Gérard
de Nerval (1808-1855) fut le précurseur de
toutes les formes de surnaturalisme moderne.
Né à Paris, de son vrai nom Gérard Labrunie,
il ne connut jamais sa mère, qui mourut en
Allemagne deux ans après sa naissance. Elle
avait en effet souhaité accompagner son mari,
médecin militaire, dans les campagnes
napoléoniennes, et y contracta une fièvre
typhoïde. Élevé par son grand-oncle maternel,
Nerval passa son enfance à Mortefontaine, dans
le Valois, région qui servira de cadre à la
plupart des récits des Filles du feu,
et dont les tableaux de Camille Corot ont
exprimé l'atmosphère vaporeuse : forêts
profondes, étangs que bordent quelques ruines
moussues, châteaux Louis XIII entourés
de pelouses où les jeunes filles dansent en
rond les soirs d'été. Élève au lycée
Charlemagne, à Paris, il y fit la rencontre de
Théophile Gautier, avec qui il se lia
d'amitié.
Reçu bachelier en 1826, Gérard
travaille à une traduction du Faust
de Wolfgang Goethe, sans bien connaître
l'allemand. Mais sa connaissance de la langue
des "Mères" est intuitive et fraternelle :
publiée en 1828, sa traduction fait encore
autorité et Goethe lui-même en salua la
fraîcheur. Présenté à Victor Hugo, Gérard
entre dans les cénacles littéraires qui
entourent le "maître" du Romantisme : il
participe en 1830 à la bataille d’Hernani
et s'installe dans l'Hôtel du Doyenné où
vit une bohème littéraire désargentée. S'il
commence en 1832 des études de médecine
pour complaire aux désirs de son père, ce sera
pour une courte durée : le décès de son
grand-père maternel le dote d’un confortable
héritage qui le délivre désormais de tout
souci matériel et l’affranchit de la tutelle
paternelle.
Ce patrimoine sera cependant vite
épuisé. Épris de la cantatrice Jenny Colon,
Gérard lui voue une passion cérébrale qui le
pousse en mai 1835 à fonder pour célébrer son
talent une luxueuse revue, "Le Monde
dramatique", qui le ruinera bientôt. Celui qui
signe maintenant Gérard de Nerval doit
travailler pour plusieurs journaux et
s'essayer à une carrière d'auteur dramatique :
il collabore pour cela avec Alexandre Dumas (Piquillo,
1837; Léo Burckart, 1839).
Le mariage de Jenny Colon en 1838
dissipa cependant cette activité théâtrale :
Nerval effectua alors plusieurs voyages à
l'étranger (Belgique, Allemagne, Autriche).
De retour en France, il eut, en 1841
une première crise d'hallucinations et de
délire, au cours de laquelle il associa des
images de la femme mythique qui vivait en lui
à un univers imaginaire dont il se croyait le
souverain. Interné à la clinique du docteur
Blanche de février à novembre, Nerval
considéra cet épisode comme une expérience
d'ordre poétique, sorte de franchissement des
"portes de corne et d'ivoire qui nous séparent
du surréel." En 1843, il entreprit une visite
de l'Orient (Égypte, Liban, Rhodes, Syrie,
Turquie) qui inspira la rédaction du
Voyage en Orient, publié en 1851.
Interné à plusieurs reprises (janvier-février
1852, février-mars 1853, août 1853 - mai 1854,
fin 1854), il n'en continua pas moins ses
allers et retours entre la France et
l'étranger, principalement l'Allemagne, la
"Terre-Mère", profitant du répit que lui
laissait sa maladie pour repartir vers de
nouveaux horizons. Ses textes les plus
importants parurent à la fin de sa vie : un
recueil de douze sonnets (Les Chimères),
des nouvelles poétiques (Les Filles du feu,
où prend place l'admirable Sylvie (1854).
Enfin son dernier récit, Aurélia,
commençait à paraître en revue quand Nerval
fut retrouvé, au matin du 26 janvier 1855,
pendu à une grille, rue
Basse-de-la-Vieille-Lanterne ,
« la rue la plus noire qu’il pût trouver »,
comme l'a noté Baudelaire.
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En vérité, le monde que nous vivons est un
tripot et un mauvais lieu, et je suis
honteux en songeant que Dieu m'y voit.
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