La
contraction de texte suppose une bonne
connaissance des caractères du discours
argumentatif, dont vous trouverez les notions
indispensables sur les pages précédentes du site
:
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Voir sur Amazon :
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Pour convaincre, le texte argumentatif se
doit d'être soigneusement structuré. Que ce soit dans la
communication orale ou écrite, la clarté des relations
entre les différents arguments permet au récepteur de
suivre le fil du discours et d'adhérer à sa progression.
Vous trouverez dans le tableau ci-dessous les mots de
liaison (ou "connecteurs logiques") rangés autour des
quatre relations principales qui peuvent s'instaurer
entre les arguments :
RELATIONS
LOGIQUES
|
PROGRESSION
SUIVIE PAR L'AUTEUR
|
MOTS
DE LIAISON
|
CAUSE |
L'auteur
justifie l'argument précédent |
En
effet — Car — ... |
CONSÉQUENCE |
L'auteur
déduit un argument de son argument précédent |
Ainsi
— Donc — C'est pourquoi — ... |
OPPOSITION |
L'auteur
nuance ou réfute l'argument précédent |
Mais
— En revanche — Pourtant — Cependant — Or — ... |
ADDITION |
L'auteur
établit une liste d'arguments |
D'abord
— De plus — Ensuite — En outre — Enfin — ... |
Les
mots de liaison, exercices .
Cela ne signifie pas évidemment que les connecteurs
logiques suffisent à manifester la progression
argumentative d'un texte. D'autres indices sont tout
aussi importants : les paragraphes, les reprises
lexicales... C'est armé de tous ces outils que vous
devez mettre en valeur la structure du texte avant d'en
présenter la contraction.
EXEMPLE
1
SOIT
LE TEXTE SUIVANT : |
Il est clair que l'expression ne peut être totale
sans la conscience d'être compris, et que la
communauté n'a de valeur que si elle met en œuvre
les ressources de chacune des existences qu'elle
unit. Une seule nostalgie offre à l'homme les deux
faces alternantes d'un même désir d'absolu. De ce
point de vue, l'expérience de la parole serait
l'expérience d'un échec. Au lieu de servir les
exigences conjuguées de l'expression et de la
communication, il semble que le langage crée
d'insurmontables obstacles à leur complète
satisfaction.
Ce nouveau procès du langage ne porte
pas sur la bonne ou la mauvaise foi. Il ne s'agit
plus ici de récriminer contre l'injustice établie,
contre le désordre moral et social, mais de
prendre conscience d'une limitation
constitutionnelle de la parole humaine, d'une
insuffisance ontologique. Les mots sont des moyens
de communication très imparfaits; bien souvent ils
dissimulent au lieu de manifester, et opposent à
l'homme un écran là où il rêve de parfaite
transparence. Tout homme se sent méconnu et
incompris; tout homme désire, aux heures de
mélancolie, un autre moyen d'intelligibilité, où
la parole serait chant, où le chant serait
spontanément fidèle aux inflexions les plus
subtiles de l'âme. [….]
L'insuffisance du langage coïncide
d'ailleurs avec l'insuffisance du monde lui-même;
rien n'est ici-bas à la mesure de nos aspirations,
la vraie patrie est ailleurs : telle, se
renouvelant d'âge en âge, la réclamation d'un
spiritualisme mal capable de supporter les
servitudes de l'incarnation. Parler sa pensée, ou
son amour, ou sa foi, ce serait déjà trahir ; il
ne peut y avoir de vérité qu'en deçà. Le langage
nous maintient la tête contre terre, il s'oppose à
toute élévation. […]
En fait,
dans la plupart des cas, il semble pourtant
que le langage réalise ce qu'on attend de lui,
l'entente entre les interlocuteurs. Mais la nature
de cette entente doit être reconsidérée. L'usage
courant de la parole correspond à un échange
d'informations, de consignes, de messages; sauf
malentendu, qu'il est toujours possible de
corriger, on arrive à se mettre d'accord quand il
s'agit de partager la tâche quotidienne de vivre
et de travailler ensemble. La réussite du langage
pragmatique se prolonge et s'amplifie dans le cas
du langage scientifique : des
physiciens, des chimistes, des mathématiciens
peuvent converser entre eux en se comprenant
parfaitement. Leurs problèmes seront résolus par
la seule élucidation du formulaire technique
dont ils disposent, et qu'ils sont d'ailleurs
libres d'enrichir si besoin est. […]
La réussite du langage tient ici à ce
que chaque terme répond à une signification
donnée, cette détermination elle-même s'affirmant
dans un horizon commun aux individus en présence.
[…] La vie familiale comme la vie professionnelle
trouvent dans le langage un instrument docile
aussi longtemps qu'elles se maintiennent au niveau
des significations moyennes codifiées par l'usage.
Les voyageurs du dimanche,
rassemblés par le hasard dans le compartiment
d'un « train de plaisir » peuvent converser de
la pluie et du beau temps en toute sérénité. Ils
se comprennent parfaitement.
Mais,
objectera-t-on, si ces gens se
comprennent si bien, c'est qu'ils n'ont rien à
dire. Ils sont accordés d'avance les uns aux
autres par leur commune insignifiance. Les lieux
communs qu'ils débitent avec assurance leur
tiennent lieu de personnalité. Quant aux savants,
aux techniciens, ils ont eux aussi, mais d'une
autre façon, renoncé à leur affirmation
personnelle pour se convertir à l'unité d'un
système objectif; il ne risque pas d'y avoir entre
eux de malentendu pour la bonne raison que, aussi
longtemps qu'ils jouent le jeu, ils disent tous la
même chose. Les hommes ne peuvent se mettre
d'accord qu'en tournant la difficulté,
c'est-à-dire en renonçant à être eux-mêmes pour
jouer le rôle de récitants dans un même chœur
collectif. Tout langage a par constitution la
valeur de dénominateur commun. Parler, c'est donc
s'écarter de soi pour se confondre avec tous. Il
n'y a pas de langage pour l'originalité, -
c'est-à-dire pour la différence, c’est-à-dire pour
la personnalité. L'efficacité de la parole
trouverait donc ici une limite impossible à
franchir. […]
Cet ensemble de lieux communs de la
philosophie, de l'art et de la mystique, signale
une difficulté réelle, mais
non point définitive. Une analyse plus précise des
conditions du dialogue devrait en effet nous
permettre de dépasser ce moment de désespoir. Le
plus urgent est de ressaisir la parole dans le
contexte de la situation particulière où elle
intervient. Une phrase ne se pose pas dans
l'absolu : elle suppose un certain état des
relations entre les interlocuteurs, et l'horizon
d'un langage correspondant à des valeurs communes.
Dans l'usage courant, le contexte va de soi, de
sorte que le texte littéral des propos semble se
suffire à lui-même. La
conversation familière ou l'article de journal
se règlent sur un langage existant, mis au point
une fois pour toutes en fonction de valeurs
moyennes tacitement reconnues. Le
décalage ne se manifeste, et le malentendu, que
lorsque l’une des personnes en présence répudie le
consentement mutuel implicite et dénonce le pacte
social du langage courant. La parole automatique
et approximative fait place alors à une parole
d'authenticité, qui se heurte à toutes sortes
d'obstacles.
L'examen de cette parole
d'authenticité pourra néanmoins nous permettre de
dégager les implications d'un langage valable. Le
sens d'une parole dépend en effet de trois
coefficients distincts dont l'ensemble seul la
justifie. Tout d'abord
il faut considérer de qui est cette parole. Celui
qui parle, en quelle qualité parle-t-il ? Est-ce
l'homme au jour le jour, l'homme de l'instant qui
passe, gaspillant ses propos comme graines au vent
? ou bien s'engage-t-il dans ce qu'il affirme, et
à quel degré ? Il y a donc une qualification
personnelle, qui mesure l'intensité de la parole.
[…] Une appréciation juste devrait essayer de
doser ce plus ou ce moins d'authenticité que
l'homme parlant confère à sa parole.
Mais la référence à celui qui parle
demeure unilatérale : il faut tenir compte aussi
de l'autre, de celui à qui la phrase
s'adresse. Cette visée est essentielle, car la
parole prononcée n'a vraiment d'efficace que s'il
y a réciprocité entre les interlocuteurs. […] Une
affirmation profonde et tendue, une confession, un
témoignage venu des profondeurs sont aussi
difficiles à écouter qu'à dire. Il exige pour
atteindre à sa plénitude une même ferveur de part
et d'autre, une sorte de communion préalable. Chaque
fois que je prends la parole, ce que je dis
dépend de l'autre, que vise mon langage :
indifférent, adversaire ou ami et allié.
Un sens est toujours le fruit d'une collaboration.
Enfin
cette collaboration elle-même ne s'exerce pas dans
l'absolu. Le moment est la troisième dimension de
tout énoncé verbal. Chaque parole est à sa manière
une parole de circonstance, chaque mot est un mot
historique. La situation suffit à mettre en valeur
tel ou tel propos, qui devient décisif parce qu'il
est prononcé en un moment décisif: telle ou telle
dernière parole ne serait pas demeurée dans la
mémoire des hommes si elle n'avait pas été la
dernière d'un personnage historique.
Une saine exégèse ne doit donc
pas se contenter de considérer le mot à mot d'un
homme, c'est-à-dire de projeter en quelque sorte
toutes ses paroles sur un seul plan. Il faut
procéder à une sorte d'étude en relief, où
l'énoncé, chaque fois, prend forme et vie selon le
degré d'engagement personnel de l'homme qui parle,
selon la réciprocité de la rencontre et selon la
signification du moment. La teneur apparente du
discours s'efface devant sa valeur personnelle.
[…] La critique du langage ne doit donc pas le
considérer à plat, et partir de l'idée que
n'importe qui peut dire n'importe quoi, à
n'importe qui, en n'importe quel moment. Les
penseurs qui insistent sur le caractère indirect
de la communication se font d'ordinaire une sorte
d'idole du langage juste, comme si la vérité était
un caractère intrinsèque de la parole. Or une
parole n'est pas vraie en soi, une parole n'est
qu'un entre-deux, un cheminement de l'homme à
l'homme à travers le temps. Le langage se définit
comme une voie de communication, il n'est pas la
communication elle-même. La condamnation de la
parole se fonde d'ordinaire sur le préjugé
intellectualiste que la vérité doit se présenter
comme un discours, après quoi on montre sans trop
de peine qu'aucun discours n'équivaut
effectivement à la vérité. […] Or la valeur n’est
pas dans le langage, mais dans l’homme qui
s’efforce par tous les moyens de se réaliser selon
le meilleur. La parole peut contribuer à cette
éducation de l’homme par l’homme, à cette
épiphanie de l’être, mais elle n’est ici que
seconde – non pas mot magique dispensant de tout
effort, mais point de repère au long de cette
ascèse que constitue la réalisation de l’homme
selon la vérité. L’idée d’un langage juste est
d’ailleurs aussi fausse que l’idée d’un homme
parfaitement juste. L’homme vivant est un homme en
marche, et l’exercice de la marche consiste à
rétablir sans cesse un équilibre en train de se
rompre. La parole est un chiffre particulièrement
précieux de ce mouvement perpétuel de l’être
humain, qui s’oppose à toute mise en formule
définitive.
Georges
GUSDORF, La parole, 1952.
|
OBSERVATIONS
Première étape : l'énonciation :
Une première - voire une seconde -
lecture doit vous amener à identifier les
caractères essentiels du texte, que votre résumé
devra reproduire :
- situation d'énonciation :
le texte s'inscrit dans une perspective morale (le
registre est volontiers didactique, la fonction
expressive est dominante).
- niveau de langue : relativement courant.
- difficultés de vocabulaire :
le texte n'est pas difficile, mais assurez-vous du
sens des mots pragmatique,
ascèse,
épiphanie.
Deuxième étape : thème, thèse :
- Efforcez-vous de formuler pour
vous-même le sujet du texte (les obstacles
rencontrés par la parole) et donnez-lui
éventuellement un titre : ici, ce pourrait être :
"L'authenticité de la parole".
- Plus important encore : repérez la thèse et
prenez soin de la rédiger rapidement : Dans
ce texte, l'auteur montre que la parole
authentique est toujours en situation.
Troisième étape : l'organisation :
La lecture du texte vous fait percevoir par les
paragraphes différentes unités de sens. Ces
paragraphes constituent cependant des indices
insuffisants de l'organisation. Vous savez que
tout raisonnement discursif s'accompagne de
connexions logiques (nous les soulignons en rouge
: en gras
pour les connexions
essentielles) qui vous feront percevoir
l'enchaînement des arguments. (Voyez le
tableau de structure).>
Comme toujours dans une argumentation, les
arguments s'accompagnent d'exemples ou de
métaphores : leur caractère concret et
circonstancié vous permet de les repérer d'emblée
(nous les soulignons en bleu).
C'est cette organisation que nous vous invitons à
représenter précisément dans un tableau
de structure : ne pensez pas que le
fait d'établir ce tableau au brouillon vous fera
perdre du temps. Une fois rempli, il vous
permettra au contraire d'aller plus vite dans la
reformulation, chaque unité de sens étant
nettement repérée. La colonne Parties
sépare chaque étape de l'argumentation, que la
colonne Sous-Parties décompose si
nécessaire. La colonne Arguments vous
permet d'identifier rapidement chaque argument et
d'aller déjà vers son expression la plus concise
en repérant les mots-clefs. C'est cette colonne,
surtout, qui vous sera précieuse. Quant à la
colonne Exemples, elle vous permet de
repérer ce que votre résumé pourra ensuite ignorer
(attention cependant au fait qu'un long paragraphe
d'exemples peut avoir parfois une valeur
argumentative !
|
TABLEAU
DE STRUCTURE
PARTIES (unités de
sens) |
SOUS-PARTIES |
ARGUMENTS
(mots-clefs)
|
EXEMPLES
|
Il est clair... ?
... une
limite impossible à franchir (§ 1à 6).
|
Il
est clair... ? élévation. (§ 1 à 3)
|
Insuffisance
de la parole.
|
/
|
En
fait [...] il semble pourtant...
? ils se comprennent parfaitement. (§ 4-5) |
Réussite
du seul langage pragmatique. |
Physiciens,
chimistes, mathématiciens, voyageurs du dimanche |
Mais,
objectera-t-on... ? impossible à
franchir. (§ 6) |
Conclusion
apparente : il n'y a pas de langage pour la
personnalité.
|
/
|
Cet ensemble [...]
difficulté réelle
mais ?
un personnage historique (§
7 à 10).
|
Cet ensemble... ? toutes
sortes d'obstacles.
(§ 7) |
Dépassement
: vers une parole d'authenticité.
|
Conversation
familière ou article de journal |
L'examen
de cette parole... ? personnage historique. (§
8-10).
Les trois implications d'un langage valable : |
Tout
d'abord, de qui est cette parole ? |
/
|
Il
faut tenir compte aussi
de celui à qui la phrase s'adresse. |
Chaque
fois que je prends la parole. |
Enfin
le moment est la troisième dimension de tout
énoncé verbal. |
/
|
Une
saine exégèse ne doit
donc ?
mise en formule définitive (§
11).
|
/
|
La
parole est un cheminement de l'homme à l'homme.
|
/
|
Il faudrait maintenant entreprendre la reformulation de
cette contraction selon les règles de l'exercice. C'est à
quoi s'emploie la page
suivante.
EXEMPLE
2
Voici
un mode de présentation d'une structure argumentative :
nous avons découpé le texte selon ses principales unités
de sens à partir des paragraphes et des mots de liaison
(la colonne Structure les schématise). Dans la colonne de
droite, les expressions-clefs commandent les étapes
nécessaires à reformuler dans une contraction de texte :
Michel
HENRY, La barbarie
©
Éditions Grasset, 1987. |
STRUCTURE
|
Expressions-clefs |
Nous
entrons dans la barbarie. Certes ce
n'est pas la première fois que l'humanité plonge
dans la nuit. On peut même penser que cette
aventure amère lui est arrivée bien des fois et
c'est la gorge serrée que l'historien relève les
traces d'une civilisation disparue. Mais
une autre toujours prenait la suite. Sur les
ruines des sanctuaires anciens s'élèvent de
nouveaux temples, plus puissants ou plus
raffinés. Les campagnes que les systèmes
d'irrigation à l'abandon ont transformées en
marécages sont un jour ou l'autre drainées et
asséchées de nouveau, une agriculture plus
prospère s'y installe. Ainsi pouvait-on
se représenter l'histoire sous une forme
cyclique. A chaque phase d'expansion succède
celle du déclin mais, là ou ailleurs, un nouvel
essor se produit, portant plus loin le
développement de la vie.
|
|
Nous
entrons
dans la barbarie |
Certes
?
disparue. |
ce
n'est pas la première fois |
Mais
?
s'y installe. |
une
autre toujours prenait la suite |
Ainsi ?
de la vie. |
pouvait-on
se représenter l'histoire sous une forme
cyclique |
Celui-ci
apparaît
global. C'est conjointement que, s'appuyant
l'une sur l'autre et s'exaltant l'une l'autre,
les forces sises en l'homme se déploient :
activité économique, artisanale, artistique,
intellectuelle, religieuse vont ensemble et,
quelle que soit celle que privilégie
l'interprète, il constate cette éclosion
simultanée des savoirs pratique, technique et
théorique dont le résultat s'appelle Sumer,
Assur, la Perse, l'Égypte, la Grèce, Rome,
Byzance, le Moyen Age, la Renaissance. Là, dans
ces « espaces » privilégiés, c'était chaque fois
la totalité des valeurs qui font l'humanité qui
s'épanouissaient en même temps.
|
/
|
C'est
conjointement que [...] les forces sises
en l'homme se déploient |
Ce
qui
se passe sous nos yeux est bien différent. Nous
assistons depuis le début de l'ère moderne à un
développement sans précédent des savoirs qui
forment la « science » et revendiquent
d'ailleurs hautement ce titre. Par là on entend
une connaissance rigoureuse, objective,
incontestable, vraie. De toutes les formes
approximatives, voire douteuses, de
connaissances, ou de croyances, ou de
superstitions qui l'avaient précédée, celle-ci
se distingue en effet par la puissance
de ses évidences et de ses démonstrations, de
ses preuves, en même temps que par les résultats
extraordinaires auxquels elle a abouti et qui
bouleversent la face de la terre.
|
Ce
qui ?
incontestable, vraie. |
un
développement sans précédent des savoirs |
De
toutes ... en effet ?
terre. |
la
puissance de ses évidences et de ses
démonstrations [...] bouleverse la face de la
terre. |
Un
tel
bouleversement, malheureusement, est aussi
celui de l'homme lui-même. Si la connaissance de
plus en plus compréhensive de l'univers est
incontestablement un bien, pourquoi va-t-elle de
pair avec l'effondrement de toutes les autres
valeurs, effondrement si grave qu'il met en
cause notre existence même ? Car ce
n'est pas seulement la face de la terre qui est
changée; en effet, devenant si affreuse, la vie
n'y est plus supportable. Parce que c'est la vie
même qui est atteinte, ce sont toutes ses
valeurs qui chancellent, non seulement
l'esthétique mais aussi l'éthique, le sacré et
avec eux la possibilité de vivre chaque jour.
|
Un
tel ... aussi ?
même ? |
Un
tel bouleversement est aussi celui de
l'homme lui-même. |
Car ce n'est pas ?
jour. |
ce
sont toutes ses valeurs qui chancellent |
La
crise
de la culture, qu'il n'est guère possible de
dissimuler aujourd'hui, a fait l'objet
d'analyses. L' « explication » la plus
généralement admise est celle-ci : avec la
science moderne le savoir a fait d'immenses
progrès; à cette fin, il a dû se fragmenter en
une prolifération de recherches ayant chacune
ses méthodologies, ses appareils conceptuels,
ses objets. Il n'est plus possible à personne
désormais de les maîtriser toutes, ni même
quelques-unes, ni même une seule. C'est l'unité
du savoir qui est en cause et avec elle la mise
à jour d'un principe assurant la concordance et
ainsi la validité des conduites, des
appréciations dans tous les domaines, des
pensées elles-mêmes. Notre comportement
quotidien est significatif à cet égard devant
chaque problème particulier, faire appel au
spécialiste. Mais si cette pratique se
révèle efficace pour un mal de dent ou la
réparation d'une machine, elle ne fournit aucune
vue d'ensemble sur l'existence humaine et sa
destination, vue dans laquelle il est impossible
de décider de ce qu'il faut faire dans chaque
cas, pour autant que celui-ci concerne justement
notre existence, et non pas une chose.
|
La crise ?
au
spécialiste. |
C'est
l'unité du savoir qui est en cause |
Mais ?
pas une
chose. |
elle
ne fournit aucune vue d'ensemble sur l'existence
humaine |
Ainsi,
l'hyperdéveloppement d'un hypersavoir, dont les
moyens théoriques et pratiques marquent une
rupture complète avec les connaissances
traditionnelles de l'humanité, a-t-il pour effet
d'abattre non seulement ces connaissances
données comme autant d'illusions, mais
l'humanité elle-même. Tandis que,
semblables à la houle de l'océan, toutes les
productions des civilisations du passé montaient
et descendaient ensemble, comme d'un commun
accord et sans se disjoindre - le savoir
produisant le bien, qui produisait le beau,
tandis que le sacré illuminait toute chose -,
voici devant nous ce qu'on n'avait en
effet jamais vu : l'explosion scientifique et la
ruine de l'homme. Voici la nouvelle barbarie
dont il n'est pas sûr cette fois qu'elle puisse
être surmontée.
|
Ainsi ?
elle-même. |
l'hyperdéveloppement
d'un hypersavoir a pour effet d'abattre
l'humanité |
Tandis que ?
toute chose, - |
toutes
les productions des civilisations du passé
montaient et descendaient ensemble |
voici devant nous ?
surmontée. |
l'explosion
scientifique et la ruine de l'homme |
Pourquoi
et
comment un certain type de savoir, apparu à
l'époque de Galilée et considéré depuis comme le
seul savoir, produit-il, selon les voies d'une
nécessité repérable et pleinement intelligible,
la subversion de toutes les autres valeurs, et
ainsi de la culture, et ainsi de l'humanité de
l'homme, c'est ce qu'il est parfaitement
possible de comprendre - pour peu que l'on
dispose d'une théorie de l'essence de tout
savoir possible et de son ultime fondement.
Car ce fondement est aussi celui
des valeurs, de la culture, de l'humanité, de
tous ses accomplissements. Et c'est
parce que, de façon extraordinaire, ce fondement
est écarté par la science moderne, que celle-ci,
sans le savoir, précipite notre monde dans
l'abîme.
|
Pourquoi et comment ?
fondement. |
pourquoi
ce savoir produit la subversion de toutes les
valeurs - dispose d'une théorie de l'essence de
tout savoir possible |
Car ce fondement ?
accomplissements. |
ce
fondement est aussi celui des valeurs |
Et c'est parce que ?
dans l'abîme. |
la
science moderne précipite notre monde dans
l'abîme |
Contraction
proposée :
La barbarie où nous entrons n'est certes
pas nouvelle, mais, autrefois, une
civilisation succédait à une autre dans le
grand cycle de l'Histoire. C'est dans un même
élan que la vie humaine se manifeste et
qu'elle fait s'épanouir tous les savoirs. Mais
aujourd'hui la science se prévaut de résultats
fulgurants au nom du seul rationalisme.
L'homme, hélas, en fait les frais et toutes
les valeurs qui font la vie sont menacées. On
explique couramment cette crise par la
fragmentation des connaissances et la
spécialisation qui en est la conséquence.
Celle-ci ne fournit en effet aucune vue
d'ensemble sur la vie humaine. Ainsi la
science menace l'humanité en empêchant
l'éclosion simultanée de toutes les
productions humaines. Il n'est pas sûr que
nous en réchappions. Seule une réflexion sur
la finalité du savoir permettra de comprendre
ce renversement, car c'est en l'écartant que
la science moderne nous voue à notre perte.
[162 mots]
|
EXEMPLE
3
Nous avons
colorié différemment les unités de sens qu'a
révélées la structure de ce texte : progressivement, nous
allons les traiter dans la perspective d'une
reformulation.
Rien que la vérité ou
toute la vérité ? Jean
Lacouture, «Courrier de l'UNESCO», septembre 1990. |
Le débat que le
journaliste mène avec sa conscience est âpre,
et multiple, d'autant plus que son métier est
plus flou, et doté de moins de règles, et
pourvu d'une déontologie plus flottante que
beaucoup d'autres...
Les médecins connaissent certes,
et depuis l'évolution des connaissances et des
lois, de cruelles incertitudes - dont mille
enquêtes, témoignages et débats ne cessent de
rendre compte. Les avocats ne sont guère en
reste, ni les chercheurs et leurs
manipulations biologiques ou leurs armes
absolues, ni les utilisateurs militaires de
ces engins. Mais enfin, les uns et les autres
ont leur serment d'Hippocrate, leur barreau,
leurs conventions de Genève. Les journalistes,
rien.
Il n'est pas absurde de comparer
leur condition à celle d'un missile téléguidé
qui ignorerait aussi bien la nature de la
mission que l'orientation du pilote et qui
serait programmé de telle façon qu'il ne soit
pointé ni en direction de la terre, pour
éviter les accidents, ni en direction de la
mer, pour prévenir la pollution. A partir de
ces données, le journaliste est un être libre
et responsable, auquel il ne reste qu'à faire
pour le mieux en vue d'éclairer ses
contemporains sans pour autant faire exploser
les mille soleils d'Hiroshima.
En
apparence, l'objectif est clair, autant que le
serment d'Hippocrate : dire la vérité, rien que
la vérité, toute la vérité, comme le témoin
devant le tribunal. Mais à ce témoin, le
président du jury ne demande que la vérité qui
lui a été humainement perceptible, celle qu'il a
pu appréhender en un certain lieu, à une
certaine heure, relativement à certaines
personnes. Au journaliste est demandée une
vérité plus ample, complexe, démultipliée.
En rentrant de déportation, Léon
Blum, qui avait été longtemps journaliste,
déclarait devant ses camarades qu'il savait
désormais que la règle d'or de ce métier n'était
pas « de ne dire que la vérité, ce qui est
simple, mais de dire toute la vérité, ce qui est
bien plus difficile ». Bien. Mais qu'est-ce que
« toute la vérité », dans la mesure d'ailleurs
où il est possible de définir « rien que la
vérité » ? [...]
L'interrogation du journaliste ne porte pas
seulement sur la part de vérité qui lui est
accessible, mais aussi sur les méthodes pour y
parvenir, et sur la divulgation qui peut être
faite.
Le
journalisme dit « d'investigation » est à
l'ordre du jour. Il est entendu aujourd'hui
que tous les coups sont permis. Le traitement
par deux grands journalistes du Washington
Post de l'affaire du Watergate a donné ses
lettres de noblesse à un type d'enquête
comparable à celle que pratiquent la police et
les services spéciaux à l'encontre des
terroristes ou des trafiquants de drogue.
S'insurger contre ce modèle, ou le
mettre en question, ne peut être le fait que
d'un ancien combattant cacochyme, d'un
reporter formé par les Petites sœurs des
pauvres. L'idée que je me suis faite de ce
métier me détourne d'un certain type de
procédures, de certaines interpellations
déguisées, et je suis de ceux qui pensent que
le journalisme obéit à d'autres règles que la
police ou le contre-espionnage. Peut-être
ai-je tort.
Mais
c'est la pratique de la rétention de
l'information qui défie le plus rudement la
conscience de l'informateur professionnel.
Pour en avoir usé (et l'avoir reconnu...) à
propos des guerres d'Algérie et du Vietnam,
pour avoir cru pouvoir tracer une frontière
entre le communicable et l'indicible, pour
m'être érigé en gardien « d'intérêts
supérieurs » à l'information, ceux des causes
tenues pour « justes », je me suis attiré de
rudes remontrances. Méritées, à coup sûr,
surtout si elles émanaient de personnages
n'ayant jamais pratiqué, à d'autres usages, de
manipulations systématiques, et pudiquement
dissimulées.
La
loi est claire: « rien que la vérité, toute la
vérité », mais il faut la compléter par la
devise que le New York Times arbore en
manchette : « All the news that's fit to
print », toutes les nouvelles dignes
d'être imprimées. Ce qui exclut les indignes –
c'est-à-dire toute une espèce de journalisme
et, dans le plus noble, ce dont la divulgation
porte indûment atteinte à la vie ou
l'honorabilité de personnes humaines dont
l'indignité n'a pas été établie.
Connaissant ces règles, le journaliste
constatera que son problème majeur n'a pas
trait à l'acquisition mais à la diffusion de
sa part de vérité, dans ce rapport à établir
entre ce qu'il ingurgite de la meilleure foi
du monde, où abondent les scories et les
faux-semblants, et ce qu'il régurgite. La
frontière, entre les deux, est insaisissable,
et mouvante. Le filtre, de ceci à cela, est sa
conscience, seule.
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Recherche
des expressions à reformuler
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Commentaire de la
reformulation proposée
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«
le journaliste est un être libre et
responsable »
trouver d'autres formulations
pour :
- débat, conscience, âpre, multiple
- médecins, avocats, chercheurs
- règles, déontologie, serment,
barreau, conventions.
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Le
journaliste se trouve placé dans de douloureux
et fréquents cas de conscience car, au contraire
d'autres professions libérales, aucune instance
juridique ne lui indique la conduite à observer.
quels mots du texte ont permis d'écrire :
professions libérales ? aucune instance
juridique ?
conduite à observer ?
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«
une vérité plus ample, complexe, démultipliée »
trouver une autre formulation pour
:
- plus ample, complexe, démultipliée.
quel rôle joue ce paragraphe ? à combien de
parties s'attend-on ?
quels en seront les sujets ? |
Cette liberté exige du journaliste qu'il rende
compte de la vérité, mais d'une vérité
multiforme qui ne soit pas uniquement la
sienne, comme dans le cas d'un simple
témoignage.
quels mots du texte ont permis d'écrire :
pas uniquement la sienne ? multiforme ?
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Le
problème concerne aussi les méthodes pour y
parvenir et l'étendue du devoir d'informer. |
«
le journalisme dit « d'investigation »
trouver d'autres formulations pour
:
- enquête, police, services spéciaux,
interpellations, procédures.
pourquoi faut-il conserver le "je"? |
On
pratique aujourd'hui un journalisme policier
où on ne recule devant aucun moyen. Au risque
de me tromper ou de paraître démodé, je
persiste à refuser ces pratiques.
quels mots du texte ont permis d'écrire :
journalisme policier ? de paraître démodé
?
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«
la rétention de l'information »
trouver une autre formulation pour
:
- intérêts supérieurs, causes justes. |
Mais
c'est le refus délibéré d'informer qui pose le
plus redoutable problème. J'ai dû moi-même y
consentir autrefois au nom de la raison
d'État, et je me suis exposé à des reproches
légitimes.
quels mots du texte ont permis d'écrire :
raison d'État ?
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«
les nouvelles dignes d'être imprimées »
trouver d'autres formulations pour
:
- indignes, indûment
- diffusion, ingurgite/régurgite,
filtre. |
Il
importe alors de respecter la vérité, mais
sans tomber dans l'indignité de l'atteinte
injuste aux vies privées. Fort de ces règles.,
le journaliste devra comprendre que sa
conscience est le seul juge capable de démêler
ce qu'il a cru sincèrement de ce qu'il doit
communiquer au public.
qu'est-ce qui autorise l'adjectif "injuste"
?
qu'est-ce
qui justifie le verbe "démêler" ?
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