Jean Giono

          Un Roi sans divertissement
                                                     II

 

 Nous suivons ici l'ordre de la narration pour examiner une "première partie" (pp. 9-86), consacrée à "l'affaire M.V.", puis une seconde (pp.86-244) dont Langlois est le centre. A vrai dire, celui-ci occupe déjà un rôle central dans la première, mais nous considérons celle-ci comme une longue ouverture où Langlois, découvrant les mobiles de M.V., découvre aussi une part de lui-même. Ceci nous permettra de nous intéresser d'abord à la nature du récit avant d'en voir se déployer les formes et les thèmes.

 

 

 

 

I . Histoire de M.V. (pp. 9-86).

un roman policier ?

  Certes on trouve ici les poncifs du genre : une atmosphère (un village isolé en proie à la peur, pp. 27-28); une énigme (des disparitions inexplicables, des taches de sang); un détective (Langlois, qui, comme Maigret ou Hercule Poirot, a l'air d'en savoir rapidement plus que tous les autres : " Je comprends tout et je ne peux rien expliquer", p. 56); du "suspense" : le criminel se laisse apercevoir (pp. 21, 32-33), laisse des signes mystérieux (les cochons entaillés "de partout", p. 22), puis disparaît. Le climat de terreur (ou d'attente) renforce encore l'intérêt du lecteur. Giono semble s'amuser à répéter ces poncifs : ainsi pp. 62-63 où l'inconnu apparaît morceau par morceau; p. 48 où le narrateur précise qu'il n'écrit pas un fait divers banal d'homme-vampire; pp. 64-74 enfin, dans la longue filature de Frédéric.

  Car c'est tout autre chose que l'on devine, grâce en partie aux parenthèses ou aux incidentes, par lesquelles le narrateur, mine de rien, nous dit l'essentiel : ainsi l'atmosphère est en fait révélatrice (p. 26) des terreurs ancestrales et propres à l'humanité depuis qu'elle a quitté le soleil pour "les voûtes" (cf. p. 29). Très vite, on comprend que l'identité du criminel n'a pas d'importance (une initiale : M. V.) et que seul compte son mobile (p. 44). Le dénouement laissera le lecteur sur sa faim : pourquoi ces meurtres ? pourquoi cette exécution sommaire de M. V. par Langlois ?

une fable métaphysique ?

  On songe, bien sûr, au titre, emprunté à Pascal ("Un roi sans divertissement est un homme plein de misères") et à cette morale austère où le penseur classique condamne les vaines agitations des hommes comme autant de moyens de fuir la misère de leur condition. Et en effet le narrateur évoque l'ennui des villages isolés par l'hiver (pp. 15, 53) et emploie même le mot "divertissement" (p. 57, souligné) au moment où Langlois commence à deviner que les mobiles du meurtrier peuvent être d'ordre esthétique.

  Bien sûr, il y a loin de Pascal à Giono, et il semble même que celui-ci prenne la phrase des Pensées à rebours : ainsi, il peut être "légitime" de se divertir, fût-ce en tuant. Certes, dans cette première partie, ceci ne peut que se deviner, comme Langlois, au cours de la messe de minuit, "comprend tout et ne peut rien expliquer" (p. 56). Mais, de manière faussement innocente, Giono prépare le thème de la cruauté et du plaisir qu'on peut y trouver :
- le sang sur la neige s'installe dans le texte comme un thème obsédant ("très propre, rouge et blanc, c'était très beau", pp. 23-25). Du sang de Delphine, "bonne viande bourrée de sang" (p. 48), on dira aussi : "Son sang était très beau. Je dis beau. Parlons en peintre."
- les comparaisons et les métaphores visent nettement des référents culturels appropriés : Abraham, les prêtres Aztèques de Quetzalcoatl, aux "couteaux d'obsidienne [qui] s'enfoncent logiquement dans des cœurs choisis" (p. 49).
- les arbres, dans une somptueuse description de l'automne, deviennent prêtres-guerriers, bourreaux, pétrisseurs de sang;  l'Ouest "saigne sur des rochers qui sont incontestablement bien plus beaux sanglants" (pp. 36-37). Dans son délire dionysiaque, le hêtre de la scierie prend une dimension inquiétante, "dont la beauté hypnotisait comme l'œil des serpents ou le sang des oies sur le neige".

 On aura noté comment cette récurrence de la cruauté s'accompagne d'appréciations esthétiques : "Nous en sommes avertis par la beauté. On ne peut pas vivre dans un monde où l'on croit que l'élégance exquise du plumage de la pintade est inutile" (p. 49). Mots essentiels, quoi qu'en dise le narrateur. On peut ainsi trouver un dérivatif à tuer pour jouir d'un spectacle, comme celui du sang sur la neige. C'est ce que Langlois semble deviner. Ce goût qu'on pourrait juger "monstrueux" est en outre évoqué de manière très "naturelle", comme si Giono voulait précisément qu'on évite de juger M. V. - et, plus tard, Langlois - comme "monstrueux". Ainsi Langlois pressent que M. V. "n'est peut-être pas un monstre" (p. 56), affirme cette fois à Saucisse que "c'est un homme comme les autres" (p. 58). Frédéric lui-même est surpris de ce que M. V. "ait un air familier" (p. 84).

  Peut-on ainsi voir dans Un Roi une sorte de fable villageoise qui serait représentative de toute l'humanité et de ses efforts désespérés pour échapper, par une morale individuelle du plaisir, à l'absurde, à la mort ?

 

II. Le retour de Langlois (pp. 86-244).

Pour cette "deuxième partie", on choisira un découpage qui mette en valeur l'évolution de Langlois, devenu personnage central :

Langlois de retour au village (pp.86-114).

  Les vieux deviennent les narrateurs ("il y a plus de trente ans" : en 1916 ?), représentant la mémoire du village en même temps que la collectivité d'où se détache, par le respect mêlé de crainte qu'il leur inspire (p. 91), le "roi" Langlois. Celui-ci devenu austère et cassant, les villageois trouvent dans son cheval un substitut à leur déférence amicale  : "Il faisait avec nous tout ce que Langlois ne faisait pas" (p. 96). Plus encore que dans la première partie, Giono se fait ainsi allusif et mystérieux. Le récit des vieux accuse encore l'allure énigmatique de Langlois, sa visite au curé (pp. 100-101), l'entretien avec le procureur royal (pp. 101-104) puis son voyage à Saint-Baudille (pp. 111-112). Le personnage n'est vu que de l'extérieur : il ne présente qu'une façade, faite à la fois de maîtrise et d'insolence. Cette distance est le signe d'une impossibilité d'avoir accès à son for intérieur : ses tenues, son silence, son allure à la fois monacale et militaire, préservent son secret. "A la longue, lit-on, on prit l'habitude de se dire qu'en ce qui concernait Langlois, rien ne signifiait rien". Dans tous ces cas, Langlois est objet de visée, jamais centre de perspectives. Mais, par ailleurs, il apparaît, en même temps, comme sujet, centre de décision et de détermination : c'est lui qui mène le jeu, son caractère, sa compétence le rendent fascinant pour les villageois. « On le buvait des yeux, le Langlois. Ça, c'était un homme ». Ici, c'est au lecteur d'être plus perspicace que les villageois qui, narrateurs, multiplient les hésitations ("paraît-il, d'après Saucisse"). Tout au plus apprend-on (ou devine-t-on) que Langlois a demandé à revoir les ostensoirs (p. 100) et que le procureur, "amateur d'âmes", lui rend de fréquentes visites dont il sort tout à coup "ragaillardi" (p. 103). On sent que nous échappe ici toute une dimension du personnage, et pourtant le lecteur sait que Langlois doit chercher à meubler son ennui.

  Pour souligner ce thème, apparaissent deux nouveaux personnages, les Timothée (Tim), lui espèce de Tartarin (pp. 106 et 113), elle créole et maternelle, espèce de "tambour-major" (p. 108) qui donne des fêtes "à n'en plus finir" : "Vivez bien, nous disait-elle, vivez bien, c'est la seule chose à faire. Profitez de tout" (p.110). A ce rôle dévolu, grâce à elle, à la fête et au "carpe diem", s'ajoute celui de la chasse. Devenu capitaine de louveterie, Langlois semble d'autant plus régner sur le village qu'il est appelé à en chasser les loups comme il en a chassé M. V.


Le Trièves autour de Lalley, où séjourna plusieurs fois Jean Giono.

 

La battue au loup (pp. 114-144).

  Des liens désormais évidents s'installent entre la fête et la chasse, organisée comme une cérémonie (le mot est répété, doublé même par celui de "cérémonial" p. 119). La robe de Saucisse (pp. 117 et 122), le duo des cors, "pleins de menaces ancestrales", "appels nocturnes où il y avait tant d'angoisse" (p. 117), installent cette atmosphère solennelle et grave où se joue tout autre chose qu'une partie de plaisir. Une question fondamentale nous en assure : "Dans les régions qui avoisinent les tristesses et la mort, pourquoi n'y aurait-il pas un cérémonial encore plus exigeant ?" De fait, Langlois ordonne cette battue de main de maître : musiques, costumes, "chaque chose à sa place" (p. 119), itinéraires tracés avec précision (pp. 126-127), signes et signaux (pp. 128-129), tout en silence et solennité (ces mots sont répétés plusieurs fois pp. 129-130).
  A travers cette  battue au loup, aussi longue et minutieuse que l'était la filature de M. V. par Frédéric,  on est amené à comprendre que ce n'est pas de vraie chasse qu'il s'agit (p. 140), mais plutôt d'un affrontement métaphysique avec un Fléau quelconque (on notera l'insistance avec laquelle le loup est appelé "Monsieur", par exemple pp 141-142, ou la métaphore des vipères utilisée par le narrateur p. 135). Celui-ci insiste en effet à plusieurs reprises sur le thème des peurs ancestrales (pp. 125-126) et sur le rôle qu'une telle chasse a, pour une fois, donné aux villageois : si l'insolite est inquiétant ("A quoi se raccrocher quand il n'y a plus l'habitude ?", p. 126), cette cérémonie agite aussi la lourde monotonie du village et pousse chacun à se sublimer, à être à la hauteur de la qualité de l'instant : le narrateur évoque ainsi (p. 130) les paysans soudain redressés "comme des chevaux à qui on asticote la croupe".
  Tel est en effet ce qu'on comprend, encore à demi-mot, à travers Langlois et son air calme "comme s'il savait où il allait" (p. 126). Dans ses initiatives, il oppose aux regards une apparence qu'on ne saurait percer, mais, en même temps l'autorité que lui donnent "ces yeux qui regardaient on ne savait quoi [et qui] recouvraient sans doute la mécanique à calculer." Le lecteur devine aussi le sens du rendez-vous muet que se donnent ici Langlois et le procureur royal, cet "amateur d'âmes" et "cette bibliothèque qu'il portait dans ses yeux" (pp. 124-125). Les deux hommes ont l'air de participer à un rituel où l'un et l'autre savent bien sûr quoi trouver : Langlois un dérivatif essentiel et le procureur une âme à ajouter à sa collection. Autre rendez-vous enfin, celui de Langlois et du loup, qui fait songer à l'exécution de M. V. : même consentement à la mort, même "conciliabule muet entre l'expéditeur et l'encaisseur de mort subite" (p. 143), même nombre de coups de pistolet dans le ventre.

  De ce passage, on retiendra surtout la dimension métaphysique admirablement suggérée par Giono et qui justifie le choix du narrateur. Simple et fruste (voir sa manière de s'exprimer et les images qui lui viennent pp. 135-136), celui-ci semble deviner vaguement ce que le lecteur est invité, lui, à comprendre plus nettement grâce à l'insistance maladroite des motifs ou des détails bizarres. C'est ainsi que, par le procédé de ces grilles qui ne composent un message que si on les superpose, Giono a multiplié les narrateurs pour communiquer au lecteur une même vérité, fragmentée en autant d'éclats qu'il y a de voix : on peut jouir de la cruauté, on peut même y trouver le seul divertissement qui vaille. L'allusion au mot du procureur de la p. 103 ("Méfiez-vous de la vérité, elle est vraie pour tout le monde"), mot "pas si bête que ça", nous prévient en même temps de la banalité du cas Langlois, lui déniant toute monstruosité.

La visite à la brodeuse  (pp. 144-182).

  Ce passage fait entrer en scène le personnage de Delphine dont le lecteur comprendra mieux le rôle par la suite. On devine peut-être une certaine jalousie entre celle-ci et Saucisse ("ce n'était pas MON Langlois", p.150), mais Giono, avant que Saucisse ne devienne la narratrice, dissipe surtout le malentendu qui pourrait égarer le lecteur à propos de ses relations avec Langlois ("Je suis née vingt ans trop tôt", p. 163). Pourtant, dès que Saucisse a pris la parole, le lecteur se rapproche évidemment beaucoup plus de Langlois, d'autant qu'elle est extrêmement perspicace. Ainsi le rapport qu'elle fait d'un propos ancien de Langlois, tout à fait essentiel, et que Giono souligne (p. 158), où s'affirme une fois encore l'humanité simple des prétendus monstres : "Je ne crois pas, moi, qu'un homme puisse être différent des autres hommes au point d'avoir des raisons totalement incompréhensibles. Il n'y a pas d'étrangers." Ainsi, au cours de la visite chez la brodeuse, Saucisse, qui ne sait rien, devine tout, ou le laisse deviner : que, par exemple, Langlois est venu "pour prendre l'air de la maison" (p. 165), que cette petite supercherie très importante (p. 166) ne doit pas être découverte. Alors que Mme Tim joue son rôle de manière empressée, Saucisse flaire à droite et à gauche (p. 170 : "la curiosité me soûlait un peu"). Et si Mme Tim dira plus tard que la brodeuse avait un "halètement de biche poursuivie" (p. 173), c'est Saucisse qui nous en apprend davantage en notant "la pâleur de Langlois" (p. 171), son immobilité indéchiffrable (p. 177) et sa longue contemplation du portrait qu'elle n'a pu identifier, mais dont dont tout nous laisse à penser qu'il s'agit de M. V. ("Vous êtes veuve, n'est-ce pas ?" a demandé Mme Tim à la brodeuse, p. 182).

  Rien n'est aussi sûr cependant et, ici encore, la technique du point de vue choisie par Giono se révèle payante : en épiant Langlois, Saucisse communique sa curiosité au lecteur et livre des détails fragmentaires qu'il est libre d'organiser ou non. Mais peut-on ignorer les indices livrés comme en passant, de l'origine obscure des motifs pour lesquels la brodeuse s'est installée là ("il n'est pas possible qu'une femme tant soit peu propre puisse habiter ici", p. 168) à la gravité de Langlois évoquant cette "femme éperdue" (p .166) ? A cela s'ajoute le discours direct de la narration, rempli de parenthèses et d'incidentes qui retardent les révélations et traduisent bien l'immense crispation de cette scène où se joue tout autre chose que ce qui est raconté. Cette petite "farce" est en outre très théâtrale (beaucoup de détails, de mouvements de scène, de morceaux de dialogue, de gestes affairés) et ne fait qu'accuser davantage le silence de Langlois qu'on devine en tête à tête avec M. V., c'est-à-dire avec une part de lui-même. Mais, même vingt ans après, il reste bien des questions sans réponse. Le relief romanesque du personnage de Langlois tient au télescopage d'une proximité et d'une distance. Telle cette scène où, après la visite à Mme V., le Procureur vient souvent (pourquoi ?) chez Saucisse dès huit heures du matin. "Nous écoutons Langlois siffler. Nous savons qu'il se rase. Et tout d'un coup il ne siffle plus", etc.

 

 

La fête chez Mme Tim - Le mariage de Langlois (pp. 182-239).

  La manière dont est amenée l'invitation de Mme Tim pour "une sorte d'anniversaire" est assez représentative de la manière dont Saucisse évoque Langlois de l'extérieur ("Langlois commence à siffler", p. 186; "Langlois commence à sourire", p. 188), renforçant ainsi l'énigme du personnage. Bonne mise en scène aussi du train-train quotidien et de ce rythme régulier que la vie paysanne inflige au temps, si bien que, une fois arrivée et acceptée l'invitation de Mme Tim, la perspective d'une nouvelle fête redonne le sourire à Langlois et fait que les paysans, "avec [leurs] foires, [leurs] blés et [leurs] bouses", peuvent "aller se faire foutre" (p. 189). Très nettement d'ailleurs (p. 190), Saucisse oppose le "roi" Langlois ("ce type chaud et de velours" qui vous "assure dans vos propres bottes") aux paysans, ramenés à leur dimension médiocre et terrienne ("la bouse de vos vaches, ça vous suffit comme point de vue"). Ce petit voyage à Saint-Baudille est aussi un exemple parlant du ton de Saucisse, à la fois vulgaire et précieux, burlesque et grave (ainsi la manière pittoresque dont elle évoque la fête donnée par Mme Tim : "un peppermint à vous donner des reins de cerf", p. 194).

  Cette fête présentée par Saucisse de manière théâtrale et un peu forcée (vêtements, salle de théâtre, attitudes grotesques) est bien, comme la chasse, un divertissement au cours duquel les êtres conjurent leur ennui et sont un peu sublimés ("nous n'étions pas dans une situation ordinaire", lit-on p. 197). Mais, cette fois, l'ennui ne semble qu'hypocritement dissimulé. Langlois, présenté à profil perdu par Saucisse, est maintenu - et se maintient - "à distance respectueuse" (p. 196), la chambre préparée pour lui par Mme Tim trahit des "lointains artificiels" (p. 203), et lorsque Saucisse le fait parler (pp. 204-205), on a nettement l'impression d'un empressement de façade, un peu contraint, où l'on devine le drame ("C'est fait", p. 204). Langlois a-t-il dès ce moment compris l'amère vanité de tout divertissement, son impuissance à dissiper l'angoisse ou l'ennui, et l'artifice même de ce qui, pour un court moment, métamorphose les individus les plus médiocres ?  Dans un carnet, cette note de Giono : "Fonte des divertissements à mesure qu'on les trouve". Est-ce cette impuissance que Giono veut figurer par le labyrinthe que Langlois fait installer (p. 207) ?

  Le mariage de Langlois paraît guidé avant tout dans son esprit par le souci de ne pas répéter le destin de M. V. : "à condition que ce ne soit pas une brodeuse" (p. 209) fait évidemment allusion à sa veuve, comme le portrait en pied et l'intérieur "garde meuble" qui l'entouraient : "Je ne veux pas qu'on m'entoure" (p. 210). Cette préoccupation du mariage chez Langlois n'avoue pas ses intentions ; "ce n'est pas un souci", nous dit-on (p.212), "n'en rien déduire", "ne laisser d'illusions à personne" (pp. 218-220). Pourtant, un souci peut-être : "pourquoi est-ce que ça presse ?" (p. 212) et "L"homme dit que la vie est extrêmement courte" (p. 223). Quant à Delphine, jeune et sotte, incapable de rien comprendre ni rien deviner (p. 237), elle est l'anti-brodeuse, en effet, que Langlois fuit tout de suite. Par ce mariage qui, en aucun cas, n'est une fête, on peut, nous, pressentir que Langlois, sentant venir l'âge, a décidé de se ranger, de conjurer peut-être, par un mariage sans histoires et une épouse sans malice, le drame qu'il sent monter en lui.  Mais c'est aussi à ce moment qu'apparaissent en termes liés des "coups de mine" à la carrière et des cigares (pp. 236-237).

La décapitation de l'oie (pp. 240-245).

  La dernière manifestation du point de vue est hautement symbolique dans le récit qu'Anselmie donne, rapporté par Saucisse, de la décapitation de l'oie. Car Anselmie est, dès le début du roman, présentée comme la personne la plus sotte du village ("plus têtue qu'une mule", p. 47, "une vraie brute", dit Saucisse p. 240). Et c'est par son regard borné que Giono nous raconte la longue fascination de Langlois pour le sang sur la neige. On a l'impression d'une énorme distance, d'un malentendu entre le héros et son entourage, d'un signe évident de sa solitude. En même temps, le lecteur est encore invité à deviner l'objet de cette fascination, à comprendre entre les lignes que Langlois découvre ici la dimension de sa propre cruauté et qu'il est prêt, peut-être, comme M. V., à passer à l'acte.  Moment-clé donc où Langlois est confronté à sa conscience et prend la décision de supprimer en lui la pulsion qui, dès lors, peut lui apparaître comme le seul divertissement possible. En ce sens, son suicide peut être interprété comme le geste royal par lequel l'individu agit sur son destin et se sacrifie pour la communauté.

  Pour le récit rapide de ce suicide, on retrouve le narrateur du début, extérieur à l'affaire et capable d'en interpréter le sens symbolique ("voilà ce qu'il dut faire", p. 243). La dynamite transformée en cigare accomplit les signes conjugués depuis quelques pages et apparaît comme le symbole d'une liberté souveraine, presque décontractée, devant la mort. Seules les dernières phrases permettent l'élargissement métaphysique : "La tête de Langlois prenait, enfin, les dimensions de l'univers" (p. 243). Cet "enfin" peut être interprété comme un soulagement. La référence, cette fois directe, à Pascal, place le roman sous son angle véritable. La question feint de rechercher l'auteur ("qui a dit...?"), comme pour lui donner raison, mais elle tait volontairement la solution pascalienne. Le silence qui suit la détonation nous laisse seuls face à l'absurde et au désespoir, élevés "aux dimensions de l'univers".

 

  Aidez-vous des notices de la page précédente et de cette lecture suivie pour remplir le tableau ci-dessous. Une fois constitué, il pourra vous servir pour vos exposés ou dissertations et pour la conduite de l'entretien à l'oral :

Sujets

Perspectives

Commentaires &
passages à retenir

Une chronique le traitement du temps.
le rôle dévolu au lecteur.
un apologue ?
...
Un récit lacunaire énigmes et non-dits.
signes et signaux.
...
Les points de vue raisons de leur pluralité.
le "cas Langlois" vu par chacun d'eux.
...
L'ennui l'ennui des campagnes.
figures de l'ennui.
...
Valeur et vanité du divertissement fêtes et cérémonies.
"fonte des divertissements".
...
La "monstruosité" la cruauté.
beauté du sang sur la neige.
des monstres ?
...

 

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