LES
SUJETS DE L’ EAF
2018 - suite
-PAYS
DU GROUPE 1
SÉRIE L
Objet
d'étude : Les réécritures, du XVIIe siècle à nos jours.
Corpus
:
Annexe :
Extrait de L’Odyssée d’Homère, trad. Philippe
Jaccottet, 2004.
Texte A : Fénelon, Les Aventures de Télémaque, 1699.
Texte B : Louis Aragon, Les Aventures de Télémaque,
1922.
Annexe : Extrait de L’Odyssée d’Homère, trad. Philippe
Jaccottet, 2004.
[Ulysse, lors de
son voyage de retour à Ithaque, arrive sur l’île de la nymphe
Calypso1.]
Mais lorsqu'il arriva
dans l'île très lointaine,
quittant la mer couleur de violette, il gagna
la terre ferme, et atteignit une grotte où la nymphe
aux belles boucles demeurait ; il la trouva chez elle.
Sur le foyer brûlait un grand feu, et l'odeur très loin
du cèdre et du thuya bien sec se consumant
parfumait l'île. A l’intérieur, chantant à belle voix,
elle faisait courir la navette d’or sur la toile.
Un bois avait poussé près de la grotte avec richesse :
des peupliers, des aunes, des cyprès qui sentent bon.
Là, des oiseaux de vaste envergure nichaient,
des chouettes, des éperviers, de criardes corneilles,
oiseaux de mer dont les travaux sont sur les mers ;
là, tapissant l’entrée de la profonde grotte,
sous le poids de ses grappes, une jeune vigne montait ;
là, quatre sources surgissant en même lieu
dans quatre directions faisaient ruisseler leur eau blanche ;
tout autour fleurissaient de tendres prés de violettes
et de persil. En un tel lieu survenu, même un dieu
se fût senti émerveillé et plein de joie…
1 Calypso : nymphe qui accueillit Ulysse
après son naufrage. Amoureuse de lui, elle le retint sept ans dans sa
grotte enchantée.
Texte
A : Fénelon, Les Aventures de Télémaque, 1699.
[Fénelon écrit Les
Aventures de Télémaque (1699) pour instruire le Duc de Bourgogne –
petit-fils de Louis XIV– dont il est le précepteur. Il imagine les
aventures de Télémaque, fils d’Ulysse, parti avec son précepteur et
protecteur Mentor, à sa recherche. Jetés par la tempête, ils
arrivent dans l’île de la nymphe Calypso.]
[…] Calypso, étonnée et
attendrie de voir dans une si vive jeunesse tant de sagesse et
d’éloquence, ne pouvait rassasier ses yeux en le regardant ; et elle
demeurait en silence. Enfin elle lui dit : Télémaque, nous vous
apprendrons ce qui est arrivé à votre père. Mais l’histoire en est
longue : il est temps de vous délasser de tous vos travaux. Venez dans
ma demeure, où je vous recevrai comme mon fils : venez ; vous serez ma
consolation dans cette solitude, et je ferai votre bonheur, pourvu que
vous sachiez en jouir.
Télémaque suivait la déesse accompagnée d’une foule de jeunes nymphes,
au-dessus desquelles elle s’élevait de toute la tête, comme un grand
chêne, dans une forêt, élève ses branches épaisses au-dessus de tous
les arbres qui l’environnent. Il admirait l’éclat de sa beauté, la
riche pourpre de sa robe longue et flottante, ses cheveux noués par
derrière négligemment, mais avec grâce, le feu qui sortait de ses
yeux, et la douceur qui tempérait cette vivacité. Mentor, les yeux
baissés, gardant un silence modeste, suivait Télémaque.
On arriva à la porte de la grotte de Calypso, où Télémaque fut
surpris de voir, avec une apparence de simplicité rustique, des objets
propres à charmer les yeux. Il est vrai qu’on n’y voyait ni or, ni
argent, ni marbre, ni colonnes, ni tableaux, ni statues : mais cette
grotte était taillée dans le roc, en voûte pleine de rocailles et de
coquilles ; elle était tapissée d’une jeune vigne qui étendait ses
branches souples également de tous côtés. Les doux zéphyrs1
conservaient en ce lieu, malgré les ardeurs du soleil, une délicieuse
fraîcheur : des fontaines, coulant avec un doux murmure sur des prés
semés d’amarantes2 et de violettes, formaient en divers
lieux des bains aussi purs et aussi clairs que le cristal : mille
fleurs naissantes émaillaient les tapis verts dont la grotte était
environnée. Là on trouvait un bois de ces arbres touffus qui portent
des pommes d’or, et dont la fleur, qui se renouvelle dans toutes les
saisons, répand le plus doux de tous les parfums ; ce bois semblait
couronner ces belles prairies, et formait une nuit que les rayons du
soleil ne pouvaient percer. Là on n’entendait jamais que le chant des
oiseaux ou le bruit d’un ruisseau, qui, se précipitant du haut d’un
rocher, tombait à gros bouillons pleins d’écume, et s’enfuyait au
travers de la prairie.
La grotte de la déesse était sur le penchant d'une colline. De
là on découvrait la mer, quelquefois claire et unie comme une glace,
quelquefois follement irritée contre les rochers, où elle se brisait
en gémissant, et élevant ses vagues comme des montagnes. D'un autre
côté, on voyait une rivière où se formaient des îles bordées de
tilleuls fleuris et de hauts peupliers qui portaient leurs têtes
superbes jusque dans les nues. Les divers canaux qui formaient ces
îles semblaient se jouer dans la campagne : les uns roulaient
leurs eaux claires avec rapidité ; d'autres avaient une eau paisible
et dormante ; d'autres, par de longs détours, revenaient sur leurs
pas, comme pour remonter vers leur source, et semblaient ne pouvoir
quitter ces bords enchantés. On apercevait de loin des collines et des
montagnes qui se perdaient dans les nues, et dont la figure bizarre
formait un horizon à souhait pour le plaisir des yeux. Les montagnes
voisines étaient couvertes de pampre vert qui pendait en festons : le
raisin, plus éclatant que la pourpre, ne pouvait se cacher sous les
feuilles, et la vigne était accablée sous son fruit. Le figuier,
l'olivier, le grenadier, et tous les autres arbres couvraient la
campagne, et en faisaient un grand jardin.
Calypso, ayant montré à Télémaque toutes ces beautés
naturelles, lui dit : Reposez-vous ; vos habits sont mouillés, il est
temps que vous en changiez : ensuite nous nous reverrons ; et je vous
raconterai des histoires dont votre cœur sera touché. En même temps
elle le fit entrer avec Mentor dans le lieu le plus secret et le plus
reculé d’une grotte voisine de celle où la déesse demeurait. Les
nymphes avaient eu soin d’allumer en ce lieu un grand feu de bois de
cèdre, dont la bonne odeur se répandait de tous côtés ; et elles y
avaient laissé des habits pour les nouveaux hôtes.
Télémaque, voyant qu’on lui avait désigné une tunique d’une
laine fine dont la blancheur effaçait celle de la neige, et une robe
de pourpre avec une broderie d’or, prit le plaisir qui est naturel à
un jeune homme, en considérant cette magnificence.
Mentor lui dit d’un ton grave : Est-ce donc là, ô Télémaque, les
pensées qui doivent occuper le cœur du fils d’Ulysse ? Songez plutôt
à soutenir la réputation de votre père, et à vaincre la fortune qui
vous persécute3. Un jeune homme qui aime à se parer
vainement, comme une femme, est indigne de la sagesse et de la gloire
: la gloire n’est due qu’à un cœur qui sait souffrir la peine et
fouler aux pieds les plaisirs.
Télémaque répondit en soupirant : Que les dieux me fassent périr
plutôt que de souffrir que la mollesse et la volupté s’emparent de mon
cœur ! Non, non, le fils d’Ulysse ne sera jamais vaincu par les
charmes d’une vie lâche et efféminée4. Mais quelle faveur
du ciel nous a fait trouver, après notre naufrage, cette déesse ou
cette mortelle qui nous comble de biens ?
Craignez, repartit Mentor, qu’elle ne vous accable de maux ; craignez
ses trompeuses douceurs plus que les écueils qui ont brisé votre
navire : le naufrage et la mort sont moins funestes que les plaisirs
qui attaquent la vertu. Gardez-vous bien de croire ce qu’elle vous
racontera. La jeunesse est présomptueuse, elle se promet tout
d’elle-même : quoique fragile, elle croit pouvoir tout, et n’avoir
jamais rien à craindre ; elle se confie légèrement et sans précaution.
Gardez-vous d’écouter les paroles douces et flatteuses de Calypso, qui
se glisseront comme un serpent sous les fleurs ; craignez le poison
caché ; défiez-vous de vous-même, et attendez toujours mes conseils.
1 zéphyr : vent d’ouest, doux et agréable.
2 amarante : plante dont les fleurs sont d’un rouge pourpre velouté
3 la fortune qui vous persécute : le destin qui vous accable.
4 efféminée : dans le lexique de l’époque, ces termes désignent une
vie oisive, de paresse.
Texte B : Louis Aragon, Les
Aventures de Télémaque, 1922.
La grotte de la
déesse s'ouvrait au penchant d'un coteau. Du seuil, on dominait la
mer, plus déconcertante que les sautes du temps multicolore entre les
rochers taillés à pic, ruisselants d'écume, sonores comme des tôles
et, sur le dos des vagues, les grandes claques de l'aile des
engoulevents1. Du côté de l'île s'étendaient des régions
surprenantes : une rivière descendait du ciel et s'accrochait en
passant à des arbres fleuris d'oiseaux ; des chalets et des temples,
des constructions inconnues, échafaudages de métal, tours de briques,
palais de carton, bordaient, soutache2 lourde et tordue,
des lacs de miel, des mers intérieures, des voies triomphales ; des
forêts pénétraient en coin dans des villes impossibles, tandis que
leurs chevelures se perdaient parmi les nuages ; le sol se fendait
par-ci par-là au niveau de mines précieuses d'où jaillissait la
lumière du paysage ; le grand air disloquait les montagnes et des
nappes de feu dansaient sur les hauteurs ; les lampes-pigeons3chantaient
dans les volières et, parmi les tombeaux, les bâtiments, les
vignobles, des animaux plus étranges que le rêve se promenaient avec
lenteur. Le décor se continuait à l'horizon avec des cartes de
géographie et les portants peu d'aplomb d'une chambre Louis-Philippe4
où dormaient des anges blonds et chastes comme le jour.
Lorsqu'elle lui eut montré toutes ces beautés naturelles, Calypso dit
à Télémaque : « Vous trouverez ici des lits de repos et les vêtements
qui vous conviennent. Quand vous aurez usé des uns et des autres, vous
viendrez me voir : je vous promets des récits qui toucheront votre
cœur. »
En même temps, elle l'introduisait avec Mentor dans un retrait voisin
de la grotte où elle demeurait. Il y régnait un climat merveilleux :
les objets y dégageaient de la lumière. Des habits de neige, tuniques
subtiles de sentiments, robes de sensualités, ceintures captieuses5,
attendaient les nouveaux hôtes dans ce lieu. Comme Télémaque
s'attardait à toucher les tissus, à constater leur légèreté
incomparable, Mentor se mit à rire avec un bruit de crécelle6
:
« Télémaque, retrouverez-vous un jour votre père, si vous vous
laissez émouvoir par la finesse d'une étoffe ? Une laine n'est pas
plus belle qu'une autre, une laine n'est pas plus laine qu'une autre :
les erreurs ne résident que dans nos jugements.
Inductions7 continues de notre expérience à la généralité
des cas, sophismes8 plus délicats que ces trames, voilà la
vie et ses mensonges. Pourquoi se plaindre des phénomènes, quand nous
ne tombons dupes que de notre peine ou de notre plaisir ?
— L'entraînement qui porte un jeune homme, répondit Télémaque
avec un soupir, à se réjouir ou à se plaindre, votre ricanement le
limite. Abolir la faculté de réflexe, j'y songe tout de même un peu.
Mais les mannequins ne se contrôlent pas : le mécanisme ou la
maîtrise de soi, je me perds entre ces deux pôles. Dès qu'on obéit,
s'obéit-on ? Le refus de soumission, l'ordre le détermine. Vous me
tendez la main, mon poing se serre et se retire : c'est encore une
politesse. Le geste dont je parle me rappelle la mort : nous vivons
par civilité. Mais que cette dame est aimable, Mentor, qu'elle a de
bontés envers nous !
— Si vous l'aimez, Ulysse vous fait faux-bond, pensez-y.
S'attacher ou se fuir, je n'en vois pas la différence. Nous admirons à
proportion de notre stupidité, nous chérissons dans la mesure de notre
ignorance. Les pavots9 des paroles endorment les cœurs
neufs. Prenez garde aux contes du désir. Du désir de l'autre ou du
sien, comment décider quel est le plus dangereux ? »
1 engoulevent : espèce d’oiseau.
2 soutache : ruban étroit et plat.
3 lampe-pigeon : type de lampe inventé par Charles Pigeon à la fin du
XIXe siècle.
4 chambre Louis-Philippe : style de mobilier bourgeois en vogue en
France au XIXe siècle.
5 captieuses : trompeuses.
6 crécelle : instrument de musique au son désagréable.
7 induction : raisonnement qui conduit de cas particuliers à une loi
générale.
8 sophisme : raisonnement qui se veut rigoureux, alors qu’il est faux.
9 pavot : fleur qui a des propriétés somnifères.
I -
Vous répondrez à la question posée en vous appuyant avec précision
sur les trois textes du corpus (4 points) :
Dans
l'annexe, extrait de l'Odyssée d'Homère, c'est Ulysse qui rencontre
Calypso. Quel intérêt Fénelon (texte A) et Louis Aragon (texte B)
trouvent-ils à placer Télémaque et Mentor dans la même situation ?
II -
Travail d'écriture (16 points) :
- Commentaire
Vous commenterez du début jusqu'à « nos jugements
» le texte de Louis Aragon (texte B).
- Dissertation
« Tout le monde imite, tout le monde ne le dit pas ».
Pensez-vous, comme l'a déclaré Aragon dans la préface du recueil
poétique Les Yeux d'Elsa (1942), que toute écriture
emprunte à la littérature antérieure ?
Vous répondrez à cette question en vous fondant sur les
textes du corpus, ainsi que sur les textes et les œuvres que vous
avez lus et étudiés.
- Invention
Vous êtes écrivain et vous souhaitez écrire un roman
en transposant les aventures de Télémaque dans le monde
d'aujourd'hui. Vous imaginez l'épisode de la rencontre des trois
personnages dans un équivalent moderne de la grotte de Calypso.
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de page
-PAYS
DU GROUPE 1
SÉRIES ES / S
Objet
d'étude : Le texte théâtral et sa représentation, du XVIIème
siècle à nos jours.
Corpus
:
Texte A :
MARIVAUX, Les Fausses confidences, Acte I scène 14
(1737)
1631.
Texte B : BEAUMARCHAIS, Le Barbier de Séville, Acte II
scène 2, 1775.
Texte C : FEYDEAU, Occupe-toi d'Amélie, Acte I scène
10, 1911.
Texte A : MARIVAUX, Les Fausses confidences, Acte I scène
14 (1737).
[Dorante est
amoureux d'Araminte. Sur les conseils de Dubois, son ancien valet,
maintenant au service d'Araminte, il s'est fait engager auprès
d'elle comme intendant. Dubois, dans cette scène, joue le rôle
d'intermédiaire.]
DUBOIS. — Il1
vous adore ; il y a six mois qu’il n’en vit point, qu’il donnerait sa
vie pour avoir le plaisir de vous contempler un instant. Vous avez dû
voir qu’il a l’air enchanté, quand il vous parle.
ARAMINTE. —
Il y a bien, en effet, quelque petite chose qui m’a paru
extraordinaire. Eh ! juste ciel ! le pauvre garçon, de quoi
s’avise-t-il ?
DUBOIS. –
Vous ne croiriez pas jusqu’où va sa démence ; elle le ruine, elle lui
coupe la gorge. Il est bien fait, d’une figure passable, bien élevé et
de bonne famille ; mais il n’est pas riche ; et vous saurez qu’il n’a
tenu qu’à lui d’épouser des femmes qui l’étaient, et de fort aimables,
ma foi, qui offraient de lui faire sa fortune, et qui auraient mérité
qu’on la leur fît à elles-mêmes. Il y en a une qui n’en saurait
revenir, et qui le poursuit encore tous les jours. Je le sais, car je
l’ai rencontrée.
ARAMINTE, avec négligence. —
Actuellement ?
DUBOIS. —
Oui, madame, actuellement ; une grande brune très piquante2,
et qu’il fuit. Il n’y a pas moyen ; Monsieur refuse tout. « Je les
tromperais, me disait-il ; je ne puis les aimer, mon cœur est parti. »
Ce qu’il disait quelquefois la larme à l’œil ; car il sent bien son
tort.
ARAMINTE. —
Cela est fâcheux ; mais où m’a-t-il vue avant de venir chez moi,
Dubois ?
DUBOIS. —
Hélas ! madame, ce fut un jour que vous sortîtes de l’Opéra, qu’il
perdit la raison. C’était un vendredi, je m’en ressouviens ; oui, un
vendredi ; il vous vit descendre l’escalier, à ce qu’il me raconta, et
vous suivit jusqu’à votre carrosse. Il avait demandé votre nom, et je
le trouvai qui était comme extasié ; il ne remuait plus.
ARAMINTE. —
Quelle aventure !
DUBOIS. —
J’eus beau lui crier : « Monsieur ! » Point de nouvelles, il n’y avait
personne au logis. À la fin, pourtant, il revint à lui avec un air
égaré ; je le jetai dans une voiture, et nous retournâmes à la maison.
J’espérais que cela se passerait ; car je l’aimais : c’est le meilleur
maître ! Point du tout, il n’y avait plus de ressource. Ce bon sens,
cet esprit jovial, cette humeur charmante, vous aviez tout expédié ;
et dès le lendemain nous ne fîmes plus tous deux, lui, que rêver à
vous, que vous aimer ; moi, qu’épier depuis le matin jusqu’au soir où
vous alliez.
ARAMINTE. —
Tu m’étonnes à un point !…
DUBOIS. —
Je me fis même ami d’un de vos gens qui n’y est plus, un garçon fort
exact, qui m’instruisait, et à qui je payais bouteille. « C’est à la
Comédie qu’on va », me disait-il ; et je courais faire mon rapport,
sur lequel, dès quatre heures, mon homme était à la porte. C’est chez
Madame celle-ci, c’est chez Madame celle-là ; et, sur cet avis, nous
allions toute la soirée habiter la rue, ne vous déplaise, pour voir
Madame entrer et sortir, lui dans un fiacre, et moi derrière, tous
deux morfondus et gelés, car c’était dans l’hiver ; lui ne s’en
souciant guère, moi jurant par-ci par-là pour me soulager.
ARAMINTE. —
Est-il possible ?
DUBOIS. —
Oui, Madame. À la fin, ce train de vie m’ennuya ; ma santé s’altérait,
la sienne aussi. Je lui fis accroire3 que vous étiez à la
campagne ; il le crut, et j’eus quelque repos. Mais n’alla-t-il pas,
deux jours après, vous rencontrer aux Tuileries, où il avait été
s’attrister de votre absence ! Au retour, il était furieux ; il voulut
me battre, tout bon qu’il est ; moi, je ne le voulus point, et je le
quittai. Mon bonheur ensuite m’a mis chez Madame, où, à force de se
démener, je le trouve parvenu à votre intendance ; ce qu’il ne
troquerait pas contre la place de l’empereur.
ARAMINTE. —
Y a-t-il rien de si particulier ? Je suis si lasse d’avoir des gens
qui me trompent, que je me réjouissais de l’avoir parce qu’il a de la
probité4. Ce n’est pas que je sois fâchée ; car je suis
bien au-dessus de cela.
DUBOIS. —
Il y aura de la bonté à le renvoyer. Plus il voit Madame, plus il
s’achève.
ARAMINTE. —
Vraiment, je le renverrais bien ; mais ce n’est pas là ce qui le
guérira. Je ne sais que dire à M. Rémy qui me l’a recommandé, et ceci
m’embarrasse. Je ne vois pas trop comment m’en défaire honnêtement.
DUBOIS. —
Oui ; mais vous ferez un incurable, Madame.
ARAMINTE, vivement. —
Oh ! tant pis pour lui ; je suis dans des circonstances où je ne
saurais me passer d’un intendant. Et puis, il n’y a pas tant de risque
que tu le crois. Au contraire, s’il y avait quelque chose qui pût
ramener cet homme, c’est l’habitude de me voir plus qu’il n’a fait ;
ce serait même un service à lui rendre.
DUBOIS. —
Oui ; c’est un remède bien innocent.
[...]
1 Il : Dorante.
2 piquante : charmante.
3 accroire : croire.
4 probité : honnêteté.
Texte
B : BEAUMARCHAIS, Le Barbier
de Séville, Acte II scène 2, 1775.
[Bartholo retient
chez lui Rosine, jeune femme innocente qu'il a enlevée et qui lui
est promise. Lindor, qui l'a aperçue à sa fenêtre, est tombé
amoureux d'elle. Il charge son valet Figaro de jouer les
intermédiaires en révélant ses sentiments à la jeune fille.]
ROSINE. —
Avec qui parliez-vous donc là-bas si vivement ? Je n’entendais pas :
mais…
FIGARO. —
Avec un jeune bachelier1 de mes parents, de la plus grande
espérance ; plein d’esprit, de sentiments, de talents, et d’une figure
fort revenante.
ROSINE. —
Oh ! tout à fait bien, je vous assure ! il se nomme…
FIGARO. —
Lindor. Il n’a rien : mais, s’il n’eût pas quitté brusquement Madrid,
il pouvait y trouver quelque bonne place.
ROSINE, étourdiment. —
Il en trouvera, monsieur Figaro, il en trouvera. Un jeune homme tel
que vous le dépeignez n’est pas fait pour rester inconnu.
FIGARO, à part. —
Fort bien. (Haut.) Mais il a un grand défaut, qui nuira
toujours à son avancement.
ROSINE. —
Un défaut, monsieur Figaro ! un défaut ! En êtes-vous bien sûr ?
FIGARO. —
Il est amoureux.
ROSINE. —
Il est amoureux ! et vous appelez cela un défaut ?
FIGARO. —
À la vérité, ce n’en est un que relativement à sa mauvaise fortune.
ROSINE. —
Ah ! que le sort est injuste ! et nomme-t-il la personne qu’il aime ?
Je suis d’une curiosité…
FIGARO. —
Vous êtes la dernière, Madame, à qui je voudrais faire une confidence
de cette nature.
ROSINE, vivement. —
Pourquoi, monsieur Figaro ? je suis discrète ; ce jeune homme vous
appartient, il m’intéresse infiniment… dites donc.
FIGARO, la regardant finement. —
Figurez-vous la plus jolie petite mignonne, douce, tendre, accorte2
et fraîche, agaçant l’appétit ; pied furtif, taille adroite, élancée,
bras dodus, bouche rosée, et des mains ! des joues ! des dents ! des
yeux !…
ROSINE. —
Qui reste en cette ville ?
FIGARO. —
En ce quartier.
ROSINE. —
Dans cette rue peut-être ?
FIGARO. —
À deux pas de moi.
ROSINE. —
Ah ! que c’est charmant… pour monsieur votre parent ! Et cette
personne est…
FIGARO. —
Je ne l’ai pas nommée ?
ROSINE, vivement. —
C’est la seule chose que vous ayez oubliée, monsieur Figaro. Dites
donc, dites donc vite ; si l’on rentrait, je ne pourrais plus savoir…
FIGARO. —
Vous le voulez absolument, Madame ? Eh bien ! cette personne est… la
pupille3 de votre tuteur.
ROSINE. —
La pupille…
FIGARO. —
Du docteur Bartholo ; oui, Madame.
ROSINE, avec émotion. —
Ah ! monsieur Figaro !… je ne vous crois pas, je vous assure.
FIGARO. —
Et c’est ce qu’il brûle de venir vous persuader lui-même.
ROSINE. —
Vous me faites trembler, monsieur Figaro.
FIGARO. —
Fi donc, trembler ! mauvais calcul, Madame ; quand on cède à la peur
du mal, on ressent déjà le mal de la peur. D’ailleurs, je viens de
vous débarrasser de tous vos surveillants jusqu’à demain.
ROSINE. —
S’il m’aime, il doit me le prouver en restant absolument tranquille.
FIGARO. —
Eh, Madame ! amour et repos peuvent-ils habiter en même cœur ? La
pauvre jeunesse est si malheureuse aujourd’hui, qu’elle n’a que ce
terrible choix : amour sans repos, ou repos sans amour.
ROSINE, baissant les yeux. —
Repos sans amour… paraît…
FIGARO. —
Ah ! bien languissant4. Il semble, en effet, qu’amour sans
repos se présente de meilleure grâce : et pour moi, si j’étais femme…
ROSINE, avec embarras. —
Il est certain qu’une jeune personne ne peut empêcher un honnête homme
de l’estimer.
FIGARO. —
Aussi mon parent vous estime-t-il infiniment.
ROSINE. —
Mais s’il allait faire quelque imprudence, monsieur Figaro, il nous
perdrait.
FIGARO, à part. —
Il nous perdrait ! (Haut.) Si vous le lui défendiez
expressément par une petite lettre… Une lettre a bien du pouvoir.
ROSINE lui donne la lettre qu’elle vient d’écrire. —
Je n’ai pas le temps de recommencer celle-ci ; mais en la lui donnant,
dites-lui… dites-lui bien…
(Elle écoute.)
FIGARO. —
Personne, Madame.
ROSINE. —
Que c’est par pure amitié tout ce que je fais.
FIGARO. —
Cela parle de soi. Tudieu5 ! l’amour a bien une autre
allure !
1 bachelier : jeune homme de bonne
famille, célibataire. En réalité, Lindor est le comte Almaviva,
déguisé en pauvre jeune homme afin de se faire aimer pour lui-même.
2 accorte : aimable.
3 pupille : personne mineure placée sous l'autorité d'un tuteur.
4 languissant : ici, maladif
5 Tudieu : juron.
Texte C : FEYDEAU, Occupe-toi
d'Amélie, Acte I scène 10, 1911.
[Le général
Koschnadieff est envoyé auprès d'Amélie par le prince Nicolas de
Palestrie pour lui obtenir un rendez-vous avec cette dernière.]
AMÉLIE, KOSCHNADIEFF
AMÉLIE, paraissant
à la baie1 et descendant par la droite du
canapé. — Monsieur ?
KOSCHNADIEFF, s'inclinant et se présentant. — Général
Koschnadieff !
(Amélie lui indique le canapé pour l'inviter à s'asseoir près
d'elle; du geste, il décline respectueusement cet honneur et, allant
jusqu'au piano sur lequel il dépose son chapeau, il prend la chaise
qu'il descend près du canapé. Se présentant à nouveau.) Général
Koschnadieff, premier aide de camp de Son Altesse Royale le prince
Nicolas de Palestrie.
Sur un nouveau signe d'Amélie, il s'assied sur la chaise qu'il a
descendue.
AMÉLIE. — Oh ! Général, très honorée, mais...?
KOSCHNADIEFF. — C'est Son Altesse qui m'envoie vers vous.
AMÉLIE, étonnée. — Son Altesse ?
KOSCHNADIEFF. — Le prince est donc très amoureux de vous.
AMÉLIE. — De moi ?... comment ? Mais Son Altesse ne me connaît pas.
KOSCHNADIEFF. — Je vous demande pardon ! Vous étiez bien une fois au
gala du Français2, lors de la dernière visite officielle du
prince à Paris ?... Aux fauteuils de l'orchestre ?
AMÉLIE. — En effet, mais...
KOSCHNADIEFF. — Eh bien ! le prince vous a remarquée.
AMÉLIE, très flattée. — Moi ! non, vraiment ? Oh !
KOSCHNADIEFF .— Certes !... Il a même demandé au Président de la
République qui vous étiez !
AMÉLIE, n'en croyant pas ses oreilles. — Non ?
KOSCHNADIEFF. — Mais le Président n'a pas pu le renseigner.
AMÉLIE. — Ah ?
KOSCHNADIEFF. — Non !
AMÉLIE. — Tiens !
KOSCHNADIEFF. — Alors, nous avons délégué un attaché de l'ambassade,
qui s'est mis en rapport avec la police, laquelle, le lendemain, nous
a fait parvenir une fiche.
AMÉLIE, estomaquée. — Une... une fiche !
KOSCHNADIEFF, confirmant de la tête. — Une fiche. C'est comme
cela que le prince a eu la joie d'apprendre qui vous étiez.
AMÉLIE, aimable, mais vexée. — Ah ! c'est... c'est d'un
galant !
KOSCHNADIEFF. — Oh! Son Altesse est très éprise ! Elle a le pépin3...
comme vous dites! (Rapprochant sa chaise d'Amélie, et
confidentiellement, presque dans l'oreille.) Je crois que si
elle est revenue incognito, c'est beaucoup pour vous.
AMÉLIE. — A ce point !
KOSCHNADIEFF, hoche la tête affirmativement, puis — A ce !
Son Altesse est arrivée ce matin... En ce moment, elle fait la visite
au Président, qui la lui rendra un quart d'heure après; après quoi,
elle sera débarrassée !
AMÉLIE. — Oui, le fait est que ces petites cérémonies...!
KOSCHNADIEFF. — Qu'est-ce que vous voulez ? c'est le protocole ! (Revenant
à ses moutons.) Si je vous disais que la première chose que le
prince m'a dite en s'installant à l'hôtel - sur l'honneur ! - c'est
une parole d'amour pour vous.
AMÉLIE, sur un ton légèrement langoureux. — Le prince est
donc sentimental ?
KOSCHNADIEFF, élevant la main au-dessus de sa tête pour exprimer
l'immensité de la chose. — Très!... (Comme à l'appui de
son dire.) Il m'a dit : "Koschnadieff, mon bon ! Cours chez
elle et arrange-moi ça, hein ? Sur toi je compte !"
AMÉLIE, un peu estomaquée. — Ah ?... Ah ? Comme ça ?
KOSCHNADIEFF. — Positivement.
AMÉLIE, entre chair et cuir4. — Eh ! ben, mon
colon !
KOSCHNADIEFF. — Oh ! il est très amoureux ! (Changeant de ton.)
Et alors, voilà, je fais la démarche.
AMÉLIE, interloquée. — Ah ? Ah ! Alors c'est vous qui...
KOSCHNADIEFF, étonné de la surprise d'Amélie. — Quoi ?... on
dirait que je vous étonne ?...
AMÉLIE. — Du tout, du tout; seulement, n'est-ce pas...?
KOSCHNADIEFF. — Oui, je comprends ! c'est un peu délicat !... Vous
n'êtes peut-être pas habituée à ce genre de démarche !
AMÉLIE. — Oh ! c'est pas ça !... Vous pensez bien, n'est-ce pas ? Que
tous les jours... Seulement, tout de même, ordinairement, c'est pas un
général.
KOSCHNADIEFF. — Vraiment ?... Tiens, tiens, tiens !
AMÉLIE. — Non.
KOSCHNADIEFF. — Comme c'est curieux !
AMÉLIE. — Ah ?
KOSCHNADIEFF, avec fierté. — En Palestrie, c'est moi que
j'ai l'honneur d'être chargé !... (Comme raison de cette charge
:) Je suis l'aide de camp de Son Altesse !
AMÉLIE, s'inclinant avec un peu d'ironie. — Évidemment !
évidemment !
KOSCHNADIEFF, se levant comme mû par un ressort, et les deux
mains sur les hanches, bien en face d'Amélie. — Alors !...
dites-moi quoi ? Voyons !... quand ?
AMÉLIE, se levant également. — Quoi, quand ?
KOSCHNADIEFF, très à la hussarde. — Quelle nuit voulez-vous
?
AMÉLIE, avec un sursaut d'effarement. — Hein ? Ah! non, vous
savez ? Vous avez une façon de vous coller ça dans l'estomac !... Mais
je ne suis pas libre, général ! J'ai un ami !
[...]
1 la baie : porte-fenêtre.
2 Français : nom couramment donné à la Comédie-Française.
3 le pépin : pour "le béguin"; avoir un faible pour quelqu'un.
4 entre chair et cuir : à part.
I -
Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :
Quelles
stratégies ont en commun les intermédiaires dans les trois textes du
corpus ?
II -
Travail d'écriture (16 points) :
- Commentaire
Vous ferez le commentaire du texte de Marivaux (texte A).
- Dissertation
Au théâtre existe-t-il vraiment des personnages secondaires ?
Vous répondrez à cette question en vous fondant sur les textes du
corpus ainsi que sur les œuvres et les textes que vous avez lus et
étudiés.
- Invention
Imaginez le monologue de Rosine suite au départ de
Figaro (texte B).
Votre texte comportera une quarantaine de lignes au minimum.
haut
de page
POLYNÉSIE
SÉRIE L
Objet
d'étude : Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours.
Corpus
:
Texte A :
STENDHAL, La Chartreuse de Parme, Livre premier,
chapitre troisième, 1839.
Texte B : Henri BARBUSSE, Le Feu, chapitre XX, 1916.
Texte C : Laurent GAUDÉ, Cris, V, « Statues de boue »,
2001.
Texte D : Pierre LEMAITRE, Au revoir là-haut, chapitre
I, 2013.
Texte A : STENDHAL, La Chartreuse de Parme, Livre premier,
chapitre troisième, 1839.
Nous avouerons
que notre héros était fort peu héros en ce moment. Toutefois, la peur
ne venait chez lui qu'en seconde ligne; il était surtout scandalisé de
ce bruit qui lui faisait mal aux oreilles. L'escorte prit le galop; on
traversait une grande pièce de terre labourée, située au-delà du
canal, et ce champ était jonché de cadavres.
— Les habits rouges1 ! les habits rouges! criaient
avec joie les hussards de l'escorte, et d'abord Fabrice ne comprenait
pas ; enfin il remarqua qu'en effet presque tous les cadavres étaient
vêtus de rouge. Une circonstance lui donna un frisson d'horreur ; il
remarqua que beaucoup de ces malheureux habits rouges vivaient encore;
ils criaient évidemment pour demander du secours, et personne ne
s'arrêtait pour leur en donner. Notre héros, fort humain, se donnait
toutes les peines du monde pour que son cheval ne mît les pieds sur
aucun habit rouge. L'escorte s'arrêta; Fabrice, qui ne faisait pas
assez d'attention à son devoir de soldat, galopait toujours en
regardant un malheureux blessé.
— Veux-tu bien t'arrêter, blanc-bec ! lui cria le maréchal des logis.
Fabrice s'aperçut qu'il était à vingt pas sur la droite en avant des
généraux, et précisément du côté où ils regardaient avec leurs
lorgnettes. En revenant se ranger à la queue des autres hussards
restés à quelques pas en arrière, il vit le plus gros de ces généraux
qui parlait à son voisin, général aussi, d'un air d'autorité et
presque de réprimande; il jurait. Fabrice ne put retenir sa curiosité;
et, malgré le conseil de ne point parler, à lui donné par son amie la
geôlière, il arrangea une petite phrase bien française, bien correcte,
et dit à son voisin :
— Quel est-il ce général qui gourmande son voisin ?
— Pardi, c'est le maréchal !
— Quel maréchal ?
— Le maréchal Ney, bêta ! Ah çà ! où as-tu servi jusqu'ici ?
Fabrice, quoique fort susceptible, ne songea point à se fâcher de
l'injure; il contemplait, perdu dans une admiration enfantine, ce
fameux prince de la Moskova2, le brave des braves.
Tout à coup on partit au grand galop. Quelques instants après,
Fabrice vit, à vingt pas en avant, une terre labourée qui était remuée
d'une façon singulière. Le fond des sillons était plein d'eau, et la
terre fort humide, qui formait la crête de ces sillons, volait en
petits fragments noirs lancés à trois ou quatre pieds de haut. Fabrice
remarqua en passant cet effet singulier; puis sa pensée se remit à
songer à la gloire du maréchal. Il entendit un cri sec auprès de lui :
c'étaient deux hussards qui tombaient atteints par des boulets ; et,
lorsqu'il les regarda, ils étaient déjà à vingt pas de l'escorte. Ce
qui lui sembla horrible, ce fut un cheval tout sanglant qui se
débattait sur la terre labourée, en engageant ses pieds dans ses
propres entrailles; il voulait suivre les autres: le sang coulait dans
la boue.
Ah ! m'y voilà donc enfin au feu ! se dit-il. J'ai vu le feu !
se répétait-il avec satisfaction. Me voici un vrai militaire. À ce
moment, l'escorte allait ventre à terre, et notre héros comprit que
c'étaient des boulets qui faisaient voler la terre de toutes parts. Il
avait beau regarder du côté d'où venaient les boulets, il voyait la
fumée blanche de la batterie à une distance énorme, et, au milieu du
ronflement égal et continu produit par les coups de canon, il lui
semblait entendre des décharges beaucoup plus voisines; il n'y
comprenait rien du tout.
1 Habits rouges :
soldats britanniques.
2 Prince de la Moskova : la Moskova est un fleuve russe. Le titre de «
Prince de la Moskova» a été donné au Maréchal Ney par Napoléon
Texte B : Henri BARBUSSE, Le
Feu, chapitre XX, 1916.
Nous traversons
nos fils de fer par les passages. On ne tire encore pas sur nous. Des
maladroits font des faux pas et se relèvent. On se reforme de l'autre
côté du réseau, puis on se met à dégringoler la pente un peu plus
vite: une accélération instinctive s'est produite dans le mouvement.
Quelques balles arrivent alors entre nous. Bertrand nous crie
d'économiser nos grenades, d'attendre au dernier moment.
Mais le son de sa voix est emporté. Brusquement, devant nous,
sur toute la largeur de la descente, de sombres flammes s'élancent en
frappant l'air de détonations épouvantables. En ligne, de gauche à
droite, des fusants sortent du ciel, des explosifs sortent de la
terre. C'est un effroyable rideau qui nous sépare du monde, nous
sépare du passé et de l'avenir. On s'arrête, plantés au sol, stupéfiés
par la nuée soudaine qui tonne de toutes parts; puis un effort
simultané soulève notre masse et la rejette en avant, très vite. On
trébuche, on se retient les uns aux autres, dans de grands flots de
fumée. On voit, avec de stridents fracas et des cyclones de terre
pulvérisée, vers le fond, où nous nous précipitons pêle-mêle, s'ouvrir
des cratères çà et là, à côté les uns des autres, les uns dans les
autres. Puis on ne sait plus où tombent les décharges. Des rafales se
déchaînent si monstrueusement retentissantes qu'on se sent annihilé1
par le seul bruit de ces averses de tonnerre, de ces grandes étoiles
de débris qui se forment en l'air. On voit, on sent passer près de sa
tête des éclats avec leur cri de fer rouge dans l'eau. À un coup, je
lâche mon fusil, tellement le souffle d'une explosion m'a brûlé les
mains. Je le ramasse en chancelant et repars tête baissée dans la
tempête à lueurs fauves, dans la pluie écrasante des laves, cinglé par
des jets de poussier2 et de suie. Les stridences des éclats
qui passent vous font mal aux oreilles, vous frappent sur la nuque,
vous traversent les tempes, et on ne peut retenir un cri lorsqu'on les
subit. On a le cœur soulevé, tordu par l'odeur soufrée. Les souffles
de la mort nous poussent, nous soulèvent, nous balancent. On bondit;
on ne sait pas où on marche. Les yeux clignent, s'aveuglent et
pleurent. Devant nous, la vue est obstruée par une avalanche
fulgurante, qui tient toute la place.
1 Annihilé : détruit.
2 Poussier : poudre d'artillerie.
Texte
C : Laurent GAUDÉ, Cris, V, « Statues de boue »,
2001.
[Ce roman fait se
succéder les voix de soldats de la Première guerre mondiale.
Le soldat Marius est lancé à la poursuite de l'homme cochon, un
soldat devenu fou qui porte un masque à gaz. Ce dernier, perdu entre
les deux lignes de front, a tué le soldat Boris, qui est le camarade
de Marius.]
MARIUS
Je ne l'ai pas perdu des yeux. Je l'ai suivi sans cesse. Essayant
toujours de me rapprocher sans savoir si c'était pour le tuer ou pour
l'embrasser. L'important était de l'atteindre. Lorsque je l'aurai
rattrapé, tué ou ramené au monde, tout cela cessera. J'en suis sûr. Je
ne l'ai pas perdu des yeux mais soudain, à deux cents mètres, un obus
a explosé. C'était une grande pluie qui commençait. Les premières
gouttes d'un orage d'été. Les premières gouttes, lourdes et espacées,
qui s'écrasent au sol avec force et annoncent la violente giboulée1.
Il ne s'y est pas trompé. Il s'est mis à courir. Cherchant
probablement un endroit où se terrer, cherchant au milieu de cette
averse de feu une tanière ou un pauvre refuge. Je l'ai suivi. Je
n'oublierai jamais cette course hallucinée. Je suis Vulcain2
et chacun de mes talons qui heurte le sol fait éclater la terre et
gicler des milliers d'étincelles. Je suis Vulcain, haletant, et je
cours au milieu des détonations et du souffle chaud du métal. Je cours
dans le déluge crépitant. Je suis un lapin fou dans l'incendie et je
pourrais rire à gorge déployée si je n'étais pas si avare de mon
souffle. Mais l'homme-cochon ne doit pas m'échapper. Des milliers de
petites scories3 incandescentes me fouettent les flancs et
le visage, des milliers de petits gravats viennent cogner contre ma
face. Mais cela ne saurait m'arrêter. Je suis Vulcain et je suis en
chasse. Nous courons comme des dératés. Je ne le laisserai pas
m'échapper cette fois. Les explosions font rage et couvrent le bruit
de mes poumons éreintés. Je ne céderai pas. Jusqu'au bout. Au-delà de
la fatigue. Je n'écoute pas mon corps. Je courrai jusqu'à mourir. De
la terre me gicle au visage. Mais rien n'arrête ma course. Rien. Le
sol tremble sous mes pieds. Je ne sais pas ce que je veux. Je ne sais
pas ce qui va se passer lorsque je l'aurai rattrapé. Je cours. Même
mort, je continuerai à courir. À chaque enjambée, il me semble que la
terre se fend sous mon pied. Tout n'est que fournaise et tonnerre. Je
cours. Je me rapproche. Il sait que je le talonne. Il m'a vu. Il sait
que je suis à sa poursuite. Au milieu du souffle des obus, au milieu
des rafales de terre et des pluies de métal, je me concentre sur ma
proie. Je veux courir jusqu'au bout. Je me rapproche sans cesse. Il
devient moins rapide. Soudain un éclair claque dans mes tympans. Je
vois l'homme-cochon disparaître dans un nuage de feu. En une fraction
de seconde, je suis soufflé. Soulevé de terre. Le corps tout entier
projeté dans les airs puis plaqué contre terre et martelé de gravats.
Mort, j'ai pensé. Me voilà mort. Soufflé par un obus. Démembré dans
les airs. J'ai fermé les yeux et je n'ai plus pensé à rien.
1 Giboulée : averse
soudaine et violente.
2 Vulcain : dieu du feu.
3 Scories : petits fragments projetés ici par l'explosion.
Texte
D : Pierre LEMAITRE, Au revoir là-haut, chapitre 1,
2013.
[À la suite d'une
explosion, le soldat Albert a été enseveli.]
Ses doigts
touchent quelque chose de souple, pas de la terre, pas de l'argile,
c'est presque soyeux, avec du grain.
Il met du temps à comprendre de quoi il s'agit.
À mesure qu'il accommode, il discerne ce qu'il a en face de lui
: deux
gigantesques babines d'où s'écoule un liquide visqueux, d'immenses
dents jaunes, de grands yeux bleuâtres qui se dissolvent...
Une tête de cheval, énorme, repoussante, une monstruosité.
Albert ne peut réprimer un violent mouvement de recul. Son
crâne cogne contre la coquille, de la terre s'écroule de nouveau, lui
inonde le cou, il monte les
épaules pour se protéger, cesse de bouger, de respirer. Laisse passer
les secondes.
L'obus, en trouant le sol, a déterré un de ces innombrables canassons1
morts qui pourrissent sur le champ de bataille et vient d'en livrer
une tête à Albert. Les voici face à face, le jeune homme et le cheval
mort, presque à s'embrasser. L'effondrement a permis à Albert de
dégager ses mains, mais le poids de la terre est lourd, très lourd, ça
comprime sa cage thoracique. Il reprend doucement une respiration
saccadée, ses poumons n'en peuvent déjà plus. Des larmes commencent à
monter qu'il parvient à réprimer. Il se dit que pleurer, c'est
accepter de mourir.
Il ferait mieux de se laisser aller, parce que ça ne va plus être long
maintenant.
Ce n'est pas vrai qu'au moment de mourir toute notre vie se
déroule en un instant fulgurant. Mais des images, ça oui. Et de
vieilles encore. Son père, dont le visage est si net, si précis, qu'il
jurerait qu'il est là, sous la terre avec lui. C'est sans doute parce
qu'ils vont s'y retrouver. Il le voit jeune, au même âge que lui.
Trente ans et des poussières, évidemment, ce sont les poussières qui
comptent. Il porte son
uniforme du musée, il a ciré sa moustache, il ne sourit pas, comme sur
la photographie du buffet. Albert manque d'air. Ses poumons lui font
mal, des mouvements convulsifs le saisissent. Il voudrait réfléchir.
1 Canasson : cheval.
I -
Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :
À
travers quels regards ces scènes de bataille sont-elles perçues ?
Vous en commenterez les effets produits.
II -
Travail d'écriture (16 points) :
- Commentaire
Vous proposerez un commentaire du texte de Laurent GAUDÉ
(Texte C).
- Dissertation
« Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce
moment. », écrit STENDHAL (Texte A).
Pour vous, le héros d'un roman doit-il nécessairement être
héroïque ?
Vous répondrez à cette question en un développement structuré, en
vous appuyant sur les textes du corpus et sur ceux étudiés en
classe. Vous pourrez aussi faire appel à vos connaissances et
lectures personnelles.
- Invention
Vous poursuivrez le texte de Pierre LEMAITRE (texte D)
en gardant le même point de vue.
Vous développerez le récit qui mêlera les pensées du personnage et
ses actions.
Votre texte comportera au moins soixante lignes.
haut
de page
POLYNÉSIE
SÉRIES ES / S
Objet
d'étude : Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours.
Corpus
:
Texte A :
Gustave FLAUBERT, Madame Bovary, 1857.
Texte B : Jules VERNE, Vingt mille lieues sous les mers,
1870.
Texte C : André GIDE, Les Faux-monnayeurs, 1925.
Texte D : Julien GRACQ, Le Rivage des Syrtes, 1951.
Texte A : Gustave FLAUBERT, Madame Bovary, 1857.
[Dans la campagne
normande, Emma Bovary mène une vie ennuyeuse auprès de Charles, son
mari. Elle tombe amoureuse de Rodolphe, un riche voisin. Les deux
amants ont alors le projet de s'enfuir. Toutefois, cet amour n'est
pas réciproque.]
« Ah ! la belle
nuit ! dit Rodolphe.
— Nous en aurons d'autres ! » reprit Emma.
Et, comme se parlant à elle-même :
« Oui, il fera bon voyager... Pourquoi ai-je le cœur triste,
cependant ? Est-ce l'appréhension de l'inconnu..., l'effet des
habitudes quittées..., ou plutôt... ? Non, c'est l'excès du bonheur !
Que je suis faible, n'est-ce pas ? Pardonne-moi !
— Il est encore temps! s'écria-t-il. Réfléchis, tu t'en
repentiras peut-être.
— Jamais ! » fit-elle impétueusement1.
Et, en se rapprochant de lui :
« Quel malheur donc peut-il me survenir ? Il n'y a pas de
désert, pas de précipice ni d'océan que je ne traverserais avec toi. À
mesure que nous vivrons ensemble, ce sera comme une étreinte chaque
jour plus serrée, plus complète ! Nous n'aurons rien qui nous trouble,
pas de soucis, nul obstacle ! Nous serons seuls, tout à nous,
éternellement... Parle donc, réponds-moi. »
Il répondait à intervalles réguliers : « Oui... oui !... » Elle lui
avait passé les mains dans ses cheveux, et elle répétait d'une voix
enfantine, malgré de grosses larmes qui coulaient :
« Rodolphe ! Rodolphe !. .. Ah ! Rodolphe, cher petit Rodolphe
! »
Minuit sonna.
« Minuit ! dit-elle. Allons, c'est demain ! encore un jour ! »
Il se leva pour partir; et, comme si ce geste qu'il faisait eût été le
signal de leur fuite, Emma, tout à coup, prenant un air gai:
« Tu as les passeports ?
— Oui.
— Tu n'oublies rien ?
— Non.
— Tu en es sûr ?
— Certainement.
— C'est à l'hôtel de Provence, n'est-ce pas, que tu
m'attendras ?... à midi ? »
Il fit un signe de tête.
« À demain, donc ! » dit Emma dans une dernière caresse.
Et elle le regarda
s'éloigner.
Il ne se détournait pas. Elle courut après lui, et, se penchant
au bord de l'eau entre des broussailles :
« À demain ! » s'écria-t-elle.
Il était déjà de l'autre côté de la rivière et marchait vite dans la
prairie.
Au bout de quelques minutes, Rodolphe s'arrêta; et, quand il la
vit avec son vêtement blanc peu à peu s'évanouir dans l'ombre comme un
fantôme, il fut pris d'un tel battement de cœur, qu'il s'appuya contre
un arbre pour ne pas tomber.
« Quel imbécile je suis ! fit-il en jurant épouvantablement.
N'importe, c'était une jolie maîtresse ! »
1 Impétueusement : de
manière violente et rapide.
Texte B : Jules VERNE, Vingt
mille lieues sous les mers, 1870.
[Pierre Aronnax, le
narrateur, est un scientifique français. Il a publié une étude sur
un mystérieux monstre marin qui attaque des navires. De passage à
New York, accompagné de son domestique nommé Conseil, il reçoit à
son hôtel une lettre du Secrétaire de la Marine qui l'invite à
embarquer à bord du navire l'Abraham Lincoln.]
« Conseil ! »
répétai-je, tout en commençant d'une main fébrile mes préparatifs de
départ.
Certainement, j'étais sûr de ce garçon si dévoué. D'ordinaire,
je ne lui demandais jamais s'il lui convenait ou non de me suivre dans
mes voyages; mais cette fois, il s'agissait d'une expédition qui
pouvait indéfiniment se prolonger, d'une entreprise hasardeuse, à la
poursuite d'un animal capable de couler une frégate comme une coque de
noix ! Il y avait là matière à réflexion, même pour l'homme le plus
impassible du monde ! Qu'allait dire Conseil ?
« Conseil ! » criai-je une troisième fois.
Conseil parut.
« Monsieur m'appelle ? dit-il en entrant.
— Oui, mon garçon. Prépare-moi, prépare-toi. Nous partons dans
deux heures.
— Comme il plaira à Monsieur, répondit tranquillement Conseil.
— Pas un instant à perdre. Serre dans ma malle tous mes
ustensiles de voyage, des habits, des chemises, des chaussettes, sans
compter, mais le plus que tu pourras, et hâte-toi !
— Et les collections de Monsieur ? fit observer Conseil.
— On s'en occupera plus tard.
— Quoi! les archiotherium, les hyracotherium, les oréodons, les
chéropotarnus1 et autres carcasses de Monsieur ?
— On les gardera à l'hôtel.
— Et le babiroussa2 vivant de Monsieur ?
— On le nourrira pendant notre absence. D'ailleurs, je donnerai
l'ordre de nous
—expédier en France notre ménagerie.
— Nous ne retournons donc pas à Paris ? demanda Conseil.
— Si... certainement... répondis-je évasivement, mais en
faisant un crochet.
— Le crochet qui plaira à Monsieur.
— Oh ! ce sera peu de chose ! Un chemin un peu moins direct,
voilà tout. Nous
prenons passage sur l'Abraham Lincoln.
— Comme il conviendra à Monsieur, répondit paisiblement
Conseil.
— Tu sais, mon ami, il s'agit du monstre...
du fameux narwal3... Nous allons en purger les mers !...
L'auteur d'un ouvrage in-quarto en deux volumes sur les Mystères
des grands fonds sous-marins ne peut se dispenser de
s'embarquer avec le commandant Farragut. Mission glorieuse, mais...
dangereuse aussi ! On ne sait pas où l'on va ! Ces bêtes-là peuvent
être très capricieuses ! Mais nous irons quand même ! Nos avons un
commandant qui n'a pas froid aux yeux !...
— Comme fera Monsieur, je ferai, répondit Conseil.
— Et songes-y bien ! car je ne veux rien te cacher. C'est là un
de ces voyages dont on ne revient pas toujours !
— Comme il plaira à Monsieur. »
1 Les archiotherium, [...]
les chéropotamus : noms scientifiques de petits mammifères.
2 Babiroussa : animal appartenant à la famille des cochons et des
sangliers.
3 Narwal : mammifère marin, cétacé, orthographié souvent « narval ».
Texte
C : André GIDE, Les Faux-monnayeurs, 1925.
[Bernard Profitendieu
est un lycéen. Quand il apprend que son père n'est pas son père
biologique, il décide de fuir le domicile bourgeois familial et
trouve refuge pour la nuit chez son ami Olivier.]
Sans éveiller
Olivier, il se lève, se rhabille et revient s'étendre sur le lit. Il
est encore trop tôt pour partir. 4 heures. La nuit commence à peine à
pâlir. Encore une heure de repos, d'élan pour commencer vaillamment la
journée. Mais c'en est fait du sommeil. Bernard contemple la vitre
bleuissante, les murs gris de la petite pièce, le lit
de fer où Georges1 s'agite en rêvant.
« Dans un instant, se dit-il, j'irai vers mon destin. Quel beau
mot : l'aventure ! Ce qui doit advenir. Tout le surprenant qui
m'attend. Je ne sais pas si d'autres sont comme moi, mais dès que je
suis réveillé, j'aime à mépriser ceux qui dorment. Olivier, mon ami,
je partirai sans ton adieu. Houst ! Debout, valeureux Bernard ! Il est
temps. »
Il frotte son visage d'un coin de serviette trempée; se recoiffe; se
rechausse. Il ouvre la porte, sans bruit. Dehors !
Ah ! que paraît salubre à tout l'être l'air qui n'a pas encore
été respiré! Bernard suit la grille du Luxembourg2 ; il
descend la rue Bonaparte, gagne les quais, traverse
la Seine. Il songe à sa nouvelle règle de vie, dont il a trouvé depuis
peu la formule : « Si tu ne fais pas cela, qui le fera ? Si tu ne le
fais pas aussitôt, quand sera-ce ? » — Il songe : « De grandes choses
à faire » ; il lui semble qu'il va vers elles. « De grandes choses »,
se répète-t-il en marchant. Si seulement il savait lesquelles !... En
attendant, il sait qu'il a faim : le voici près des halles. Il a
quatorze sous dans sa
poche, pas un liard de plus. Il entre dans un bar; prend un croissant
et un café au lait sur le zlnc3. Coût : dix sous. Il lui en
reste quatre; crânement4, il en abandonne deux sur le
comptoir, tend les deux autres à un va-nu-pieds qui fouille une boîte
à ordures. Charité ? Défi ? Peu importe. À présent, il se sent heureux
comme un roi. Il n'a plus rien; tout est à lui !
1 Georges : petit frère
d'Olivier.
2 Luxembourg : le jardin du Luxembourg se trouve à Paris.
3 Zinc : les comptoirs des cafés étaient souvent recouverts d'un métal
gris, le zinc.
4 Crânement : avec fierté.
Texte
D : Julien GRACQ, Le Rivage des Syrtes, 1951.
[Le Rivage des
Syrtes est un roman qui se déroule dans des lieux imaginaires.
Le jeune Aldo appartient à une grande famille de la Seigneurie
d'Orsenna. Il est volontaire pour effectuer une mission de
surveillance sur le rivage des Syrtes, zone presque déserte qui fait
face au pays ennemi, le Farghestan.]
Il y a un grand
charme à quitter au petit matin une ville familière pour une
destination ignorée. Rien ne bougeait encore dans les rues engourdies
d'Orsenna, les grands éventails des palmes1
s'épanouissaient plus larges au-dessus des murs aveugles; l'heure
sonnant à la cathédrale éveillait une vibration sourde et
attentive dans les vieilles façades. Nous glissions au long de rues
connues, et déjà étranges de tout ce que leur direction semblait
choisir pour moi si fermement dans un lointain encore indéfini. Cet
adieu m'était léger : j'étais tout à goûter l'air acide et le plaisir
de deux yeux dispos, détachés déjà au milieu de toute cette somnolence
confuse : nous partions à l'heure réglementaire. Les jardins des
faubourgs défilèrent
sans agrément2 : un air glacial stagnait sur les campagnes
humides, je me pelotonnai au fond de la voiture et me mis à
inventorier avec curiosité un grand portefeuille de cuir que j'avais
retiré la veille de la Chancellerie en prêtant serment. Je tenais là,
dans mes mains, une marque concrète de ma nouvelle importance, j'étais
trop jeune encore pour ne pas trouver à la soupeser un plaisir
presque enfantin. Il contenait diverses pièces officielles relatives à
ma nomination — assez nombreuses, ce qui me rendit bonne humeur —, des
instructions concernant les devoirs de ma charge et la conduite à
suivre dans le poste que j'allais occuper; je décidai de les lire à
tête reposée. La dernière pièce était une forte enveloppe jaune
scellée aux armes3 de la Seigneurie; la suscription,
manuscrite et soigneuse,
arrêta soudain mon regard : « À ouvrir seulement après réception de
l'Instruction spéciale d'Urgence. » C'était les ordres secrets; je me
redressai imperceptiblement et balayai l'horizon d'un regard
déterminé. Un souvenir, teinté à la fois d'absurde et de mystère,
remontait lentement jusqu'à moi, qui m'avait aiguillonné4
sourdement depuis qu'on me destinait à ce poste perdu des Syrtes : sur
la frontière que
j'allais rejoindre, Orsenna était en guerre. Ce qui ôtait de la
gravité à la chose, c'est qu'elle était en guerre depuis trois cents
ans5.
1 Palmes : feuilles de
palmier.
2 Sans agrément : sans charme.
3 Armes : emblème, blason.
4 Aiguillonné : stimulé, incité à l'action.
5 Les deux pays n'ont pas signé de traité de paix mais il n'y a plus
de conflit armé.
I -
Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :
Comment
les textes du corpus font-ils de ces départs des moments chargés
d'émotion pour les personnages ?
II -
Travail d'écriture (16 points) :
- Commentaire
Vous commenterez l'extrait de Madame Bovary de
Gustave Flaubert (texte A).
- Dissertation
Dans l'extrait des Faux-monnayeurs d'André Gide
(texte C), le jeune Bernard s'exclame : « Quel beau mot :
l'aventure ! ».
Pensez-vous que l'intérêt que nous portons à un personnage de
roman tient exclusivement aux aventures qu'il vit ?
Vous répondrez à cette question en vous fondant sur les textes du
corpus ainsi que sur les textes et œuvres que vous avez étudiés et
lus.
- Invention
Vous écrirez le début d'un roman dont la première
phrase sera : « Il y a un grand charme à quitter au petit matin
une ville familière pour une destination ignorée. »
Vous adopterez le point de vue d'un personnage au moment de son
départ, en rendant compte de ses émotions.
Votre texte comportera au moins une soixantaine de lignes.
haut
de page
POLYNÉSIE
SÉRIES TECHNOLOGIQUES
Objet
d'étude : Le texte théâtral et sa représentation, du XVIIe
siècle à nos jours.
Corpus
:
Texte A :
MOLIERE, Georges Dandin, extrait de la scène 2 de
l'acte I, 1668.
Texte B : BEAUMARCHAIS, Le Barbier de Séville, extrait
de l'acte II, scène 11, 1775 .
Texte C : FEYDEAU, Le Dindon, extrait de la scène 2 de
l'acte I, 1896.
Texte A : MOLIERE, Georges Dandin, extrait de la scène 2
de l'acte I, 1668.
[Georges Dandin est
un riche paysan, mari d'Angélique. De retour chez lui, il croise
Lubin, le valet de Clitandre, lequel est amoureux d'Angélique.]
l, 2 - DANDIN, LUBIN
[ ... ]
LUBIN. — Motus ! il ne faut pas dire que vous m'ayez vu sortir de là.
GEORGE DANDIN. — Pourquoi ?
LUBIN. — Mon Dieu ! parce...
GEORGE DANDIN. — Mais encore ?
LUBIN. — Doucement. J'ai peur qu'on ne nous écoute.
GEORGE DANDIN. — Point, point.
LUBIN. — C'est que je viens de parler à la maîtresse du logis de la
part d'un certain Monsieur qui lui fait les doux yeux, et il ne faut
pas qu'on sache cela. Entendez-vous ?
GEORGE DANDIN. — Oui.
LUBIN. — Voilà la raison. On m'a enchargé1 de prendre garde
que personne ne me vît, et je vous prie, au moins de ne pas dire que
vous m'ayez vu.
GEORGE DANDIN. — Je n'ai garde.
LUBIN. — Je suis bien aise de faire les choses secrètement, comme on
m'a recommandé.
GEORGE DANDIN. — C'est bien fait.
LUBIN. — Le mari, à ce qu'ils disent, est un jaloux qui ne veut pas
qu'on fasse l'amour2 à sa femme, et il ferait le diable à
quatre si cela venait à ses oreilles : vous comprenez bien ?
GEORGE DANDIN. — Fort bien.
LUBIN. — Il ne faut pas qu'il sache rien de tout ceci.
GEORGE DANDIN. — Sans doute.
LUBIN. — On le veut tromper tout doucement : vous entendez bien ?
GEORGE DANDIN. — Le mieux du monde.
LUBIN. — Si vous alliez dire que vous m'avez vu sortir de chez lui,
vous gâteriez toute
l'affaire : vous comprenez bien ?
GEORGE DANDIN. — Assurément. Hé ! comment nommez-vous celui qui vous a
envoyé là dedans ?
LUBIN. — C'est le seigneur de notre pays, Monsieur le Vicomte de chose
... Foln3 ! je ne me souviens jamais comment diantre ils
baragouinent4 ce nom-là, monsieur Cli... Clitandre.
GEORGE DANDIN. — Est-ce ce jeune courtisan qui demeure...
LUBIN. — Oui, auprès de ces arbres.
GEORGE DANDIN, à part.— C'est pour cela que depuis peu ce
damoiseau5 poli s'est venu loger contre moi6 :
j'avais bon nez sans doute, et son voisinage déjà m'avait donné
quelque soupçon.
LUBIN. — Testigué ! c'est le plus honnête homme que vous ayez jamais
vu. Il m'a donné trois pièces d'or pour aller dire seulement à la
femme qu'il est amoureux d'elle, et qu'il souhaite fort l'honneur de
pouvoir lui parler. Voyez s'il y a là une grande fatigue pour me payer
si bien, et ce qu'est, au prix de cela, une journée de travail où je
ne gagne que dix sols !
GEORGE DANDIN. — Hé bien! avez-vous fait votre message ?
LUBIN. — Oui, j'ai trouvé là-dedans une certaine Claudine, qui, tout
du premier coup, a compris ce que je voulais, et qui m'a fait parler à
sa maîtresse.
GEORGE DANDIN, à part. — Ah coquine de servante !
LUBIN. — Morguienne ! cette Claudine-là est tout à fait jolie, elle a
gagné mon amitié, et il ne tiendra qu'à elle que nous ne soyons mariés
ensemble.
GEORGE DANDIN. — Mais quelle réponse a fait la maîtresse à ce Monsieur
le courtisan ?
LUBIN. — Elle m'a dit de lui dire... attendez, je ne sais si je me
souviendrai bien de tout cela... qu'elle lui est tout à fait obligée
de l'affection qu'il a pour elle, et qu'à cause de son mari, qui est
fantasque7, il garde d'en rien faire paraître, et qu'il
faudra songer à chercher quelque invention pour se pouvoir entretenir
tous deux.
GEORGE DANDIN, à part. — Ah ! pendarde de femme !
LUBIN. — Testiguienne ! cela sera drôle, car le mari ne se doutera
point de la manigance, voilà ce qui est de bon; et il aura un pied de
nez avec sa jalousie : est-ce pas ?
GEORGE DANDIN. — Cela est vrai.
LUBIN. — Adieu. Bouche cousue, au moins. Gardez bien le secret, afin
que le mari ne le sache pas.
GEORGE DANDIN. — Oui, oui.
LUBIN. — Pour moi, je vais faire semblant de rien : je suis un fin
matois8, et l'on ne dirait pas que j'y touche.
1 On m'a enchargé : on
m'a donné la recommandation.
2 Qu'on fasse l'amour : qu'on fasse la cour.
3 Foin : interjection qui exprime le dépit ou la colère.
4 Baragouinent : prononcent de façon incompréhensible
5 Damoiseau : terme moqueur pour désigner un jeune homme.
6 Contre moi : auprès de moi.
7 Fantasque : d'humeur imprévisible.
8 Fin matois : rusé.
Texte B : : BEAUMARCHAIS, Le
Barbier de Séville, extrait de l'acte II, scène 11, 1775
[Rosine aime un
jeune comte mais son tuteur Bartholo, qui la tient enfermée, a
décidé de l'épouser et surveille la jeune femme. Il a vu que Rosine
a laissé tomber un papier par la fenêtre et il la soupçonne d'avoir
écrit une nouvelle lettre au comte, lettre effectivement remise au
barbier Figaro.]
[ ... ]
BARTHOLO. — Je voudrais bien savoir ce que ce barbier avait de si
pressé à vous dire ?
ROSINE. — Faut-il parler sérieusement ? Il m'a rendu compte de l'état
de Marceline, qui même n'est pas trop bien, à ce qu'il dit.
BARTHOLO. — Vous rendre compte ! Je vais parier qu'il était chargé de
vous remettre quelque lettre.
ROSINE. — Et de qui, s'il vous plaît ?
BARTHOLO. — Oh ! de qui ? De quelqu'un que les femmes ne nomment
jamais. Que sais-je, moi ? Peut-être la réponse au papier de la
fenêtre.
ROSINE, à part. — Il n'en a pas manqué une seule. (Haut.)
Vous mériteriez bien que cela fût.
BARTHOLO, regarde les mains de Rosine. — Cela est. Vous avez
écrit.
ROSINE, avec embarras. — Il serait assez plaisant que vous
eussiez le projet de m'en faire convenir.
BARTHOLO, lui prenant la main droite. — Moi ! point du tout;
mais votre doigt encore taché d'encre ! Hein ? rusée slgnora1
!
ROSINE, à part. — Maudit homme !
BARTHOLO, lui tenant toujours la main. — Une femme se croit
bien en sûreté, parce qu'elle est seule.
ROSINE. — Ah ! sans doute... La belle preuve !... Finissez donc,
monsieur, vous me tordez le bras. Je me suis brûlée en chiffonnant2
autour de cette bougie; et l'on m'a toujours dit qu'il fallait
aussitôt tremper dans l'encre : c'est ce que j'ai fait.
BARTHOLO. — C'est ce que vous avez fait ? Voyons donc si un second
témoin confirmera la déposition du premier. C'est ce cahier de papier
où je suis certain qu'il y avait six feuilles; car je les compte tous
les matins, aujourd'hui encore.
ROSINE, à part. — Oh ! imbécile !...
BARTHOLO, comptant. — Trois, quatre, cinq...
ROSINE. — La sixième...
BARTHOLO. — Je vois bien qu'elle n'y est pas, la sixième.
ROSINE, baissant les yeux. — La sixième, je l'ai employée à
faire un cornet pour des bonbons que j'ai envoyés à la petite Figaro.
BARTHOLO. — À la petite Figaro ? Et la plume qui était toute neuve,
comment est-elle devenue noire ? Est-ce en écrivant l'adresse de la
petite Figaro ?
ROSINE, à part. — Cet homme a un instinct de jalousie !... (Haut.)
Elle m'a servi à retracer une fleur effacée sur la veste que je vous
brode au tambour3.
BARTHOLO. — Que cela est édifiant ! Pour qu'on vous crût, mon enfant,
il faudrait ne pas rougir en déguisant coup sur coup la vérité; mais
c'est ce que vous ne savez pas encore.
ROSINE. — Eh ! qui ne rougirait pas, monsieur, de voir tirer des
conséquences aussi malignes des choses le plus innocemment faites ?
BARTHOLO. — Certes, j'ai tort : se brûler le doigt, le tremper dans
l'encre, faire des cornets aux bonbons pour la petite Figaro, et
dessiner ma veste au tambour ! quoi de plus innocent ? Mais que de
mensonges entassés pour cacher un seul fait !... Je suis seule,
on ne me voit point; je pourrai mentir à mon aise. Mais le bout
du doigt reste noir, la plume est tachée, le papier manque; on ne
saurait penser à tout. Bien certainement, signora, quand j'irai par la
ville, un bon double tour me répondra de vous.
1 Signora : madame.
2 En chiffonnant : en s'occupant de travaux de lingerie.
3 Tambour : cercle de bois sur lequel est tendu le tissu que l'on veut
broder.
Texte
C : Feydeau, Le Dindon, extrait de la scène 2 de
l'acte l, 1896.
[Pontagnac a suivi
Lucienne Vatelin dans la rue et s'est introduit chez elle.
Lucienne appelle son mari pour faire partir l'intrus mais, avant
qu'elle ait pu lui expliquer la situation, elle a la surprise de
découvrir que les deux hommes sont amis. Elle finit par intervenir
dans la discussion pour raconter sa mésaventure.]
Acte l, scène 2 —
LUCIENNE, PONTAGNAC, VATELIN.
[ ... ]
VATELIN, se levant et allant à sa femme. — Il y a un homme
qui te suit ?
LUCIENNE. — Tout le temps !
PONTAGNAC, se levant et descendant. — Mon Dieu ! si nous
parlions d'autre chose, il me semble que cette conversation...
VATELIN, allant à lui. — Mais pas du tout ! ça m'intéresse !
pensez donc, un homme qui se permet de suivre ma femme !
PONTAGNAC. — Oh ! mais si discrètement !
VATELIN. — Qu'est-ce que vous en savez ? Un homme qui suit une femme
est toujours indiscret. Mais aussi, pourquoi ne m'as-tu pas dit ça
plus tôt ?
LUCIENNE. — Bah ! À quoi bon ! je tenais le galant pour si peu
dangereux...
PONTAGNAC, à part. — Merci !
VATELIN. — Mais enfin, il fallait au moins chercher à t'en
débarrasser. Ce doit être assommant d'avoir comme ça un être à ses
trousses !...
LUCIENNE. — Oh ! assommant !
VATELIN. — Et puis enfin, c'est humiliant pour moi. Il fallait, je ne
sais pas, moi... prendre une voiture... entrer dans un magasin.
LUCIENNE. — C'est ce que j'ai fait, je suis entrée chez un pâtissier,
il y est entré derrière moi.
VATELIN. — Eh ! aussi, quand un monsieur vous suit, on n'entre pas
chez un pâtissier, on entre chez un bijoutier. Pourquoi n'es-tu pas
entrée chez un bijoutier ?...
LUCIENNE. — J'ai essayé ! Il m'a attendue à la porte !
PONTAGNAC, à part. — Tiens ! parbleu!
VATELIN. — C'est ça !... Tenace et pratique ! (À Pontagnac.)
Non, c'est inconcevable, mon cher, ce qu'il y a de gens mal élevés à
Paris.
PONTAGNAC. — Oui ! oh ! mal élevés, c'est plutôt, euh !... si on
parlait d'autre chose...
VATELIN. — C'est-à-dire qu'un mari ne peut plus laisser sortir sa
femme sans l'exposer aux impertinences d'un polisson1!...
Lucienne se lève et va presque aussitôt s'asseoir sur le pouf.
PONTAGNAC, furieux. — Vatelin !
VATELIN. — Quoi ?
PONTAGNAC, se réprimant. — Vous allez trop loin !
VATELIN. — Allons donc ! jamais trop !... Ah ! je voudrais qu'il me
tombe sous la main, ce petit crevé2 !
LUCIENNE, sur le pouf. — Oui ! Eh bien ! c'est facile,
n'est-ce pas, monsieur de Pontagnac ?
PONTAGNAC. — Mon Dieu... Euh ! quelle heure est-il ?
VATELIN. — Comment ! il le connaît ?
LUCIENNE. — Mieux que personne... Euh ! dites-nous donc son nom,
monsieur de Pontagnac ?
PONTAGNAC, sur des charbons. — Mais, madame, moi, comment
voulez-vous ?...
LUCIENNE. — Mais si, mais si !... Il s'appelle... Pon... ta... allons,
voyons, Pontaquoi ?
PONTAGNAC. — Pontaquoi ! C'est possible !
LUCIENNE. — Pontagnac !
VATELIN. — Pontagnac ! Vous ?
PONTAGNAC, riant faux. — Mon Dieu oui... c'était moi ! hé !
hé ! c'était moi !
VATELIN, éclatant de rire. — Ah ! ah ! ah ! farceur !
Lucienne se lève et va à la cheminée.
PONTAGNAC. — Oh ! mais, c'est parce que je savais à qui j'avais
affaire... Je savais que c'était Mme Vatelin, alors, je me suis dit :
tiens, je vais bien l'intriguer, je vais avoir l'air de la suivre...
LUCIENNE, à part. — Ah ! "avoir l'air" est heureux !
Elle reste devant la cheminée.
PONTAGNAC. — Et elle sera joliment étonnée le jour où nous nous
trouverons nez à nez chez son mari.
VATELIN. — Oui ! taratata ! Vous ne saviez rien du tout ! Eh bien !
voilà, ça vous apprendra à suivre les femmes ! Vous tombez sur la
femme d'un ami et vous êtes bien avancé !... C'est votre leçon !...
[ ... ]
1 Polisson : homme au
comportement déplacé.
2 Petit crevé : jeune homme à la mode un peu ridicule.
I -
Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez
aux questions suivantes de façon organisée et synthétique (6
points) :
—
Question 1 :
Par quels moyens sont révélés les mensonges ou les ruses des
personnages ? (3 points)
— Question 2 :
À quoi tient le plaisir du spectateur dans ces scènes de théâtre? (3
points).
II -
Travail d'écriture (14 points) :
- Commentaire
Vous ferez le commentaire du texte de Beaumarchais (texte B)
en vous aidant du parcours de lecture suivant
:
— Qu'est-ce qui peut faire rire dans cette
scène ? Celle-ci est-elle franchement comique selon vous ?
— Vous montrerez comment l'échange révèle un
rapport de force et conduit le spectateur à prendre le parti de
Rosine.
- Dissertation
En quoi le mensonge et la dissimulation contribuent-ils, au
théâtre, à créer l'intérêt du spectateur ? Comment la mise en
scène le renforce-t-elle ?
Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, ceux que
vous avez étudiés en classe, vos lectures personnelles et votre
expérience de spectateur, qu'il s'agisse de comédie ou de
tragédie.
- Invention
Quelque temps plus tard, Lubin accompagne Clitandre
devant la porte de Dandin (texte A). Ils sont interrompus par
Dandin qui se dirige vers Clitandre et le salue.
En respectant le ton du texte, vous imaginerez un dialogue comique
qui commence au moment où les personnages se saluent.
NOUVELLE-CALÉDONIE
SÉRIE L
Objet
d'étude : Le texte théâtral et sa représentation, du XVIIe
siècle à nos jours.
Corpus
:
Texte A :
Jean RACINE, Alexandre le Grand, acte III, scène 6,
1665.
Texte B : Eugène SCRIBE, L'Africaine, acte IV, scène
2, 1865.
Texte C : Henry BAUCHAU, Gengis Khan, quatrième
tableau, scène 2, 1960.
Texte A : Jean RACINE, Alexandre le Grand, acte III, scène
6, 1665.
[En 327 avant J-C.,
Alexandre, prince macédonien, se lance à la conquête de l'Inde et
soumet, en moins de deux ans, un vaste territoire. Racine imagine
une relation amoureuse entre ce conquérant et une princesse indienne
fictive, Cléofile.]
CLEOFILE
On attend peu d'amour d'un héros tel que vous.
La gloire fit toujours vos transports1 les plus doux.
Et peut-être, au moment que ce grand cœur soupire,
La gloire de me vaincre est tout ce qu'il désire.
ALEXANDRE
Que vous connaissez mal les violents désirs
D'un amour qui vers vous porte tous mes soupirs !
J'avouerai qu'autrefois au milieu d'une armée
Mon cœur ne soupirait que pour la Renommée,
Les peuples et les rois devenus mes sujets,
Étaient seuls à mes vœux d'assez dignes objets,
Les beautés de la Perse2 à mes yeux présentées
Aussi bien que ses rois ont paru surmontées3.
Mon cœur d'un fier mépris armé contre leurs traits4,
N'a pas du moindre hommage honoré leurs attraits.
Amoureux de la gloire, et partout invincible,
Il mettait son bonheur à paraître insensible.
Mais hélas, que vos yeux, ces aimables tyrans,
Ont produit sur mon cœur des effets différents !
Ce grand nom de vainqueur n'est plus ce qu'il souhaite,
Il vient avec plaisir avouer sa défaite,
Heureux ! si votre cœur se laissant émouvoir,
Vos beaux yeux à leur tour avouaient leur pouvoir.
Voulez-vous donc toujours douter de leur victoire;
Toujours de mes exploits me reprocher la gloire ?
Comme si les beaux nœuds où me tenez pris
Ne devaient arrêter que de faibles esprits.
Par des faits tout nouveaux, je m'en vais vous apprendre
Tout ce que peut l'amour sur le cœur d'Alexandre.
Maintenant que mon bras engagé sous vos lois
Doit soutenir mon nom et le vôtre à la fois,
J'irai rendre fameux5, par l'éclat de la guerre
Des peuples inconnus au reste de la terre
Et vous faire dresser des autels en ces lieux
Où leurs sauvages mains en refusent aux dieux.
1 Transports : émotions
intenses.
2 Perse : région conquise par Alexandre en 330 avant J.-C.,
correspondant à l'Iran actuel.
3 Surmontées : vaincues.
4 Ce terme peut désigner les traits du visage ou les flèches tirées
avec un arc.
5 Fameux : célèbres.
Texte B : Eugène SCRIBE, L'Africaine,
acte IV, scène 2, 1865.
[L'opéra L'Africaine
met en scène Vasco de Gama, navigateur portugais de la
Renaissance. Dans la scène qui suit, il débarque sur une île de
l'océan Indien inconnue des Européens et espère en faire la
conquête, mais les habitants de l'île ont massacré son équipage.]
VASCO DE GAMA entre
lentement, admirant tout ce qui l'entoure. [...]
VASCO
Pays merveilleux,
Jardin fortuné,
Temple radieux,
Salut !
Ô Paradis sorti de l'onde,
Ciel si bleu, ciel si pur, dont mes yeux sont ravis,
Tu m'appartiens ! ô nouveau monde
Dont j'aurai doté mon pays !
(Avec chaleur.)
À nous ces campagnes vermeilles1,
À nous cet éden retrouvé !
Ô trésors charmants, ô merveilles
(Avec enthousiasme.)
Monde nouveau tu m'appartiens !
LE CHŒUR2
Astre qui sur nous t'élèves brûlant !
Tu demandes à nos glaives du sang !
Qu'à frapper le fer s'apprête.
La mort !
Que l'écho vengeur répète :
La mort !
VASCO, revenant à lui.
Que disent-ils ? Mourir ? mourir ?... Enseveli
Dans mon triomphe, et sans que rien de lui
Me survive et proclame mon nom !
Vous ne le voudrez pas ? non !... non.
(Aux sacrificateurs3.)
Conduisez-moi vers ce navire
Dont la voile brille à vos yeux.
LE CHŒUR
Non.
VASCO
A mes amis laissez-moi dire
Que le succès combla mes vœux,
Que l'Europe, que ma patrie
Apprennent que Vasco vainqueur,
Sur ces bords a perdu la vie
Au prix d'un éternel honneur.
LE CHŒUR
Non ! non ! La mort à l'étranger !
VASCO, avec désespoir.
Ah ! pitié pour ma mémoire
Ô vous à qui j'ai recours !
Ne me prenez que mes jours,
Mais laissez-moi la gloire.
1 Vermeilles : d'une
couleur rouge vif ou jaune doré, en référence au vermeil, un métal
précieux.
2 Le chœur est constitué, dans cette scène chantée, par les habitants
de l'île.
3 Il s'agit du chœur.
Texte
C : Henry BAUCHAU, Gengis Khan, quatrième tableau,
scène 2, 1960.
[Gengis Khan,
fondateur du vaste empire mongol au XIIIème siècle, vient de
conquérir la Chine. Après avoir fait exécuter le roi, il tente de
convaincre Tchelou t'saï, ancien premier ministre de Chine, mais
d'origine mongole, de rallier sa cause, devant un groupe de
paysans.]
GENGIS KHAN. [...] Il est
encore temps, tu peux entrer avec nous dans le monde de l'avenir.
TCHELOU T'SAÏ. Entrer seul ! Et la Chine ?
GENGIS KHAN. Et si l'avenir avait besoin de la mort de ce peuple qui
lui barre la
route ?
TCHELOU T'SAÏ. Je refuse un avenir qui commence par tuer.
GENGIS KHAN. S'il fallait que le grain périsse ?
TCHELOU T'SAÏ. Périsse le grain chinois pour faire le blé mongol !
GENGIS KHAN. Qui parle de blé ! Je ne suis pas venu pour vos risibles
moissons, mais pour lancer, pour découpler la steppe1 sur
toute la terre. N'es-tu pas las, enfin, de la Chine, de ses provinces
cassées, de ses royaumes séniles2 et de vos rois pour rire
ou pour pleurer ?
TCHELOU T'SAÏ. Non, je ne suis pas las de ce visage que l'homme s'est
trouvé dans la terre. Je ne serai jamais las de la Chine.
GENGIS KHAN. Quand finira donc ce goût puant du passé ? La Chine
périra comme périt la beauté des herbages de juin ou celle de la fleur
du pavot. Est-ce le moment de pleurer ? C'est plutôt l'heure de
pousser des cris d'allégresse et de hurler de joie dans l'espace
retrouvé.
Finies, elles sont finies, elles sont tombées les bornes, les
enceintes, les villes, les frontières ! Table rase ! Plus rien que le
monde comme une vaste porte sur le ciel.
UNE PAYSANNE (à voix basse). Une porte sur l'abîme.
UN PAYSAN (de même). Une porte sur la mort.
GENGIS KHAN. Silence, pleureuse, et vous, chiens perdus du passé.
Il n'y aura plus rien par le monde qu'une steppe, à l'infini. Un seul
monde, un seul peuple et, régnant sur le trône de pierre, dans la
puissante germination des prairies, l'unique maître de tout : Gengis
Khan! Qui eût osé jusqu'ici concevoir cette pensée rebelle aux tristes
lois du passé, qui eût osé prononcer cette parole de triomphe : toute
la terre ! Qu'avez-vous qui se puisse comparer à l'enclume du Mongol ?
Quels espoirs falots3, quelles pauvres lumières déclinantes
pourriez-vous opposer à ce brasier de l'espérance du monde ?
TCHELOU T'SAÏ (ébranlé). Toute la terre !... Que répondre ?
L'esprit qui est de Chine se glace, mais le sang qui est mongol
bouillonne à cet appel comme si j'étais dans la présence divine.
(D'une voix changée.) Toute la terre ! mais à quel prix ?
Vingt millions d'hommes... (Fixant Gengis Khan.) Je refuse !
GENGIS KHAN (qui soutient son regard). C'est la vie que tu
refuses.
Il sort.
1 Découpler la steppe :
étendre la steppe (paysage de Mongolie). Le verbe découpler,
emprunté au vocabulaire de la chasse, désigne le lâcher des chiens
après le gibier.
2 Séniles : vieux.
3 Falots : faibles, ternes.
I
- Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :
Dans
les textes du corpus, quels sentiments animent les personnages de
conquérants ?
II
- Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des trois sujets
suivants (16 points) :
- Commentaire
Vous commenterez l'extrait de Gengis Khan d'Henry
Bauchau (texte C).
- Dissertation
La représentation sur scène de personnages exceptionnels
empêche-t-elle le spectateur de s'identifier à eux ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur les textes
du corpus, ceux que vous avez étudiés, ainsi que vos lectures
personnelles.
- Invention
Un metteur en scène et un directeur d'opéra
discutent de la mise en scène du texte d'Eugène Scribe (texte
B). Le premier souhaite une mise en scène spectaculaire. Le
second en souligne les difficultés, en lui proposant d'autres
possibilités.
Vous rédigerez leur dialogue, qui comptera au moins soixante
lignes.
haut
de page
NOUVELLE-CALÉDONIE
SÉRIES ES / S
Objet
d'étude : Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos
jours.
Corpus
:
Texte A :
Honoré de BALZAC, Le Père Goriot, 1842.
Texte B : Marcel PROUST, Du côté de chez Swann,
1913.
Texte C : Pascal QUIGNARD, Tous les matins du monde,
1991.
Texte D : Olivier BOURDEAUT, En attendant Bojangles,
2016.
Texte A : Honoré de BALZAC, Le Père Goriot, 1842.
[Le père Goriot,
commerçant enrichi durant la Révolution, a consacré sa
vie à ses filles, Delphine et Anastasie. Grâce à sa
fortune, elles ont pu se marier à des nobles.
Leurs caprices incessants ont fini par ruiner leur père, qui vit
désormais dans une misérable pension. Anastasie, qui vient de se
disputer avec sa sœur, explique ses malheurs : elle a
un besoin urgent de douze mille francs.]
— Ma pauvre Nasie1,
dit Delphine épouvantée de la sauvage et folle expression que la
douleur imprimait sur le visage de son père, j'ai eu tort,
embrasse-moi...
— Ah ! vous me mettez du baume sur le cœur, cria le père Goriot. Mais
où trouver douze mille francs ? Si je me proposais comme remplaçant2
?
— Ah ! mon père! dirent les deux filles en l'entourant, non, non.
— Dieu vous récompensera de cette pensée, notre vie n'y suffirait
point ! n'est-ce pas, Nasie ? reprit Delphine.
— Et puis, pauvre père, ce serait une goutte d'eau, fit observer la
comtesse.
— Mais on ne peut donc rien faire de son sang ? cria le vieillard
désespéré. Je me voue3 à celui qui te sauvera, Nasie ! je
tuerai un homme pour lui. Je ferai comme Vautrln4, j'irai
au bagne ! je... Il s'arrêta comme s'il eût été foudroyé. Plus rien !
dit-il en s'arrachant les cheveux. Si je savais où aller pour voler,
mais il est encore difficile de trouver un vol à faire. Et puis il
faudrait du monde et du temps pour prendre la
Banque. Allons, je dois mourir, je n'ai plus qu'à mourir. Oui, je ne
suis plus bon à rien, je ne suis plus père ! non. Elle me demande,
elle a besoin ! et moi, misérable, je n'ai rien. Ah ! tu t'es fait des
rentes viagères5, vieux scélérat, et tu avais des filles !
Mais tu ne les aimes donc pas ? Crève, crève comme un chien que tu es
! Oui, je suis au-dessous d'un chien, un chien ne se conduirait pas
ainsi ! Oh ! ma tête ! elle bout !
— Mais, papa, crièrent les deux jeunes femmes qui l'entouraient pour
l'empêcher de se frapper la tête contre les murs, soyez donc
raisonnable.
Il sanglotait.
1 Nasie est le diminutif d'Anastasie.
2 Remplaçant : celui qui fait son service militaire à la place d'un
autre contre de l'argent.
3 Se vouer à : se consacrer à, se mettre au service de quelqu'un corps
et âme.
4 Vautrin est un ancien condamné évadé du bagne, qui se fait arrêter
peu avant cette scène.
5 Rentes viagères : revenus réguliers touchés jusqu'à la mort de
quelqu'un.
Texte B : Marcel PROUST, Du
côté de chez Swann, 1913.
[Le narrateur
rapporte des souvenirs de son enfance, notamment ce qui constituait
pour lui un drame : le moment du coucher qui le séparait de sa mère.
Un soir, l'enfant se relève pour demander à sa mère de venir lui
dire bonsoir. C'est alors que son père arrive.]
Il était trop
tard, mon père était devant nous. Sans le vouloir, je murmurai ces
mots que personne n'entendit : « Je suis perdu ! »
Il n'en fut pas ainsi. Mon père me refusait constamment des
permissions qui m'avaient été consenties dans les pactes plus larges
octroyés par ma mère et ma grand-mère parce qu'il ne se souciait pas
des « principes » et qu'il n'y avait pas avec lui de « Droit des gens
». Pour une raison toute contingente1, ou même sans raison,
il me supprimait au dernier moment telle promenade si habituelle, si
consacrée, qu'on ne pouvait m'en priver sans parjure2, ou
bien, comme il avait encore fait ce soir, longtemps avant l'heure
rituelle, il me disait: « Allons, monte te coucher, pas d'explication
! » Mais aussi, parce qu'il n'avait pas de principes (dans le sens de
ma grand-mère), il n'avait pas à proprement parler d'intransigeance3.
Il me regarda un instant d'un air étonné et fâché, puis dès que maman
lui eut expliqué en quelques mots embarrassés ce qui était arrivé, il
lui dit: « Mais va donc avec lui, puisque tu disais justement que tu
n'as pas envie de dormir, reste un peu dans sa chambre, moi je n'ai
besoin de rien. — Mais, mon ami, répondit timidement ma mère, que
j'aie envie ou non de dormir, ne change rien à la chose, on ne peut
pas habituer cet enfant... — Mais il ne s'agit pas d'habituer, dit mon
père en haussant les épaules, tu vois bien que ce petit a du chagrin,
il a l'air désolé, cet enfant; voyons, nous ne sommes pas des
bourreaux ! Quand tu l'auras rendu malade, tu seras bien avancée !
Puisqu'il y a deux lits dans sa chambre, dis donc à Françoise4
de te préparer le grand lit et couche pour cette nuit auprès de lui.
Allons, bonsoir, moi qui ne suis pas si nerveux5 que vous,
je vais me coucher. »
On ne pouvait pas remercier mon père; on l'eût agacé par ce
qu'il appelait des sensibleries. Je restai sans oser faire un
mouvement; il était encore devant nous, grand, dans sa robe de nuit
blanche sous le cachemire de l'Inde violet et rose qu'il nouait autour
de sa tête depuis qu'il avait des névralgies6.
1 Contingente :
accidentelle, fortuite, soumise au hasard.
2 Sans parjure : sans rompre un engagement.
3 Intransigeance : fait de n'admettre aucun compromis, aucune
concession.
4 Françoise est la domestique de la famille.
5 Nerveux : émotif.
6 Névralgies : maux de tête.
Texte
C : Pascal QUIGNARD, Tous les matins du monde, 1991.
[Depuis la mort de sa
femme survenue en 1650, le compositeur Monsieur de Sainte Colombe
vit reclus chez lui avec ses deux filles, Madeleine et Toinette. Il
leur enseigne avec ardeur la musique.]
Au physique,
c'était un homme haut, épineux, très maigre, jaune comme un coing1,
brusque. Il se tenait le dos très droit, de façon étonnante, le regard
fixe, les lèvres serrées l'une sur l'autre. Il était plein d'embarras
mais il était capable de gaieté.
Il aimait jouer aux cartes avec ses filles, en buvant du vin. Il
fumait alors, chaque soir, une longue pipe en terre d'Ardennes. Il
n'était guère assidu à suivre la mode. Il portait les cheveux noirs
ramassés comme au temps des guerres et, autour du cou, la fraise2
quand il sortait. Il avait été présenté au feu roi3 dans sa
jeunesse et de ce jour, sans qu'on sût pourquoi, n'avait plus mis les
pieds au Louvre ni au château-vieux de Saint-Germain4. Il
ne quitta plus le noir pour les habits.
Il était aussi violent et courrouçable qu'il pouvait être
tendre. Quand il entendait pleurer durant la nuit, il lui arrivait de
monter la chandelle à la main à l'étage et, agenouillé entre ses deux
filles, de chanter :
Sola vivebat in antris
Magdalen
Lugens et suspirans die ac nocte5...,
ou bien :
Il est mort pauvre et moi je vis comme il est mort
Et l'or
Dort
Dans le palais de marbre où le roi joue encore.
Parfois les
petites demandaient, surtout Toinette :
« Qui était maman ? »
Alors il se rembrunissait et on ne pouvait plus tirer de lui un
mot. Un jour, il leur dit :
« Il faut que vous soyez bonnes. Il faut que vous soyez
travailleuses. Je suis content de vous deux, surtout de Madeleine, qui
est plus sage. J'ai le regret de votre mère. Chacun des souvenirs que
j'ai gardés de mon épouse est un morceau de joie que je ne retrouverai
jamais. »
1 Coing : fruit qui ressemble à une pomme.
2 Fraise : col en dentelle porté à l'époque.
3 Au feu roi : au roi décédé depuis.
4 Le Louvre et le château de Saint-Germain étaient des résidences
royales.
5 Ces vers latins signifient : « Seule vivait Madeleine dans les
cavernes, pleurant et soupirant jour et nuit. » Madeleine est un
personnage biblique.
Texte
D : Olivier BOURDEAUT, En attendant Bojangles, 2016.
[Le narrateur
raconte son enfance.]
Je ne comprenais
pas souvent mon père. Je le compris un peu plus au fil des ans, mais
pas totalement. Et c'était bien ainsi.
Il m'avait dit qu'il était né avec, mais j'ai très vite su que
l'encoche cendrée, légèrement boursouflée à droite de sa lèvre
inférieure, qui lui donnait un beau sourire un peu tordu, était due à
une pratique assidue de la pipe. Sa coupe de cheveux, avec sa raie au
milieu et des vaguelettes de chaque côté, me faisait penser à la
coiffure du cavalier prussien qui était sur le tableau dans l'entrée.
À part le Prussien et lui, je n'ai jamais vu qui que ce soit coiffé
comme ça. Les orbites de ses yeux légèrement creuses et ses yeux bleus
légèrement globuleux lui donnaient un regard curieux. Profond et
roulant. À cette époque, je l'ai toujours vu heureux, d'ailleurs il
répétait souvent :
— Je suis un imbécile heureux !
Ce à quoi ma mère lui répondait :
— Nous vous croyons sur parole Georges, nous vous croyons sur
parole !
Tout le temps il chantonnait, mal. Parfois il sifflotait, tout
aussi mal, mais comme tout ce qui est fait de bon cœur c'était
supportable. Il racontait de belles histoires et, les rares fois où il
n'y avait pas d'invités, il venait plier son grand corps sec sur mon
lit pour m'endormir. D'un roulement d'œil, d'une forêt, d'un
chevreuil, d'un farfadet1, d'un cercueil, il chassait tout
mon sommeil. Le plus souvent, je finissais hilare2 en
sautant sur mon lit ou caché pétrifié derrière les rideaux.
— Ce sont des histoires à dormir debout, disait-il avant de
quitter ma chambre.
Et là encore on pouvait le croire sur parole.
1 Farfadet : lutin d'une
grâce légère et vive.
2 Hilare : riant franchement.
I
- Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :
Quelle
image du père proposent les textes du corpus ?
II
- Travail d'écriture (16 points) :
- Commentaire
Vous commenterez l'extrait de Du côté de chez Swann
de Marcel Proust (texte B).
- Dissertation
Les relations familiales sont-elles un thème propice aux
histoires romanesques ? Vous répondrez à cette question en vous
appuyant sur les textes du corpus, les textes que vous avez
étudiés, ainsi que sur vos lectures personnelles.
- Invention
Pour mieux comprendre le caractère de son père, le
narrateur du texte d'Olivier Bourdeaut (texte D) lui demande
d'expliquer d'où viennent sa joie de vivre et sa fantaisie.
Vous rédigerez sa réponse, qui comptera au moins soixante
lignes.
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