CITER ET INTERPRÉTER

 

 

 

 

  L'une des difficultés du commentaire est d'intégrer à l'analyse les termes et expressions qui valident l'interprétation. Il convient à la fois d'éviter l'impression de "patchwork" de citations et celle de lourdeur que pourrait générer l'amas des mots cités. Deux principes généraux :
- plutôt que de citer des termes isolés, identifier les procédés (une métaphore, un champ lexical, un mode...) ;
- varier les verbes introducteurs (et éviter l'horrible "l'auteur fait passer le message").

 

 1 : Exercice

 

Voici une liste de quelques-uns de ces verbes. Redonnez à chaque procédé le verbe introducteur qui saurait désigner l'effet produit
     (exemple : un cliché
marque une distance ironique) :

 

 

Procédés cités Verbes introducteurs Effets soulignés

la personnification
un temps verbal
un champ lexical
l'assonance
un cliché
un rejet
le discours indirect libre
le rythme d'un vers
un terme péjoratif
la métaphore
l'allitération
l'allégorie
l'italique
la structure d'un poème

met en valeur
évoque
exprime
traduit

désigne
marque
souligne
détermine
dénonce
rend sensible
accentue
suggère
symbolise
épouse

un vice
l'ampleur d'une action
un effet de surprise
l'étrangeté d'un terme
une atmosphère
la pensée du personnage
une distance ironique
une progression
une valeur morale
un bruit particulier
la durée d'une action
un thème obsédant
un univers fantastique
une analogie

 

 CORRIGÉ

 

 

 Application : pour vous familiariser avec l'emploi de ces termes, nous vous proposons de compléter un commentaire du poème de Verlaine, Beams.


 

 

Paul Verlaine :

Beams
(Romances sans paroles , Aquarelles, 1874)

Elle voulut aller sur les flots de la mer
Et comme un vent bénin soufflait une embellie,
Nous nous prêtâmes tous à sa belle folie,
Et nous voilà marchant par le chemin amer.

 

Le soleil luisait haut dans le ciel calme et lisse,
Et dans ses cheveux blonds c'étaient des rayons d'or,
Si bien que nous suivions son pas plus calme encor
Que le déroulement des vagues, ô délice !

 

Des oiseaux blancs volaient alentour mollement,
Et des voiles au loin s'inclinaient toutes blanches.
Parfois de grands varechs filaient en longues branches,
Nos pieds glissaient d'un pur et large mouvement.

 

Elle se retourna doucement inquiète
De ne nous croire pas pleinement rassurés ;
Mais nous voyant joyeux d'être ses préférés,
Elle reprit sa route et portait haut la tête.

 

Douvres-Ostende, à bord de la «Comtesse-de-Flandre» , 4 avril 1873.

 

Exercice

  

A vous de replacer dans le cadre approprié, sans oublier de les accorder à la syntaxe, les termes suivants :
    mettre en valeur - souligner - traduire - symboliser - prêter sa durée - dénoncer - évoquer - suggérer - indiquer - rendre sensible.
— Vous pourrez obtenir un indice en cliquant sur le signe .
— Vous pourrez aussi obtenir la première lettre du mot en cliquant sur le bouton "Indice"
.
— Vous pourrez enfin vous auto-corriger en cliquant sur le bouton "Vérifier".

  Les Romances sans paroles marquent un tournant décisif dans la carrière de Verlaine. Le recueil est en effet contemporain (1874) de l'orage personnel qui traverse sa vie en la personne de Rimbaud. Le poème intitulé « Beams », qui est extrait de la section « Aquarelles », ne garde nulle trace pourtant de cette tourmente. Tout auréolée de lumière, une femme énigmatique guide vers (ou sur ?) la mer une cohorte de soupirants fidèles. Cette évocation ne touche-t-elle pas au symbole ? Peut-on considérer ses éléments narratifs comme caractéristiques d'un apologue ? Nous montrerons d'abord que le poème se présente comme un récit simple et poétique, avant d'aller plus avant dans cette dimension symbolique.

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*        *

  Un événement présenté comme vécu, daté, localisé au bas du poème, mais transfiguré sans doute par le souvenir et la création poétique, donne en effet naissance à une courte anecdote dans un splendide paysage marin.
  Nous distinguons d'abord sans peine un véritable schéma narratif que la structure du poème
nettement dans ses quatre strophes que commandent des temps verbaux différents. Les singulatifs de la première strophe ("elle voulut", nous nous prêtâmes") correspondent à une sorte d'état initial : le désir de la jeune femme de s'embarquer est aussitôt réalisé. La forme elliptique "et nous voilà marchant" , par le participe présent, l'accomplissement immédiat de l'action. Les deux strophes suivantes sont, au contraire, dominées par les itératifs : l'imparfait à la lente évocation d'une marche harmonieuse ("nos pas glissaient") ou à la douceur silencieuse du paysage ("des oiseaux blancs volaient", "de grands varechs filaient"). Enfin la dernière strophe nous fait retrouver le singulatif ("elle se retourna"; "elle reprit") qui , après une brève inquiétude, la ferme décision de la marche.
  Les éléments qui composent ce paysage procurent ensuite un sentiment d'immensité heureuse, perceptible aussi bien dans le choix du lexique que dans la cadence du vers. Cette impression est due, en effet, au champ lexical de la lumière ("blanche, luisait, rayons d'or, oiseaux blancs") auquel nous prépare le titre ("Beams" signifie "traits de lumière"). Mais beaucoup de mots
eux aussi cette harmonie : "bénin, calme, délice, mollement, doucement, glissaient". Cette douceur caractérise souvent l'atmosphère des paysages verlainiens et sa quête de réconfort et de réconciliation. Les sonorités elles-mêmes la : les assonances en "i" ("luisait dans le ciel calme et lisse"), les allitérations en "l" ou en "s" ("des voiles au loin s'inclinaient") donnent au poème une cadence musicale et solennelle. Le rythme des alexandrins n'est pas étranger non plus à cette ambiance : la phrase contient tout entière dans la strophe et ne se risque qu'à de timides enjambements. La césure, toujours à l'hémistiche et parfois peu marquée, allonge encore ce vers lent et cérémonieux.
  Ces sensations quasi oniriques de glissement, de bercement, de mouvement doux et ralenti comme celui des vagues, accroissent notre incertitude au sujet des personnages de ce récit. De quoi s'agit-il ? Quel lien secret unit la jeune femme du poème et la «Comtesse-de-Flandre» dont elle semble être la figure de proue ? Quelle relation, d'autre part, l'unit à ce "nous" : cohorte de soupirants fidèles ou cercle de poètes guidés par leur Muse ? Le récit se garde de fournir les réponses, nous prévenant de sa dimension symbolique.

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*         *

  Il est difficile, en effet, de ne pas être sensible à une possible signification allégorique du récit. Le thème du voyage maritime est déjà riche de connotations culturelles. L'univers de rêve qui empreint le poème auréole aussi la Femme d'un pouvoir quasi magique.
  On songe tout d'abord à l'aventure amoureuse, dont la puissance tient à l'attraction que la beauté de cette femme exerce sur le cortège de ses admirateurs ("nous suivions son pas", "joyeux d'être ses préférés"). On peut évoquer la figure de Vénus, déesse de la beauté et de l'amour, née de l'écume des flots, et quelque embarquement pour Cythère. Mais c'est l'aventure poétique que le poème semble plutôt
: le thème du navire (le mot "beam" appartient aussi au registre nautique) en est un motif rituel (que l'on pense à la quête de le Toison d'or - dont Orphée faisait partie - ou à l'inspiration baudelairienne). La jeune femme serait alors une image de la Muse, entraînant ceux qu'elle a élus (les poètes, "ses préférés") sur le chemin douloureux, "amer", de l'invention et de l'expérience poétique (la "belle folie").
  Nous nous garderons de conclure trop hâtivement à la justesse de cette interprétation, et le poème nous en prévient. Il
simplement un univers paradisiaque où toutes les contraintes et tous les obstacles du monde sont abolis : délivrés de la pesanteur, les personnages peuvent s'abandonner librement à des sensations oniriques. Les cadences de l'alexandrin le mouvement ralenti d'un rêve ("nos pieds glissaient d'un pur et large mouvement"), les sonorités liquides pour la plupart et le lexique suggérant une lenteur un peu molle ("bénin, calme, mollement") accroissent eux aussi cette impression. Ils viennent d'ailleurs adoucir ou nier le danger de cette aventure et en préservent l'harmonie : "belle" atténue le mot "folie" dans un oxymore; la place de l'invocation "ô délice !", en fin de vers, l'adjectif "amer". De même, l'adjectif "inquiète" est associé à l'adverbe "doucement". S'il s'agit bien d'une aventure poétique, le poète - pourtant submergé par des orages personnels à cette époque - prend soin d'en préserver la lumineuse et confiante avancée.
  La Femme est enfin parée d'un pouvoir magique qui en fait une figure allégorique. L'attraction qu'elle exerce semble due à son caractère autoritaire et altier ("elle voulut", "et portait haut la tête") comme à l'auréole éclatante qui la nimbe ("et ses cheveux blonds étaient des rayons d'or"). On ne manque pas de noter aussi ce caractère maternel qui est si souvent associé aux figures féminines rêvées par Verlaine : la Femme est ici celle qui, soucieuse de ses protégés, les guide, "rassurés" et "joyeux", en dissipant tous les dangers.
  Si cette dimension allégorique est donc bien présente, il faut remarquer comme elle reste discrètement suggérée, le poète refusant que l'on conclue à quelque "message". Ce poème n'est donc rien moins qu'un apologue.

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  Il offre en tout cas une image assez significative de la création verlainienne. Si l'inspiration n'en est pas nécessairement originale, l'atmosphère est, elle, aussitôt identifiable. C'est à son propos qu'un critique a pu parler de "fadeur", tant les sensations sont "attiédies" et flottent dans une incertitude onirique. Cette lumière délavée n'est pas sans rappeler aussi les techniques impressionnistes, celles d'un Turner, par exemple, ou l'univers symboliste d'un Odilion Redon, rapprochement pictural que semble d'ailleurs autoriser le sous-titre de la section des Romances sans paroles à laquelle « Beams» appartient : « Aquarelles ».

 

 

 

2 : Se méfier de la paraphrase

 

  La paraphrase consiste à répéter sous une autre forme ce que l'auteur d'un texte a écrit, sans jamais tenir compte de la nécessité absolue dans le commentaire d'analyser non pas ce qui est dit mais comment cela est dit, c'est-à-dire de s'appuyer constamment sur la forme.
  Un exemple. Soit les trois vers suivants, qui constituent le début de la fable de La Fontaine, "Le Coche et la Mouche" :

 

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un Coche.

Une simple paraphrase consisterait à décrire la scène en des termes aussi inutiles que ceux-ci :

Dans la première phrase, l'auteur nous montre les difficultés de six chevaux tirant un coche : ils se trouvent sur une côte, le terrain est accidenté, et il fait en outre très chaud etc.

 

 Autant ne rien dire du tout : une telle "analyse" s'en tient inutilement à la littéralité du discours et méconnaît les procédés d'écriture.
  Une véritable analyse, au contraire, s'efforcerait de justifier objectivement (par un relevé) l'impression de pénibilité que veut créer le fabuliste. Elle dirait par exemple :

Dans la première phrase, l'auteur nous fait sentir les difficultés de six chevaux tirant un coche : la longueur de cette phrase, qui s'étend sur trois vers, évoque d'abord la lenteur de l'ascension. La succession des adjectifs, séparés par des virgules, imprime ensuite à la phrase une cadence heurtée qui communique une impression de pénibilité. Enfin, l'apparition retardée du sujet de la proposition permet que le Coche soit à la traîne de la phrase, comme il l'est dans la scène.

 C'est à cette seule condition que l'on pourra prétendre réellement commenter un texte, c'est-à-dire construire du sens.


Essayez à votre tour à partir du texte suivant :
- chercher d'abord les impressions qu'il crée en vous.
- essayez ensuite de les valider par le repérage de procédés stylistiques :

 Enfants, nous ne connaissions guère que les Landes : l'être collectif dénommé « les garçons » et dont je n'étais qu'une parcelle, avait décidé que hors le pays des pins, du sable et des cigales, il n'était pas de vacances heureuses. A peine connaissions-nous la propriété de vignes que plus tard je devais tant aimer. Notre mère assurait que nous n'eussions voulu pour rien au monde du sort des malheureux enfants qui croyaient s'amuser à Royan, à Arcachon ou à Bagnères. Nous en étions nous-mêmes persuadés. Ainsi sont entrés en moi, pour l'éternité, ces étés implacables, cette forêt crépitante de cigales sous un ciel d'airain que parfois ternissait l'immense voile de soufre des incendies ; alors les tocsins haletants arrachaient les bourgs à leur torpeur. Aussi brûlant qu'ait été l'après-midi, le ruisseau appelé la Hure, et ce qu'il traîne après soi de brouillards flottants et de prairies marécageuses, dispensait, le soir, une fraîcheur dangereuse qu'au seuil de la maison nous recevions, immobiles, et la face levée. Cette haleine de menthe, d'herbes trempées d'eau, s'unissait à tout ce que la lande, délivrée du soleil, fournaise soudain refroidie, abandonne d'elle-même à la nuit : parfum de bruyère brûlée, de sable tiède et de résine — odeur délicieuse de ce pays couvert de cendres, peuplé d'arbres aux flancs ouverts : je songeais aux cœurs que la grâce incendie et qui ont choisi de souffrir. C'est pourquoi l'automne dans la lande est un tel miracle : dans bien d'autres pays, l'arrière-saison "fait saigner les feuillages, change en or sombre les fougères" (ainsi que j'écrivais dans mes narrations qui avaient l'honneur d'être lues devant toute la classe), mais nulle part elle n'est comme dans nos landes consumées une telle libération : les palombes, sous le trouble azur du mois d'octobre, sont le signe qu'est fini le déluge de feu.

François Mauriac, Commencements d'une vie, 1932.

 

 Le titre de l'œuvre indique plutôt une narration, mais, à la première lecture, le texte révèle son caractère descriptif. On aura donc soin, dans la lecture analytique préalable, de lui poser les questions adéquates (voir pour cela notre fiche consacrée à la lecture analytique du texte descriptif).


premières impressions :

  • il s'agit de souvenirs d'enfance : une région - les Landes - nommée et caractérisée, par rapport auxquelles le narrateur manifeste son attachement ;
  • cette terre est évoquée avec beaucoup de sensualité, visuelle et olfactive, notamment ;
  • pourtant on perçoit à plusieurs reprises une dimension spirituelle qui hausse ce tableau au niveau du symbole.

 

recherche des procédés stylistiques essentiels :

  • le pronom personnel de la première personne (je, nous) est très présent ;
  • les sensations sont en opposition constante (antithèses et oxymores) : un vocabulaire de la souffrance (implacable, brûlant, dangereuse) s'oppose à un lexique du plaisir (miracle, délicieuse, libération) ;
  • une expression traduit particulièrement cette opposition : je songeais aux cœurs que la grâce incendie. Ainsi le pays tout entier prend la proportion d'une vaste métaphore suggérant le combat entre la chair et l'esprit.

 

pourquoi ne pas, dès lors, fonder une ébauche de plan sur cette problématique ?

  • un premier axe analyserait cette description contemplative :
    - un texte autobiographique (les pronoms)
    - un attachement sensuel (opposition des lexiques)
  • un deuxième axe étudierait l'organisation métaphorique :
    - un récit initiatique (naissance d'une vocation)
    - les connotations religieuses (vocabulaire de la souffrance et de la grâce).

  Le commentaire pourrait conclure sur le rapport installé ici entre une sensibilité et la région qui l'a formée, initiant une œuvre romanesque en effet dédiée au combat entre la chair et l'esprit. Ainsi la description franchit son simple pouvoir d'évocation pour prendre une grande force de symbolisation.