées » par la vieillesse.]
Le vieux
duc de Guermantes ne sortait plus, car il passait ses
journées et ses soirées avec elle1. Mais
aujourd'hui, il vint un instant pour la voir, malgré l'ennui
de rencontrer sa femme. Je ne l'avais pas aperçu et je ne
l'eusse sans doute pas reconnu, si on ne me l'avait
clairement désigné. Il n'était plus qu'une ruine, mais
superbe, et moins encore qu'une ruine, cette belle chose
romantique que peut être un rocher dans la tempête. Fouettée
de toutes parts par les vagues de souffrance, de colère de
souffrir, d'avancée montante de la mort qui la
circonvenaient2, sa figure, effritée comme un
bloc, gardait le style, la cambrure que j'avais toujours
admirés ; elle était rongée comme une de ces belles têtes
antiques3 trop abîmées mais dont nous sommes trop
heureux d'orner un cabinet de travail. Elle paraissait
seulement appartenir à une époque plus ancienne
qu'autrefois, non seulement à cause de ce qu'elle avait pris
de rude et de rompu dans sa matière jadis plus brillante,
mais parce qu'à l'expression de finesse et d'enjouement
avait succédé une involontaire, une inconsciente expression,
bâtie par la maladie, de lutte contre la mort, de
résistance, de difficulté à vivre. Les artères ayant perdu
toute souplesse avaient donné au visage jadis épanoui une
dureté sculpturale. Et sans que le duc s'en doutât, il
découvrait des aspects de nuque, de joue, de front, où
l'être, comme obligé de se raccrocher avec acharnement à
chaque minute, semblait bousculé dans une tragique rafale,
pendant que les mèches blanches de sa magnifique chevelure
moins épaisse venaient souffleter de leur écume le
promontoire envahi du visage. Et comme ces reflets étranges,
uniques, que seule l'approche de la tempête où tout va
sombrer donne aux roches qui avaient été jusque-là d'une
autre couleur, je compris que le gris plombé des joues
raides et usées, le gris presque blanc et moutonnant des
mèches soulevées, la faible lumière encore départie aux yeux
qui voyaient à peine, étaient des teintes non pas irréelles,
trop réelles au contraire, mais fantastiques, et empruntées
à la palette, à l'éclairage, inimitable dans ses noirceurs
effrayantes et prophétiques, de la vieillesse, de la
proximité de la mort.
1. II s'agit
d'Odette, sa maîtresse.
2. circonvenir : agir sur quelqu'un avec ruse, pour parvenir
à ses fins.
3. têtes antiques : sculptures de la tête.
I.
Vous répondrez d'abord à la question suivante (4 points)
: Dans quelle mesure ces
portraits prennent-ils appui sur le réel, dans quelle
mesure le transposent-ils ?
Votre réponse n'excédera pas une trentaine de
lignes.
Voici le cas-type d'une question destinée à préparer le
sujet de dissertation. Celle-ci en effet vous demandera
tout à l'heure de réfléchir à l'imitation de la réalité
dans le portrait romanesque, et de montrer qu'il la
transpose. Pour l'instant, il s'agit de repérer dans les
textes la trace indéniable du réel et celle, plus
délicate, de sa transposition. Éléments qui vous seront à
l'évidence précieux dans la conduite de votre
argumentation.
? Commençons par relire les
quatre documents en y cherchant leur appui sur le réel. Ce
sera en même temps l'occasion de réfléchir à cette notion :
Le discours descriptif dépend d'abord d'un regard :
selon l'origine de cette perception, les motifs qu'elle
perçoit sont susceptibles d'atteindre un degré relatif
d'objectivité :
dans le
texte A, les éléments du portrait sont toujours attribués à
la perception du "jeune homme" et le narrateur invite plus à
"imaginer" le personnage qu'à le voir : le jeune homme a
d'ailleurs à son égard une attitude partagée entre
l'observation ("examina curieusement") et la rêverie
("devina"). Les termes physiques sont néanmoins nombreux et
suivent, semble-t-il, une progression ordonnée, de haut en
bas.
dans le
texte B, le narrateur prend entièrement en charge le
portrait qu'il fait de son personnage, insiste sur la
bizarrerie de ce rire perpétuel, dont il est capable de
connaître l'origine. Il peut ainsi employer des termes
anatomiques qui renforcent l'effet de réel : "face,
rictus, convulsions, physionomie, muscles...".
dans le
texte C, le contexte réaliste (une forge) insère le portrait
de l'ouvrier dans un cadre matériel dont le personnage se
détache par son aura. Le registre laudatif invite à se
représenter une puissance musculaire ("sang pur, homme
magnifique, belle barbe jaune, poitrine vaste, bras
sculptés...") qui quitte bientôt le strict plan du
réel pour le mythe.
le texte
D, enfin, est le plus occupé par la métaphore et le moins
susceptible d'emprunter à la réalité. Toutefois, il donne à
surprendre une image de la vieillesse, saisie dans ses
ravages organiques ("expression bâtie par la maladie,
figure effritée, joues raides et usées, artères ayant
perdu toute souplesse...").
Tous ces textes prennent donc appui sur le réel en
s'attachant à des détails physiologiques. Mais ce que l'on
appelle le réel n'est jamais distinct du regard qui le
perçoit, et on notera comment beaucoup de ces documents nous
renvoient à un point de vue subjectif d'où émane chaque
portrait.
? Voyons maintenant comment ces
portraits transposent le réel :
Chacun de ces textes est littéraire : autant dire
qu'il n'y est jamais question de rendre compte d'une réalité
objective dégagée d'un point de vue particulier ni d'une
intention morale :
dans le
texte A, un certain nombre de termes évoquent l'imprécision
du regard : "quelque chose de diabolique, ce je ne sais
quoi, imaginez, en apparence, une image imparfaite, vous
eussiez dit...". Alliée à la lumière faible de
l'escalier, la perception du jeune homme hésite et le
narrateur invite son lecteur à imaginer un personnage
fantastique sorti d'un tableau.
le texte
B est organisé autour d'un paradoxe que le narrateur veut à
l'évidence rendre signifiant : d'un côté son personnage rit,
quelles que soient les circonstances; mais, de l'autre, on
se réfère à la tragédie d'une destinée incommunicable
("émotions, étonnement, souffrance, colère, pitié" sont
pareillement fondus dans un rire mécanique). L'allusion au
mythe de Méduse traduit bien ce paradoxe vivant. La
situation réelle, mais exceptionnelle, fournit ainsi le
matériau d'un apologue romantique.
dans le
texte C, le registre laudatif employé par le narrateur
prépare un tableau d'ordre mythologique. L'ouvrier devient
par la puissance et la sûreté de son travail impeccable une
sorte d'Hercule ("beau,
tout-puissant, comme un Bon Dieu") qu'une idéologie
sociale installe au faîte des valeurs. La lumière de la
forge contribue par ses référents (Héphaïstos) à consacrer
cette divinité laïque.
le
saisissant champ lexical du texte D exprime bien, au sens
propre, le naufrage de la vieillesse. Devenue un rocher
battu par les vents, la tête du vieux comte figure de
manière pathétique la résistance inutile de la vie : on
repérera sans mal les termes appartenant à ce champ
lexical de la mer.
Dans ces textes, on pourra noter le rôle joué par
la lumière : souvent faible ou jetant des lueurs
contrastées, elle éclaire les personnages d'un halo
incertain qui favorise la rêverie mythologique et donne à
tous ces passages une coloration fantastique. On pourra
conclure en rappelant que la création romanesque n'a pas
pour ambition de concurrencer le réel, mais bien d'en
donner une perception plus complète que la réalité même,
plus vraie aussi car cette vérité est réchauffée par
l'homme.
II.
Vous traiterez ensuite l'un des trois sujets suivants
(16 points) :
[...]
2. Dissertation En partant des textes du
corpus, vous vous demanderez si la tâche du romancier,
quand il crée des personnages, ne consiste qu'à imiter
le réel. Vous vous appuierez aussi sur vos lectures
personnelles et les œuvres étudiées en classe.
Votre travail préparatoire est maintenant directement
utilisable pour aborder cette dissertation où l'on vous
demande de montrer qu'un romancier transpose toujours la
réalité. L'interrogation indirecte est en effet d'ordre
rhétorique : vous êtes invité à soutenir l'idée que le
romancier n'a pas pour
ambition d'imiter le réel.
Voici une série d'arguments et d'exemples dans le
désordre : à vous de démêler l'écheveau et de proposer un
partie cohérente où vous étaierez cette thèse :
1. Les caractères des êtres
vivants sont mouvants, fugitifs, inachevés.
2. Pour construire ses quelques personnages, dans L'Assommoir,
Zola utilise des carnets d'enquêtes où les notes qu'il a
prises concernent de nombreuses individualités.
3. Le romancier est toujours possédé par une intention
signifiante qui force la vie imaginaire de ses personnages
à la transporter.
4. Le réel est toujours transformé par la subjectivité qui
le perçoit. Le romancier le plus soucieux d'objectivité
n'échappe pas à cette règle.
5. A quoi bon lire un roman si c'est pour y retrouver la
vie quotidienne ? Le romancier cède souvent à la tentation
légitime de raconter une histoire qui sorte un peu de
l'ordinaire.
6. L'écriture d'un roman obéit à des contraintes qui ne
sont pas celles de la vie réelle : temporalité, rythme,
caractères, nécessité d'achever et de conclure.
7. Dans la préface de Pierre et Jean,
Maupassant, à propos de réalisme, préfère parler
d'illusionnisme.
8. Nous connaissons dans la vie réelle des histoires de
nature disparate, dans l'inachevé et la trame décousue qui
est celle de l'existence. Le tissu romanesque exige plus
de densité et de cohérence.
9. Le roman est vrai par les moyens littéraires qui sont
les siens : ce qui est réel dans un roman est suggéré par
sa construction, son affabulation, son écriture.
10. L'imitation est une œuvre passive à laquelle aucun
romancier ne s'est jamais conformé. Tout roman est une
disposition concertée visant à recréer le réel.
11. Les mythes habitent l'œuvre romanesque des romanciers
les plus réalistes : Balzac, Flaubert, Zola...
12. Faisant œuvre de création, le romancier est un
démiurge.
Vous avez pris l'habitude de classer les arguments à
l'intérieur d'un plan thématique. Voici, autour de
différents "domaines" le plan détaillé (arguments et
exemples) d'un travail où il s'agit d'étayer la thèse
suivante :
«
Dans l'époque moderne, la transformation des
conditions de vie par la machine, l'agrégation
croissante des masses et le gigantesque
conformisme collectif qui en sont les
conséquences, battent en brèche les libertés
de chacun.»
Charles de Gaulle, Discours aux étudiants
d'Oxford, 1941.
Mise en place du sujet : n'omettez jamais cette
phase essentielle qui doit vous faire dégager une
problématique précise. Ici, il n'y a pas trois sujets
malgré le caractère ternaire de l'énumération. Voyez que
les deux derniers membres de cette énumération sont
présentés comme les "conséquences" du premier qui est
votre vrai sujet : la transformation des conditions de
vie par la machine bat en brèche les libertés
individuelles. Réfléchissez sur le mot "machine" : à
l'époque où de Gaulle écrit ce texte, on peut encore
évoquer la taylorisation du travail, mais aujourd'hui,
on pensera surtout à la machine informatique, à
l'électronique.... Vous
devrez, dans l'introduction, soigneusement rappeler
cette thèse en la reformulant avant de poser la
problématique : en quoi les libertés individuelles
sont-elles menacées par la place envahissante de la
machine ?
1°
partie : menace sur les libertés dans le domaine
économique :
-
argument 1 : automatisation croissante du travail
(taylorisme, robotique, normalisation des tâches)
- argument 2 : l'industrialisation nivelle les économies
mondiales (disparition des particularismes nationaux)
- argument 3 : informatisation des services
(surveillance, discriminations possibles)
2°
partie : menace sur les libertés dans le domaine culturel
:
-
argument 1 : mondialisation des produits manufacturés
(américanisation des modes de vie)
- argument 2 : toute-puissance des médias audiovisuels
(appauvrissement des programmes réglés sur l'Audimat)
- argument 3 : énormité des moyens techniques qui
renforcent le pouvoir discriminatoire de l'argent
(écrasement des petits producteurs de cinéma par les
gros).
3°
partie : menace sur les libertés dans le domaine familial
:
-
argument 1 : envahissement de l'informatique
(l'ordinateur familial favorise-t-il la vraie
communication ?)
- argument 2 : conditionnement des loisirs (les jeux
vidéos propagent une culture standardisée)
- argument 3 : envahissement de l'électronique
domestique (perfectionnement aliénant de la domotique).
CORRECTION : développement rédigé.
S'adressant
aux étudiants d'Oxford en 1941, le général de
Gaulle constate que « dans l'époque moderne, la
transformation des conditions de vie par la
machine, l'agrégation croissante des masses et le
gigantesque conformisme collectif qui en sont les
conséquences, battent en brèche les libertés de
chacun ». Son inquiétude est bien sûr commandée
par la victoire récente de l'Allemagne nazie, mais
on peut se demander si, de nos jours, ses propos
ne demeurent pas d'actualité : notre vie
n'est-elle pas plus que jamais commandée par la
machine, même si celle-ci a pris les formes
nouvelles que lui a données l'électronique ? Nous
étayerons donc la thèse de De Gaulle sous les
angles économique, culturel et privé.
Sous l'angle économique, la thèse du général de
Gaulle trouve aujourd'hui un écho particulier
puisque nous assistons à une phase de
mondialisation à outrance. L'informatique a
d'abord permis une automatisation croissante du
travail. Le taylorisme lui-même paraît dépassé
dans les formes que Charlie Chaplin avait déjà
dénoncées dans Les Temps modernes.
L'individu a dû céder toute sa place à la machine
ou n'être plus qu'un concepteur soumis à ses
caprices. La normalisation des tâches et des
produits condamne chaque équipe de travail, dans
quelque domaine que ce soit, à effectuer les mêmes
tâches et voir sortir les mêmes produits
manufacturés qu'imposent la rapidité et la
rentabilité. C'est le cas de l'automobile ou du
matériel audiovisuel.
L'alignement des économies mondiales
sur le dollar induit aussi un nivellement des
politiques économiques sous la houlette des
États-Unis, qui imposent, par-delà leurs produits
(pensons aux quasi-monopoles de Microsoft, d'Apple
ou de Google) un modèle de société jusqu'au
Tiers-Monde. L'informatisation des banques est
susceptible d'entraîner de graves dérives :
aujourd'hui déjà, leurs logiciels sont capables de
détecter des patronymes aux consonances «
suspectes» et de les évincer automatiquement des
demandes de prêt. L'euro assure peut-être des
marchés plus faciles à l'intérieur des pays
européens mais aligne des peuples à l'identité
différente sur des valeurs purement mercantiles.
Ainsi l'économie moderne provoque
d'incontestables alignements, que l'on ne peut pas
ne pas ressentir sur le plan culturel.
Ici encore, en effet, la machine provoque
des ravages sur notre identité puisqu'elle est
l'alliée d'une mondialisation des comportements.
On peut d'abord penser aux productions de masse
qui inondent la planète des mêmes produits
manufacturés, imposant peu à peu à tous les mêmes
vêtements, les mêmes boissons, les mêmes
nourritures. On aura reconnu ici encore la marque
des États-Unis sous la forme du jeans, de la
bouteille de Coca-Cola ou de l'enseigne Mc
Donald's. Ces produits doivent un succès tout
naturel à la simplicité de leur usage mais aussi
au faramineux volume de leur production qui génère
des prix attractifs Comment ne s'y
précipiterait-on pas ?
Dans le domaine culturel, la machine, c'est
aussi la télévision et plus encore l'ordinateur ou
le portable qui consacrent là encore la
toute-puissance d'un marché où l'individu n'a pas
sa place. Les chaînes n'obéissent qu'à la
sacro-sainte loi de l'Audimat, qui consiste à
rechercher une audience majeure par la diffusion
massive de ce qui est censé plaire au plus grand
nombre. Seuls quelques entêtés que n'auront pas
rebuté les horaires tardifs ont droit à des
programmes plus exigeants et à une véritable
information. Pour les autres, reste alors la
satisfaction de se donner l'illusion d'une
communication chaleureuse avec l'écran d'un
téléphone ou les personnages virtuels d'un jeu
vidéo.
Mais au moins, dira-t-on, subsistent
quelques plages où l'ont peut, chez soi, espérer
être un peu soi ?
Cela n'est pas sûr : nous disposons aujourd'hui,
même à domicile, d'instruments qui nous relient
aux autres et influent sur nos libertés On pense
d'abord à l'ordinateur familial et au
"smartphone", devenus aujourd'hui obligatoires en
raison des services indéniables qu'ils peuvent
rendre. Cela n'est pas douteux, en effet, mais en
même temps l'ordinateur génère des habitudes et
des modes de pensée qui, d'un pays à l'autre,
finiront par être les mêmes : l'anglais devient,
sous son influence, la langue obligatoire; il
devient obligatoire aussi d'aligner lettres,
rapports et projets selon le même moule qu'offrent
les modèles tout faits de nos traitements de
textes. Internet favorise, dit-on, la
communication planétaire. Peut-être, mais, pour l'heure,
il précipite les gens en foules vers les mêmes
sites, au contenu superficiel ou douteux, loin en
tout cas de fournir la richesse particulière et
inaliénable qui est celle du livre.
Dans nos sphères privées enfin, la machine
prend la forme de l'appareil ultramoderne censé
nous libérer des tâches aliénantes. Il existe une
nouvelle discipline pour cela, la domotique. Nous
voyons déjà se profiler la maison de demain :
bourrée d'électronique et de gadgets, elle
ressemble à un bunker. Pour la commander, les
mêmes boutons, les mêmes gestes rituels et les
mêmes pratiques. A terme, le même désarroi devant
la panne inévitable qui nous fera au moins mesurer
notre esclavage. C'est, déjà réalisé, le sinistre
pronostic de René Barjavel dans Ravage.
Le constat de Charles de Gaulle est donc
plus que jamais d'actualité, et il a même
outrepassé ses craintes puisque il n'est même plus
nécessaire qu'un régime fort nous impose ses lois.
Nous y courons naturellement, happés par la
facilité offerte par ces machines, sinon par la
modicité de leur prix, persuadés que l'objet peut
faire notre bonheur. N'est-ce pas au contraire en
comprenant que le bonheur n'a rien à voir avec la
possession matérielle que nous pourrons réaliser
l'aspiration légitime de l'individu à être soi
sans rien renier de la nécessaire communion avec
nos semblables ?