Gérard
de NERVAL
Angélique
(extraits)
[Angélique
fit partie d'abord de Les Faux Saulniers. Histoire
de l'abbé de Bucquoy, publié dans le National
en 1850. Pour Les Filles du feu, en 1854, Nerval
remania cette fausse nouvelle où le narrateur est à la
recherche du manuscrit perdu de La Vie d'Angélique
de Longueval. Nous ne publions ici que les lettres 10 et
11 en raison de la parenté des lieux, voire des
personnages, évoqués avec ceux de Sylvie.]
DIXIÈME
LETTRE
MON AMI
SYLVAIN - LE CHÂTEAU DE LONGUEVAL EN
SOISSONNAIS - CORRESPONDANCE - POST-SCRIPTUM.
Je ne
voyage jamais dans ces contrées sans me faire accompagner
d'un ami, que j'appellerai, de son petit nom, Sylvain. C'est
un nom très commun dans cette province, - le féminin est le
gracieux nom de Sylvie, - illustré par un bouquet de bois de
Chantilly, dans lequel allait rêver si souvent le poète
Théophile de Viau.
J'ai dit à Sylvain : « Allons-nous à Chantilly ? »
Il m'a répondu : « Non… tu as dit toi-même hier qu'il
fallait aller à Ermenonville pour gagner de là Soissons,
visiter ensuite les ruines du château de Longueval en
Soissonnais, sur la limite de Champagne.
- Oui, répondis-je; hier soir je m'étais monté la
tête à propos de cette belle Angélique de Longueval, et je
voulais voir le château d'où elle a été enlevée par La
Corbinière, - en habits d'homme, sur un cheval.
- Es-tu sûr, du moins, que ce soit là le Longueval
véritable ? car il y a des Longueval et des Longueville
partout… de même que des Bucquoy…
- Je n'en suis pas convaincu quant à ces derniers;
mais lis seulement ce passage du manuscrit d'Angélique :
« Le jour étant venu duquel il me devait quérir la nuit,
je dis à un palefrenier qui avait nom Breteau : Je
voudrais bien que tu me prêtasses un cheval pour envoyer à
Soissons cette nuit quérir pour me faire un corps de
cotte, te promettant que le cheval sera ici avant que
maman se lève…»
- Il semblerait donc prouvé, - me dit Sylvain, -
que le château de Longueval était situé aux environs de
Soissons, donc ce ne serait pas le moment de revenir vers
Chantilly. Ce changement de direction a déjà risqué de te
faire arrêter une fois, - parce que des gens qui changent
d'idée tout à coup paraissent toujours des gens suspects…
CORRESPONDANCE
Vous
m'envoyez deux lettres concernant mes premiers articles sur
l'abbé de Bucquoy. La première, d'après une biographie
abrégée, établit que Bucquoy et Bucquoi ne représentent pas
le même nom. - A quoi je répondrai que les noms anciens
n'ont pas d'orthographe. L'identité des familles ne
s'établit que d'après les armoiries, et nous avons déjà
donné celle de cette famille (l'écusson bandé de vair et de
gueules de six pièces). Cela se retrouve dans toutes les
branches, soit de Picardie, soit de l'Île-de-France, soit de
Champagne, d'où était l'abbé de Bucquoy. Longueval touche à
la Champagne, comme on le sait déjà. - Il est inutile de
prolonger cette discussion héraldique.
Je reçois de vous une seconde lettre qui vient de
Belgique :
« Lecteur
sympathique de M. Gérard de Nerval et désirant lui être
agréable, je lui communique le document ci-joint, qui lui
sera peut-être de quelque utilité pour la suite de ses
humoristiques pérégrinations à la recherche de l'abbé de
Bucquoy, cet insaisissable moucheron issu de l'amendement
Riancey.
«156.
Olivier de Wree, de vermoerde oorlogh-stucken van den
woonderdadighen velt-heer Carel de Longueval, grave van
Busquoy, Baron de Vaux. Brugge, 1625. - Ej. mengheldichten:
fyghes noeper; Bacchus-Cortryck. Ibid., 1625. - Ej. -
Venus-Ban. Ibid., 1625, in-I2, oblong, vél.*.
« Livre rare et curieux. L'exemplaire est taché
d'eau. »
Je ne
chercherai pas à traduire cet article de bibliographie
flamande; - seulement, je remarque qu'il fait partie du
prospectus d'une bibliothèque qui doit être vendue le 5
décembre et jours suivants, sous la direction de M. Héberlé,
- 5, rue des Paroissiens, à Bruxelles.
J'aime mieux attendre la vente de Techener, - qui, je
l'espère, aura toujours lieu le 20.
LES RUINES.
- LES PROMENADES. - CHÂALIS
ERMENONVILLE. - LA TOMBE DE ROUSSEAU.
Dans une
de mes lettres j'ai employé à faux le mot réaction en
parlant d'abus de l'autorité, qui amènent des
réactions en sens contraire.
La faute paraît simple au premier abord; - mais il y
a plusieurs sortes de réactions : les unes prennent des
biais, les autres sont des réactions qui consistent à
s'arrêter.
J'ai voulu dire qu'un
excès amenait d'autres excès. Ainsi il est impossible de ne
point blâmer les incendies, et les dévastations privées, -
rares pourtant de nos jours. Il se mêle toujours à la foule
en rumeur un élément hostile ou étranger qui conduit les
choses au delà des limites que le bon sens général aurait
imposées, et qu'il finit toujours par tracer.
Je n'en veux pour preuve qu'une anecdote qui m'a été
racontée par un bibliophile fort connu, - et dont un autre
bibliophile a été le héros.
Le jour
de la révolution de février, on brûla quelques voitures, -
dites de la liste civile; - ce fut, certes, un grand tort,
qu'on reproche durement aujourd'hui à cette foule mélangée
qui, derrière les combattants, entraînait aussi des
traîtres…
Le bibliophile dont je parle se rendit ce soir-là au
Palais-National. Sa préoccupation ne s'adressait pas aux
voitures; il était inquiet d'un ouvrage en quatre volumes
in-folio intitulé : Perceforest.
C'était un de ces roumans du cycle d'Artus,
- ou du cycle de Charlemagne, - où sont contenues les
épopées de nos plus anciennes guerres chevaleresques.
Il entra dans la cour du palais, se frayant un
passage au milieu du tumulte. - C'était un homme grêle,
d'une figure sèche, mais ridée parfois d'un sourire
bienveillant, correctement vêtu d'un habit noir, et à qui
l'on ouvrit passage avec curiosité.
- Mes amis, dit-il, a-t-on brûlé le Perceforest ?
- On ne brûle que les voitures.
- Très bien! continuez. Mais la bibliothèque ?
- On n'y a pas touché… Ensuite, qu'est-ce que vous demandez
?
- Je demande que l'on respecte l'édition en quatre volumes
du Perceforest, - un héros d'autrefois…; édition
unique, avec deux pages transposées et une énorme tache
d'encre au troisième volume.
On lui répondit:
- Montez au premier.
Au premier, il trouva des gens qui lui dirent:
- Nous déplorons ce qui s'est fait dans le premier moment…
On a, dans le tumulte, abîmé quelques tableaux…
- Oui, je sais, un Horace Vernet, un Gudin… Tout cela n'est
rien : - le Perceforest ?…
On le prit pour un fou. Il se retira et parvint à
découvrir la concierge du palais, qui s'était retirée chez
elle.
- Madame, si l'on n'a pas pénétré dans la bibliothèque,
assurez-vous d'une chose: c'est de l'existence du Perceforest,
- édition du seizième siècle, reliure en parchemin, de
Gaume. Le reste de la bibliothèque, ce n'est rien… mal
choisi ! - des gens qui ne lisent pas ! - Mais le Perceforest
vaut quarante mille francs sur les tables.
La concierge ouvrit de grands yeux.
- Moi, j'en donnerais, aujourd'hui, vingt mille… malgré la
dépréciation des fonds que doit amener nécessairement une
révolution.
- Vingt mille francs !
- Je les ai chez moi. Seulement ce ne serait que pour rendre
le livre à la nation. C'est un monument.
La concierge, étonnée, éblouie, consentit avec
courage à se rendre à la bibliothèque et à y pénétrer par un
petit escalier. L'enthousiasme du savant l'avait gagnée.
Elle revint, après avoir vu le livre sur le rayon où
le bibliophile savait qu'il était placé.
- Monsieur, le livre est en place. Mais il n'y a que trois
volumes… Vous vous êtes trompé.
- Trois volumes !… Quelle perte !… Je m'en vais trouver le
gouvernement provisoire, - il y en a toujours un… Le Perceforest
incomplet ! Les révolutions sont épouvantables !
Le bibliophile courut à l'Hôtel-de-Ville. - On avait
autre chose à faire que de s'occuper de bibliographie.
Pourtant il parvint à prendre à part M. Arago, - qui comprit
l'importance de sa réclamation, et des ordres furent donnés
immédiatement.
Le Perceforest n'était incomplet que parce
qu'on en avait prêté précédemment un volume.
Nous sommes heureux de penser que cet ouvrage a pu
rester en France.
Celui de l'Histoire de l'abbé de Bucquoy,
qui doit être vendu le 20, n'aura peut-être pas le même sort
!
Et maintenant, tenez compte, je vous prie, des fautes
qui peuvent être commises, - dans une tournée rapide,
souvent interrompue par la pluie ou par le brouillard…
Je quitte
Senlis à regret; - mais mon ami le veut pour me faire obéir
à une pensée que j'avais manifestée imprudemment…
Je me plaisais tant dans cette ville, où la
renaissance, le moyen âge et l'époque romaine se retrouvent
çà et là, - au détour d'une rue, dans une écurie, dans une
cave. - Je vous parlais "de ces tours des Romains
recouvertes de lierre !" - L'éternelle verdure dont elles
sont vêtues fait honte à la nature inconstante de nos pays
froids. - En Orient, les bois sont toujours verts; - chaque
arbre a sa saison de mue; mais cette saison varie selon la
nature de l'arbre. C'est ainsi que j'ai vu au Caire les
sycomores perdre leurs feuilles en été. En revanche, ils
étaient verts au mois de janvier.
Les allées qui entourent Senlis et qui remplacent les
antiques fortifications romaines, - restaurées plus tard,
par suite du long séjour des rois carlovingiens, - n'offrent
plus aux regards que des feuilles rouillées d'ormes et de
tilleuls. Cependant la vue est encore belle, aux alentours,
par un beau coucher de soleil. - Les forêts de Chantilly, de
Compiègne et d'Ermenonville; - les bois de Châalis et de
Pont-Armé se dessinent avec leurs masses rougeâtres sur le
vert clair des prairies qui les séparent. Des châteaux
lointains élèvent encore leurs tours, - solidement bâties en
pierres de Senlis, et qui, généralement, ne
servent plus que de pigeonniers.
Les clochers aigus, hérissés de saillies régulières,
qu'on appelle dans le pays des ossements (je ne
sais pourquoi), retentissent encore de ce bruit de cloches
qui portait une douce mélancolie dans l'âme de Rousseau…
Accomplissons le pèlerinage que nous nous sommes
promis de faire, non pas près de ses cendres, qui reposent
au Panthéon, - mais près de son tombeau, situé à
Ermenonville, dans l'île dite des Peupliers.
La cathédrale de Senlis; l'église Saint-Pierre, qui
sert aujourd'hui de caserne aux cuirassiers; le château de
Henri IV, adossé aux vieilles fortifications de la ville;
les cloîtres byzantins de Charles le Gros et de ses
successeurs, n'ont rien qui doive nous arrêter… C'est encore
le moment de parcourir les bois, malgré la brume obstinée du
matin.
Nous sommes partis de Senlis, à pied, à travers les
bois, aspirant avec bonheur la brume d'automne.
Nous avions parcouru une route qui aboutit aux bois
et au château de Mont-l'Evêque. - Des étangs brillaient çà
et là à travers les feuilles rouges relevées par la verdure
sombre des pins. Sylvain me chanta ce vieil air du pays :
Courage!
mon ami, courage !
Nous voici près du village !
A la première maison,
Nous nous rafraîchirons!
On buvait
dans le village un petit vin qui n'était pas désagréable
pour des voyageurs. L'hôtesse nous dit, voyant nos barbes: -
Vous êtes des artistes… vous venez donc pour voir Châalis ?
Châalis, - à ce nom je me ressouvins d'une époque
bien éloignée… celle où l'on me conduisait à l'abbaye, une
fois par an, pour entendre la messe, et pour voir la foire
qui avait lieu près de là.
- Châalis, dis-je… Est-ce que cela existe encore ?
La Chapelle
en-Serval, ce 20 novembre.
De même
qu'il est bon dans une symphonie même pastorale de faire
revenir de temps en temps le motif principal, gracieux,
tendre ou terrible, pour enfin le faire tonner au finale
avec la tempête graduée de tous les instruments, - je crois
utile de vous parler encore de l'abbé de Bucquoy, sans
m'interrompre dans la course que je fais en ce moment vers
le château de ses pères, avec cette intention de mise en
scène exacte et descriptive sans laquelle ses aventures
n'auraient qu'un faible intérêt.
Le finale se recule encore, et vous allez voir que
c'est encore malgré moi…
Et, d'abord, réparons une injustice à l'égard de ce
bon M. Ravenel de la Bibliothèque nationale, qui, loin de
s'occuper légèrement de la recherche du livre, a remué tous
les fonds des huit cent mille volumes que nous y possédons.
Je l'ai appris depuis; mais, ne pouvant trouver la chose
absente, il m'a donné officieusement avis de la vente de
Techener, ce qui est le procédé d'un véritable savant.
Sachant
bien que toute vente de grande bibliothèque se continue
pendant plusieurs jours, j'avais demandé avis du jour
désigné pour la vente du livre, voulant, si c'était
justement le 20, me trouver à la vacation du soir.
Mais ce ne sera que le 30 !
Le livre est bien classé sous la rubrique : Histoire
et sous le n° 3584. Evénement des plus rares,
etc., l'intitulé que vous savez.
La note suivante y est annexée.
« Rare. -
Tel est le titre de ce livre bizarre, en tête duquel se
trouve une gravure représentant l'Enfer des vivants, ou la
Bastille. Le reste du volume est composé des choses les plus
singulières.
» Catalogue de la bibliothèque de M. M***, etc. »
Je puis
encore vous donner un avant-goût de l'intérêt de cette
histoire, dont quelques personnes semblaient douter, en
reproduisant des notes que j'ai prises dans la Biographie
Michaud.
Après la biographie de Charles Bonaventure, comte de
Bucquoy, généralissime et membre de l'ordre de la
Toison-d'Or, célèbre par ses guerres en France, en Bohême et
en Hongrie, et dont le petit-fils, Charles, fut créé prince
de l'Empire, - on trouve l'article sur l'abbé de
Bucquoy, - indiqué comme étant de la même
famille que le précédent. Sa vie politique commença
par cinq années de services militaires. Echappé comme par
miracle à un grand danger, il fit voeu de quitter le monde
et se retira à la Trappe. L'abbé de Rancé, sur lequel
Chateaubriand a écrit son dernier livre, le renvoya comme
peu croyant. Il reprit son habit galonné, qu'il troqua
bientôt contre les haillons d'un mendiant.
A l'exemple des fakirs et des derviches, il
parcourait le monde, pensant donner des exemples d'humilité
et d'austérité. Il se faisait appeler le Mort, et
tint même à Rouen, sous ce nom, une école gratuite.
Je m'arrête de peur de déflorer le sujet. Je ne veux
que faire remarquer encore, pour prouver que cette histoire
a du sérieux, qu'il proposa plus tard aux états unis de
Hollande, en guerre avec Louis XIV, «un projet pour faire
de la France une république, et y détruire,
disait-il, le pouvoir arbitraire ». Il mourut à
Hanovre, à quatre-vingt-dix ans, laissant son mobilier et
ses livres à l'Eglise catholique, dont il n'était jamais
sorti. - Quant à ses seize années de voyages dans l'Inde, je
n'ai encore là-dessus de données que par le livre en
hollandais de la Bibliothèque nationale.
Nous sommes allés à Châalis pour voir en détail le
domaine, avant qu'il soit restauré. Il y a d'abord une vaste
enceinte entourée d'ormes; puis, on voit à gauche un
bâtiment dans le style du seizième siècle, restauré sans
doute plus tard selon l'architecture lourde du petit château
de Chantilly.
Quand on a vu les offices et les cuisines, l'escalier
suspendu du temps de Henri IV vous conduit aux vastes
appartements des premières galeries, - grands appartements
donnant sur les bois. Quelques peintures enchâssées, le
grand Condé à cheval et des vues de la forêt, voilà tout ce
que j'ai remarqué. Dans une salle basse, on voit un portrait
d'Henri IV à trente-cinq ans.
C'est l'époque de Gabrielle, - et probablement ce
château a été témoin de leurs amours. - Ce prince qui, au
fond, m'est peu sympathique, demeura longtemps à Senlis,
surtout dans la première époque du siège, et l'on y voit, au
dessus de la porte de la mairie et des trois mots : Liberté,
égalité, fraternité, son portrait en bronze avec une
devise gravée, dans laquelle il est dit que son premier
bonheur fut à Senlis, - en 1590. - Ce n'est pourtant pas là
que Voltaire a placé la scène principale, imitée de
l'Arioste, de ses amours avec Gabrielle d'Estrées.
Ne trouvez vous pas étrange, que les d'Estrées
se trouvent être encore des parents de abbé de Bucquoy ?
C'est cependant ce que révèle encore la généalogie dé sa
famille… Je n'invente rien.
C'était
le fils du garde qui nous faisait voir le château, -
abandonné depuis longtemps. - C'est un homme qui, sans être
lettré, comprend le respect que l'on doit aux antiquités. Il
nous fit voir dans une des salles un moine qu'il avait
découvert dans les ruines. A voir ce squelette couché dans
une auge de pierre, j'imaginai que ce n'était pas un moine,
mais un guerrier celte ou franc couché selon l'usage, - avec
le visage tourné vers l'Orient, dans cette localité, où les
noms d'Erman ou d'Armen sont communs dans le voisinage, sans
parler même d'Ermenonville, située près de là, - et que l'on
appelle dans le pays Arme-Nonville ou Nonval, qui est le
terme ancien.
Le pâté des ruines principales forme les restes de
l'ancienne abbaye, bâtie probablement vers l'époque de
Charles VII, dans le style du gothique fleuri, sur des
voûtes carlovingiennes aux piliers lourds, qui recouvrent
les tombeaux. Le cloître n'a laissé qu'une longue galerie
d'ogives qui relie l'abbaye à un premier monument, où l'on
distingue encore des colonnes byzantines taillées à l'époque
de Charles le Gros, et engagées dans de lourdes murailles du
seizième siècle.
« On veut, nous dit le fils du garde, abattre le mur
du cloître pour que, du château, l'on puisse avoir une vue
sur les étangs. C'est un conseil qui a été donné à Madame.
- Il faut conseiller, dis-je, à votre dame de faire
ouvrir seulement les arcs des ogives qu'on a remplis de
maçonnerie, et alors la galerie se découpera sur les étangs,
ce qui sera beaucoup plus gracieux. »
Il a promis de s'en souvenir.
La suite
des ruines amenait encore une tour et une chapelle. Nous
montâmes à la tour. De là l'on distinguait toute la vallée,
coupée d'étangs et de rivières, avec les longs espaces
dénudés qu'on appelle le Désert d'Ermenonville, et qui
n'offrent que des grès de teinte grise, entremêlés de pins
maigres et de bruyères.
Des carrières rougeâtres se dessinaient encore çà et
là à travers les bois effeuillés, et ravivaient la teinte
verdâtre des plaines et des forêts, - où les bouleaux
blancs, les troncs tapissés de lierre et les dernières
feuilles d'automne se détachaient encore sur les masses
rougeâtres des bois encadrés des teintes bleues de
l'horizon.
Nous redescendîmes pour voir la chapelle; c'est une
merveille d'architecture. L'élancement des piliers et des
nervures, l'ornement sobre et fin des détails, révélaient
l'époque intermédiaire entre le gothique fleuri et la
Renaissance. Mais, une fois entrés, nous admirâmes les
peintures, qui m'ont semblé être de cette dernière époque.
- Vous allez voir des saintes un peu décolletées, nous dit
le fils du garde. En effet, on distinguait une sorte de
Gloire peinte en fresque du côté de la porte, parfaitement
conservée, malgré ses couleurs pâlies, sauf la partie
inférieure couverte de peintures à la détrempe, mais qu'il
ne sera pas difficile de restaurer.
Les bons moines de Châalis auraient voulu supprimer
quelques nudités trop voyantes du style Médicis.
En effet, tous ces anges et toutes ces saintes faisaient
l'effet d'amours et de nymphes aux gorges et aux cuisses
nues. L'abside de la chapelle offre dans les intervalles de
ses nervures d'autres figures mieux conservées encore et du
style allégorique usité postérieurement à Louis XII. - En
nous retournant pour sortir, nous remarquâmes au-dessus de
la porte des armoiries qui devaient indiquer l'époque des
dernières ornementations.
Il nous fut difficile de distinguer les détails de
l'écusson écartelé, qui avait été repeint postérieurement en
bleu et en blanc. Au I et au 4, c'étaient d'abord des
oiseaux que le fils du garde appelait des cygnes, - disposés
par 2 et I; mais ce n'étaient pas des cygnes.
Sont-ce des aigles déployées, des merlettes ou des
alérions ou des ailettes attachées à des foudres ?
Au 2 et au 3, ce sont des fers de lance, ou des
fleurs de lis, ce qui est la même chose. Un chapeau de
cardinal recouvrait l'écusson et laissait tomber des deux
côtés ses résilles triangulaires ornées de glands; mais n'en
pouvant compter les rangées, parce que la pierre était
fruste, nous ignorions si ce n'était pas un chapeau d'abbé.
Je n'ai pas de livres ici. Mais il me semble que ce sont là
les armes de Lorraine, écartelées de celles de France.
Seraient-ce les armes du cardinal de Lorraine, qui fut
proclamé roi dans ce pays, sous le nom de Charles X, ou
celles de l'autre cardinal qui aussi était soutenu par la
Ligue ?… Je m'y perds, n'étant encore, je le reconnais,
qu'un bien faible historien.
ONZIÈME LETTRE
LE CHÂTEAU
D'ERMENONVILLE - LES ILLUMINÉS - LE
ROI DE PRUSSE - GABRIELLE ET ROUSSEAU -
LES TOMBES - LES ABBÉS DE
CHÂALIS.
En
quittant Châalis, il y a encore à traverser quelques
bouquets de bois, puis nous entrons dans le Désert. Il y a
assez de désert pour que, du centre, on ne voie point
d'autre horizon, - pas assez pour qu'en une demi-heure de
marche on n'arrive au paysage le plus calme, le plus
charmant du monde… Une nature suisse découpée au milieu du
bois, par suite de l'idée qu'a eue René de Girardin d'y
transplanter l'image du pays dont sa famille était
originaire.
Quelques années avant la Révolution, le château
d'Ermenonville était le rendez-vous des Illuminés qui
préparaient silencieusement l'avenir. Dans les soupers
célèbres d'Ermenonville, on a vu successivement le comte de
Saint-Germain, Mesmer et Cagliostro, développant, dans des
causeries inspirées, des idées et des paradoxes dont l'école
dite de Genève hérita plus tard. - Je crois bien que M. de
Robespierre, le fils du fondateur de la loge écossaise
d'Arras, - tout jeune encore, - peut-être encore plus tard
Sénancour, Saint-Martin, Dupont de Nemours et Cazotte,
vinrent exposer, soit dans ce château, soit dans celui de Le
Pelletier de Mortfontaine, les idées bizarres qui se
proposaient les réformes d'une société vieillie, laquelle
dans ses modes mêmes, avec cette poudre qui donnait aux plus
jeunes fronts un faux air de la vieillesse, indiquait la
nécessité d'une complète transformation.
Saint-Germain appartient à une époque antérieure,
mais il est venu là. C'est lui qui avait fait voir à Louis
XV dans un miroir d'acier son petit-fils sans tête, comme
Nostradamus avait fait voir à Marie de Médicis les rois de
sa race, dont le quatrième était également décapité.
Ceci est de l'enfantillage. Ce qui révèle les
mystiques, c'est le détail rapporté par Beaumarchais, que
les Prussiens, - arrivés jusqu'à Verdun, - se replièrent
tout à coup d'une manière inattendue d'après l'effet d'une
apparition dont leur roi fut surpris, et qui lui fit dire: «
N'allons pas outre! » comme en certains cas disaient les
chevaliers.
Les Illuminés français et allemands s'entendaient par
des rapports d'affiliation. Les doctrines de Weisshaupt et
de Jacob Boehme avaient pénétré, chez nous, dans les anciens
pays francs et bourguignons, par l'antique sympathie et les
relations séculaires des races de même origine. Le premier
ministre du neveu de Frédéric II était lui-même un Illuminé.
Beaumarchais suppose qu'à Verdun, sous couleur d'une séance
de magnétisme, on fit apparaître devant Frédéric-Guillaume
son oncle, qui lui aurait dit: « Retourne ! » comme le fit
un fantôme à Charles VI.
Ces données bizarres confondent l'imagination;
seulement, Beaumarchais, qui était un sceptique, a prétendu
que, pour cette scène de fantasmagorie, on fit venir de
Paris l'acteur Fleury, qui avait joué précédemment aux
Français le rôle de Frédéric II, et qui aurait ainsi fait
illusion au roi de Prusse, lequel, depuis, se retira, comme
on sait, de la confédération des rois ligués contre la
France.
Les souvenirs des lieux où je suis m'oppressent
moi-même, de sorte que je vous envoie tout cela au hasard,
mais d'après des données sûres. Un détail plus important à
recueillir, c'est que le général prussien qui, dans nos
désastres de la Restauration, prit possession du pays, ayant
appris que la tombe de Jean-Jacques Rousseau se trouvait à
Ermenonville, exempta toute la contrée, depuis Compiègne,
des charges de l'occupation militaire. C'était, je crois, le
prince d'Anhalt: souvenons-nous au besoin de ce trait.
Rousseau
n'a séjourné que peu de temps à Ermenonville. S'il y a
accepté un asile, c'est que depuis longtemps, dans les
promenades qu'il faisait en partant de l'Ermitage
de Montmorency, il avait reconnu que cette contrée
présentait à un herborisateur des familles de plantes
remarquables, dues à la variété des terrains.
Nous sommes allés descendre à l'auberge de la
Croix-Blanche, où il demeura lui-même quelque temps, à son
arrivée. Ensuite, il logea encore de l'autre côté du
château, dans une maison occupée aujourd'hui par un épicier.
M. René de Girardin lui offrit un pavillon inoccupé, faisant
face à un autre pavillon qu'occupait le concierge du
château. Ce fut là qu'il mourut.
En nous
levant, nous allâmes parcourir les bois encore enveloppés
des brouillards d'automne, que peu à peu nous vîmes se
dissoudre en laissant reparaître le miroir azuré des lacs.
J'ai vu de pareils effets de perspective sur des tabatières
du temps… Je revis l'île des Peupliers, au delà des bassins
qui surmontent une grotte factice, sur laquelle l'eau tombe,
quand elle tombe… Sa description pourrait se lire dans les
idylles de Gessner.
Les rochers qu'on rencontre en parcourant les bois
sont couverts d'inscriptions poétiques. Ici :
Sa masse
indestructible a fatigué le temps.
ailleurs:
Ce lieu
sert de théâtre aux courses valeureuses
Qui signalent du cerf les fureurs amoureuses,
ou encore, avec un bas-relief
représentant des Druides qui coupent le gui
:
Tels
furent nos aïeux dans leurs bois solitaires !
Ces vers
ronflants me semblent être de Roucher… Delille les aurait
faits moins solides.
M. René de Girardin faisait aussi des vers. - C'était
en outre un homme de bien. Je pense qu'on lui doit les vers
suivants, sculptés sur une fontaine d'un endroit voisin, que
surmontent un Neptune et une Amphitrite, légèrement décolletée
comme les anges et les saints de Châalis :
Des bords fleuris
où j'aimais à répandre
Le plus pur cristal
de mes eaux,
Passant, je viens
ici me rendre
Aux désirs, aux besoins de l'homme et des
troupeaux.
En puisant les trésors de mon urne féconde,
Songe que tu les dois à des soins bienfaisants,
Puissé-je n'abreuver du tribut de mes ondes
Que des mortels
paisibles et contents !
Je ne
m'arrête pas à la forme des vers; - c'est la pensée d'un
honnête homme que j'admire. L'influence de son séjour est
profondément sentie dans le pays. Là, ce sont des salles de
danse, - où l'on remarque encore le banc des vieillards;
là, des tirs à l'arc, avec la tribune d'où l'on distribuait
des prix… Au bord des eaux, des temples ronds, à colonnes de
marbre, consacrés soit à Vénus génitrice, soit à Hermès
consolateur. Toute cette mythologie avait alors un sens
philosophique et profond.
La tombe
de Rousseau est restée telle qu'elle était, avec sa forme
antique et simple, et les peupliers, effeuillés,
accompagnent encore d'une manière pittoresque le monument,
qui se reflète dans les eaux dormantes de l'étang. Seulement
la barque qui y conduisait les visiteurs est aujourd'hui
submergée… Les cygnes, je ne sais pourquoi, au lieu de nager
gracieusement autour de l'île préfèrent se baigner dans un
ruisseau d'eau bourbeuse, qui coule, dans un rebord, entre
des saules aux branches rougeâtres, et qui aboutit à un
lavoir, situé le long de la route.
Nous sommes revenus au château. - C'est encore un
bâtiment de l'époque de Henri IV, refait vers Louis XV, et
construit probablement sur des ruines antérieures, - car on
a conservé une tour crénelée qui jure avec le reste, et les
fondements massifs sont entourés d'eau, avec des poternes et
des restes de ponts-levis.
Le concierge ne nous a pas permis de visiter les
appartements, parce que les maîtres y résidaient. - Les
artistes ont plus de bonheur dans les châteaux princiers,
dont les hôtes sentent qu'après tout, ils doivent quelque
chose à la nation.
On nous laissa seulement parcourir les bords du grand
lac, dont la vue, à gauche, est dominée par la tour dite de
Gabrielle, reste d'un ancien château. Un paysan qui nous
accompagnait nous dit : « Voici la tour où était enfermée la
belle Gabrielle… tous les soirs Rousseau venait pincer de la
guitare sous sa fenêtre, et le roi, qui était jaloux, le
guettait souvent, et a fini par le faire mourir. »
Voilà pourtant comment se forment les légendes. Dans
quelques centaines d'années, on croira cela. - Henri IV,
Gabrielle et Rousseau sont les grands souvenirs du pays. On
a confondu déjà, - à deux cents ans d'intervalle, - les deux
souvenirs, et Rousseau devient peu à peu le contemporain
d'Henri IV. Comme la population l'aime, elle suppose que le
roi a été jaloux de lui, et trahi par sa maîtresse, - en
faveur de l'homme sympathique aux races souffrantes. Le
sentiment qui a dicté cette pensée est peut-être plus vrai
qu'on ne croit. Rousseau, qui a refusé cent louis de madame
de Pompadour, a ruiné profondément l'édifice royal fondé par
Henri. Tout a croulé. - Son image immortelle demeure debout
sur les ruines.
Quant à ses chansons, dont nous avons vu les
dernières à Compiègne, elles célébraient d'autres que
Gabrielle. Mais le type de la beauté n'est-il pas éternel
comme le génie ?
En
sortant du parc, nous nous sommes dirigés vers l'église,
située sur la hauteur. Elle est fort ancienne, mais moins
remarquable que la plupart de celles du pays. Le cimetière
était ouvert; nous y avons vu principalement le tombeau de
De Vic, - ancien compagnon d'armes de Henri IV, - qui lui
avait fait présent du domaine d'Ermenonville. C'est un
tombeau de famille, dont la légende s'arrête à un abbé. - Il
reste ensuite des filles qui s'unissent à des bourgeois. -
Tel a été le sort de la plupart des anciennes maisons. Deux
tombes plates d'abbés, très vieilles, dont il est difficile
de déchiffrer les légendes, se voient encore près de la
terrasse. Puis, près d'une allée, une pierre simple sur
laquelle on trouve inscrit : Ci-gît Almazor.
Est-ce un fou ? - est-ce un laquais ? - est-ce un chien ? La
pierre ne dit rien de plus.
Du haut de la terrasse du cimetière, la vue s'étend
sur la plus belle partie de la contrée; les eaux miroitent à
travers les grands arbres roux, les pins et les chênes
verts. Les grès du désert prennent à gauche un aspect
druidique. La tombe de Rousseau se dessine à droite, et plus
loin, sur le bord, le temple de marbre d'une déesse absente,
qui doit être la Vérité.
Ce dut être un beau jour que celui où une députation,
envoyée par l'Assemblée nationale, vint chercher les cendres
du philosophe pour les transporter au Panthéon. - Lorsqu'on
parcourt le village, on est étonné de la fraîcheur et de la
grâce des petites filles; - avec leurs grands chapeaux de
paille, elles ont l'air de Suissesses… Les idées sur
l'éducation de l'auteur d'Émile semblent avoir été
suivies; les exercices de force et d'adresse, la danse, les
travaux de précision encouragés par des fondations diverses,
ont donné sans doute à cette jeunesse la santé, la vigueur
et l'intelligence des choses utiles.
J'aime
beaucoup cette chaussée, - dont j'avais conservé un souvenir
d'enfance, - et qui, passant devant le château, rejoint les
deux parties du village, ayant quatre tours basses à ses
deux extrémités.
Sylvain me dit: - Nous avons vu la tombe de Rousseau
: il faudrait maintenant gagner Dammartin, où nous
trouverons des voitures pour nous mener à Soissons, et de
là, à Longueval. Nous allons nous informer du chemin aux
laveuses qui travaillent devant le château.
- Allez tout droit par la route à gauche, nous
dirent-elles, ou, également, par la droite… Vous arriverez,
soit à Ver, soit à Eve, vous passerez
par Othis, et en deux heures de marche vous
gagnerez Dammartin.
Ces jeunes filles fallacieuses nous firent faire une
route bien étrange; - il faut ajouter qu'il pleuvait.
La route
était fort dégradée, avec des ornières pleines d'eau, qu'il
fallait éviter en marchant sur les gazons. D'énormes
chardons, qui nous venaient à la poitrine, - chardons à demi
gelés, mais encore vivaces, - nous arrêtaient quelquefois.
Ayant fait une lieue, nous comprimes que ne voyant ni
Ver, ni Eve, ni Othis, ni
seulement la plaine, nous pouvions nous être fourvoyés.
Une éclaircie se manifesta tout à coup à notre
droite, - quelqu'une de ces coupes sombres qui éclaircissent
singulièrement les forêts…
Nous aperçûmes une hutte fortement construite en
branches rechampies de terre, avec un toit de chaume tout à
fait primitif. Un bûcheron fumait sa pipe devant la porte.
- Pour aller à Ver ?…
- Vous en êtes bien loin… En suivant la route, vous
arriverez à Montaby.
- Nous demandons Ver, - ou Eve…
- Eh bien! vous allez retourner… vous ferez une
demi-lieue (on peut traduire cela si l'on veut en mètres, à
cause de la loi), puis, arrivés à la place où l'on tire
l'arc, vous prendrez à droite. Vous sortirez du bois, vous
trouverez la plaine, et ensuite tout le monde vous
indiquera Ver.
Nous avons retrouvé la place du tir, avec sa tribune
et son hémicycle destiné aux sept vieillards. Puis nous nous
sommes engagés dans un sentier qui doit être fort beau quand
les arbres sont verts. Nous chantions encore, pour aider la
marche et peupler la solitude, quelques chansons du pays.
La route se prolongeait comme le diable; je
ne sais trop jusqu'à quel point le diable se prolonge, -
ceci est la réflexion d'un Parisien. - Sylvain, avant de
quitter le bois, chanta cette ronde de l'époque de Louis XIV
:
C'était un
cavalier
Qui revenait de Flandre…
Le reste est difficile à
raconter. - Le refrain s'adresse au tambour, et lui dit:
Battez la
générale
Jusqu'au point du jour !
Quand
Sylvain, - homme taciturne, - se met à chanter, on n'en est
pas quitte facilement. - Il m'a chanté je ne sais quelle
chanson des Moines rouges qui habitaient
primitivement Châalis. - Quels moines ! C'étaient des
Templiers ! - Le roi et le pape se sont entendus pour les
brûler.
Ne parlons plus de ces moines rouges.
Au sortir de la forêt, nous nous sommes trouvés dans
les terres labourées. Nous emportions beaucoup de notre
patrie à la semelle de nos souliers; - mais nous finissions
par le rendre plus loin dans les prairies… Enfin, nous
sommes arrivés à Ver. - C'est un gros bourg.
L'hôtesse était aimable et sa fille fort avenante, -
ayant de beaux cheveux châtains, une figure régulière et
douce, et ce parler si charmant des pays de brouillards, qui
donne aux plus jeunes filles des intonations de
contralto, par moments!
- Vous voilà, mes enfants, dit l'hôtesse… Eh bien! on
va mettre un fagot dans le feu!
- Nous vous demandons à souper, sans indiscrétion.
- Voulez-vous, dit l'hôtesse, qu'on vous fasse
d'abord une soupe à l'oignon ?
- Cela ne peut pas faire de mal, et ensuite ?
- Ensuite, il y a aussi de la chasse.
Nous vîmes là que nous étions bien tombés.
Sylvain a un talent, c'est un garçon pensif, - qui,
n'ayant pas eu beaucoup d'éducation, se préoccupe pourtant
de parfaire ce qu'il n'a reçu qu'imparfait
du peu de leçons qui lui ont été données.
Il a des idées sur tout. - Il est capable de composer
une montre… ou une boussole. - Ce qui le gène dans la
montre, c'est la chaîne, qui ne peut se prolonger
assez… Ce qui le gêne dans la boussole, c'est que cela fait
seulement reconnaître que l'aimant polaire du globe attire
forcément les aiguilles; mais que sur le reste, - sur la
cause et sur les moyens de s'en servir, les documents sont
imparfaits !
L'auberge, un peu isolée, mais solidement bâtie, où
nous avons pu trouver asile, offre à l'intérieur une cour à
galeries d'un système entièrement valaque… Sylvain a
embrassé la fille, qui est assez bien découplée, et nous
prenons plaisir à nous chauffer les pieds en caressant deux
chiens de chasse, attentifs au tourne-broche, - qui est
l'espoir d'un souper prochain…