LES SUJETS DE L’
EAF
2014
-
suite
AMÉRIQUE DU NORD
SÉRIE L
Objet d'étude : Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours.
Corpus
:
Texte A : Pierre de RONSARD, Les Amours, « Des sonnets pour Hélène », XI, 1578.
Texte B : Victor HUGO, Les Quatre vents de l'esprit, section « Le Livre lyrique », poème « Exil », XXXVII, 1875.
Texte C : Pierre SEGHERS, Le Futur antérieur, « À ceux du 25 août 1944 », 1945.
Texte D : Hélène CADOU, Le Bonheur du jour, « Déjà je ne trouve plus ton visage », 1956.
Texte A : Pierre de Ronsard, Les Amours, « Des sonnets pour Hélène », XI, 1578.
[Ronsard a quarante-six ans quand il tombe amoureux d'Hélène de Surgères, beaucoup plus jeune que lui. Elle lui inspire de nombreux sonnets.]
XI
Trois jours ont jà1 passé que je suis affamé
De votre doux regard, et qu'à l'enfant je semble2
Que sa nourrice laisse, et qui crie et qui tremble
De faim en son berceau, dont il est consommé3.
Puisque mon œil ne voit le vôtre tant aimé
Qui ma vie et ma mort en un regard assemble,
Vous deviez, pour le moins, m'écrire, ce me semble;
Mais vous avez le cœur d'un rocher enfermé.
Fière4, ingrate beauté, trop hautement superbe5,
Votre courage dur n'a pitié de l'amour;
Ni de mon pâle teint jà flétri comme une herbe.
Si je suis sans vous voir deux heures à séjour
Par épreuve je sens ce qu'on dit en proverbe :
L'amoureux qui attend se vieillit en un jour.
1. Jà : déjà.
2. Semble : ressemble.
3. Dont il est consommé : dont il souffre
4. Fière : cruelle.
5. Superbe : belle, admirable mais aussi hautaine.
Texte B : Victor Hugo, Les Quatre vents de l'esprit, section « Le Livre lyrique », poème « Exil », XXXVII, 1875.
[Le poète évoque son exil hors de France. Ses parents, ses frères et sa fille aînée sont morts depuis plusieurs années. Ils sont enterrés en France.]
Si je pouvais voir, ô patrie,
Tes amandiers et tes lilas,
Et fouler ton herbe fleurie,
Hélas!
Si je pouvais, - mais, ô mon père,
O ma mère, je ne peux pas, -
Prendre pour chevet1 votre pierre,
Hélas!
Dans le froid cercueil qui vous gêne,
Si je pouvais vous parler bas,
Mon frère Abel, mon frère Eugène,
Hélas!
Si je pouvais, ô ma colombe2,
Et toi, mère, qui t'envolas,
M'agenouiller sur votre tombe,
Hélas!
Oh ! Vers l'étoile solitaire,
Comme je lèverais les bras !
Comme je baiserais la terre,
Hélas!
Loin de vous, ô morts que je pleure,
Des flots noirs j'écoute le glas3;
Je voudrais fuir, mais je demeure,
Hélas!
Pourtant le sort, caché dans l'ombre,
Se trompe si, comptant mes pas
Il croit que le vieux marcheur sombre
Est las.
1. Chevet : tête du lit.
2. Colombe : allusion à sa fille défunte.
3. le glas : son des cloches pour un enterrement.
Texte C : Pierre Seghers, Le Futur antérieur, « À ceux du 25 août 1944 », 1945.
[Le 25 août 1944, alors que Paris se libérait, un groupe de jeunes résistants a été fusillé par des soldats allemands.]
Beaux enfants gravés dans le marbre
De votre ville, beaux enfants
Qui vivez parmi les vivants
Les yeux aussi gris que le vent
Beaux enfants de pierre et de pluie
Saints Sébastien1 de la Cité
Criblés aux murs de l'autre été
Pour vivre votre vérité
Vous n'êtes pas morts à la terre
Votre sang ne s'est point gelé
Sur nos pavés il s'est mêlé
Avec la cendre des brûlés
Visages sans noms de la rue
Graine anonyme des chaussées
Rue aux cent noms vous fleurissez
L'avenir avec le passé
La vie, le monde vous regarde
Vous ressemblez étrangement
A des amants, à des déments
Aux trompettes du Jugement2
Témoins aux fronts insaisissables
Si pareils à chacun de nous
Foule aux garçons toujours debout
Pour se battre, le vingt-cinq Août...
Paris vous porte en sa poitrine
Et vous, votre mort dans vos mains,
Saints des chemins les plus humains
Vous lui offrez vos lendemains.
1. Saint Sébastien : martyr chrétien criblé de flèches.
2. Aux trompettes du Jugement : dans la Bible, à la fin du monde, des trompettes annoncent le jugement divin des âmes.
Texte D : Hélène Cadou, Le Bonheur du jour, « Déjà je ne trouve plus ton visage », 1956.
[Hélène Cadou est la veuve du poète René-Guy Cadou, mort à trente-et-un ans en 1951. Il a consacré de nombreux poèmes à sa femme.]
Déjà je ne trouve plus ton visage
Qui dérive sous l'épaisseur des jours
Et déjà ta voix m'arrive si basse
Que je ne sais plus écouter ton chant
Me faudra-t-il oublier ton image
Me perdre sans toi dans une autre nuit
Pour qu'au fond de l'ombre et de la souffrance
Naisse le printemps qui nous est promis.
Tu m'es revenu ce matin
Le soleil est sur la maison
Si je savais le retenir
Dans la corbeille d'un beau jour
Peut-être viendrais-tu parfois
Faire halte au milieu de ta nuit
Et dormir encore avec moi
Dans la paille de ses rayons.
Il y avait tant de silence
Tant de présence dans cette chambre
Toutes les lampes
Sur nos lèvres le même sourire
Que lorsqu'Elle est venue vers toi
Elle avait le visage du printemps.
Je sais que tu m'as inventée
Que je suis née de ton regard
Toi qui donnais lumière aux arbres
Mais depuis que tu m'as quittée
Pour un sommeil qui te dévore
Je m'applique à te redonner
Dans le nid tremblant de mes mains
Une part de jour assez douce
Pour t'obliger à vivre encore.
I - Question sur le corpus (4 points) :
Comment ces poèmes rendent-ils présents les êtres et les choses dont ils évoquent l'absence ?
II -
Travail d'écriture (16 points)
:
- Commentaire
Vous commenterez le poème d'Hélène Cadou, tiré du recueil Le Bonheur du jour (texte D).
- Dissertation
Selon vous, l'absence de l'être aimé est-elle la seule source d'inspiration poétique ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur le corpus, les œuvres étudiées en classe et vos lectures personnelles.
- Invention
Dans la préface d'une anthologie, c'est-à-dire d'un recueil constitué d'une sélection de textes, un éditeur justifie son choix de regrouper uniquement des poèmes inspirés par l'éloignement, le manque ou les vides de la vie. Vous rédigerez cette préface solidement argumentée.
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AMÉRIQUE DU NORD
SÉRIES ES / S
Objet d'étude : Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours.
Corpus
:
Texte A : Honoré de BALZAC, Le Père Goriot, 1835.
Texte B : Alexandre DUMAS, Le Comte de Monte-Cristo, 1846.
Texte C : Victor HUGO, Les Misérables, 1862
Texte D : Pierre SOUVESTRE et Marcel ALLAIN, Fantômas : l'agent secret, 1910.
Texte A : Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1835.
[Vautrin, personnage mystérieux, et Rastignac, jeune noble désargenté, s'apprêtent à s'affronter en duel, pour une affaire d'argent. Rastignac, subjugué par Vautrin, accepte de l'écouter.]
— Vous voudriez bien savoir qui je suis, ce que j'ai fait, ou ce que je fais, reprit Vautrin.
Vous êtes trop curieux, mon petit. Allons, du calme. Vous allez en entendre bien d'autres ! j'ai eu des malheurs. Écoutez-moi d'abord, vous me répondrez après. Voilà, ma vie antérieure en trois mots. Qui suis-je ? Vautrin. Que fais-je ? Ce qui me plaît. Passons.
Voulez-vous connaître mon caractère ? Je suis bon avec ceux qui me font du bien ou dont le cœur parle au mien. A ceux-là tout est permis, ils peuvent me donner des coups de pied dans les os des jambes sans que je leur dise : Prends garde ! Mais, nom d'une pipe ! je suis méchant comme le diable avec ceux qui me tracassent, ou qui ne me reviennent pas. Et il est bon de vous apprendre que je me soucie de tuer un homme comme de ça ! dit-il en
lançant un jet de salive. Seulement je m'efforce de le tuer proprement, quand il le faut absolument. Je suis ce que vous appelez un artiste. J'ai lu les Mémoires de Benvenuto Cellini1, tel que vous me voyez, et en italien encore ! J'ai appris de cet homme-là, qui était un fier luron, à imiter la Providence2 qui nous tue à tort et à travers, et à aimer le beau partout où il se trouve. N'est-ce pas d'ailleurs une belle partie à jouer que d'être seul contre tous les
hommes et d'avoir la chance ? J'ai bien réfléchi à la constitution actuelle de votre désordre social. Mon petit, le duel est un jeu d'enfant, une sottise. Quand de deux hommes vivants l'un doit disparaître, il faut être imbécile pour s'en remettre au hasard. Le duel ? croix ou pile3 ! voilà. Je mets cinq balles de suite dans un as de pique en renfonçant chaque nouvelle balle sur l'autre, et à trente-cinq pas encore ! quand on est doué de ce petit talent-là, l'on peut se croire sûr d'abattre son homme. Eh bien ! j'ai tiré sur un homme à vingt pas, je l'ai manqué.
Le drôle n'avait jamais manié de sa vie un pistolet. Tenez ! dit cet homme extraordinaire en défaisant son gilet et montrant sa poitrine velue comme le dos d'un ours, mais garnie d'un crin fauve qui causait une sorte de dégoût mêlé d'effroi, ce blanc-bec m'a roussi le poil, ajouta-t-il en mettant le doigt de Rastignac sur un trou qu'il avait au sein. Mais dans ce
temps-là j'étais un enfant, j'avais votre âge, vingt et un ans. Je croyais encore à quelque chose, à l'amour d'une femme, un tas de bêtises dans lesquelles vous allez vous embarbouiller. Nous nous serions battus, pas vrai ? Vous auriez pu me tuer. Supposez que je sois en terre, où seriez-vous ? Il faudrait décamper, aller en Suisse, manger l'argent de papa, qui n'en a guère. je vais vous éclairer, moi, la position dans laquelle vous êtes; mais
je vais le faire avec la supériorité d'un homme qui, après avoir examiné les choses d'ici-bas, a vu qu'il n'y avait que deux partis à prendre : ou une stupide obéissance ou la révolte. je n'obéis à rien, est-ce clair ? Savez-vous ce qu'il vous faut, à vous, au train dont vous allez ? un million, et promptement; sans quoi, avec notre petite tête, nous pourrions aller flâner dans les filets de Saint-Cloud4, pour voir s'il y a un Être-Suprême5. Ce million, je vais vous le
donner.
1. Benvenuto Cellini : célèbre artiste de la Renaissance, connu pour sa vie hardie et mouvementée.
2. Providence : nom donné au destin.
3. Croix ou pile : pile ou face.
4. Aller flâner dans les filets de Saint-Cloud : se jeter à la Seine. A la hauteur de Saint-Cloud, des filets tendus dans la Seine recueillaient les corps des noyés qui descendaient le fleuve.
5. Être-Suprême : nom donné à Dieu.
Texte B : Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, 1846.
[Jeune marin promis à un bel avenir, Edmond Dantès, victime d'un complot, a été injustement enfermé dans un cachot pendant quatorze ans. Évadé et devenu très riche, il vit sous le nom de « Comte de Monte-Cristo » et organise sa vengeance. Il se présente à l'un de ceux qui ont participé au complot, Monsieur de Villefort.]
— Monsieur, dit Villefort, vous me confondez1, sur ma parole, et je n'ai jamais entendu parler personne comme vous faites.
— C'est que vous êtes constamment resté enfermé dans le cercle des conditions générales, et que vous n'avez jamais osé vous élever d'un coup d'aile dans les sphères
supérieures que Dieu a peuplées d'êtres invisibles ou exceptionnels.
— Et vous admettez, monsieur, que ces sphères existent, et que les êtres exceptionnels et invisibles se mêlent à nous ?
— Pourquoi pas ? est-ce que vous voyez l'air que vous respirez et sans lequel vous ne pourriez pas vivre ?
— Alors, nous ne voyons pas ces êtres dont vous parlez ?
— Si fait, vous les voyez quand Dieu permet qu'ils se matérialisent; vous les touchez, vous les coudoyez, vous leur parlez et ils vous répondent.
— Ah ! dit Villefort en souriant, j'avoue que je voudrais bien être prévenu quand un de ces êtres se trouvera en contact avec moi.
— Vous avez été servi à votre guise, monsieur ; car vous avez été prévenu tout à
l'heure, et maintenant encore, je vous préviens.
— Ainsi, vous-même ?
— Je suis un de ces êtres exceptionnels, oui, monsieur, et je crois que, jusqu'à ce jour,
aucun homme ne s'est trouvé dans une position semblable à la mienne. Les royaumes des
rois sont limités, soit par des montagnes, soit par des rivières, soit par un changement de mœurs, soit par une mutation de langage. Mon royaume, à moi, est grand comme le monde, car je ne suis ni Italien, ni Français, ni Indou, ni Américain, ni Espagnol: je suis cosmopolite. Nul pays ne peut dire qu'il m'a vu naître. Dieu seul sait quelle contrée me verra mourir. j'adopte tous les usages, je parle toutes les langues. Vous me croyez Français, vous, n'est-ce pas, car je parle le français avec la même facilité et la même pureté que vous ? Eh bien !
Ali, mon Nubien2, me croit Arabe; Bertuccio, mon intendant, me croit Romain; Haydée, mon esclave, me croit Grec. Donc vous comprenez, n'étant d'aucun pays, ne demandant protection à aucun gouvernement, ne reconnaissant aucun homme pour mon frère, pas un seul des scrupules qui arrêtent les puissants ou des obstacles qui paralysent les faibles ne
me paralyse ou ne m'arrête. je n'ai que deux adversaires; je ne dirai pas deux vainqueurs, car avec de la persistance je les soumets : c'est la distance et le temps. Le troisième, et le plus terrible, c'est ma condition d'homme mortel. Celle-là seule peut m'arrêter dans le chemin où je marche, et avant que j'aie atteint le but auquel je tends : tout le reste, je l'ai calculé. Ce que les hommes appellent les chances du sort, c'est-à-dire la ruine, le changement, les
éventualités, je les ai toutes prévues; et si quelques-unes peuvent m'atteindre, aucune ne peut me renverser. À moins que je ne meure, je serai toujours ce que je suis; voilà pourquoi je vous dis des choses que vous n'avez jamais entendues, même de la bouche des rois, car les rois ont besoin de vous et les autres hommes en ont peur.
1. Confondez : troublez, déconcertez.
2. Nubien : homme de Nubie, région d'Afrique du Nord.
Texte C : Victor Hugo, Les Misérables, 1862.
[Jean Valjean est un ancien forçat échappé du bagne de Toulon, qui possède une force hors du commun. Des années après son évasion, sous le nom de Monsieur Madeleine, il est devenu maire de Montreuil, où un accident survient au vieux Fauchelevent, écrasé par une charrette. L'inspecteur Javert, qui poursuit Jean Valjean depuis toujours, assiste à la scène.]
M. Madeleine se retourna, et reconnut Javert. Il ne l'avait pas aperçu en arrivant.
Javert continua :
— C'est la force. Il faudrait être un terrible homme pour faire la chose de lever une voiture comme cela sur son dos.
Puis, regardant fixement M. Madeleine, il poursuivit en appuyant sur chacun des mots
qu'il prononçait :
— Monsieur Madeleine, je n'ai jamais connu qu'un seul homme capable de faire ce que vous demandez là.
Madeleine tressaillit.
Javert ajouta avec un air d'indifférence, mais sans quitter des yeux Madeleine :
— C'était un forçat.
— Ah ! dit Madeleine.
— Du bagne de Toulon.
Madeleine devint pâle.
Cependant la charrette continuait à s'enfoncer lentement. Le père Fauchelevent râlait et
hurlait :
— J'étouffe ! Ça me brise les côtes ! Un cric ! quelque chose ! Ah !
Madeleine regarda autour de lui :
— Il n'y a donc personne qui veuille gagner vingt louis et sauver la vie à ce pauvre vieux ?
Aucun des assistants ne remua. Javert reprit :
— Je n'ai jamais connu qu'un homme qui pût remplacer un cric. C'était ce forçat.
— Ah ! voilà que ça m'écrase ! cria le vieillard.
Madeleine leva la tête, rencontra l'œil de faucon de Javert toujours attaché sur lui, regarda les paysans immobiles, et sourit tristement. Puis, sans dire une parole, il tomba à
genoux, et avant même que la foule eût eu le temps de jeter un cri, il était sous la voiture.
Il y eut un affreux moment d'attente et de silence.
On vit Madeleine presque à plat ventre sous ce poids effrayant essayer deux fois en vain de rapprocher ses coudes de ses genoux. On lui cria :
— Père Madeleine ! retirez-vous de là !
Le vieux Fauchelevent lui-même lui dit :
— Monsieur Madeleine ! allez-vous-en ! C'est qu'il
faut que je meure, voyez-vous ! Laissez-moi ! Vous allez vous faire écraser aussi !
Madeleine ne répondit pas.
Les assistants haletaient. Les roues avaient continué de s'enfoncer, et il était déjà devenu presque impossible que Madeleine sortît de dessous la voiture.
Tout à coup on vit l'énorme masse s'ébranler, la charrette se soulevait lentement, les
roues sortaient à demi de l'ornière. On entendit une voix étouffée qui criait :
— Dépêchez-vous ! aidez ! C'était Madeleine qui venait de faire un dernier effort.
Ils se précipitèrent. Le dévouement d'un seul avait donné de la force et du courage à tous. La charrette fut enlevée par vingt bras. Le vieux Fauchelevent était sauvé.
Madeleine se releva. Il était blême1, quoique ruisselant de sueur. Ses habits étaient déchirés et couverts de boue. Tous pleuraient. Le vieillard lui baisait les genoux et l'appelait le bon Dieu. Lui, il avait sur le visage je ne sais quelle expression de souffrance heureuse et céleste, et il fixait son œil tranquille sur Javert qui le regardait toujours.
1. Blême : pâle.
Texte D : Pierre Souvestre et Marcel Allain, Fantômas : l'agent secret, 1910.
[Bobinette, une espionne, découvre la véritable identité de celui pour qui elle croit travailler : le clochard Vagualame.]
— Vagualame, qui êtes-vous ? dites-Ie moi...
—
Qui je suis! pardieu !... tu le demandes ? tu veux le savoir ? Eh bien ! qu'il soit fait
suivant ta volonté !... C'est ta dernière volonté !... Qui je suis ?... regarde !
Lentement, d'un mouvement digne et sûr, Vagualame déroulait la longue cape dans
laquelle il était enveloppé.
Il arrachait son chapeau qu'il jetait à ses pieds et, les bras croisés, fixant Bobinette, il
l'apostrophait :
— Ose dire mon nom ! ose me nommer !...
Devant Bobinette se dressait une terrifiante silhouette.
Le mendiant de tout à l'heure, sa cape enlevée, dépouillé de son chapeau, apparaissait
soudain non plus comme un vieillard au corps tassé, mais comme un homme à coup sûr jeune, vigoureux, superbement musclé.
Il était vêtu, ganté plutôt, d'un maillot collant de laine noire qui, des pieds jusqu'au cou, le
gainait étroitement...
Bobinette ne pouvait apercevoir son visage : celui-ci était dissimulé par une longue
cagoule noire enveloppant entièrement sa tête; seuls les yeux, d'où sortaient deux reflets fauves, deux regards de feu, lumineux, impressionnants dans leur fixité, étaient apparents...
Cette vision, la vision de cet homme, sans visage, sans ressemblance avec un autre homme, la vision de cette apparition, au masque anonyme, au corps de statue, de cet être qui n'était aucun être reconnaissable, avait quelque chose de si précis en son mystère que Bobinette, un quart de seconde, l'ayant contemplée, hurla d'une voix rauque, inhumaine,
mourante :
— Fantômas ! ah ! vous êtes Fantômas !
... L'orage redoublait de violence, la tempête déchaînée multipliait ses hurlements sinistres, la nuit se faisait plus sombre, la pluie plus lourde, le vent plus impétueux !
— Fantômas ! vous êtes Fantômas !
Bobinette répétait inlassablement son exclamation.
Et telle était sa surprise, tel était son émoi de se trouver réellement en présence de l'insaisissable, de l'inidentifiable bandit qu'elle oubliait presque ses horribles menaces;
hébétée, anéantie, incapable d'une pensée consciente.
— Fantômas ! vous êtes Fantômas !
Comme à dessein, comme jouissant du trouble de la pauvre fille, le bandit ne se hâtait
point de répondre.
— Eh bien, oui ! faisait-il enfin, je suis Fantômas !... Je suis celui que le monde entier recherche, que nul n'a jamais vu, que nul ne peut reconnaître ! Je suis le Crime! Je suis la Nuit ! Je n'ai pas de visage, pour personne, parce que la nuit, parce que le crime n'ont point de visage !... Je suis la puissance illimitée; Je suis celui qui se raille1 de tous les pouvoirs, de toutes les forces, de tous les efforts ! Je suis le maître de tous, de tout, de l'heure, du temps ! Je suis la Mort ! Bobinette, tu l'as dit, je suis Fantômas !...
1. Se railler : se moquer.
I - Question sur le corpus (4 points) :
La toute-puissance des personnages principaux est-elle révélée par les mêmes procédés littéraires dans tous les textes ?
II -
Travail d'écriture (16 points)
:
- Commentaire
Vous commenterez l'extrait des Misérables de Victor Hugo (texte C) à partir de « Cependant la charrette continuait à s'enfoncer lentement... » () jusqu'à la fin du texte.
- Dissertation
Selon vous, le plaisir de lire un roman peut-il tenir seulement à la possibilité d'y rencontrer des personnages d'exception ?
Vous répondrez à la question en vous fondant sur les textes du corpus ainsi que sur les textes et œuvres que vous avez étudiés et lus.
- Invention
Monsieur de Villefort (texte B), hésitant entre méfiance et admiration, tente de se forger un avis sur le comte de Monte-Cristo.
Écrivez, sous la forme d'un monologue de roman, les réactions, les sentiments et l'opinion qu'il adopte finalement.
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LIBAN
SÉRIE L
Objet d'étude : La question de l'homme dans les genres de l'argumentation, du XVIème siècle à nos jours.
Corpus
:
Texte A : FÉNELON, Les Aventures de Télémaque, Cinquième livre, 1699.
Texte B : VOLTAIRE, Zadig ou la Destinée, Chapitre X, 1748.
Texte C : Jean-Pierre Claris de FLORIAN, Fables, "Le vieux Arbre et le Jardinier", 1792.
Texte A : Fénelon, Les Aventures de Télémaque, Cinquième livre, 1699.
[Télémaque, fils d'Ulysse, voyage avec la déesse Athéna, qui, sous l'apparence du vieux Mentor, s'occupe de son éducation. Les deux compagnons arrivent en Crète où les habitants sont réunis pour choisir leur nouveau roi. Télémaque fait partie des prétendants au trône, qui doivent répondre à trois questions devant une assemblée de sages. Il raconte cette épreuve.]
La première question est de savoir qui est le plus libre de tous les hommes. Les uns répondirent que c'était un roi qui avait sur son peuple un empire absolu et qui était victorieux de tous ses ennemis. D'autres soutinrent que c'était un homme si riche, qu'il pouvait contenter tous ses désirs. D'autres dirent que c'était un homme qui ne se mariait point, et qui voyageait pendant toute sa vie en divers pays, sans être jamais assujetti aux lois d'aucune nation. D'autres s'imaginèrent que c'était un Barbare, qui, vivant de sa chasse au milieu des bois, était indépendant de toute police et de tout besoin. D'autres crurent que c'était un homme nouvellement affranchi, parce qu'en sortant des rigueurs de la servitude il jouissait plus qu'aucun autre des douceurs de la liberté. D'autres enfin s'avisèrent de dire que c'était un homme mourant, parce que la mort le délivrait de tout et que tous les hommes ensemble n'avaient plus aucun pouvoir sur lui. Quand mon rang fut venu, je n'eus pas de peine à répondre, parce que je n'avais pas oublié ce que Mentor m'avait dit souvent.
— Le plus libre de tous les hommes - répondis-je - est celui qui peut être libre dans l'esclavage même. En quelque pays et en quelque condition qu'on soit, on est très libre, pourvu qu'on craigne les dieux et qu'on ne craigne qu'eux. En un mot, l'homme véritablement libre est celui qui, dégagé de toute crainte et de tout désir, n'est soumis qu'aux dieux et à sa raison.
Les vieillards s'entre-regardèrent en souriant et furent surpris de voir que ma réponse fût précisément celle de Minos.
Ensuite on proposa la seconde question en ces termes : « Quel est le plus malheureux de tous les hommes ? »
Chacun disait ce qui lui venait dans l'esprit. L'un disait : « C'est un homme qui n'a ni biens, ni santé, ni honneur.» Un autre disait : « C'est un homme qui n'a aucun ami.» D'autres soutenaient que c'est un homme qui a des enfants ingrats et indignes de lui. Il vint un sage de l'île de Lesbos, qui dit : « Le plus malheureux de tous les hommes est celui qui croit l'être; car le malheur dépend moins des choses qu'on souffre que de l'impatience avec laquelle on augmente son malheur ! »
A ces mots, toute l'assemblée se récria; on applaudit, et chacun crut que ce sage Lesbien remporterait le prix sur cette question. Mais on me demanda ma pensée, et je répondis, suivant les maximes de Mentor:
— Le plus malheureux de tous les hommes est un roi qui croit être heureux en rendant les autres hommes misérables. Il est doublement malheureux par son aveuglement; ne connaissant pas son malheur, il ne peut s'en guérir; il craint même de le connaître. La vérité ne peut percer la foule des flatteurs pour aller jusqu'à lui. Il est tyrannisé par ses passions; il ne connaît point ses devoirs; il n'a jamais goûté le plaisir de faire le bien, ni senti les charmes de la pure vertu. Il est malheureux et digne de l'être: son malheur augmente tous les jours; il court à sa perte, et les dieux se préparent à le confondre par une punition éternelle.
Toute l'assemblée avoua que j'avais vaincu le sage Lesbien, et les vieillards déclarèrent que j'avais rencontré le vrai sens de Minos.
Pour la troisième question, on demanda lequel des deux est préférable : d'un côté, un roi conquérant et invincible dans la guerre; de l'autre, un roi sans expérience de la guerre, mais propre à policer sagement les peuples dans la paix.
Texte B : Voltaire, Zadig ou la Destinée, Chapitre X, 1748.
[A la suite de diverses péripéties, Zadig, jeune Babylonien sage et fortuné, et son valet, se retrouvent esclaves du marchand Sétoc.]
Sétoc, le marchand, partit deux jours après pour l'Arabie déserte avec ses esclaves et ses chameaux. Sa
tribu habitait vers le désert d'Horeb. Le chemin fut long et pénible. Sétoc, dans la route, faisait bien plus
de cas du valet que du maître, parce que le premier chargeait bien mieux les chameaux; et toutes les
petites distinctions furent pour lui. Un chameau mourut à deux journées d'Horeb : on répartit sa charge sur
le dos de chacun des serviteurs; Zadig en eut sa part. Sétoc se mit à rire en voyant tous ses esclaves
marcher courbés. Zadig prit la liberté de lui en expliquer la raison, et lui apprit les lois de l'équilibre. Le
marchand étonné commença à le regarder d'un autre oeil. Zadig, voyant qu'il avait excité sa curiosité, la
redoubla en lui apprenant beaucoup de choses qui n'étaient point étrangères à son commerce; les
pesanteurs spécifiques des métaux et des denrées sous un volume égal; les propriétés de plusieurs
animaux utiles; le moyen de rendre tels ceux qui ne l'étaient pas; enfin il lui parut un sage. Sétoc lui
donna la préférence sur son camarade, qu'il avait tant estimé. Il le traita bien, et n'eut pas sujet de s'en
repentir.
Texte C : Jean-Pierre Claris de Florian, Fables, "Le vieux Arbre et le Jardinier", 1792.
Un jardinier, dans son jardin,
Avait un vieux arbre stérile;
C'était un grand poirier qui jadis fut fertile :
Mais il avait vieilli, tel est notre destin.
Le jardinier ingrat veut l'abattre un matin;
Le voilà qui prend sa cognée.
Au premier coup l'arbre lui dit :
Respecte mon grand âge, et souviens-toi du fruit
Que je t'ai donné chaque année.
La mort va me saisir, je n'ai plus qu'un instant,
N'assassine pas un mourant
Qui fut ton bienfaiteur.
Je te coupe avec peine,
Répond le jardinier; mais j'ai besoin de bois.
Alors, gazouillant à la fois,
De rossignols une centaine
S'écrie : épargne-le, nous n'avons plus que lui :
Lorsque ta femme vient s'asseoir sous son ombrage,
Nous la réjouissons par notre doux ramage;
Elle est seule souvent, nous charmons son ennui.
Le jardinier les chasse et rit de leur requête;
Il frappe un second coup.
D'abeilles un essaim
Sort aussitôt du tronc, en lui disant : arrête,
Écoute-nous, homme inhumain :
Si tu nous laisses cet asile,
Chaque jour nous te donnerons
Un miel délicieux dont tu peux à la ville
Porter et vendre les rayons :
Cela te touche-t-il ? J'en pleure de tendresse,
Répond l'avare jardinier :
Eh ! Que ne dois-je pas à ce pauvre poirier
Qui m'a nourri dans sa jeunesse ?
Ma femme quelquefois vient ouïr ces oiseaux;
C'en est assez pour moi : qu'ils chantent en repos.
Et vous, qui daignerez augmenter mon aisance,
Je veux pour vous de fleurs semer tout ce canton.
Cela dit, il s'en va, sûr de sa récompense,
Et laisse vivre le vieux tronc.
Comptez sur la reconnaissance
Quand l'intérêt vous en répond.
I - Questions sur le corpus (4 points) :
1. Identifiez et caractérisez dans ces trois textes les personnages qui révisent leur jugement.
2. Comment ces personnages sont-ils amenés à modifier leur manière de penser et d'agir ?
II -
Travail d'écriture (16 points)
:
- Commentaire
Vous commenterez la fable de Florian, "Le vieux Arbre et le Jardinier" (texte C).
- Dissertation
Dans les genres de l'argumentation, la fiction vous semble-t-elle particulièrement efficace pour forger le jugement ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur les textes du corpus, sur les œuvres littéraires étudiées en classe ainsi que sur votre culture personnelle.
- Invention
Dans Les Aventures de Télémaque, les sages proposent une troisième question à Télémaque et à l'habitant de l'île de Lesbos :
« Lequel des deux est préférable: d'un côté, un roi conquérant et invincible dans la guerre; de l'autre, un roi sans expérience de la guerre, mais propre à policer sagement les peuples dans la paix ? ».
Devant l'assemblée des sages, l'habitant de Lesbos (que vous nommerez Polémos) défend la première conception, Télémaque la deuxième. Rédigez ce débat argumenté.
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LIBAN
SÉRIES ES / S
Objet d'étude : Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours.
Texte
:
Jacques RÉDA, Retour au calme, « La Maison Rouge », 1989.
[Le poème « La Maison Rouge» se compose de trois sections, intégralement reproduites ici : « LA VISITE »,« MAI SOMBRE» et « LES BRETELLES ÉTOILÉES ».]
LA VISITE
Par un novembre obscur englouti sous les feuilles mortes
Qu'on amasse en marchant pour en mâcher l'odeur
(Et ma mère disait: tu vas abîmer tes chaussures,
Et mon père comme toujours ne disait pas un mot),
Au bout d'une avenue déserte où l'unique repère
Était, brune et rose, une usine de cacao,
Un dimanche on alla visiter la nouvelle maison.
Elle était haute et rouge, en brique avec des coins de pierre,
Pareille au château d'un poème étrange que j'avais lu,
Mais château de banlieue où devait pourrir ma jeunesse,
Comme entravé dans son étable un bouc irrésolu.
Et, dignement, avant les allées venues machinales,
Les éclats par-dessus la rampe et les portes claquant,
On remonta, redescendit l'escalier en spirale
Qui s'enfonçait jusqu'au sous-sol vers un jardin étroit.
Je m'émerveillai d'y trouver, tout au long de l'allée,
Si tardives et parfumées, quelques fraises des bois.
Sur le mur courait une vigne, et la grille rouillée
Donnait sur la berge du fleuve. On le sentait de loin
Qui roulait dans l'air mou d'automne un remugle de vase;
On entendait rire et glousser au fil des remous
Son corps abandonné hâtif à des lueurs sournoises.
En face, une île toute en prés avec un pavillon
Un peu chinois et malfaisant comme le lieu du crime
Et, sur de forts appontement épaissis de bitume,
Un peu plus loin le pont roulant d'un hangar à charbon.
Muet à ce moment sous les arbres sourds et les brumes
(Mais j'allais aimer la douceur rauque de sa chanson),
Sur la sauvagerie à villas, entrepôts, légumes,
Il s'élevait comme un signal dans l'entre chien et loup,
La nuit tombant sur mon enfance - et je devinais tout.
MAI SOMBRE
Tout au fond du jardin chantait l'araignée à fourrure
Et le soleil de mai tissait sa toile sur les eaux.
J'écoutais le trop-plein de bleu brûler dans les orties
Et le souffle animal d'une locomotive
Veiller sur la solitude des dieux.
Alors en haut d'un arbre ou dans l'ombre d'un mur,
Je fus le moyeu, les rayons et le bord de la roue
Accélérant.
Et si c'est un malheur de vivre, il est moins grand
Pour qui dure en vieux mur de mousse sous les nuages,
Ouvrant toujours sa cavité sombre au soleil de mai
Nerveux comme un tueur entre le fleuve et le sentier;
Ombrageant des fleurs dont la tige aérienne prolonge
Une jambe de ciel ou d'enfant dans l'abricotier
Qui dérive à présent loin des jardins, loin des nuages.
LES BRETELLES ÉTOILÉES
Il y eut quand même des matins où, je ne peux pas dire,
même en hiver, mais enfin surtout au printemps, l'été
(sans oublier l'automne dont le déclin est apothéose),
oui, des matins où tout allait pour de bon commencer.
Quand je dis tout, c'est tout. Il faut donc entendre: le monde
entier de partout jaillissant en tous sens comme une onde
ou comme une fille les poings aux hanches et rieuse: me voici.
Non que le monde n'eût pas existé la veille, l'avant-veille,
ou pendant les jours innombrables qui m'avaient précédé,
mais (et l'on s'expliquait alors une certaine distance,
une certaine incapacité de confiance ou de ferveur),
il y était resté pris sous la pure transparence
d'une très fine pellicule collant si juste à ses contours,
qu'on pouvait la plupart du temps omettre sa présence
comme celle du papier peint à fleurs dans la salle à manger.
On vivait cependant, mais comme sur la scène d'un théâtre
au décor circulaire planté pour l'ornement des jours,
pour une illusion de profondeur derrière les pensées et les êtres
non moins étroitement enfermés sur eux-mêmes tels des sourds.
Puis un matin l'enveloppe s'étant tout à coup déchirée,
on découvrait la vérité des formes, des couleurs.
Quelque chose remuait au fond du décor immobile
et, léger lambeau d'air plus tiède dans l'air, on était
traversé par les chants d'oiseaux hachés comme de la paille,
par les étincelles du fleuve et ses buissons d'odeurs.
Et chaque pas heurtait une corde tendue à se rompre,
fil soyeux de la trame qui tout entière alors vibrait
à la fois jusqu'au ciel dans l'écho d'un cristal sans voûte
et par tout l'espace de la terre en route dans sa grandeur.
Le plus beau, quand j'allais ainsi le long des berges,
c'était, près du débarcadère, le gros tas de charbon
brillant comme du diamant au-dessus de leur barricade en poutres,
et plus loin cette petite manufacture de chocolat
si rose, parfumant l'air avec sa cheminée de tôle
droite sous la colline où moussait l'écume des lilas.
La lumière dorait les entrailles noires de la planète,
et dans ma tête la corde vibrait bien au-delà des mers.
Je percevais même sans bouger le changement, la vitesse;
les pylônes électriques à vastes enjambées passaient
en chantonnant d'un hémisphère à l'autre, et d'un moment
à l'autre on allait arriver mais partir. Je me rappelle :
en ce temps-là j'arborais d'assez extraordinaires bretelles,
pas très élastiques à vrai dire mais, sur un fond bleu nuit,
semées de minuscules étoiles qui semblaient me soulever de terre.
Et, bien que j'utilise à présent comme beaucoup une ceinture
qui tous les matins me repartage suivant l'ordre établi,
je suis resté flottant entre le charbon et les étoiles.
I - Question sur le texte (4 points) :
Le poème « La Maison Rouge» se compose de trois sections, « LA VISITE », «MAI SOMBRE» et « LES BRETELLES ÉTOILÉES»: comment comprenez-vous la complémentarité entre ces trois sections ?
Justifiez votre réponse en prenant appui sur l'ensemble du texte.
II -
Travail d'écriture (16 points)
:
- Commentaire
Vous ferez le commentaire de « LA VISITE ».
- Dissertation
La poésie permet-elle seulement de porter un regard neuf sur le monde ?
Vous développerez votre réflexion en vous appuyant sur les textes du corpus, sur les œuvres littéraires étudiées en classe ainsi que sur votre culture personnelle.
- Invention
Un journaliste littéraire souhaite rédiger un article sur le travail des poètes. Il se rend sur les lieux qui ont inspiré « La Maison Rouge ». Il lui apparaît alors que la poésie de Réda a la capacité de transfigurer une réalité qu'il trouve peu poétique. Écrivez cet article.
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POLYNÉSIE
SÉRIE ES / S
Objet d'étude : Le personnage de roman, du XVllème siècle à nos jours.
Corpus
:
Texte A : FÉNELON, Les Aventures de Télémaque, 1699.
Texte B : Victor HUGO, Quatrevingt-treize, 1874.
Texte C : Emile ZOLA, L'Assommoir, 1877
Texte D : Raymond QUENEAU, Zazie dans le métro, 1959.
Texte A : Fénelon, Les Aventures de Télémaque, 1699.
[Ce roman fut composé par Fénelon pour l'éducation de l'héritier royal à une époque où le souverain se doit de maîtriser l'art de la guerre. Dans notre extrait, le prince grec, Télémaque, prisonnier en Égide, assiste à une guerre civile.]
Je fus, du haut de cette tour, spectateur d'un sanglant combat. Les Égyptiens qui avaient appelé à leur secours les étrangers, après avoir favorisé leur descente, attaquèrent les autres Égyptiens, qui avaient le roi à leur tête. je voyais ce roi qui animait les siens par son exemple: il paraissait comme le dieu Mars1. Des ruisseaux
de sang coulaient autour de lui. Les roues de son char étaient teintes d'un sang noir, épais et écumant. À peine pouvaient-elles passer sur des tas de corps morts écrasés. Ce jeune roi, bien fait, vigoureux, d'une mine haute et fière, avait dans ses yeux la fureur et le désespoir : il était comme un beau cheval qui n'a point de bouche2 ; son courage le poussait au hasard, et la sagesse ne modérait point sa
valeur. Il ne savait ni réparer ses fautes, ni donner des ordres précis, ni prévoir les maux qui le menaçaient, ni ménager les gens dont il avait le plus grand besoin. Ce n'était pas qu'il manquât de génie. Ses lumières égalaient son courage, mais il n'avait jamais été instruit par la mauvaise fortune, ses maîtres avaient empoisonné par la flatterie son beau naturel. Il était enivré de sa puissance et de son bonheur; il croyait que tout devait céder à ses désirs fougueux : la moindre résistance enflammait sa colère. Alors il ne raisonnait plus. Il était comme hors de lui-même. Son orgueil furieux en faisait une bête farouche. Sa bonté naturelle et sa droite raison l'abandonnaient en un instant. Ses plus fidèles serviteurs étaient réduits à s'enfuir. Il n'aimait plus que ceux qui flattaient ses passions. Ainsi il prenait toujours
des partis extrêmes contre ses véritables intérêts, et il forçait tous les gens de bien à détester sa folle conduite. Longtemps sa valeur le soutint contre la multitude de ses ennemis. Mais enfin il fut accablé. Je le vis périr : le dard3 d'un Phénicien perça sa poitrine. Il tomba de son char, que les chevaux traînaient toujours, et ne pouvant plus tenir les rênes, il fut mis sous les pieds des chevaux. Un soldat de l'île de Chypre lui
coupa la tête, et, la prenant par les cheveux, il la montra comme en triomphe à toute l'armée victorieuse.
« Je me souviendrai toute ma vie d'avoir vu cette tête qui nageait dans le sang, ces yeux fermés et éteints, ce visage pâle et défiguré, cette bouche entrouverte, qui semblait vouloir encore achever des paroles commencées, cet air superbe et
menaçant, que la mort même n'avait pu effacer. Toute ma vie il sera peint devant mes yeux, et si jamais les dieux me faisaient régner, je n'oublierais point, après un si funeste exemple, qu'un roi n'est digne de commander, et n'est heureux dans sa puissance, qu'autant qu'il la soumet à la raison. Hé ! quel malheur, pour un homme destiné à faire le bonheur public, de n'être le maître de tant d'hommes que pour les
rendre malheureux ! ».
1. Mars : dieu de la guerre.
2. Cheval qui n'a point de bouche : cheval qui n'obéit pas.
3. Dard : arme de jet.
Texte B : Victor Hugo, Quatrevingt-treize, 1874.
[Sur un navire de guerre, en pleine tempête, un canon mal arrimé menace de provoquer le naufrage et sème la panique à bord.]
Alors une chose farouche commença ; spectacle titanique ; le combat du canon contre le canonnier; la bataille de la matière et de l'intelligence, le duel de la chose contre l'homme.
L'homme s'était posté dans un angle, et, sa barre et sa corde dans ses deux poings, adossé à une porque1, affermi sur ses jarrets2 qui semblaient deux piliers d'acier, livide, calme, tragique, comme enraciné dans le plancher, il attendait.
Il attendait que le canon passât près de lui.
Le canonnier connaissait sa pièce, et il lui semblait qu'elle devait le connaître.
Il vivait depuis longtemps avec elle. Que de fois il lui avait fourré la main dans la
gueule ! C'était son monstre familier. Il se mit à lui parler comme à son chien.
— Viens, disait-il. Il l'aimait peut-être.
Il paraissait souhaiter qu'elle vînt à lui.
Mais venir à lui, c'était venir sur lui. Et alors il était perdu. Comment éviter l'écrasement ? Là était la question. Tous regardaient, terrifiés.
Pas une poitrine ne respirait librement, excepté peut-être celle du vieillard qui
était seul dans l'entrepont avec les deux combattants, témoin sinistre.
Il pouvait lui-même être broyé par la pièce. Il ne bougeait pas.
Sous eux le flot, aveugle, dirigeait le combat.
Au moment où, acceptant ce corps-à-corps effroyable, le canonnier vint
provoquer le canon, un hasard des balancements de la mer fit que la caronade3 demeura un moment immobile et comme stupéfaite. « Viens donc !» lui disait l'homme. Elle semblait écouter.
Subitement elle sauta sur lui. L'homme esquiva le choc. La lutte s'engagea.
Lutte inouïe. Le fragile se colletant4 avec l'invulnérable. Le belluaire5 de chair
attaquant la bête d'airain. D'un côté une force, de l'autre une âme.
Tout cela se passait dans une pénombre. C'était comme la vision indistincte d'un prodige.
Une âme; chose étrange, on eût dit que le canon en avait une, lui aussi; mais une âme de haine et de rage. Cette cécité paraissait avoir des yeux. Le monstre
avait l'air de guetter l'homme. Il y avait, on l'eût pu croire du moins, de la ruse dans cette masse. Elle aussi choisissait son moment. C'était on ne sait quel gigantesque insecte de fer ayant ou semblant avoir une volonté de démon. Par moment, cette sauterelle colossale cognait le plafond bas de la batterie, puis elle retombait sur ses quatre roues comme un tigre sur ses quatre griffes, et se remettait à courir sur
l'homme. Lui, souple, agile, adroit, se tordait comme une couleuvre sous tous ces mouvements de foudre. Il évitait les rencontres, mais les coups auxquels il se dérobait tombaient sur le navire et continuaient de le démolir.
Un bout de chaîne cassée était resté accroché à la caronade. Cette chaîne s'était enroulée on ne sait comment dans la vis du bouton de culasse. Une extrémité de la chaîne était fixée à l'affût6. L'autre, libre, tournoyait éperdument autour du canon dont elle exagérait tous les soubresauts. La vis la tenait comme une main fermée, et cette chaîne, multipliant les coups de bélier par des coups de lanière, faisait autour du canon un tourbillon terrible, fouet de fer dans un poing d'airain. Cette chaîne compliquait le combat.
Pourtant l'homme luttait. Même, par instants, c'était l'homme qui attaquait le
canon; il rampait le long du bordage, sa barre et sa corde à la main; et le canon avait l'air de comprendre, et, comme s'il devinait un piège, fuyait. L'homme, formidable, le poursuivait.
De telles choses ne peuvent durer longtemps. Le canon sembla se dire tout à
coup : Allons ! il faut en finir ! et il s'arrêta. On sentit l'approche du dénoûment.
1. Porque : pièce de bois qui renforce la structure d'un navire.
2. Jarrets : parties de la jambe.
3. Caronade : ancien modèle de canon.
4. Se colletant : se mesurant.
5. Belluaire : gladiateur qui combat les bêtes fauves.
6. Affût : chariot supportant un canon.
Texte C : Emile Zola, L'Assommoir, 1877.
[Gervaise lave son linge au lavoir. Elle vient d'apprendre que son amant Lantier l'a trompée avec la sœur de Virginie.]
Gervaise ôta ses mains, regarda. Quand elle aperçut devant elle Virginie, au milieu de trois ou quatre femmes, parlant bas, la dévisageant, elle fut prise d'une colère folle. Les bras en avant, cherchant à terre, tournant sur elle-même, dans un tremblement de tous ses membres, elle marcha quelques pas, rencontra un seau
plein, le saisit à deux mains, le vida à toute volée.
« Chameau, va ! » cria la grande Virginie.
Elle avait fait un saut en arrière, ses bottines seules étaient mouillées.
Cependant, le lavoir, que les larmes de la jeune femme révolutionnaient depuis un instant, se bousculait pour voir la bataille. Des laveuses, qui achevaient leur pain,
montèrent sur des baquets. D'autres accoururent, les mains pleines de savon. Un cercle se forma.
« Ah ! le chameau! répétait la grande Virginie. Qu'est-ce qui lui prend, à cette enragée-là ! »
Gervaise en arrêt, le menton tendu, la face convulsée, ne répondait pas,
n'ayant point encore le coup de gosier de Paris. L'autre continua :
« Va donc ! C'est las de rouler la province, ça n'avait pas douze ans que ça servait de paillasse à soldats, ça a laissé une jambe dans son pays... Elle est tombée de pourriture, sa jambe... »
Un rire courut. Virginie, voyant son succès, s'approcha de deux pas,
redressant sa haute taille, criant plus fort :
« Hein ! avance un peu, pour voir, que je te fasse ton affaire ! Tu sais, il ne faut pas venir nous embêter, ici... Est-ce que je la connais, moi, cette peau ! Si elle m'avait attrapée, je lui aurais joliment retroussé ses jupons; vous auriez vu ça. Qu'elle dise seulement ce que je lui ai fait... Dis, rouchie1, qu'est-ce qu'on t'a fait ?
— Ne causez pas tant, bégaya Gervaise. Vous savez bien... On a vu mon mari,
hier soir... Et taisez-vous, parce que je vous étranglerais, bien sûr.
— Son mari ! Ah ! elle est bonne, celle-là !... Le mari à madame ! Comme si on avait des maris avec cette dégaine !... Ce n'est pas ma faute s'il t'a lâchée. je ne te l'ai pas volé, peut-être. On peut me fouiller... Veux-tu que je te dise, tu
l'empoisonnais, cet homme ! Il était trop gentil pour toi... Avait-il son collier, au moins ? Qui est-ce qui a trouvé le mari à madame ?... Il y aura récompense... »
Les rires recommencèrent. Gervaise, à voix presque basse, se contentait toujours de murmurer :
« Vous savez bien, vous savez bien... C'est votre sœur, je l'étranglerai, votre
sœur...
— Oui, va te frotter à ma sœur, reprit Virginie en ricanant. Ah ! c'est ma sœur !
C'est bien possible, ma sœur a un autre chic que toi... Mais est-ce que ça me regarde ! Est-ce qu'on ne peut plus laver son linge tranquillement ! Flanque-moi la paix, entends-tu, parce qu'en voilà assez ! »
1. Rouchie : insulte argotique synonyme de prostituée.
Texte D : Raymond Queneau, Zazie dans le métro, 1959.
[La scène raconte une bagarre dans un café.]
C'était maintenant des troupeaux de loufiats1 qui surgissaient de toutes parts. jamais on upu croire qu'il y en u tant2. Ils sortaient des cuisines, des caves, des offices, des soutes. Leur masse serrée absorba Gridoux puis Turandot aventuré parmi eux. Mais ils n'arrivaient pas à réduire Gabriel aussi facilement. Tel le
coléoptère attaqué par une colonne rnyrrnidonne3, tel le bœuf assailli par un banc hirudlnaire4, Gabriel se secouait, s'ébrouait, s'ébattait, projetant dans des directions variées des projectiles humains qui s'en allaient briser tables et chaises ou rouler entre les pieds des clients.
Le bruit de cette controverse5 finit par éveiller Zazie. Apercevant son oncle en
proie à la meute limonadière, elle hurla : courage, tonton ! et s'emparant d'une carafe la jeta au hasard dans la mêlée. Tant l'esprit militaire est grand chez les filles de France. Suivant cet exemple, la veuve Mouaque dissémina des cendriers autour d'elle. Tant l'esprit d'imitation peut faire faire de choses aux moins douées. S'entendit alors un fracas considérable : Gabriel venait de s'effondrer dans la vaisselle,
entraînant parmi les débris sept loufiats déchaînés, cinq clients qui avaient pris parti et un épileptique.
D'un seul mouvement se levant, Zazie et la veuve Mouaque s'approchèrent du
magma humain qui s'agitait dans la sciure et la faïence. Quelques coups de siphon6 bien appliqués éliminèrent de la compétition quelques personnes au crâne fragile.
Grâce à quoi, Gabriel put se relever, déchirant pour ainsi dire le rideau formé par ses adversaires, du même coup révélant la présence abîmée de Gridoux et de Turandot allongés contre le sol. Quelques jets aquagazeux dirigés sur leur tronche par l'élément féminin et brancardier les remirent en situation. Dès lors, l'issue du combat n'était plus douteuse.
1. Loufiats: terme argotique désignant les garçons de café.
2. « Jamais on upu croire qu'il y en u tant» : orthographe fantaisiste pour « Jamais on n'eût pu croire qu'il y en
eût tant ».
3. Colonne myrmidonne : colonne de fourmis. Myrmidons : peuple, selon la légende, issu de la métamorphose d'une colonie de fourmis et conduit par Achille pendant la guerre de Troie.
4. Hirudinaire : qui est formé de sangsues.
5. Controverse : débat
6. Siphon : bouteille remplie d'une boisson gazeuse; jeu de mots avec l'expression argotique « recevoir un coup
sur le siphon », sur la tête.
I - Question sur le corpus (4 points) :
Quels intérêts les scènes de bataille présentent-elles pour les quatre romanciers du corpus ?
II -
Travail d'écriture (16 points)
:
- Commentaire
Vous commenterez l'extrait de Fénelon (texte A).
- Dissertation
Les récits de combat ont-ils uniquement pour objectif de créer des figures héroïques ?
Vous répondrez au sujet dans un développement argumenté, en vous fondant sur les textes du corpus ainsi que sur les textes que vous avez étudiés et lus; vous pourrez éventuellement élargir votre réflexion aux œuvres cinématographiques.
- Invention
A votre tour, racontez le combat physique d'un personnage contre un objet de votre choix. Vous veillerez à la qualité littéraire de votre texte.
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