UTILISER UN CORPUS DE DOCUMENTS

 

 

Objets d'étude : La littérature d'idées et la presse du XIXème au XXIème siècle
                           Le roman et le récit du XVIIIème au XXIème siècle
.

Œuvre concernée : Montesquieu, Lettres persanes.

 

  Les pages qui suivent vous proposent des exercices progressifs qui décomposent la démarche classique de la dissertation et précisent les différents types de plans. L'ensemble des sujets porte aujourd'hui sur une des œuvres au choix parmi celles que le programme a imposées. Il s'agit donc d'une dissertation littéraire et l'on peut craindre qu'elle soit l'occasion d'une fourre-tout où le candidat peut être tenté de régurgiter des fiches plus ou moins apprises. C'est l'écueil majeur qu'il vous faut éviter. Votre dissertation aura surtout à profiter de la documentation personnelle que vous aurez su rassembler devant le sujet posé : votre connaissance de l'œuvre en question, bien sûr, mais aussi vos lectures annexes et personnelles, ceci constituant un corpus véritablement original.
  C'est pourquoi nous ouvrons cette section consacrée à la dissertation par un exemple de corpus et quelques pistes d'utilisation dans l'optique d'un sujet qui concernerait la peine de mort et l'efficacité de certains discours dans la mobilisation du récepteur.

Voir sur Amazon :

 

Prenez d'abord connaissance des cinq documents suivants :

 

DOCUMENT 1

Victor HUGO  Lettre à Lord Palmerston (Actes et paroles II, 1875).

[Fortement impressionné, enfant, par la vision d’un condamné conduit à l’échafaud sur une place de Burgos puis, à l’adolescence, par les préparatifs du bourreau dressant la guillotine en place de Grève, Victor Hugo fut toute sa vie un adversaire résolu de la peine de mort. En exil à Guernesey, il assiste en 1854 à l'exécution de John-Charles Tapner, condamné à mort pour assassinat, et fait part aussitôt de son indignation à Lord Palmerston, alors secrétaire à l'Intérieur.]

Marine-Terrace, 11 février 1854

 Dès le point du jour une multitude immense fourmillait aux abords de la geôle. Un jardin était attenant à la prison. On y avait dressé l'échafaud. Une brèche avait été faite au mur pour que le condamné passât. A huit heures du matin, la foule encombrant les rues voisines, deux cents spectateurs « privilégiés » étant dans le jardin, l'homme a paru à la brèche. Il avait le front haut et le pas ferme ; il était pâle ; le cercle rouge de l'insomnie entourait ses yeux. Le mois qui venait de s'écouler venait de le vieillir de vingt années. Cet homme de trente ans en paraissait cinquante. « Un bonnet de coton blanc profondément enfoncé sur la tête et relevé sur le front, - dit un témoin oculaire, - vêtu de la redingote brune qu'il portait aux débats, et chaussé de vieilles pantoufles », il a fait le tour d'une partie du jardin dans une allée exprès. Les bordiers, le shérif, le lieutenant-shérif, le procureur de la reine, le greffier et le sergent de la reine l'entouraient. Il avait les mains liées ; mal, comme vous allez voir. Pourtant, selon l'usage anglais, pendant que les mains étaient croisées par les liens sur la poitrine, une corde rattachait les coudes derrière le dos. Il marchait l'œil fixé sur le gibet. Tout en marchant il disait à voix haute : Ah mes pauvres enfants ! A côté de lui, le chapelain Bouwerie, qui avait refusé de signer la demande en grâce, pleurait.
  L'allée sablée menait à l'échelle. Le nœud pendait. Tapner a monté. Le bourreau d'en bas tremblait ; les bourreaux d'en bas sont quelquefois émus. Tapner s'est mis lui-même sous le nœud coulant et y a passé son cou, et, comme il avait les mains peu attachées, voyant que le bourreau, tout égaré, s'y prenait mal, il l'a aidé. Puis, « comme s'il pressentait ce qui allait suivre, » - dit le même témoin, - il a dit : « Liez-moi donc mieux les mains. - C'est inutile, a répondu le bourreau. » Tapner étant ainsi debout dans le nœud coulant, les pieds sur la trappe, le bourreau a rabattu le bonnet sur son visage, et l'on n'a plus vu de cette face pâle qu'une bouche qui priait. La trappe, prête à s'ouvrir sous lui, avait environ deux pieds carrés. Après quelques secondes, le temps de se retourner, l'homme des « hautes œuvres » a pressé le ressort de la trappe. Un trou s'est fait sous le condamné, il y est tombé brusquement, la corde s'est tendue, le corps a tourné, on a cru l'homme mort. « On pensa, dit le témoin, que Tapner avait été tué raide par la rupture de la moelle épinière. » Il était tombé de quatre pieds de haut, et de tout son poids, et c'était un homme de haute taille ; et le témoin ajoute : « Ce soulagement des cœurs oppressés ne dura pas deux minutes. »
  Tout à coup, l'homme, pas encore cadavre et déjà spectre, a remué ; les jambes se sont élevées et abaissées l'une après l'autre comme si elles essayaient de monter des marches dans le vide, ce qu'on entrevoyait de la face est devenu horrible, les mains, presque déliées, s'éloignaient et se rapprochaient « comme pour demander assistance, » dit le témoin. Le lien des coudes s'était rompu à la secousse de la chute. Dans ces convulsions, la corde s'est mise à osciller, les coudes du misérable ont heurté le bord de la trappe, les mains s'y sont cramponnées, le genou droit s'y est appuyé, le corps s'est soulevé, et le pendu s'est penché sur la foule. Il est retombé, puis a recommencé. Deux fois, dit le témoin. La seconde fois il s'est dressé à un pied de hauteur ; la corde a été à un moment lâche. Puis il a relevé son bonnet et la foule a vu ce visage. Cela durait trop, à ce qu'il paraît. Il a fallu finir. Le bourreau, qui était descendu, est remonté, et a fait, je cite toujours le témoin oculaire, « lâcher prise au patient. » La corde avait dévié ; elle était sous le menton ; le bourreau l'a remise sous l'oreille : après quoi il a « pressé les épaules. » Le bourreau et le spectre ont lutté un moment ; le bourreau a vaincu. Puis cet infortuné, condamné lui-même, s'est précipité dans le trou où pendait Tapner, lui a étreint les deux genoux et s'est suspendu à ses pieds. La corde s'est balancée à un moment, portant le patient et le bourreau, le crime et la loi. Enfin, le bourreau a lui-même « lâché prise ». C'était fait.  L'homme était mort.
  Vous le voyez, monsieur, les choses se sont bien passées. Cela a été complet. Si c'est un cri d'horreur qu 'on a voulu, on l'a.
  La ville étant bâtie en amphithéâtre, on voyait cela de toutes les fenêtres. Les regards plongeaient dans le jardin.
  La foule criait : shame ! shame ! shame ! Des femmes sont tombées évanouies. Pendant ce temps-là, Fouquet, le gracié de 1851, se repent. Le bourreau a fait de Tapner un cadavre; la clémence a refait de Fouquet un homme. Dernier détail. Entre le moment où Tapner est tombé dans le trou de la trappe et l’instant où le bourreau, ne sentant plus de frémissement, lui a lâché les pieds, il s’est écoulé douze minutes. Douze minutes ! Qu’on calcule combien cela fait de temps, si quelqu’un sait à quelle horloge se comptent les minutes de l’agonie ! Voilà donc, monsieur, de quelle façon Tapner est mort. Cette exécution a coûté cinquante mille francs. C’est un beau luxe. Quelques amis de la peine de mort disent qu’on aurait pu avoir cette strangulation pour « vingt-cinq livres sterling ». Pourquoi lésiner ? Cinquante mille francs ! quand on y pense, ce n’est pas trop cher ; il y a beaucoup de détails dans cette chose-là. On voit l’hiver, à Londres, dans de certains quartiers, des groupes d’êtres pelotonnés dans les angles des rues, au coin de portes, passant ainsi les jours et les nuits, mouillés, affamés, glacés, sans abri, sans vêtements et sans chaussures, sous le givre et sous la pluie. Ces êtres sont des vieillards, des enfants et des femmes ; presque tous irlandais ; comme vous, monsieur. Contre l’hiver ils ont la rue, contre la neige ils ont la nudité, contre la faim ils ont le tas d’ordures voisin. C’est sur ces indigences-là que le budget prélève les cinquante mille francs donnés au bourreau Rooks. Avec ces cinquante mille francs, on ferait vivre pendant un an cent de ces familles. Il vaut mieux tuer un homme. Ceux qui croient que le bourreau Rooks a commis quelque maladresse paraissent être dans l’erreur. L’exécution de Tapner n’a rien que de simple. C’est ainsi que cela doit se passer. Un nommé Tawel a été pendu récemment par le bourreau de Londres, qu’une relation que j’ai sous les yeux qualifie ainsi : « Le maître des exécuteurs, celui qui s’est acquis une célébrité sans rivale dans sa peu enviable profession. » Eh bien, ce qui est arrivé à Tapner était arrivé à Tawel. On aurait tort de dire qu’aucune précaution n’avait été prise pour Tapner. Le jeudi 9, quelques zélés de la peine capitale avaient visité la potence déjà toute prête dans le jardin. S’y connaissant, ils avaient remarqué que « la corde était grosse comme le pouce et le nœud coulant gros comme le poing ». Avis avait été donné au procureur royal, lequel avait fait remplacer la grosse corde par une corde fine. De quoi se plaindrait-on ? Tapner est resté une heure au gibet. L’heure écoulée, on l’a détaché ; et le soir, à huit heures, on l’a enterré dans le cimetière dit des étrangers, à côté du supplicié de 1830, Béasse. Il y a encore un autre être condamné. C’est la femme de Tapner. Elle s’est évanouie, deux fois en lui disant adieu ; le second évanouissement a duré une demi-heure ; on l’a crue morte. Voilà, monsieur, j’y insiste, de quelle façon est mort Tapner. Un fait que je ne puis vous taire, c’est l’unanimité de la presse locale sur ce point : — Il n’y aura plus d’exécution à mort dans ce pays, l’échafaud n’y sera plus toléré. La Chronique de Jersey du 11 février ajoute : « Le supplice a été plus atroce que le crime. » J’ai peur que, sans le vouloir, vous n’ayez aboli la peine de mort à Guernesey. Je livre en outre à vos réflexions ce passage d’une lettre que m’écrit un des principaux habitants de l’île : « L’indignation était au comble, et si tous avaient pu voir ce qui se passait sous le gibet, quelque chose de sérieux serait arrivé, on aurait tâché de sauver celui qu’on torturait. » […]
  Prenez garde. L’avenir approche. Vous croyez vivant ce qui est mort et vous croyez mort ce qui est vivant. La vieille société est debout, mais morte, vous dis-je. Vous vous êtes trompés. Vous avez mis la main dans les ténèbres sur le spectre et vous en avez fait votre fiancée. Vous tournez le dos à la vie ; elle va tout à l’heure se lever derrière vous. Quand nous prononçons ces mots, progrès, révolution, liberté, humanité, vous souriez, homme malheureux, et vous nous montrez la nuit où nous sommes et où vous êtes. Vraiment, savez-vous ce qu’est que cette nuit ? Apprenez-le, avant peu les idées en sortiront énormes et rayonnantes. La démocratie, c’était hier la France ; ce sera demain l’Europe. L’éclipse actuelle masque le mystérieux agrandissement de l’astre.
  Je suis, monsieur, votre serviteur,
  Victor Hugo.

Complément : Le texte le plus célèbre de Hugo concernant la peine de mort est Le Dernier jour d'un condamné. Vous trouverez ce document en deux parties (extrait 1 - extrait 2) dans les pages relatives à la réfutation et au réquisitoire.

 

DOCUMENT 2     Auguste VILLIERS DE L'ISLE-ADAM  Le réalisme dans la peine de mort (1885)

  Or, cette guillotine tombée, sournoise, oblique, dépourvue de l'indispensable mesure de solennité qui est inhérente à ce qu'elle ose, a simplement l'air d'une embûche placée sur un chemin. Je n'y reconnais que le talion social de la mort, c'est-à-dire l'équivalent de l'instrument du crime.
   Bref, on va se venger ici, c'est-à-dire équilibrer le meurtre par le meurtre, - voilà tout, c'est-à-dire commettre un nouveau meurtre sur le prisonnier ligoté qui va sortir et que nous guettons pour l'égorger à son tour. Cela va se passer en famille. Mais, encore une fois, c'est méconnaître ce qui peut seul conférer le droit de tuer dans cet esprit-là, de cette façon-là.
  L'ombre que projette cette lame terne sur nos pâleurs nous donne à tous des airs de complices : pour peu qu'on y touche encore d'une ligne, cela va sentir l'assassinat ! Au nom de tout sens commun, il faut exhausser, à hauteur acceptable, notre billot national. Le devoir de l'État est d'exiger que l'acte suprême de sa justice se manifeste sous des dehors mieux séants. Et puis, s'il faut tout avouer, la Loi, pour sa dignité même, qui résume celle de tous, n'a pas à traiter avec tant de révoltant dédain cette forme humaine qui nous est commune avec le condamné et en France, définitivement, on ne peut saigner ainsi, à ras de terre, que les pourceaux ! La justice a l'air de parler argot, devant les dalles ; elle ne dit pas : Ici l'on tue ; mais : Ici l'on rogne. Que signifient ces deux cyniques ressorts à boudins qui amortissent sottement le bruit grave du couteau ? Pourquoi sembler craindre qu'on l'entende ? - Ah ! mieux vaudrait abolir tout à fait cette vieille loi que d'en travestir ainsi la manifestation ! Ou restituons à la Justice l'Échafaud dans toute son horreur salubre et sacrée, ou reléguons à l'abattoir, sans autres atermoiements homicides, cette guillotine déchue et mauvaise, qui humilie la nation, écœure et scandalise tous les esprits et ne fait grand'peur à personne.
  Rapprochons-nous. C'est pour... dans quelques instants.
  Me voici tout auprès du sombre instrument : j'ai pris place dans une sorte d'éclaircie de l'allée vivante dont il a été parlé. Il faut examiner jusqu'à la fin tout cet accomplissement.
  Quatre heures et demie sonnent. Les formalités du réveil et de la hideuse toilette sont terminées. A travers la petite porte, scindée dans le portail même de la prison, je vois qu'on lève la grille de l'intérieur : le condamné est en marche vers nous, déjà, sous les galeries - et... avant un instant... Ah ! les deux vastes battants du noir portail s'entr'ouvrent et roulent silencieusement sur leurs gonds huilés.
  Les voici tout grands ouverts. A ce signal, vu aux lointains, de tous côtés, on se tait ; les cœurs se serrent ; j'entends le bruissement des sabres ; je me découvre.
  L'exécuteur apparaît, - le premier, cette fois ! - puis, un homme, en bras de chemise, les mains liées au dos, - près de lui, le prêtre : - Derrière eux, les aides, le chef de la sûreté publique et le directeur de la prison. C'est tout. - Ah ! le malheureux !... - Oui, voilà bien une face terrible. La tête haute, blafard, le cou très nu, les orbites agrandis, le regard errant sur nous une seconde, puis fixe à l'aspect de ce qu'il aperçoit en face de lui. De très courtes mèches de cheveux noirs, inégales, se hérissent par place sur cette tête résolue et farouche. Son pas ralenti par des entraves, est ferme, car il ne veut pas chanceler. - Le pauvre prêtre, qui, pour lui cacher la vue du couteau et lui montrer l'au-delà du ciel, élève son crucifix qui tremble, est aussi blanc que lui.
  A moitié route, l'infortuné toise la mécanique :
  - Ça... ? C'est là-dessus ?...dit-il d'une voix inoubliable.
  Il aperçoit la grande manne en treillis, béante, au couvercle soutenu par une pioche. Mais le prêtre s'interpose et, sur la licence que lui en octroie celui qui va périr, lui donne le dernier embrassement de l'Humanité.
  Ah ! lorsque sa mère, autrefois, le berçait, tout enfant, le soir, et, souriante, l'embrassait, heureuse et toute fière, - qui lui eût montré, à cette mère, cet embrassement-ci au fond de l'avenir !
  Le voici, debout, en face de la planche.
  Soudain - pendant qu'il jette un coup d’œil presque furtif sur le couteau - la pesée d'un aide fait basculer le condamné sur cette passerelle de l'abîme ; l'autre moitié de la cangue s'abaisse : l'exécuteur touche le déclic... un éclair glisse... plouff ! - Pouah ! quel éclaboussis ! Deux ou trois grosses gouttes rouges sautent autour de moi. Mais déjà le tronc gît, précipité, dans le panier funèbre. L'exécuteur, s'inclinant très vite, prend quelque chose dans une espèce de baignoire d'enfant, placée en dehors, sous la guillotine...
  La tête que tient, maintenant, par l'oreille gauche, - le bourreau de France - et qu'il nous montre - est immobile, très pâle - et les yeux sont hermétiquement fermés.
  Détournant les regards vers le sol, que vois-je, à quelques pouces de ma semelle !...
  La pointe du Couteau-glaive de notre Justice Nationale effleurer piteusement la sanglante boue du matin !

 

DOCUMENT 3

 

Dessin (L’Assiette au beurre, 9 mars 1907)

 

 

 

 

 

« IL FAUT GUILLOTINER, PARCE QUE...
les robes des Procureurs ont besoin de temps en temps d'être reteintes en rouge

 

 

 

DOCUMENT 4                                     Albert CAMUS   L'Étranger, II, V (1942)

  J'ai cru longtemps - et je ne sais pas pourquoi - que pour aller à la guillotine, il fallait monter sur un échafaud, gravir des marches. Je crois que c'était à cause de la Révolution de 1789, je veux dire à cause de tout ce qu'on m'avait appris ou fait voir sur ces questions. Mais un matin, je me suis souvenu d'une photographie publiée par les journaux à l'occasion d'une exécution retentissante. En réalité, la machine était posée à même le sol, le plus simplement du monde. Elle était beaucoup plus étroite que je ne le pensais. C'était assez drôle que je ne m'en fusse pas avisé plus tôt. Cette machine sur le cliché m'avait frappé par son aspect d'ouvrage de précision, fini et étincelant. On se fait toujours des idées exagérées de ce qu'on ne connaît pas. Je devais constater au contraire que tout était simple : la machine est au même niveau que l'homme qui marche vers elle. Il la rejoint comme on marche à la rencontre d'une personne. Cela aussi était ennuyeux. La montée vers l'échafaud, l'ascension en plein ciel, l'imagination pouvait s'y raccrocher. Tandis que, là encore, la mécanique écrasait tout : on était tué discrètement, avec un peu de honte, et beaucoup de précision.
  Il y avait aussi deux choses à quoi je réfléchissais tout le temps : l'aube et mon pourvoi.[...] C'est à l'aube qu'ils venaient, je le savais. En somme, j'ai occupé mes nuits à attendre cette aube. Je n'ai jamais aimé être surpris. Quand il m'arrive quelque chose, je préfère être là. C'est pourquoi j'ai fini par ne plus dormir qu'un peu dans mes journées et, tout le long de mes nuits, j'ai attendu patiemment que la lumière naisse sur la vitre du ciel. Le plus difficile, c'était l'heure douteuse où je savais qu'ils opéraient d'habitude. Passé minuit, j'attendais et je guettais. Jamais mon oreille n'avait perçu tant de bruits, distingué de sons si ténus. Je peux dire, d'ailleurs, que d'une certaine façon j'ai eu de la chance pendant toute cette période, puisque je n'ai jamais entendu de pas. Maman disait souvent qu'on n'est jamais tout à fait malheureux. Je l'approuvais dans ma prison, quand le ciel se colorait et qu'un nouveau jour glissait dans ma cellule, parce qu'aussi bien, j'aurais pu entendre des pas et mon cœur aurait pu éclater. Même si le moindre glissement me jetait à la porte, même si, l'oreille collée au bois, j'attendais éperdument jusqu'à ce que j'entende ma propre respiration, effrayé de la trouver rauque et si pareille au râle d'un chien, au bout du compte, mon cœur n'éclatait pas et j'avais encore gagné vingt-quatre heures.

 

DOCUMENT 5            Robert BADINTER      Discours à l’Assemblée Nationale - 17 septembre 1981

  En vérité, la question de la peine de mort est simple pour qui veut l'analyser avec lucidité. Elle ne se pose pas en termes de dissuasion, ni même de technique répressive, mais en termes de choix politique ou de choix moral.
  Je l'ai déjà dit, mais je le répète volontiers au regard du grand silence antérieur : le seul résultat auquel ont conduit toutes les recherches menées par les criminologues est la constatation de l'absence de lien entre la peine de mort et l'évolution de la criminalité sanglante. […]
  Il n'est pas difficile d'ailleurs, pour qui veut s'interroger loyalement, de comprendre pourquoi il n'y a pas entre la peine de mort et l'évolution de la criminalité sanglante ce rapport dissuasif que l'on s'est si souvent appliqué à chercher sans trouver sa source ailleurs, et j'y reviendrai dans un instant. Si vous y réfléchissez simplement, les crimes les plus terribles, ceux qui saisissent le plus la sensibilité publique - et on le comprend - ceux qu'on appelle les crimes atroces sont commis le plus souvent par des hommes emportés par une pulsion de violence et de mort qui abolit jusqu'aux défenses de la raison. A cet instant de folie, à cet instant de passion meurtrière, l'évocation de la peine, qu'elle soit de mort ou qu'elle soit perpétuelle, ne trouve pas sa place chez l'homme qui tue. […]
  En fait, ceux qui croient à la valeur dissuasive de la peine de mort méconnaissent la vérité humaine. La passion criminelle n'est pas plus arrêtée par la peur de la mort que d'autres passions ne le sont qui, celles-là, sont nobles.
  Et si la peur de la mort arrêtait les hommes, vous n'auriez ni grands soldats, ni grands sportifs. Nous les admirons, mais ils n'hésitent pas devant la mort. D'autres, emportés par d'autres passions, n'hésitent pas non plus. C'est seulement pour la peine de mort qu'on invente l'idée que la peur de la mort retient l'homme dans ses passions extrêmes. Ce n'est pas exact. […]
  Pour les partisans de la peine de mort, justice ne serait pas faite si à la mort de la victime ne répondait pas, en écho, la mort du coupable.
 Soyons clairs. Cela signifie simplement que la loi du talion demeurerait, à travers les millénaires, la loi nécessaire, unique de la justice humaine.
 Du malheur et de la souffrance des victimes, j'ai, beaucoup plus que ceux qui s'en réclament, souvent mesuré dans ma vie l'étendue. Que le crime soit le point de rencontre, le lieu géométrique du malheur humain, je le sais mieux que personne.[...]. Mais ressentir, au profond de soi-même, le malheur et la douleur des victimes, mais lutter de toutes les manières pour que la violence et le crime reculent dans notre société, cette sensibilité et ce combat ne sauraient impliquer la nécessaire mise à mort du coupable. Que les parents et les proches de la victime souhaitent cette mort, par réaction naturelle de l'être humain blessé, je le comprends, je le conçois. Mais c'est une réaction humaine, naturelle. Or tout le progrès historique de la justice a été de dépasser la vengeance privée. Et comment la dépasser, sinon d'abord en refusant la loi du talion?
[...]  Le choix qui s'offre à vos consciences est donc clair : ou notre société refuse une justice qui tue et accepte d'assumer, au nom de ses valeurs fondamentales - celles qui l'ont faite grande et respectée entre toutes - la vie de ceux qui font horreur, déments ou criminels ou les deux à la fois, et c'est le choix de l'abolition ; ou cette société croit, en dépit de l'expérience des siècles, faire disparaître le crime avec le criminel, et c'est l'élimination.
 Cette justice d'élimination, cette justice d'angoisse et de mort, décidée avec sa marge de hasard, nous la refusons. Nous la refusons parce qu'elle est pour nous l'anti-justice, parce qu'elle est la passion et la peur triomphant de la raison et de l'humanité.

 

I. Examen du corpus.

  Au baccalauréat, la dissertation ou l'essai sont proposés à partir d'un corpus global qui est l'œuvre concernée par le sujet et les documents dont vous avez pu bénéficier pendant l'année :

« La dissertation consiste à conduire une réflexion personnelle organisée sur une question littéraire portant sur l'une des œuvres et sur le parcours associé figurant dans le programme d'œuvres. [...]
  Le sujet de l'essai porte sur le thème ou la question que le texte partage avec l'œuvre et le parcours étudiés durant l'année dans le cadre de l'objet d'étude La littérature d'idées du XVIe au XVIIIe siècle. Pour développer son argumentation, le candidat s'appuie sur sa connaissance de l'œuvre et des textes étudiés pendant l'année ; il peut en outre faire appel à ses lectures et à sa culture personnelles.»

(B.O. n° 17 du 25 avril 2019)).

 Tout travail d'écriture doit donc être précédé de cette phase d'examen des données du sujet : dans notre cas, je dispose de cinq documents et de ma connaissance des Lettres persanes.

  Consulter une fiche méthode : la question sur le corpus.

1. Identifier la nature du document : Un corpus est constitué de documents variés. Quelles que soient les questions posées, il convient d'abord d'identifier nettement leur type de discours et leur registre (les questions peuvent d'ailleurs porter sur ces points). Pour cela, aidez-vous du paratexte, des informations livrées par le contenu même, de votre culture personnelle...

2. Relever les arguments présents dans chaque document de manière implicite ou explicite, et classez-les par affinités. Vous devriez dans le cas de ce dossier aboutir à trois arguments majeurs. Quels sont-ils ?

collecte des arguments qui, à travers le corpus, permettraient d'étayer l'hostilité des auteurs à l'égard de la peine de mort :

  [Dans l'examen du corpus, et après, bien sûr, lecture complète, choisissez le document qui vous paraît le plus nettement argumentatif : c'est lui, en effet, qui vous permettra le mieux de repérer les arguments et qui vous servira de base pour aligner ceux des autres documents.]

   Dans ce corpus, le document 5 (texte de Robert Badinter) fait parfaitement l'affaire. L'auteur y développe quatre arguments nettement articulés :

  • la peine de mort n'a aucune valeur d'exemple
  • le supplice est plus atroce que le crime
  • la société bafoue son devoir d'humanité en appliquant la loi du talion
  • la pratique de la peine capitale, par sa quasi-clandestinité, révèle la honte et la culpabilité des bourreaux.

  Vous pourrez sans mal retrouver ces arguments dans les autres documents et rédiger votre réponse et votre réquisitoire.

 

  Seconde : La littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle.
  Sur le site Lettres de l'Académie de Rouen, Danielle Girard propose une séquence sur la peine de mort en débat (textes de Victor Hugo et d'autres auteurs; recensement des arguments de Hugo contre la peine de mort; la peine de mort dans la presse française; exercices, images).

 

II. Dissertation :

  « Il y a certaines vérités qu'il ne suffit pas de persuader, mais qu'il faut encore faire sentir. Telles sont les vérités de morale. Peut-être qu'[un] morceau d'histoire touchera plus qu'une philosophie subtile.»
  Vous réfléchirez à cette affirmation de Montesquieu (Lettres Persanes) en vous appuyant sur les atouts respectifs des documents du corpus.

  collecte des arguments qui, à travers le corpus, permettraient d'étayer cette thèse :

 [Il s'agit ici d'une tâche plus complexe, puisque les arguments destinés à étayer la thèse de Montesquieu ne sont pas développés explicitement. C'est votre réponse à la première question (types de discours et registres) qui vous sera la plus utile, ainsi que, bien sûr, votre connaissance des Lettres persanes.]

   La thèse proposée affirme la supériorité de l'apologue, du récit concret, de l'image - donc de la fonction persuasive - sur l'argument pour communiquer des vérités morales. L'examen des divers documents sur la peine de mort montre cette importance des fonctions expressive et impressive. Il faut dire que le sujet est enclin à déchaîner les passions. Si l'on prend garde au caractère oratoire des discours, à leur vigueur polémique, à la force des images et du vocabulaire dans le récit, on doit convenir qu'en effet c'est par ces moyens-là et non par la clarté de la raison que l'on entreprend de nous persuader.
  Pour étayer la thèse, on pourra ainsi retenir comme arguments essentiels :

  • le caractère concret du récit : les Lettres persanes sont émaillées de nombreux apologues. Le corpus offre par ailleurs plusieurs exemples de récits : le témoignage (document 2), l'exemple authentique (document 1), la description de l'horreur (documents 1, 2 et 3).
  • le rôle du "je" : l'intériorisation du récit nous met à la place du condamné (document 4), nous rend donc plus enclins à la pitié (documents 1 et 2) ou plus coupables (document 1). Dans les Persanes, la personnalité d'Usbek et de Rica participe au pouvoir de persuasion de l'ensemble de l'œuvre.
  • Le choix de l'apologue, forme légère et parfois vulgaire, peut enfin correspondre à la volonté de récompenser le lecteur ou l'auditeur capables de dépasser leur première impression pour déceler, dans ce qui ne semblait être que laideur et futilité, les beautés et richesses bien cachées sous cette écorce. L'apologue s'adresse donc aussi bien au cœur et à l'imagination qu'à l'esprit, et c'est au plaisir que l'on prend à écouter des histoires qu'il faut mesurer tous ses atouts de persuasion.

  collecte des arguments qui, à travers le corpus, permettraient de réfuter cette thèse :

  • c'est précisément la place de l'imagination qui prêterait le flanc à la critique : elle s'enflamme vite dans le récit et celui-ci, favorisant la représentation sensible, peut faire perdre le contact avec la réalité. Comment, dès lors, peut-il faire accéder à la vérité ?
  • le récit entreprend de persuader plus que de convaincre : seule la raison peut au contraire fortifier en nous les vérités morales et entraîner la conviction. D'ailleurs, dans les Lettres persanes, Montesquieu fait habilement alterner les apologues avec des lettres plus réflexives qui viennent conforter une compréhension qui risquerait de rester parcellaire avec les seuls apologues.
  • Enfin, c'est peut-être se fier un peu trop à la compréhension du lecteur ou de l'auditeur que de ne leur livrer que des histoires. Ne court-on pas ici le risque de favoriser le contre-sens ou de se contenter de vérités superficielles, soumises à d'autres influences ?

  éléments de synthèse :

  • dans « Le Pouvoir des fables » (VIII, 4), La Fontaine se fait l'écho de cette crainte : une assemblée de citoyens dont la ville est menacée ne se met à écouter l'orateur qui veut la mobiliser que lorsqu'il entreprend de leur raconter une histoire. Et le fabuliste, conclut un peu amèrement : Le monde est vieux, dit-on : je le crois, cependant / Il le faut amuser encor comme un enfant.
  • pourtant La Fontaine établit auparavant la simple loi du plaisir d'écouter des histoires, à laquelle on pourrait ajouter l'émotion dont l'étymologie dit bien le pouvoir de mobilisation :

    Au moment que je fais cette moralité,
    Si Peau d'âne m'était conté,
    J'y prendrais un plaisir extrême.

  • faut-il donc regretter que la vérité passe par le cœur et ne reste pas un principe abstrait ?