L'ORGANISATION
DU COMMENTAIRE
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Les
types
de plans :
La lecture
analytique est la première phase nécessaire du
commentaire (consacrez-y au moins deux heures sur les
quatre qui vous
sont allouées!). Dirigée vers la
résolution d'une problématique
initiale, elle vous a fourni pas à pas les observations
qu'il vous faut maintenant présenter de manière
organisée.
Il n'existe pas de plan type pour le commentaire :
votre
observation des caractères majeurs du texte, de ce qui
fait
sa spécificité, doit pouvoir vous le
suggérer. Sachez néanmoins qu'un plan de
commentaire peut s'élaborer autour des points suivants :
- la
thématique du texte
:
le
texte peut en effet être commandé par une
conjugaison ou une opposition de thèmes.
Vous veillerez alors à privilégier les
procédés formels qui les véhiculent
(et à ne pas vous contenter de champs lexicaux).
- les
étapes de la lecture
: il
arrive que des textes ménagent des
effets particuliers, des ressorts de surprise. Il est
alors licite de
respecter le cheminement que vous avez suivi pour les
découvrir, du plus simple au plus complexe, en prenant
soin
d'éviter néanmoins les remarques
juxtalinéaires.
- les
procédés essentiels
: largement
préférable
à tous les autres, ce plan formel aura
repéré deux ou trois procédés
auxquels il saura rallier toutes les remarques.
- le
traitement particulier d'une forme traditionnelle
: intéressant
lorsque le texte est
à l'évidence marqué par un
héritage et qu'il fait subir à celui-ci ses
propres formes. C'est le plan que nous suivons dans
l'exemple 2 du plan
formel ci-dessous.
Applications
:
Exemple
1 :
Jules
Supervielle,
Arbres dans la nuit et le jour (1945)
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10
15
20
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Candélabres de la
noirceur,
Hauts-commissaires des ténèbres,
Malgré votre grandeur funèbre
Arbres, mes frères et sœurs,
Nous sommes de même famille,
L'étrangeté se pousse en nous
Jusqu'aux veinules, aux ramilles,
Et nous comble de bout en bout.
A vous la sève, à
moi le sang,
A vous la force, à moi l'accent
Mais nuit et jour nous ressemblant,
Régis par le suc du mystère,
Offerts à la mort, au tonnerre,
Vivant grand et petitement,
L'infini qui nous désaltère
Nous fait un même firmament.
Nos racines sont
souterraines,
Notre front dans le ciel se perd
Mais, tronc de bois ou cœur de chair,
Nous n'avançons que dans nous-mêmes.
L'angoisse nourrit notre histoire
Et c'est un même bûcheron
Qui, nous couchant de notre long,
Viendra nous couper la mémoire.
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Une première lecture du texte oriente sur une
thématique que le vers 4 exprime simplement : Arbres,
mes frères et mes sœurs.
Cette fraternité poétique s'exprime par
plusieurs procédés. Relevez-les de manière ordonnée
:
- les pronoms - les adjectifs possessifs -
le lexique familial - les parallélismes (alliance de
termes végétaux et humains).
Ce thème paraît propice au registre lyrique.
Relevez-en des marques.
Ce registre est-il le seul capable de
caractériser le poème ? Relevez des termes ou des
expressions qui manifestent une certaine angoisse.
De quel registre peut-on alors parler ?
Quelle vision de l'existence, commune aux humains
et aux arbres, le poète expose-t-il ici ? Quel
vers vous paraît la formuler le plus nettement ?
Inspirez-vous de cette constatation pour
préciser votre problématique d'étude.
À ce stade de votre examen, vous vous trouvez en
possession de deux groupes de remarques nettement
autonomes, qui sont susceptibles de construire et
d'alimenter deux parties d'un plan rigoureux.
Approfondissez maintenant chacune d'entre elles :
- en
leur donnant un titre net
- en veillant à tenir compte de la spécificité de
l'écriture poétique :
dans quelle partie tirerez-vous parti
des rythmes de l'octosyllabe (coupes, cadences) ?
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Construisez
le tableau d'organisation du devoir selon le modèle fourni
page précédente et ci-dessous.
Vous vous
trouvez ainsi devant un plan thématique. N'omettez pas de
le nourrir essentiellement de remarques de forme afin
d'éviter la simple paraphrase.
Exemple 2 :
Louis
ARAGON, Aurélien
(1944)
[Aurélien Leurtillois , qui est rentier, a fait
dans une piscine des faubourgs la connaissance
d'un jeune ouvrier, Riquet, à qui il a appris
une nouvelle nage. A la sortie, Aurélien (gêné
par son prénom, il lui a dit s'appeler Roger) a
invité Riquet à boire un verre.]
Quand Riquet a revu son nouvel ami habillé, lui
qui avait son vieux pantalon rayé, tout esquinté,
et une veste bleue, et la casquette, il a fait
entendre un sifflement. Désappointé. « Moi qui
t'offrais... qui vous offrais à boire ! ». Il n'en
revient pas de la gaffe. Il lui dira vous
maintenant, on ne l'en fera pas démordre. Il y a
quelque chose de cassé. Enfin, parce qu'il ne sait
plus comment s'en sortir, il se laisse tout de
même traîner à la Chope du Clair de Lune. Un café
pâle comme son nom. Presque désert. C'est haut, ça
fait vide. Au comptoir, un byrrh à l'eau... Riquet
louche sur les fringues de son compagnon : « Alors
on est capitaliste ?... ». Dit comme ça, ça a
l'air moins grave. Oui. Pas vraiment ? Si
vraiment... « Et à quoi vous travaillez ? » Voilà
le difficile à expliquer. S'il lui dit qu'il ne
fait rien... ça le dégoûte de mentir : « Je vis de
mes rentes... ». Ça a eu un effet absolument
inattendu. Un effet de comique nerveux qui ne
s'arrête plus. Il en pleurerait de rire, Riquet.
Rentier ! Monsieur est rentier ! puis il se
rappelle que ce rentier lui paye un verre. Il
s'excuse, il devient la politesse même, il boit
son verre d'un air appréciatif, pour faire
honneur. Il reparle de la nage. De cette nage
turque... non : grecque, que Monsieur m'a
montrée... « Ah bien, Riquet, si tu m'appelles
Monsieur parce qu'on s'est fringué... tu ne me
tutoies déjà plus... ». Fringué est
clairement un mot dit pour se mettre à la portée
de Riquet. Celui-ci le sent. Il dit que ce n'est
pas parce qu'on s'est rhabillé, et il souligne de
la voix le rhabillé, qu'il dit monsieur à Roger...
et le nom de Roger tombe comme un raffinement
d'amabilité, tandis qu'Aurélien en rougit un
peu... mais s'il lui dit monsieur Roger, c'est
parce que Roger est un monsieur, voilà tout : on
n'y peut rien, on est un monsieur ou on n'est pas
un monsieur... Tout de même, intéressé, il
retrouve le tutoiement pour lui dire : « Mais
alors, explique un peu... Tu ne fais rien, rien du
tout toute la journée ?... vrai ?... A quoi alors
tu passes ton temps ? Moi, je ne pourrais pas.
J'ai été chômeur... Il faut de la santé pour être
chômeur toute la vie... ».
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Questions
:
a) Commentez la position du narrateur.
b) Comment se manifestent les obstacles que
rencontre la communication entre ces deux
personnages ? |
Le texte d'Aragon relève
clairement d'un propos social : il met en scène une
rencontre fortuite de deux personnages que tout sépare
et laisse le lecteur apprécier leurs difficultés à
communiquer. Sans formuler de conclusion explicite, le
narrateur évoque une opposition de classes où nos deux
héros se trouvent piégés.
Les deux questions aiguillent sur les
points essentiels : on caractérisera d'abord la place
occupée par le narrateur, capable d'entrer dans le
monologue intérieur de chacun des protagonistes, puis on
constatera la nature du discours rapporté. Un plan
thématique dégagera ensuite deux axes de lecture qu'on
pourra construire ainsi (complétez le tableau par vos
relevés) :
Exemple 1 :
Une fable est pour l'essentiel constituée d'un récit où
sont mis en scènes des caractères. Cette
observation de départ peut suffire à diriger votre plan :
dans chacun des axes de lecture, les remarques portent sur
les formes les plus constantes du discours narratif, qui,
appliquées à cette fable précise, vous en feront percevoir
les spécificités.
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Jean
de LA FONTAINE
Le Chêne et
le Roseau
Fables
, Livre I, XXII (1668).
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10
15
20
25
30 |
Le Chêne un jour dit au Roseau :
« Vous avez bien sujet d'accuser la nature ;
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête,
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du Soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est Aquilon ; tout me semble Zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l'orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
— Votre compassion, lui répondit l'Arbuste,
Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci :
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables ;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. » Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au Ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'Empire des Morts. |
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ORGANISATION
DES REMARQUES
I/ L'art du
récit :
a- l'enjeu
dramatique :
- la composition de la fable (dialogue puis récit) obéit à
un schéma narratif classique (élément perturbateur : le
vent, dont le thème domine toute la fable). La placidité avisée
du Roseau (attendons la fin) crée la tension
dramatique.
- la double énonciation prépare aussi le lecteur : pesante
argumentation du Chêne (mots de liaison) brossant un
personnage dont on ne peut qu'attendre la punition.
b- les rythmes :
- le jeu sur les rythmes trouve une valeur narrative dès
le vers 24 : les coupes de l'alexandrin suggèrent la
soudaineté, la violence ou l'effort (vers 29-30); la
césure de l'octosyllabe (vers 28) maintient dans
l'incertitude du dénouement. L'ampleur majestueuse de
l'alexandrin suggère le caractère mythologique de la
Justice (vers 27) et la force de la leçon (vers 31-32).
c- les temps :
- valeur des temps : le passé simple est uniquement
déclaratif (vers 1, 18), l'imparfait n'intervient qu'au
dénouement pour témoigner d'une grandeur disparue. Le
présent de narration domine donc le texte : valeur
générale et mythologique de l'apologue, mais surtout durée
d'une action dont le narrateur laisse planer l'incertitude
du dénouement (vers 28). Le présent accentue aussi la
violence ou l'effort de l'action (vers 29-30).
- le temps du mythe : le présent (un jour). Une
fable sans moralité car, comme dans le mythe, la leçon se
tire d'elle-même. Le récit prend donc la dimension morale
d'un apologue.
II/
L'observation psychologique :
a-
peinture des caractères :
- orgueil, majesté du Chêne (rythmes, vocabulaire, pronoms
personnels, comparaisons, parallélismes), à quoi répondent
la simplicité, le réalisme du Roseau (sobriété des
formules, concision, sous-entendus).
- utilisation très soignée, souvent imitative, des
différents types de vers : l'alexandrin solennel du Chêne
(vers 7, 16) fige le personnage dans son orgueil; les
coupes de l'alexandrin du Roseau (vers 21), l'octosyllabe,
le rendent plus mobile. La leçon même de la fable est déjà
dite dans cette opposition.
b- théâtralité de la scène :
- pas de point de vue du narrateur jusqu'au vers 24 qui
favorise la double énonciation théâtrale (voir ce que les
personnifications indiquent de l'intention du fabuliste).
- opposition qui fortifie l'enjeu dramatique : les
diverses formes de l'ironie (condescendance, fausse
compassion du Chêne exprimées par les conditionnels, les
oppositions qui ne servent qu'à le valoriser ; ironie
placide du Roseau, assurance du ton qui laisse deviner le
dénouement).
c- l'intention morale :
- les personnifications dépassent le plan végétal, ainsi
que la peinture morale (anthropomorphisme). Celle du vent
du Nord incarne une sorte de justice divine.
- les périphrases (surtout aux vers 31-32), les références
antiques (aquilon, royaumes du Vent, empire des morts)
déplacent le propos dans l'intemporalité.
- le point de vue : un narrateur omniscient, faussement
objectif (voir double énonciation). Les vers 31-32
manifestent un registre ironique, presque didactique, qui
rend la moralité inutile.
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5
10
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Tout
m'ennuie aujourd'hui. J'écarte mon rideau.
En haut ciel gris rayé d'une éternelle pluie.
En bas la rue où dans une brume de suie
Des ombres vont, glissant parmi les flaques
d'eau.
Je regarde sans voir fouillant mon vieux
cerveau,
Et machinalement sur la vitre ternie
Je fais du bout du doigt de la calligraphie.
Bah! sortons, je verrai peut-être du nouveau.
Pas de livres parus. Passants bêtes. Personne.
Des fiacres, de la boue, et l'averse toujours...
Puis le soir et le gaz
et je rentre à pas lourds...
Je mange, et bâille, et lis, rien ne me
passionne...
Bah ! Couchons-nous. - Minuit. Une heure. Ah !
chacun dort !
Seul je ne puis dormir et je m'ennuie encor.
7 novembre 1880
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Nous
vous proposons ici d'organiser le commentaire de ce poème de Jules Laforgue.
Vous pourrez vous reporter tout d'abord à sa lecture analytique, que nous
avons proposée dans la section consacrée au parcours du poète.
Celle-ci nous a orientés vers une problématique
d'étude (tradition et modernité) dont nous
décomposerons les éléments de réponse en deux
grands axes : l'aspect traditionnel du poème et
de son inspiration (baudelairienne notamment),
puis son aspect original.
Vous trouverez ci-dessous le
tableau d'organisation à moitié rempli : à vous
d'achever ce travail, en remplissant les
rubriques que vous trouverez vides (pour chacune
d'elles, les cases Idées directrices,
Procédés relevés et Interprétation
sont alternativement remplies).
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