LES SUJETS DE L’
EAF
2015
-
suite
ANTILLES
SÉRIE L
Objet d'étude : Poésie et quête de sens du Moyen Âge à nos jours.
Corpus
:
Texte A : La Chanson de Roland, « La bataille », v. 1396-1435 (fin du XIème siècle).
Texte B : Victor. Hugo, La Légende des siècles, « Le cimetière d’Eylau », v. 130-159 (1859).
Texte C : José-Maria de Hérédia, Les Trophées, « Soir de bataille » (1893).
Texte D : Henri Michaux, Qui je fus, « Le grand combat » (1927).
Texte A : La Chanson de Roland, « La bataille », v. 1396-1435 (fin du XIème siècle).
[L’épopée est un long poème narratif relatant de hauts faits héroïques où se mêlent la légende et l’histoire. La chanson de Roland est une chanson de geste consacrée aux exploits guerriers de Roland, neveu de Charlemagne, contre les Sarrasins. Nous sommes en Espagne à Saragosse.]
La bataille s’est durcie entre temps.
Francs et païens y portent des coups merveilleux1.
Les uns frappent, les autres se défendent.
Que de hampes2 brisées et sanglantes !
Que de gonfanons et que d’enseignes3 déchirés !
Que de bons Français y perdent leur jeune vie !
Ils ne reverront plus leurs mères ni leurs femmes,
ni ceux de France qui les attendent aux ports.
Charlemagne en pleure et se désole.
Qui s’en soucie ? Ils n’auront pas de secours ;
Ganelon4 a bien mal servi Charles, ce jour-là
où il alla à Saragosse, vendre toute sa maison5.
Ensuite, il en perdit et la vie et les membres ;
au procès d’Aix, il fut condamné à être pendu,
et avec lui trente de ses parents,
qui ne s’attendaient pas à mourir.
La bataille est merveilleuse et accablante.
Roland et Olivier frappent très dur,
l’archevêque rend plus de mille coups,
les douze Pairs ne perdent pas leur temps,
et les Français frappent tous ensemble.
Les païens meurent par milliers et centaines :
celui qui ne s’enfuit pas n’a pas de protection contre la mort :
qu’il le veuille ou non, il y laisse sa vie.
Les Français y perdent leurs meilleurs champions.
Ils ne reverront plus leurs pères ni leurs parents,
ni Charlemagne, qui les attend aux ports.
En France, il y a une extraordinaire tourmente,
des ouragans de tonnerre et de vent,
des pluies,
des grésils, hors de toute mesure ;
la foudre tombe, dru et souvent,
et, en vérité, c’est un tremblement de terre.
De Saint-Michel-du-Péril6 jusqu’à Sens7,
de Besançon jusqu’au port de Wissant8,
il n’y a pas de maison dont un pan de mur ne se crève.
En plein midi, ce sont de grandes ténèbres,
Il n’y a de clarté que si le ciel se fend.
Personne ne voit cela sans être frappé d’épouvante.
La plupart disent : « c’est le terme fatal,
la fin du monde qui est devant nous. »
1. Extraordinaires.
2. Manches de bois qui portent l’étendard.
3. « Gonfanons » et « enseignes » sont des étendards formés de deux morceaux d’étoffe.
4. Ganelon est un traître.
5. L’ensemble des personnes employées au service d’un grand personnage.
6. Saint trouvé au Mont-Saint-Michel.
7. Ville de l’Est.
8. Port du Nord-Pas-de-Calais.
Texte B : Victor Hugo, La Légende des siècles, « Le cimetière d’Eylau », v. 130-159 (1859).
[Dans ce poème, V. Hugo rend hommage à son oncle qui s’est battu aux côtés de Napoléon contre les Russes et les Prussiens lors de la bataille d’Eylau, qui eut lieu en février 1807 en Russie. L’oncle d’Hugo raconte cet épisode à ses neveux.]
Brusquement la bataille éclata. Six cents voix
Énormes, se jetant la flamme à pleines bouches,
S’insultèrent du haut des collines farouches,
Toute la plaine fut un abîme fumant,
Et mon tambour battait la charge éperdument.
Aux canons se mêlait une fanfare altière1,
Et les bombes pleuvaient sur notre cimetière,
Comme si l’on cherchait à tuer les tombeaux ;
On voyait du clocher s’envoler les corbeaux ;
Je me souviens qu’un coup d’obus troua la terre,
Et le mort apparut stupéfait dans sa bière,
Comme si le tapage humain le réveillait.
Puis un brouillard cacha le soleil. Le boulet
Et la bombe faisaient un bruit épouvantable.
Berthier, prince d’empire et vice-connétable2,
Chargea sur notre droite un corps hanovrien3
Avec trente escadrons, et l’on ne vit plus rien
Qu’une brume sans fond, de bombes étoilée ;
Tant toute la bataille et toute la mêlée
Avaient dans le brouillard tragique disparu.
Un nuage tombé par terre, horrible, accru
Par des vomissements immenses de fumées,
Enfants, c’est là-dessous qu’étaient les deux armées ;
La neige en cette nuit flottait comme un duvet,
Et l’on s’exterminait, ma foi, comme on pouvait.
On faisait de son mieux. Pensif, dans les décombres,
Je voyais mes soldats rôder comme des ombres,
Spectres le long du mur rangés en espalier ;
Et ce champ me faisait un effet singulier,
Des cadavres dessous et dessus des fantômes.
1. Fière.
2. Commandant de l’armée royale.
3. Hanovre est la capitale de la Basse Saxe en Allemagne.
Texte C : José Maria de Hérédia, Les Trophées, « Soir de bataille » (1893).
[Dans ce sonnet, le poète retrace la victoire remportée par le général romain, Marc-Antoine, sur les Parthes, peuple de Scythie d’origine iranienne.]
Le choc avait été très rude. Les tribuns1
Et les centurions2, ralliant les cohortes3,
Humaient encor dans l’air où vibraient leurs voix fortes
La chaleur du carnage et ses âcres parfums.
D’un œil morne, comptant leurs compagnons défunts,
Les soldats regardaient, comme des feuilles mortes,
Au loin, tourbillonner les archers de Phraortes4 ;
Et la sueur coulait de leurs visages bruns.
C’est alors qu’apparut, tout hérissé de flèches,
Rouge du flux vermeil de ses blessures fraîches,
Sous la pourpre5 flottante et l’airain rutilant6,
Au fracas des buccins7 qui sonnaient leur fanfare,
Superbe, maîtrisant son cheval qui s’effare,
Sur le ciel enflammé, l’Imperator sanglant.
1. Officiers supérieurs.
2. Chefs de centuries, de groupes de fantassins.
3. La cohorte comprend six centuries (groupes de cent fantassins) commandées chacune par un centurion.
4. Nom d’une dynastie (celle du roi des Parthes).
5. Le manteau de pourpre est l’insigne du commandement suprême.
6. Cuirasse de bronze rougeâtre.
7. Trompettes militaires.
Texte D : Henri Michaux, Qui je fus, « Le grand combat » (1927).
Il l’emparouille et l’endosque contre terre ;
Il le rague et le roupète jusqu’à son drâle ;
Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l’écorcobalisse.
L’autre hésite, s’espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.
C’en sera bientôt fini de lui ;
Il se reprise et s’emmargine… mais en vain
Le cerceau tombe qui a tant roulé.
Abrah ! Abrah ! Abrah !
Le pied a failli !
Le bras a cassé !
Le sang a coulé !
Fouille, fouille, fouille,
Dans la marmite de son ventre est un grand secret
Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs ;
On s’étonne, on s’étonne, on s’étonne
Et vous regarde
On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret.
I - Vous répondrez d’abord à la question suivante : (4 points) :
Quels effets les poètes recherchent-ils à travers les scènes de bataille du corpus ?
II -
Travail d'écriture (16 points)
:
- Commentaire
Vous ferez le commentaire du texte de Victor Hugo (texte B).
-
Dissertation
L’Histoire est-elle une source d’inspiration privilégiée par les poètes ?
Vous répondrez à cette question en un développement argumenté et en vous appuyant sur des références aux textes du corpus, aux oeuvres étudiées pendant l’année et à vos lectures personnelles.
-
Invention
Composez un poème en prose ou en vers libres qui célèbre les exploits réels ou imaginaires d’un personnage historique.
Vous vous inspirerez des procédés mis en œuvre dans les textes du corpus.
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ANTILLES
SÉRIES ES / S
Objet d'étude : Poésie et quête de sens du Moyen Âge à nos jours.
Corpus
:
Texte A : Joachim Du Bellay, « Comme le marinier… », Les Regrets, 1558.
Texte B : Charles Baudelaire, « Déjà ! », Le Spleen de Paris, 1869.
Texte C : José-Maria de Hérédia, « Les Conquérants », Les Trophées, 1893.
Texte D : Blaise Cendrars, « Clair de Lune », Feuilles de route, 1924.
Texte A : Joachim Du Bellay, « Comme le marinier… », Les Regrets, 1558.
Comme le marinier, que le cruel orage
A longtemps agité dessus la haute mer,
Ayant finalement à force de ramer
Garanti son vaisseau du danger du naufrage,
Regarde sur le port, sans plus craindre la rage
Des vagues ni des vents, les ondes écumer :
Et quelqu'autre bien loin au danger d'abîmer
En vain tendre les mains vers le front du rivage :
Ainsi, mon cher Morel, sur le port arrêté
Tu regardes la mer, et vois en sûreté,
De mille tourbillons son onde renversée :
Tu la vois jusqu'au ciel s'élever bien souvent,
Et vois ton Du Bellay à la merci du vent
Assis au gouvernail dans une nef percée.
Texte B : Charles Baudelaire, « Déjà ! », Le Spleen de Paris, 1869.
Cent fois déjà le soleil avait jailli, radieux ou attristé, de cette cuve immense de la mer dont les bords ne se laissent qu'à peine apercevoir ; cent fois il s'était replongé, étincelant ou morose, dans son immense bain du soir. Depuis nombre de jours, nous pouvions contempler l'autre côté du firmament, et déchiffrer l'alphabet céleste des antipodes1. Et chacun des passagers gémissait et grognait. On eût dit que l'approche de la terre exaspérait leur souffrance. « Quand donc », disaient-ils, « cesserons-nous de dormir un sommeil secoué par la lame, troublé par un vent qui ronfle plus haut que nous ? Quand pourrons-nous manger de la viande qui ne soit pas salée comme l'élément infâme qui nous porte ? Quand pourrons-nous digérer dans un fauteuil immobile ? »
Il y en avait qui pensaient à leur foyer, qui regrettaient leurs femmes infidèles et maussades et leur progéniture criarde. Tous étaient si affolés par l'image de la terre absente, qu'ils auraient, je crois, mangé de l'herbe avec plus d'enthousiasme que les bêtes.
Enfin un rivage fut signalé, et nous vîmes, en approchant, que c'était une terre magnifique, éblouissante. Il semblait que les musiques de la vie s'en détachaient en un vague murmure, et que de ces côtes, riches en verdures de toutes sortes, s'exhalait, jusqu'à plusieurs lieues, une délicieuse odeur de fleurs et de fruits.
Aussitôt chacun fut joyeux, chacun abdiqua2 sa mauvaise humeur. Toutes les querelles furent oubliées, tous les torts réciproques pardonnés ; les duels convenus furent rayés de la mémoire, et les rancunes s'envolèrent comme des fumées.
Moi seul j'étais triste, inconcevablement triste. Semblable à un prêtre à qui on arracherait sa divinité, je ne pouvais, sans une navrante amertume, me détacher de cette mer si monstrueusement séduisante, de cette mer si infiniment variée dans son effrayante simplicité, et qui semble contenir en elle et représenter par ses jeux, ses allures, ses colères et ses sourires les humeurs, les agonies et les extases de toutes les âmes qui ont vécu, qui vivent et qui vivront !
En disant adieu à cette incomparable beauté, je me sentais abattu jusqu'à la mort ; et c'est pourquoi, quand chacun de mes compagnons dit : « Enfin ! » je ne pus crier que : « Déjà ! »
Cependant c'était la terre, la terre avec ses bruits, ses passions, ses commodités, ses fêtes ; c'était une terre riche et magnifique, pleine de promesses, qui nous envoyait un mystérieux parfum de rose et de musc, et d'où les musiques de la vie nous arrivaient en un amoureux murmure.
1. Le ciel tropical de l’autre hémisphère.
2. Au sens de « renoncer à ».
Texte C : José-Maria de Hérédia, « Les Conquérants », Les Trophées, 1893.
LES CONQUÉRANTS
Comme un vol de gerfauts1 hors du charnier2 natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer3, routiers4 et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.
Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango5 mûrit6 dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés7 inclinaient leurs antennes8
Aux bords mystérieux du monde occidental.
Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré ;
Ou, penchés à l'avant des blanches caravelles9,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles10.
1. Oiseau de proie, espèce de grand faucon utilisé au Moyen Âge pour la chasse.
2. Le nid où ces oiseaux apportent les cadavres de leurs proies.
3. C’est à Palos, avant-port de Moguer en Andalousie, que Christophe Colomb s’embarqua le 3 août 1492 pour ce qui n’était pas encore « l’Amérique ».
4. Soldats en quête de butin.
5. Nom du Japon sur les cartes du Moyen Âge (Colomb en avait fait le but de son expédition).
6. Selon les alchimistes, les métaux étaient une substance plus ou moins « mûrie » dans le sol, dont l’or constituait l’état le plus parfait.
7. Vents tropicaux réguliers soufflant d’est en ouest.
8. Cordages soutenant les voiles.
9. Vaisseaux portugais à grandes voiles blanches triangulaires.
10. Les constellations de l’hémisphère austral, comme la Croix du Sud, que les navigateurs découvrent.
Texte D : Blaise Cendrars, « Clair de Lune », Feuilles de route, 1924.
On tangue on tangue sur le bateau
La lune la lune fait des cercles dans l’eau
Dans le ciel c’est le mât qui fait des cercles
Et désigne toutes les étoiles du doigt
Une jeune Argentine accoudée au bastingage
Rêve à Paris en contemplant les phares qui dessinent la côte de France
Rêve à Paris qu’elle ne connaît qu’à peine et qu’elle regrette déjà
Ces feux tournants fixes doubles colorés à éclipses lui rappellent ceux qu’elle
voyait de sa fenêtre d’hôtel sur les Boulevards et lui promettent un prompt
retour
Elle rêve de revenir bientôt en France et d’habiter Paris
Le bruit de ma machine à écrire l’empêche de mener son rêve jusqu’au bout
Ma belle machine à écrire qui sonne au bout de chaque ligne et qui est aussi
rapide qu’un jazz
Ma belle machine à écrire qui m’empêche de rêver à bâbord comme à tribord
Et qui me fait suivre jusqu’au bout une idée
Mon idée
I - Vous répondrez à la question posée en vous appuyant avec précision sur les quatre textes du corpus (4 points) :
Selon vous, que veulent exprimer les poètes à travers l’évocation de la mer ?
II -
Travail d'écriture (16 points)
:
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ANTILLES
SÉRIES TECHNOLOGIQUES
Objet d'étude : Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours.
Corpus :
Texte A : Aloysius Bertrand, « Harlem », (Gaspard de la nuit, « École flamande » I, 1842).
Texte B : Émile Verhaeren, « L’âme de la ville », vers 1 à 33, (Les Villes tentaculaires, 1895).
Texte C : Guillaume Apollinaire, « Zone », vers 1 à 24, (Alcools, 1913).
Texte D : Blaise Cendrars, « Ville-champignon » (Du Monde Entier, 1912-1924).
Texte A : Aloysius Bertrand, « Harlem », (Gaspard de la nuit, « École flamande » I, 1842).
Harlem1
Harlem, cette admirable bambochade2 qui résume l'école
flamande, Harlem peint par Jean-Breughel, Peeter-Neef,
David-Téniers et Paul Rembrandt3.
Et le canal où l'eau bleue tremble, et l'église où le
vitrage d'or flamboie, et le stoël4 où sèche le linge
au soleil, et les toits, verts de houblon5.
Et les cigognes qui battent des ailes autour de l'horloge
de la ville, tendant le col du haut des airs et recevant
dans leur bec les gouttes de pluie.
Et l'insouciant bourguemestre6 qui caresse de la main
son double menton, et l'amoureux fleuriste qui maigrit,
l'œil attaché à une tulipe.
Et la bohémienne qui se pâme sur sa mandoline, et le
vieillard qui joue du Rommelpot7, et l'enfant qui enfle
une vessie.
Et les buveurs qui fument dans l'estaminet borgne8, et
la servante de l'hôtellerie qui accroche à la fenêtre un
faisan mort.
1. Harlem : célèbre port de la Hollande très souvent représenté en peinture.
2. Bambochade : peinture qui représente une fête.
3. Liste de peintres hollandais.
4. Stoël : balcon de pierre.
5. Houblon : céréale servant à faire la bière.
6. Bourguemestre : maire.
7. Rommelpot : instrument de musique.
8. Estaminet borgne : petite auberge mal famée.
Texte B : Émile Verhaeren, « L’âme de la ville », vers 1 à 33, (Les Villes tentaculaires, 1895).
L’âme de la ville
Les toits semblent perdus
Et les clochers et les pignons fondus,
Par ces matins fuligineux1 et rouges,
Où, feux à feux, des signaux bougent.
Une courbe de viaduc énorme
Longe les quais mornes et uniformes ;
Un train s’ébranle immense et las.
Au loin, derrière un mur, là-bas,
Un steamer2 rauque avec un bruit de corne.
Et par les quais uniformes et mornes,
Et par les ponts et par les rues,
Se bousculent, en leurs cohues,
Sur des écrans de brumes crues,
Des ombres et des ombres.
Un air de soufre et de naphte3 s’exhale,
Un soleil trouble et monstrueux s’étale ;
L’esprit soudainement s’effare
Vers l’impossible et le bizarre ;
Crime ou vertu, voit-il encor
Ce qui se meut en ces décors,
Où, devant lui, sur les places, s’élève
Le dressement tout en brouillards
D’un pilier d’or ou d’un fronton blafard4
Pour il ne sait quel géant rêve ?
Ô les siècles et les siècles sur cette ville,
Grande de son passé
Sans cesse ardent — et traversé,
Comme à cette heure, de fantômes !
Ô les siècles et les siècles sur elle,
Avec leur vie immense et criminelle
Battant — depuis quels temps ? —
Chaque demeure et chaque pierre
De désirs fous et de colères carnassières !
1. Fuligineux : avec un brouillard sombre.
2. Steamer : bateau à vapeur.
3. Naphte : goudron.
4. Fronton blafard : sommet d’un bâtiment de couleur pâle.
Texte C : Guillaume Apollinaire, « Zone », vers 1 à 24, (Alcools, 1913).
Zone
À la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation1
Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme
L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X2
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J'aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue des Ternes
1. Port-Aviation : il s’agit du premier aérodrome organisé créé au monde, en 1909 ; il se trouvait en région parisienne.
2. Pie X (1835-1914) est pape au moment de la composition du poème.
Texte D : Blaise Cendrars, « Ville-champignon » (Du Monde Entier, 1912-1924).
Ville-champignon
Vers la fin de l’année 1911 un groupe de financiers yankees1 décide la fondation
d’une ville en plein Far-West au pied des Montagnes Rocheuses
Un mois ne s’est pas écoulé que la nouvelle cité encore sans aucune maison est
déjà reliée par trois lignes au réseau ferré de l’Union
Les travailleurs accourent de toutes parts
Dès le deuxième mois trois églises sont édifiées et cinq théâtres en pleine
exploitation
Autour d’une place où subsistent quelques beaux arbres une forêt de poutres
métalliques bruit nuit et jour de la cadence des marteaux
Treuils
Halètement des machines
Les carcasses d’acier des maisons de trente étages commencent à s’aligner
Des parois de briques souvent de simples plaques d’aluminium bouchent les
interstices de la charpente de fer
On coule en quelques heures des édifices en béton armé selon le procédé Edison
Par une sorte de superstition on ne sait comment baptiser la ville et un concours est
ouvert avec une tombola et des prix par le plus grand journal de la ville qui
cherche également un nom
1. Yankees : américains.
I - Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez aux questions suivantes de façon organisée et synthétique. (6 points)
1. Comment le tableau de la ville est-il animé dans ces différents textes ?
(3 points)
2. Quelles valeurs positives ou négatives sont associées à la ville dans ces textes ?
(3 points)
II -
Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (14 points) :
- Commentaire
Vous ferez le commentaire du texte d’Emile Verhaeren (texte B) en vous aidant du parcours de lecture suivant :
- En quoi la ville se présente-t-elle ici comme la synthèse d’éléments contradictoires ?
- Pourquoi ce texte apparaît-il toutefois comme un éloge de la ville ?
- Dissertation
Pensez-vous que la poésie doive plutôt peindre le monde ou exprimer les sentiments les plus intimes ?
Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, mais aussi sur les œuvres que vous avez étudiées ou lues personnellement.
- Invention
À la manière de l’un des poètes du corpus, que vous indiquerez explicitement, vous décrirez, sans pour autant faire des vers, une ville qui vous a particulièrement émerveillé ou que vous rêvez de visiter.
Votre texte ne comportera pas moins d’une quarantaine de lignes.
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ASIE
SÉRIES ES / S
Objet d'étude : La question de l'Homme dans les genres de l'argumentation du XVIème siècle
à nos jours.
Corpus
:
Texte A : Pierre Corneille, Médée, acte I, scène 4, 1635.
Texte B : Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête, 1757.
Texte C : Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Livre neuvième, chapitre 2, 1831.
Texte D : Émile Zola, La Bête humaine, chapitre II, 1890.
Texte A : Pierre Corneille, Médée, acte I, scène 4, 1635.
[Jason et Médée se sont aimés passionnément et de leur union sont nés deux
enfants. Par amour pour lui, elle a commis les pires crimes. Mais à présent, Jason en
aime une autre et veut chasser Médée...]
MÉDÉE
[…]
Jason me répudie ! et qui l'aurait pu croire ?
S'il a manqué d'amour, manque-t-il de mémoire ?
Me peut-il bien quitter après tant de bienfaits ?
M'ose-t-il bien quitter après tant de forfaits1 ?
Sachant ce que je puis, ayant vu ce que j'ose,
Croit-il que m'offenser ce soit si peu de chose ?
Quoi ! mon père trahi, les éléments forcés,
D'un frère dans la mer les membres dispersés2,
Lui font-ils présumer mon audace épuisée ?
Lui font-ils présumer qu'à mon tour méprisée,
Ma rage contre lui n'ait par où s'assouvir3,
Et que tout mon pouvoir se borne à le servir ?
Tu t'abuses, Jason, je suis encor moi-même.
Tout ce qu'en ta faveur fit mon amour extrême,
Je le ferai par haine ; et je veux pour le moins
Qu'un forfait nous sépare, ainsi qu'il nous a joints ;
Que mon sanglant divorce4, en meurtres, en carnage,
S'égale aux premiers jours de notre mariage,
Et que notre union, que rompt ton changement,
Trouve une fin pareille à son commencement.
Déchirer par morceaux l'enfant aux yeux du père
N'est que le moindre effet qui suivra ma colère ;
Des crimes si légers furent mes coups d'essai :
Il faut bien autrement montrer ce que je sai5 ;
Il faut faire un chef-d’oeuvre, et qu'un dernier ouvrage
Surpasse de bien loin ce faible apprentissage.
1. Forfaits : crimes énormes.
2. D’un frère dans la mer les membres dispersés : Médée a égorgé, dépecé et jeté
dans la mer les morceaux du cadavre de son frère.
3. N’ait par où s’assouvir : ne trouve pas comment se rassasier.
4. Divorce : séparation.
5. Sai : orthographe utilisée pour la rime avec « essai ».
Texte B : Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête, 1757.
[Pour sauver son vieux père retenu prisonnier dans le château d'un être monstrueux,
la Belle accepte de prendre sa place auprès de la Bête, qui le laisse partir.]
Lorsqu'il fut parti, la Belle s'assit dans la grande salle et se mit à pleurer aussi.
Mais comme elle avait beaucoup de courage, elle se recommanda à Dieu et résolut
de ne se point chagriner pour le peu de temps qu'elle avait à vivre car elle croyait
fermement que la Bête la mangerait le soir. Elle résolut de se promener en attendant et de visiter ce beau château.
Elle ne pouvait s'empêcher d'en admirer la beauté. Mais elle fut bien surprise
de trouver une porte sur laquelle il y avait écrit : Appartement de la Belle. Elle ouvrit
cette porte avec précipitation et fut éblouie de la magnificence qui y régnait. Mais ce
qui frappa le plus sa vue fut une grande bibliothèque, un clavecin et plusieurs livres
de musique. « On ne veut pas que je m'ennuie », dit-elle, tout bas. Elle pensa
ensuite : « Si je n'avais qu'un jour à demeurer ici, on ne m'aurait pas ainsi
pourvue1.» Cette pensée ranima son courage. Elle ouvrit la bibliothèque et vit un
livre où il y avait écrit en lettres d'or : Souhaitez, commandez : vous êtes ici la reine
et la maîtresse. « Hélas ! dit-elle en soupirant, je ne souhaite rien que de voir mon
pauvre père et de savoir ce qu'il fait à présent. » Elle avait dit cela en elle-même.
Quelle fut sa surprise, en jetant les yeux sur un grand miroir, d'y voir sa
maison où son père arrivait avec un visage extrêmement triste ! Ses sœurs venaient
au-devant de lui et, malgré les grimaces qu'elles faisaient pour paraître affligées, la
joie qu'elles avaient de la perte de leur sœur paraissait sur leur visage. Un moment
après, tout cela disparut, et la Belle ne put s'empêcher de penser que la Bête était
bien complaisante2 et qu'elle n'avait rien à craindre.
À midi, elle trouva la table mise et, pendant son dîner, elle entendit un
excellent concert, quoiqu'elle ne vît personne. Le soir, comme elle allait se mettre à
table, elle entendit le bruit que faisait la Bête et ne put s'empêcher de frémir.
« La Belle, lui dit ce monstre, voulez-vous bien que je vous voie souper ?
— Vous êtes le maître, répondit la Belle en tremblant.
— Non, reprit la Bête, il n'y a ici de maîtresse que vous. Vous n'avez qu'à me
dire de m'en aller si je vous ennuie ; je sortirai tout de suite. Dites-moi, n'est-ce pas
que vous me trouvez bien laid ?
— Cela est vrai, dit la Belle, car je ne sais pas mentir ; mais je crois que vous
êtes fort bon.
— Vous avez raison, dit le monstre. Mais outre que je suis laid, je n'ai point
d'esprit : je sais bien que je ne suis qu'une Bête.
— On n'est pas bête, reprit la Belle, quand on croit n'avoir point d'esprit. Un sot
n'a jamais su cela.
— Mangez donc, la Belle, dit le monstre, et tâchez de ne point vous ennuyer
dans votre maison car tout ceci est à vous, et j'aurais du chagrin3 si vous n'étiez pas
contente.
— Vous avez bien de la bonté, dit la Belle. Je vous assure que je suis contente
de votre cœur. Quand j'y pense, vous ne me paraissez plus si laid.
— Oh ! dame, oui ! répondit la Bête. J'ai le cœur bon, mais je suis un monstre.
— Il y a bien des hommes qui sont plus monstres que vous, dit la Belle, et je
vous aime mieux avec votre figure que ceux qui, avec la figure d'homme, cachent un
cœur faux, corrompu, ingrat. […] »
1. Pourvue : le mot désigne ici toutes les richesses offertes par la Bête.
2. Complaisante : qui se montre aimable pour plaire à autrui.
3. Chagrin : souffrance morale profonde.
Texte C : Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Livre neuvième, chapitre 2, 1831.
[Injustement accusée d'un meurtre qu'elle n'a pas commis, la jeune bohémienne (ici
appelée « égyptienne ») Esmeralda est condamnée à mort. Elle est sauvée par
Quasimodo, le monstrueux sonneur de cloches, qui l'enlève et la conduit dans son
refuge, une tour de la cathédrale Notre-Dame de Paris.]
Tant que cette course avait duré, la jeune fille n’avait pu reprendre ses sens, à
demi assoupie, à demi éveillée, ne sentant plus rien sinon qu’elle montait dans l’air,
qu’elle y flottait, qu’elle y volait, que quelque chose l’enlevait au-dessus de la terre.
De temps en temps, elle entendait le rire éclatant, la voix bruyante de Quasimodo à
son oreille ; elle entrouvrait ses yeux ; alors au-dessous d’elle elle voyait
confusément Paris marqueté de ses mille toits d’ardoises et de tuiles comme une
mosaïque rouge et bleue, au-dessus de sa tête la face effrayante et joyeuse de
Quasimodo. Alors sa paupière retombait ; elle croyait que tout était fini, qu’on l’avait
exécutée pendant son évanouissement, et que le difforme esprit qui avait présidé à
sa destinée l’avait reprise et l’emportait. Elle n’osait le regarder et se laissait aller.
Mais quand le sonneur de cloches échevelé et haletant l’eut déposée dans la
cellule du refuge, quand elle sentit ses grosses mains détacher doucement la corde
qui lui meurtrissait les bras, elle éprouva cette espèce de secousse qui réveille en
sursaut les passagers d’un navire qui touche au milieu d’une nuit obscure. Ses
pensées se réveillèrent aussi, et lui revinrent une à une. Elle vit qu’elle était dans
Notre-Dame ; elle se souvint d’avoir été arrachée des mains du bourreau ; que
Phœbus1 était vivant, que Phœbus ne l’aimait plus ; et ces deux idées, dont l’une
répandait tant d’amertume sur l’autre, se présentant ensemble à la pauvre
condamnée, elle se tourna vers Quasimodo qui se tenait debout devant elle, et qui lui
faisait peur ; elle lui dit : — Pourquoi m’avez-vous sauvée ?
Il la regarda avec anxiété, comme cherchant à deviner ce qu’elle lui disait. Elle
répéta sa question. Alors il lui jeta un coup d’œil profondément triste, et s’enfuit.
Elle resta étonnée.
Quelques moments après il revint, apportant un paquet qu’il jeta à ses pieds.
C’étaient des vêtements que des femmes charitables avaient déposés pour elle au
seuil de l’église. Alors elle abaissa ses yeux sur elle-même, se vit presque nue, et
rougit. La vie revenait.
Quasimodo parut éprouver quelque chose de cette pudeur. Il voila son regard
de sa large main, et s’éloigna encore une fois, mais à pas lents.
Elle se hâta de se vêtir. C’était une robe blanche avec un voile blanc. Un habit
de novice de l’Hôtel-Dieu2.
Elle achevait à peine qu’elle vit revenir Quasimodo. Il portait un panier sous un
bras et un matelas sous l’autre. Il y avait dans le panier une bouteille, du pain, et
quelques provisions. Il posa le panier à terre, et dit : — Mangez. Il étendit le matelas
sur la dalle, et dit : — Dormez. C’était son propre repas, c’était son propre lit que le
sonneur de cloches avait été chercher.
L’égyptienne leva les yeux sur lui pour le remercier ; mais elle ne put articuler
un mot. Le pauvre diable était vraiment horrible. Elle baissa la tête avec un
tressaillement d’effroi.
1. Phœbus : capitaine de la garde attiré par la gitane Esmeralda mais sans réels
sentiments pour elle.
2. Novice de l’Hôtel-Dieu : jeune religieuse.
Texte D : Émile Zola, La Bête humaine, chapitre II, 1890.
[Lors d'une promenade nocturne, Jacques Lantier rencontre Flore, une jeune fille qu'il
connaît depuis l'enfance. Une paire de ciseaux à la main, elle coupe et récupère de
vieux morceaux de cordes. Une conversation se noue entre eux, lors de laquelle
Flore avoue à Jacques son amour. Alors qu'ils s'étreignent, Jacques, possédé par
une soudaine envie de tuer, saisit la paire de ciseaux... mais avant de commettre son
crime, il retrouve ses esprits et s'enfuit, horrifié.]
Mon Dieu ! il était donc revenu, ce mal abominable dont il se croyait guéri ?
Voilà qu’il avait voulu la tuer, cette fille ! Tuer une femme, tuer une femme ! cela
sonnait à ses oreilles, du fond de sa jeunesse, avec la fièvre grandissante, affolante
du désir. Comme les autres, sous l’éveil de la puberté, rêvent d’en posséder une, lui
s’était enragé à l’idée d’en tuer une. Car il ne pouvait se mentir, il avait bien pris les
ciseaux pour les lui planter dans la chair, dès qu’il l’avait vue, cette chair, cette gorge,
chaude et blanche. Et ce n’était point parce qu’elle résistait, non ! c’était pour le
plaisir, parce qu’il en avait une envie, une envie telle, que, s’il ne s’était pas
cramponné aux herbes, il serait retourné là-bas, en galopant, pour l’égorger. Elle,
mon Dieu ! cette Flore qu’il avait vue grandir, cette enfant sauvage dont il venait de
se sentir aimé si profondément. Ses doigts tordus entrèrent dans la terre, ses
sanglots lui déchirèrent la gorge, dans un râle d’effroyable désespoir.
Pourtant, il s’efforçait de se calmer, il aurait voulu comprendre. Qu’avait-il
donc de différent, lorsqu’il se comparait aux autres ? Là-bas, à Plassans, dans sa
jeunesse, souvent déjà il s’était questionné. Sa mère Gervaise, il est vrai, l’avait eu
très jeune, à quinze ans et demi ; mais il n’arrivait que le second, elle entrait à peine
dans sa quatorzième année, lorsqu’elle était accouchée du premier, Claude ; et
aucun de ses deux frères, ni Claude, ni Étienne, né plus tard, ne semblait souffrir
d’une mère si enfant et d’un père gamin comme elle, ce beau Lantier, dont le
mauvais coeur devait coûter à Gervaise tant de larmes. Peut-être aussi ses frères
avaient-ils chacun son mal, qu’ils n’avouaient pas, l’aîné surtout qui se dévorait à
vouloir être peintre, si rageusement qu’on le disait à moitié fou de son génie. La
famille n’était guère d’aplomb, beaucoup avaient une fêlure1. Lui, à certaines heures,
la sentait bien, cette fêlure héréditaire ; non pas qu’il fût d’une santé mauvaise, car
l’appréhension et la honte de ses crises l’avaient seules maigri autrefois ; mais
c’étaient, dans son être, de subites pertes d’équilibre, comme des cassures, des
trous par lesquels son moi lui échappait, au milieu d’une sorte de grande fumée qui
déformait tout. Il ne s’appartenait plus, il obéissait à ses muscles, à la bête enragée.
1. Fêlure : déséquilibre psychologique ou moral.
I - Vous répondrez d'abord à la question suivante (4 points) :
Dans quelle mesure ces personnages monstrueux restent-ils aussi des êtres
humains ?
II -
Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des trois sujets suivants (16 points)
:
- Commentaire
Vous commenterez l’extrait de La Belle et la Bête, de Jeanne-Marie Leprince
de Beaumont (Texte B).
-
Dissertation
Le personnage monstrueux, dans les œuvres littéraires et artistiques, est-il
seulement un repoussoir, un objet de répulsion ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur les textes du corpus,
les œuvres étudiées en classe, vos lectures et votre culture personnelles.
-
Invention
Blessé par le regard épouvanté d’Esmeralda à la fin du texte, Quasimodo, qui
s’était senti transporté et héroïque, est brusquement ramené à sa seule monstruosité
physique.
Écrivez un monologue intérieur dans lequel, plein d’amertume, il se remémore
cette scène et essaie de comprendre pourquoi, quoi qu’il fasse, il ne sera jamais
qu’un monstre aux yeux des autres.
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NOUVELLE CALÉDONIE
SÉRIE L
Objet d'étude : Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme.
Corpus
:
Texte A : Joachim Du Bellay, Les Regrets, sonnet 150, 1558
Texte B : Érasme, Éloge de la Folie, chapitre LVI, 1511. Traduction de Pierre de Nolhac
Texte C : Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, édition posthume 1577. Adaptation en français moderne par Myriam Marrache-Gouraud
Texte D : Montaigne, Essais, livre III, chapitre X, 1592. Adaptation en français moderne par André Lanly.
Texte A : Joachim Du Bellay, Les Regrets, 1558.
[Dans ce sonnet, Du Bellay se moque des courtisans, « les singes de cour », dont il critique l'hypocrisie.]
Seigneur1, je ne saurais regarder d'un bon œil
Ces vieux singes de cour, qui ne savent rien faire,
Sinon en leur marcher2 les princes contrefaire3,
Et se vêtir, comme eux, d'un pompeux appareil.
Si leur maître se moque, ils feront le pareil,
S'il ment, ce ne sont eux qui diront du contraire,
Plutôt auront-ils vu, afin de lui complaire4,
La lune en plein midi, à minuit le soleil.
Si quelqu'un devant eux reçoit un bon visage5,
Ils le vont caresser, bien qu'ils crèvent de rage :
S'il le reçoit mauvais, ils le montrent du doigt.
Mais ce qui plus contre eux quelquefois me dépite6,
C'est quand devant le roi, d'un visage hypocrite,
Ils se prennent à rire, et ne savent pourquoi...
1. Apostrophe conventionnelle en début de sonnet. Du Bellay adresse son poème à un puissant.
2. Leur façon de marcher.
3. Imiter.
4. Plaire.
5. Reçoit un bon accueil du roi.
6. Me contrarie.
Texte B : Érasme, Éloge de la Folie, 1511.
[Dans cette œuvre, c'est la Folie qui parle. Elle fait la satire des grands de ce monde.]
Que dirai-je des Gens de cour ? Il n'y a rien de plus rampant, de plus servile, de plus sot, de plus vil que la plupart d'entre eux, et ils ne prétendent pas moins au premier rang partout. Sur un point seulement, ils sont très réservés; satisfaits de mettre sur leur corps l'or, les pierreries, la pourpre et les divers emblèmes des
vertus et de la sagesse, ils laissent de celles-ci la pratique à d'autres. Tout leur bonheur est d'avoir le droit d'appeler le roi « Sire », de savoir le saluer en trois paroles, de prodiguer des titres officiels où il est question de Sérénité, de Souveraineté, de Magnificence. Ils s'en barbouillent le museau, s'ébattent dans la flatterie; tels sont les talents essentiels du noble et du courtisan.
Si vous y regardez de plus près, vous verrez qu'ils vivent comme de vrais
Phéaciens1, des prétendants de Pénélope2. [...] Ils dorment jusqu'à midi; un petit prêtre à leurs gages3, qui attend près du lit, leur expédie, à peine levés, une messe hâtive. Sitôt le déjeuner fini, le dîner les appelle. Puis ce sont les dés, les échecs, les devins, les bouffons, les filles, les amusements et les bavardages. Entre-temps,
une ou deux collations4 ; puis on se remet à table pour le souper, qui est suivi de beuveries. De cette façon, sans risque d'ennui, s'écoulent les heures, les jours, les mois, les années, les siècles. Moi-même je quitte avec dégoût ces hauts personnages, qui se croient de la compagnie des Dieux et s'imaginent être plus près d'eux quand ils portent une traîne plus longue. Les grands jouent des coudes à
l'envi pour se faire voir plus rapprochés de Jupiter, n'aspirant qu'à balancer à leur cou une chaîne plus lourde, étalant ainsi à la fois la force physique et l'opulence5.
1. Peuple imaginé par Homère, réputé pour mener une vie de plaisirs et de fêtes.
2. Dans l'Odyssée d'Homère, épouse du roi Ulysse. Elle attend le retour de son mari pendant vingt ans. Durant cette attente, elle est courtisée par de nombreux prétendants.
3. Prêtre à leur service.
4. Repas légers.
5. Abondance de biens.
Texte C : Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire, 1577.
[Dans ce discours, Étienne de la Boétie exhorte ses contemporains : pour lui, l'oppression politique prend naissance dans leur consentement.]
Toutefois, en voyant ces gens-là qui courtisent le tyran pour faire leur profit de sa tyrannie et de la servitude du peuple, je suis souvent saisi d'ébahissement devant leur méchanceté, et quelquefois j'éprouve de la pitié devant leur sottise. Car, à dire vrai, s'approcher du tyran, est-ce autre chose que s'éloigner davantage de sa
liberté, et pour ainsi dire, serrer à deux mains et embrasser la servitude1 ?
Qu'ils mettent un instant de côté leur ambition, qu'ils se débarrassent un peu de leur cupidité, et puis qu'ils se regardent eux-mêmes et qu'ils apprennent à se connaître : ils verront alors clairement que les villageois, les paysans, qu'ils foulent aux pieds tant qu'ils le peuvent, et qu'ils rendent pires que des forçats ou des esclaves, ils verront, dis-je, que ceux qui sont ainsi malmenés sont toutefois, par rapport à eux, chanceux et d'une certaine façon libres.
Le laboureur et l'artisan, même s'ils sont asservis, en sont quittes en faisant ce qu'on leur dit. Mais le tyran voit les gens qui sont près de lui quémandant et mendiant sa faveur : il ne faut pas seulement qu'ils fassent ce qu'il dit, mais qu'ils
pensent ce qu'il veut, et souvent, pour lui donner satisfaction, qu'ils préviennent encore ses pensées. Il ne leur suffit pas à eux, de lui obéir, il faut encore lui complaire, il faut qu'ils se brisent, qu'ils se tourmentent, qu'ils se tuent à travailler pour ses affaires; et puis qu'ils se plaisent à son plaisir, qu'ils délaissent leur goût pour le sien, qu'ils forcent leur tempérament, qu'ils se dépouillent de leur naturel, il
faut qu'ils soient attentifs à ses paroles, à sa voix, à ses signes, et à ses yeux, qu'ils n'aient ni œil ni pied ni main qui ne soit aux aguets pour épier ses volontés et découvrir ses pensées.
Cela, est-ce vivre heureux ? Cela s'appelle-t-il vivre ? Est-il chose au monde moins supportable que cela, je ne dis pas pour un homme de cœur2, je ne dis pas pour un homme bien né, mais seulement pour un homme ayant du bon sens ou, simplement, une face d'homme ? Quelle condition est plus misérable que de vivre de telle sorte qu'on n'ait rien à soi, tenant d'autrui son plaisir, sa liberté, son corps et sa vie ?
1. État de dépendance totale envers une personne.
2. Qui a du courage.
Texte D : Montaigne, Essais, 1592.
[Dans cet extrait, Montaigne insiste sur la nécessité de faire la différence entre l'homme et la fonction. Pour lui, cette séparation est la condition de sa liberté.]
La plupart de nos occupations sont comiques. « Mundus universus exercet histrionam. »1. Il faut jouer notre rôle comme il faut, mais comme le rôle d'un personnage emprunté. Du masque et de l'apparence il ne faut pas faire une chose réelle, ni de ce qui nous est étranger faire ce qui nous
est propre. Nous ne savons pas distinguer la peau de la chemise. C'est assez de s'enfariner le visage sans s'enfariner le cœur. Je vois des hommes qui se transforment et se transsubstantient2 en autant de nouvelles formes et de nouveaux états3 qu'ils prennent de charges et qui font les prélats4 jusqu'au foie et aux intestins, et entraînent leur fonction publique jusque dans leur cabinet d'aisance5. Je ne peux pas leur apprendre à distinguer les saluts qui les concernent personnellement de ceux qui concernent leur charge ou leur suite ou leur mule. « Tantum de fortunae permittunt, etiam ut naturam dediscant. »6. Ils enflent et grossissent leur âme et leur parler naturel à la hauteur de leur siège magistral7. Le Maire8 et Montaigne ont toujours été deux, par une séparation bien claire.
1. Le monde entier joue la comédie.
2. Changement complet d'une substance en une autre.
3. Missions ou fonctions.
4. Membres du haut clergé.
5. Toilettes.
6. Ils s'abandonnent tellement à leur haute fortune qu'ils en oublient la nature.
7. À la hauteur de leur importante fonction.
8. Montaigne a été maire de Bordeaux.
I - Après avoir lu attentivement les documents du corpus, vous répondrez à la question suivante (4 points) :
Dans ces évocations de l'homme face au pouvoir, que dénoncent les auteurs ?
II -
Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des trois sujets suivants (16 points)
:
- Commentaire
Vous commenterez le texte de Du Bellay (texte A).
- Dissertation
Peut-on dire que les humanistes cherchent à rendre les hommes meilleurs ?
Vous appuierez votre développement sur les textes du corpus et les textes étudiés pendant l'année, ainsi que sur vos lectures personnelles.
- Invention
Montaigne (texte D) adresse une lettre à un jeune noble invité à la cour pour la première fois. Il le met en garde et lui indique comment se comporter. Vous écrirez cette lettre.
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