LES SUJETS DE L’
EAF
2012
-
suite
CENTRES
ÉTRANGERS
SÉRIES ES / S
Objet d'étude : Le personnage de roman, du XVllème siècle à nos jours.
Textes
:
Texte A : Madame de La FAYETTE, La Princesse de Clèves, 1678.
Texte B : Guy de MAUPASSANT, Pierre et Jean, 1888
Texte C : Albert CAMUS, L'Étranger, 1942.
Texte A : Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves.
[L'histoire
se passe à Paris, dans le milieu de la cour, au XVIème siècle, sous le
règne d'Henri II. Mlle de Chartres a essayé d'épouser le cousin germain
du roi, mais celui-ci s'est vivement opposé à cette tentative de
mariage.]
Personne n'osait plus penser à Mlle de Chartres, par la crainte
de déplaire au roi ou par la pensée de ne pas réussir auprès d'une
personne qui avait espéré un prince du sang. M. de Clèves ne fut retenu
par aucune de ces considérations. La mort du duc de Nevers, son père,
qui arriva alors, le mit dans une entière liberté de suivre son
inclination1
et, sitôt que le temps de la bienséance du deuil fut passé, il ne
songea plus qu'aux moyens d'épouser Mlle de Chartres. Il se trouvait
heureux d'en faire la proposition dans un temps où ce qui s'était passé
avait éloigné les autres partis et où il était quasi assuré qu'on ne la
lui refuserait pas. Ce qui troublait sa joie, était la crainte de ne
pas lui être agréable, et il eût préféré le bonheur de lui plaire à la
certitude de l'épouser sans en être aimé.
Le chevalier de Guise2
lui avait donné quelque sorte de jalousie; mais comme elle était plutôt
fondée sur le mérite de ce prince que sur aucune des actions de Mlle de
Chartres, il songea seulement à tâcher de découvrir s'il était assez
heureux pour qu'elle approuvât la pensée qu'il avait pour elle. Il ne
la voyait que chez les reines3 ou aux assemblées; il était
difficile d'avoir une conversation particulière. Il en trouva pourtant
les moyens et lui parla de son dessein et de sa passion avec tout le
respect imaginable; il la pressa de lui faire connaître quels étaient
les sentiments qu'elle avait pour lui et il lui dit que ceux qu'il
avait pour elle étaient d'une nature qui le rendraient éternellement
malheureux si elle n'obéissait que par devoir aux volontés de madame sa
mère.
Comme Mlle de Chartres avait le cœur très noble et très bien
fait, elle fut véritablement touchée de reconnaissance du procédé du
prince de Clèves. Cette reconnaissance donna à ses réponses et à ses
paroles un certain air de douceur qui suffisait pour donner de
l'espérance à un homme aussi éperdument amoureux que l'était ce prince;
de sorte qu'il se flatta d'une partie de ce qu'il souhaitait.
Elle rendit compte à sa mère de cette conversation, et Mme de
Chartres lui dit qu'il y avait tant de grandeur et de bonnes qualités
dans M. de Clèves et qu'il faisait paraître tant de sagesse pour son
âge que, si elle sentait son inclination portée à l'épouser, elle y
consentirait avec joie. Mlle de Chartres répondit qu'elle lui
remarquait les mêmes bonnes qualités; qu'elle l'épouserait même avec
moins de répugnance qu'une autre, mais qu'elle n'avait aucune
inclination particulière pour sa personne.
Dès le lendemain, ce prince fit parler à Mme de Chartres; elle
reçut la proposition qu'on lui faisait et elle ne craignit point de
donner à sa fille un mari qu'elle ne pût aimer en lui donnant le prince
de Clèves. Les articles4 furent conclus; on parla au roi, et ce mariage fut su de tout le monde.
1. inclination : penchant, désir.
2. ll est tombé amoureux de Mlle de Chartres peu après son ami Clèves dont il est ainsi devenu un rival.
3. Il s'agit de quatre reines : la femme du roi (Catherine de Médicis),
la favorite du roi (Diane de Poitiers), la sœur du roi et l'épouse du
fils du roi.
4. Les articles : écrits officiels faisant office de contrat.
Texte B :
Guy de Maupassant, Pierre et Jean.
[Monsieur et
Madame Roland sont des bourgeois aisés du XIXème siècle. Avec leurs
deux fils, Pierre et Jean, ils vont passer une journée, en compagnie
d'une amie de la famille, Madame Rosémilly, sur une plage de Normandie.
Jean, le frère cadet, qui se prépare à vingt-cinq ans à devenir avocat,
parvient à s'isoler du groupe, avec Madame Rosémilly, une jeune veuve
de vingt-deux ans. Ils essaient tous deux de pêcher des crustacés entre
les rochers. Madame Rosémilly, « adroite et rusée », vient justement
d'en attraper plusieurs.]
Jean maintenant
ne trouvait rien, mais il la suivait pas à pas, la frôlait, se penchait
sur elle, simulait un grand désespoir de sa maladresse, voulait
apprendre.
– Oh ! montrez-moi, disait-il, montrez-moi !
Puis, comme leurs deux visages se reflétaient, l'un contre
l'autre, dans l'eau si claire dont les plantes noires du fond faisaient
une glace limpide, Jean souriait à cette tête voisine qui le regardait
d'en bas, et parfois, du bout des doigts, lui jetait un baiser qui
semblait tomber dessus.
– Ah ! que vous êtes ennuyeux, disait la jeune femme; mon cher, il ne faut jamais faire deux choses à la fois.
Il répondit :
– Je n'en fais qu'une. Je vous aime.
Elle se redressa, et d'un ton sérieux :
– Voyons, qu'est-ce qui vous prend depuis dix minutes, avez-vous perdu la tête ?
– Non je n'ai pas perdu la tête. Je vous aime, et j'ose, enfin, vous le dire.
Ils étaient debout maintenant dans la mare salée qui les mouillait jusqu'aux
mollets, et les mains ruisselantes appuyées sur leurs filets, ils se regardaient au fond des yeux.
Elle reprit, d'un ton plaisant et contrarié :
– Que vous êtes malavisé de me parler de ça en ce moment ! Ne
pouviez-vous attendre un autre jour et ne pas me gâter ma pêche ?
Il murmura :
– Pardon, mais je ne pouvais plus me taire. Je vous aime depuis longtemps.
Aujourd'hui vous m'avez grisé à me faire perdre la raison.
Alors, tout à coup, elle sembla en prendre son parti, se résigner à parler d'affaires et à renoncer aux plaisirs.
– Asseyons-nous sur ce rocher, dit-elle, nous pourrons causer tranquillement.
Ils grimpèrent sur un roc un peu haut, et lorsqu'ils y furent
installés côte à côte, les pieds pendants, en plein soleil, elle reprit
:
– Mon cher ami, vous n'êtes plus un enfant et je ne suis pas une
jeune fille. Nous savons fort bien l'un et l'autre de quoi il s'agit,
et nous pouvons peser toutes les conséquences de nos actes. Si vous
vous décidez aujourd'hui à me déclarer votre amour, je suppose
naturellement que vous désirez m'épouser.
ll ne s'attendait guère à cet exposé net de la situation, et il répondit niaisement :
– Mais oui.
– En avez-vous parlé à votre père et à votre mère ?
– Non, je voulais savoir si vous m'accepteriez.
Elle lui tendit sa main encore mouillée, et comme il y mettait la sienne avec élan :
– Moi, je veux bien, dit-elle. Je vous crois bon et loyal. Mais
n'oubliez point que je ne voudrais pas déplaire à vos parents.
– Oh ! pensez-vous que ma mère n'a rien prévu et qu'elle vous
aimerait comme elle vous aime si elle ne désirait pas un mariage entre
nous ?
– C'est vrai, je suis un peu troublée.
Ils se turent. Et il s'étonnait, lui, au contraire, qu'elle fût
si peu troublée, si raisonnable. Il s'attendait à des gentillesses
galantes, à des refus qui disent oui, à toute une coquette comédie
d'amour mêlée à la pêche, dans le clapotement de l'eau ! Et c'était
fini, il se sentait lié, marié, en vingt paroles. Ils n'avaient plus
rien à se dire puisqu'ils étaient d'accord et ils demeuraient
maintenant un peu embarrassés tous deux de ce qui s'était passé, si
vite, entre eux, un peu confus même, n'osant plus parler, n'osant plus
pêcher, ne sachant que faire.
Texte C : Albert Camus, L'Étranger.
[L'histoire
se déroule dans la première moitié du XXème siècle. Le narrateur,
Meursault, vit et travaille à Alger. Le lendemain de l'enterrement de
sa mère, il rencontre Marie Cardona, une ancienne collègue de bureau,
et passe la nuit avec elle. Au chapitre V, il ne la connaît que depuis
une dizaine de jours.]
Le soir, Marie est venue me chercher1 et m'a demandé si je voulais me marier avec elle. J'ai dit que cela
m'était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a
voulu savoir alors si je l'aimais. J'ai répondu comme je l'avais déjà
fait une fois2, que cela ne signifiait rien mais que sans
doute je ne l'aimais pas. « Pourquoi m'épouser alors ? » a-t-elle dit.
Je lui ai expliqué que cela n'avait aucune importance et que si elle le
désirait, nous pouvions nous marier. D'ailleurs c'était elle qui le
demandait et moi je me contentais de dire oui. Elle a observé alors que
le mariage était une chose grave. J'ai répondu : « Non. » Elle s'est tue
un moment et elle m'a regardé en silence. Puis elle a parlé. Elle
voulait simplement savoir si j'aurais accepté la même proposition
venant d'une autre femme, à qui je serais attaché de la même façon.
J'ai dit : « Naturellement. » Elle s'est demandé alors si elle m'aimait
et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point. Après un autre moment
de silence, elle a murmuré que j'étais bizarre, qu'elle m'aimait sans
doute à cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour
les mêmes raisons. Comme je me taisais, n'ayant rien à ajouter, elle
m'a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu'elle voulait se
marier avec moi.
J'ai répondu que nous le ferions dès qu'elle le voudrait. Je lui ai parlé alors de la proposition du patron3 et Marie m'a dit qu'elle aimerait connaître Paris. Je lui ai appris que
j'y avais vécu dans un temps et elle m'a demandé comment c'était. Je
lui ai dit : « C'est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les
gens ont la peau blanche. »
Puis nous avons marché et
traversé la ville par ses grandes rues. Les femmes étaient belles et
j'ai demandé à Marie si elle le remarquait. Elle m'a dit que oui et
qu'elle me comprenait. Pendant un moment, nous n'avons plus parlé. Je
voulais cependant qu'elle reste avec moi et je lui ai dit que nous
pouvions dîner ensemble chez Céleste4,
Elle en avait bien envie, mais elle avait à faire. Nous étions près de
chez moi et je lui ai dit au revoir. Elle m'a regardé : « Tu ne veux
pas savoir ce que j'ai à faire ? » Je voulais bien le savoir, mais je
n'y avais pas pensé et c'est ce qu'elle avait l'air de me reprocher.
Alors, devant mon air empêtré, elle a encore ri et elle a eu vers moi
un mouvement de tout le corps pour me tendre sa bouche.
1. Marie est venue chercher Meursault sur son lieu de travail.
2. Elle lui a posé la même question le samedi précédent, après une journée à la plage.
3. Son patron lui a proposé le matin même un poste à Paris.
4. Il s'agit d'un restaurant où se rend souvent Meursault.
I- Après avoir lu tous les
textes du corpus, vous répondrez â la question suivante (4 points) :
Vous
comparerez ces demandes en mariage en mettant en évidence la façon dont
elles caractérisent les personnages de roman suivants : Mademoiselle de
Chartres et le prince de Clèves; Jean et Madame Rosémilly; Meursault et
Marie.
II.
Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :
-
Commentaire
Vous commenterez le texte de Maupassant (Texte B).
-
Dissertation
Comment,
à travers les relations qu'il établit entre ses personnages, un roman
peut-il construire une vision du monde particulière ?
Vous
traiterez ce sujet en vous appuyant sur les textes du corpus, les
textes étudiés en classe et vos lectures personnelles.
-
Invention
Marie
Cardona, de retour chez elle, raconte dans son journal intime le moment
passé avec Meursault. Vous imaginerez et rédigerez ce passage du
journal, en précisant les pensées, les impressions, les interrogations
et les sentiments que vous prêtez à la narratrice.
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CENTRES
ÉTRANGERS
SÉRIE L
Objet d'étude : Le personnage de roman du XVIIème siècle à nos jours.
Textes
:
Texte A : Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857.
Texte B : Guy de Maupassant, Bel Ami, 1885.
Texte C : Alain Robbe-Grillet, La Jalousie, 1957.
Texte D : Georges Perec, Les Choses, Une histoire des années soixante, 1965.
Texte A : Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857.
[Emma,
jeune fille romanesque a épousé un médiocre officier de santé et elle
s'ennuie. Un événement vient rompre la monotonie de son existence: les
deux époux sont invités à un bal, chez le marquis d'Andervilliers.]
Emma se sentit, en entrant, enveloppée par un air chaud, mélange du
parfum des fleurs et du beau linge, du fumet des viandes et de l'odeur
des truffes. Les bougies des candélabres allongeaient des flammes sur
les cloches d'argent ; les cristaux à facettes, couverts d'une buée
mate, se renvoyaient des rayons pâles ; des bouquets étaient en ligne
sur toute la longueur de la table, et dans les assiettes à larges
bordures, les serviettes, arrangées en manière de bonnet d'évêque,
tenaient entre le bâillement de leurs deux plis chacune un petit pain
de forme ovale. [ ... ]
Madame Bovary remarqua que plusieurs dames n'avaient pas mis leurs gants dans leurs verres.
Cependant, au bout de la table, seul parmi toutes ces femmes,
courbé sur son assiette remplie et la serviette nouée dans le dos comme
un enfant, un vieillard mangeait, laissant tomber de sa bouche des
gouttes de sauce. Il avait les yeux éraillés et portait une petite
queue enroulée d'un ruban noir. C'était le beau-père du marquis, le
vieux duc de Laverdiére, l'ancien favori du comte d'Artois, dans le
temps des parties de chasse au Vaudreuil, chez le marquis de Conflans,
et qui avait été disait-on, l'amant de la reine Marie-Antoinette entre
MM. De Coigny et de Lauzun. Il avait mené une vie bruyante de
débauches, plei ne de duels, de paris, de femmes enlevées, avait dévoré
sa fortune et effrayé toute sa famille. Un domestique derrière sa
chaise, lui nommait tout haut, dans l'oreille, les plats qu'il
désignait du doigt en bégayant ; et sans cesse les yeux d'Emma
revenaient d'eux-mêmes sur ce vieil homme à lèvres pendantes, comme sur
quelque chose d'extraordinaire et d'auguste. Il avait vécu à la cour et
couché dans le lit des reines !
On versa du vin de Champagne à la glace. Emma frissonna de toute
sa peau en sentant ce froid dans sa bouche. Elle n'avait jamais vu de
grenades ni mangé d'ananas. Le sucre en poudre lui parut plus blanc et
plus fin qu'ailleurs.
Les dames, ensuite, montèrent dans leurs chambres s'apprêter pour le bal.
Texte B :
Guy de Maupassant, Bel Ami, livre 1.
[Georges
Duroy, jeune officier désargenté de retour d'Algérie, à la recherche
d'un emploi, a rencontré à Paris son ami Forestier, journaliste à "La
Vie Française". Ce dernier, lors d'un repas à son domicile, lui permet
de rencontrer M. Walter, directeur du journal : il compte lui présenter
Georges et le faire embaucher en tant que journaliste.]
Le dîner était fort bon; chacun s'extasiait. M. Walter mangeait comme
un ogre, ne parlait presque pas, et considérait d'un regard oblique,
glissé sous ses lunettes, les mets qu'on lui présentait. Norbert de
Varenne lui tenait tête et laissait tomber parfois des gouttes de sauce
sur son plastron de chemise. Forestier, souriant et sérieux,
surveillait, échangeait avec sa femme des regards d'intelligence, à la
façon de compères accomplissant ensemble une besogne difficile et qui
marche à souhait.
Les visages devenaient rouges, les voix s'enflaient. De moment en
moment, le domestique murmurait à l'oreille des convives : «
Corton-Château-Laroze ? »
Duroy avait trouvé le corton de son goût et il laissait chaque
fois emplir son verre. Une gaieté délicieuse entrait en lui, une gaieté
chaude, qui lui montait du ventre à la tête, lui courait dans les
membres, le pénétrait tout entier. Il se sentait envahi par un
bien-être complet, un bien-être de vie et de pensée, de corps et d'âme.
Et une envie de parler lui venait, de se faire remarquer, d'être
écouté, apprécié comme ces hommes dont on savourait les moindres
expressions.
Mais la causerie qui allait sans cesse, accrochant les idées les unes
aux autres, sautant d'un sujet à l'autre sur un mot, un rien, après
avoir fait le tour des événements du jour et avoir effleuré, en
passant, mille questions, revint à la grande interpellation de Monsieur
Morel sur la colonisation de l'Algérie.
M. Walter, entre deux services, fit quelques plaisanteries car il avait
l'esprit sceptique et gras. Forestier raconta son article du lendemain.
Jacques Rival réclama un gouvernement militaire avec des concessions de
terres accordées à tous les officiers après trente années de service
colonial. [...]
Un léger silence suivit, on souriait. Georges Duroy ouvrit la bouche et
prononça, surpris par le son de sa propre voix, comme s'il ne s'était
jamais entendu parler : « Ce qui manque le plus là-bas, c'est la bonne
terre. Les propriétés vraiment fertiles coûtent aussi cher qu'en France
et sont achetées, comme placements de fonds, par des Parisiens très
riches. Les vrais colons, les pauvres, ceux qui s'exilent faute de
pain, sont
rejetés dans le désert, où il ne pousse rien, par manque d'eau. » Tout
le monde le regardait. Il se sentit rougir, M. Walter demanda : « Vous
connaissez l'Algérie, Monsieur ? »
Texte C : Alain Robbe-Grillet, La Jalousie1, 1957.
[Dans
une plantation, quelque part en Afrique, deux couples se retrouvent
chaque soir sur une terrasse : A... et son mari que l'on ne voit
jamais, y reçoivent Franck et son épouse Christiane.]
Pour le dîner, Franck est encore là, souriant, loquace, affable.
Christiane, cette fois ne l'a pas accompagné ; elle est restée chez eux
avec l'enfant, qui avait un peu de fièvre. Il n'est pas rare, à
présent, que son mari vienne sans elle : à cause de l'enfant, à cause
aussi des propres troubles de Christiane, dont la santé s'accommode mal
de ce climat humide et chaud, à cause des ennuis domestiques qu'elle
doit à ses serviteurs trop nombreux et mal dirigés. Ce soir, pourtant,
A... paraissait l'attendre. Du moins avait-elle fait mettre quatre
couverts. Elle donne l'ordre d'enlever tout de suite celui qui ne doit
pas servir.
Sur la terrasse, Franck se laisse tomber dans un
des fauteuils bas et prononce son exclamation - désormais coutumière
-au sujet de leur confort. Ce sont des fauteuils très simples, en bois
et sangles de cuir, exécutés sur les indications de A... par un
artisan indigène. Elle se penche vers Franck pour lui tendre son verre.
Bien qu'il fasse tout à fait nuit maintenant, elle a demandé de ne pas
emporter les lampes, qui -dit-elle -attirent les moustiques. Les verres
sont emplis, presque jusqu'au bord, d'un mélange de cognac et d'eau
gazeuse où flotte un petit cube de glace. Pour ne pas risquer d'en
renverser le contenu par un faux mouvement, dans l'obscurité complète,
elle s'est approchée le plus possible du fauteuil où est assis Franck,
tenant avec précaution dans la main droite le verre qu'elle lui
destine. Elle s'appuie de l'autre main au bras du fauteuil et se penche
vers lui, si près que leurs têtes sont l'une contre l'autre. Il murmure
quelques mots : un remerciement sans doute.
Elle se redresse d'un mouvement souple, s'empare du troisième verre -
qu'elle ne craint pas de renverser, car il est beaucoup moins plein -
et va s'asseoir à côté de Franck, tandis que celui-ci continue
l'histoire du camion en panne commencée dès son arrivée.
C'est elle-même qui a disposé les fauteuils ce soir, quand elle les a
fait apporter sur la terrasse. Celui qu'elle a désigné à Franck et le
sien se trouvent côte à côte, contre le mur ,de la maison -le dos au
mur évidemment - sous la fenêtre du bureau. Elle a ainsi le fauteuil de
Franck à sa gauche, et sur sa droite -mais plus en avant -la petite
table où sont les bouteilles.
Les deux autres fauteuils sont placés de l'autre côté de cette table,
davantage encore vers la droite, de manière à ne pas intercepter la vue
entre les deux premiers et la balustrade de la terrasse. Pour la même
raison de « vue », ces deux derniers fauteuils ne sont pas tournés
vers le reste du groupe : ils ont été mis de biais, orientés
obliquement vers la balustrade à jours et l'amont de la vallée. Cette
disposition oblige les personnes qui s'y trouvent assises à de fortes
rotations de tête vers la gauche, si elles veulent apercevoir A... – surtout en ce qui concerne le quatrième fauteuil, le plus éloigné.
1. Le titre La Jalousie, évoque dans le roman les fenêtres à lames de la maison coloniale, mais aussi la jalousie du mari, le narrateur.
Texte D : Georges Perec, Les Choses, Une histoire des années soixante, 1965.
[Georges
Perec décrit la vie quotidienne d'un jeune couple du 20e siècle, issu
des classes moyennes, l'idée que ces jeunes gens se font du bonheur,
les raisons pour lesquelles ce bonheur leur reste inaccessible... Dans
le texte suivant, l'écrivain évoque leurs soirées entre amis.]
Leur plus grand plaisir était d'oublier ensemble, c'est-à-dire de se
distraire. Ils adoraient boire, d'abord, et ils buvaient beaucoup,
souvent, ensemble. Ils fréquentaient le Harry's New York Bar, rue Daunou, les cafés du Palais-Royal, le Balzar,
Lipp, et quelques autres. Ils aimaient la bière de Munich, la Guiness,
le gin, les punch bouillants ou glacés, les alcools de fruits. Ils
consacraient parfois des soirées entières à boire, resserrés autour de
deux tables rapprochées pour la circonstance, et ils parlaient
interminablement, de la vie qu'ils auraient aimé mener, des livres
qu'ils écriraient un jour, des travaux qu'ils aimeraient entreprendre,
des films qu'ils avaient vus ou qu'ils allaient voir, de l'humanité, de
la situation politique, de leurs vacances prochaines, de leurs vacances
passées, d'une sortie à la campagne, d'un petit voyage à Bruges, à
Anvers ou à Bâle. Et parfois se plongeant de plus en plus dans ces
rêves collectifs, sans chercher à s'en éveiller, mais les relançant
sans cesse avec une complicité tacite, ils finissaient par perdre tout
contact avec la réalité. Alors, de temps en temps, une main simplement
émergeait du groupe : le garçon arrivait, emportait les grès vides et
en rapportait d'autres et bientôt la conversation, s'épaississant de
plus en plus, ne roulait plus que sur ce qu'ils venaient de boire, sur
leur ivresse, sur leur soif, sur leur bonheur. Ils étaient épris de liberté ! Il leur semblait que
le monde entier était à leur mesure ; ils vivaient au rythme exact de
leur soif, et leur exubérance était inextinguible; leur enthousiasme ne
connaissait plus de bornes. Ils auraient pu marcher, courir, danser,
chanter toute la nuit.
Le lendemain, ils ne se voyaient pas. Les couples restaient
enfermés chez eux, à la diète, écœurés, abusant de cafés noirs et de
cachets effervescents. Ils ne sortaient qu'à la nuit tombée, allaient
manger dans un snack-bar cher un steak nature. Ils prenaient des
décisions draconiennes : ils ne fumeraient plus, ne boiraient plus, ne
gaspilleraient plus leur argent.
I- Après avoir lu tous les
textes du corpus, vous répondrez â la question suivante (4 points) :
Ces quatre extraits mettent en scène des personnages au cours de repas ou de soirées.
Montrez comment ces textes proposent différents modes de représentation des personnages principaux.
II-
Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :
- Commentaire
Vous commenterez le texte d'Alain Robbe-Grillet, extrait de La Jalousie (texte C).
- Dissertation
Attendez-vous d'un personnage de roman qu'il soit proche de vous?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur les romans que vous
avez lus et étudiés ainsi que sur les textes du corpus.
- Invention
L'extrait
de Madame Bovary (texte A) se clôt sur cette phrase : « Les dames,
ensuite, montèrent dans leurs chambres s'apprêter pour le bal ».
Imaginez le récit de l'épisode du bal vu à travers le regard émerveillé d'Emma.
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CENTRES
ÉTRANGERS
SÉRIES ES /S
Objet d'étude : Écriture poétique et quête du sens du Moyen Âge à nos jours.
Textes
:
Texte A : Arthur Rimbaud, « Ophélie », Poésies, 1871
Texte B : Aloysius Bertrand, « Ondine », Gaspard de la Nuit, 1842
Texte C : Guillaume Apollinaire, « La Loreley », Alcools, 1913.
Texte D : Jean Lorrain, « Mélusine », L'Ombre ardente, 1897.
Texte A : Arthur Rimbaud, « Ophélie », Poésies, 1871.
OPHÉLIE
I
Sur I'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia1 flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...
— On entend dans les bois lointains des hallalis2.
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir ;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.
Le vent baise ses seins et déploie en corolle3
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.
Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle ;
Elle éveille parfois, dans un aune4 qui dort,
Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile :
- Un chant mystérieux tombe des astres d'or.
II
O pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
C'est que les vents tombant des grands monts de Norvège
T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté ;
C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,
À ton esprit rêveur portait d'étranges bruits,
Que ton cœur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits ;
C'est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux ;
C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux !
Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
— Et l'lnfini terrible effara ton œil bleu !
III
— Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,
Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.
1 - Ophélie : personnage féminin de Hamlet, drame de Shakespeare. Devenue folle, elle
se noie.
2 - Le hallali : cri qui marque la victoire imminente du chasseur sur l'animal poursuivi lors
d'une chasse.
3 - Une corolle : partie de la fleur formée par l'ensemble de ses pétales.
4 - Un aune (ou aulne) : arbre qui croît dans les lieux humides et marécageux.
Texte B :
Aloysius Bertrand, « Ondine », Gaspard de la Nuit, 1842.
ONDINE
— « Écoute ! — Écoute ! — C’est moi, c’est Ondine qui frôle de ces gouttes d’eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune ; et voici, en robe de moire, la dame châtelaine qui contemple à son balcon la belle nuit étoilée et le beau lac endormi.
» Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant, chaque courant est un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais est bâti fluide, au fond du lac, dans le triangle du feu, de la terre et de l’air.
» Écoute ! — Écoute ! — Mon père bat l’eau coassante d’une branche d’aulne verte, et mes sœurs caressent de leurs bras d’écume les fraîches îles d’herbes, de nénuphars et de glaïeuls, ou se moquent du saule caduc et barbu qui pêche à la ligne. »
Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son anneau à mon doigt, pour être l’époux d’une Ondine, et de visiter avec elle son palais, pour être le roi des lacs.
Et comme je lui répondais que j’aimais une mortelle, boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa un éclat de rire, et s’évanouit en giboulées qui ruisselèrent blanches le long de mes vitraux bleus.
1 - Ondine : Nymphe ou génie féminin des eaux dans la mythologie germanique.
2 - La moire : étoffe aux reflets ondoyants.
Texte C : Guillaume Apollinaire, « La Loreley », Alcools, 1913.
LA LORELEY
À Bacharach1 il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à ta ronde
Devant son tribunal l'évêque la fit citer
D'avance il l'absolvit2 à cause de sa beauté
Ô belle Lorerey3 aux yeux pleins de pierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie
Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits
Ceux qui m'ont regardée évêque en ont péri
Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie
Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley
Qu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé
Evêque vous riez priez plutôt pour moi la Vierge
Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège
Mon amant est parti pour un pays lointain
Faites-moi donc mourir puisque je n'aime rien
Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure
Si je me regardais il faudrait que j'en meure
Mon cœur me fait si mal depuis qu'il n'est plus là
Mon cœur me fait si mal du jour où il s'en alla
L'évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Menez jusqu'au couvent cette femme en démence
Va-t-en Lore en folie va Lore aux yeux tremblant
Tu seras une nonne4 vêtue de noir et blanc
Puis ils s'en allèrent sur la route tous tes quatre
La Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres
Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château.
Pour me mirer une fois encore dans le fleuve
Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves
Là haut le vent tordait ses cheveux déroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley
Tout là-bas sur le Rhin s'en vient une nacelles
Et mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle
Mon cœur devient si doux c'est mon amant qui vient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin
Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil
1 - Bacharach : petite ville de la moyenne vallée du Rhin.
2 - Absoudre : pardonner les péchés de quelqu'un.
3 - Loreley : figure de légende, attachée à un rocher qui domine le
Rhin et qui renvoie un écho aux appels venus des bateaux qui passent à
sa hauteur. Le génie de ce lieu, confondu souvent avec une fée des
eaux, a été célébré par le romantisme allemand.
4 - Une nonne : religieuse qui vit dans un couvent.
5 - Une nacelle : petite embarcation à rames.
Texte D : Jean Lorrain, « Mélusine », L'Ombre ardente, 1897.
MÉLUSINE
Les bras nus cerclés d'or et froissant le brocart1
De sa robe argentée aux taillis d'aubépines,
Mélusine2 apparaît entre les herbes fines,
Les cheveux révoltés, saignante et l'œil hagard.
La splendeur de sa gorge éblouit le regard
Et l'émail de ses dents a des clartés divines ;
Mais Mélusine est folle et fait dans les ravines
Paître au pied des sapins la biche et le brocart3.
Depuis cent ans qu'elle erre au pied des arbres fées,
Elle est fée elle-même ; un charme étrange et doux
La fait suivre à minuit des renards et des loups.
Ses yeux au ciel nocturne enchantent les hiboux
Et près d'elle, érigeant ses fleurs en clairs trophées,
Jaillit un glaïeul rose à feuillage de houx.
1 - Le brocart : étoffe de soie, brochée d'or, d'argent.
2 - Mélusine : fée de la mythologie celtique qui pouvait se métamorphoser partiellement en
serpent. Les légendes du Poitou la représentent comme l'aïeule et la protectrice de la
maison de Lusignan.
3 - Brocart : chevreuil, daim ou cerf d'un an.
I- Après avoir lu tous les
textes du corpus, vous répondrez â la question suivante (4 points) :
Comparez les figures féminines et la manière dont elles sont évoquées dans les
quatre textes.
II.
Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :
- Commentaire
Vous commenterez le poème de Jean Lorrain (texte D). [ voir le corrigé].
- Dissertation
La poésie vous semble-t-elle le genre privilégié pour évoquer l'univers du rêve et
du surnaturel ?
Vous justifierez votre réponse en vous appuyant sur les poèmes du corpus
proposé ainsi que sur d'autres textes que vous connaissez.
- Invention
Dans un texte en prose, relatez un rêve où apparaîtra une figure étrange ou
surnaturelle.
Vous veillerez à employer des procédés et des images poétiques.
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SÉRIE L
Objet d'étude : La poésie.
Textes
:
Texte A : Victor Hugo, « La Coccinelle », Les Contemplations, I, 15, 1856
Texte B : Jules Laforgue, Premiers Poèmes, 1885
Texte C : Francis Ponge, « Le mollusque », Le Parti pris des choses, 1942
Texte D : Norge, Les Quatre Vérités, « Insectes et mouches », 1962.
Texte A : Victor Hugo, Les Contemplations, I, 15, 1856.
LA COCCINELLE
Elle me dit : « Quelque chose
Me tourmente. » Et j'aperçus
Son cou de neige, et, dessus,
Un petit insecte rose.
J'aurais dû - mais, sage ou fou,
A seize ans on est farouche1,
Voir le baiser sur sa bouche
Plus que l'insecte à son cou.
On eût dit un coquillage ;
Dos rose et taché de noir.
Les fauvettes2 pour nous voir
Se penchaient dans le feuillage.
Sa bouche fraîche était là :
Je me courbai sur la belle,
Et je pris la coccinelle ;
Mais le baiser s'envola.
« Fils, apprends comme on me nomme,
Dit l'insecte du ciel bleu,
Les bêtes sont au bon Dieu3 ;
Mais la bêtise est à l'homme. »
1. Farouche : sauvage, mal apprivoisé.
2. Fauvette : petit oiseau au plumage fauve.
3. Les bêtes sont au bon Dieu : jeu de mots ; les coccinelles sont souvent surnommées « bêtes à bon
dieu ».
Texte B :
Jules Laforgue, Premiers Poèmes, 1885.
[Alors qu’il se trouve dans une fête foraine, le poète aperçoit un manège que
fait tourner un cheval épuisé et misérable (« une rosse fourbue »)…]
HUE, CARCAN1 !
J'errais par la banlieue en fête, un soir d'été.
Et, triste d'avoir vu cette femelle enceinte
Glapissant2 aux quinquets3 devant sa toile peinte,
Près des chevaux de bois je m'étais arrêté.
Aux refrains automnals d'un vieil orgue éreinté,
Une rosse fourbue à la prunelle éteinte
Faisait tourner le tout, résignée et sans plainte ;
Et je songeai, voilà pourtant l'Humanité.
Elle aussi, folle aveugle, elle trotte sans trêve ;
Vers quel but ? Sous quel maître ? elle ne le sait trop,
Car le fouet du désir ne veut pas qu'elle y rêve !
Trimer pour l'lnconnu (l'incertain!) est son lot,
Un jour, plus bonne à rien, il faudra qu'elle crève
Sans avoir vu son Dieu, sans emporter le Mot4.
1. Carcan : désigne le cheval. Le carcan était un collier de fer qui
servait autrefois à attacher par le cou les condamnés à l’exposition
publique.
2. Glapir : crier, en parlant des animaux.
3. Quinquets : ancienne lampe.
4. Le Mot : allusion à la parole divine qui pourrait donner sens à cette souffrance.
Texte C : Francis Ponge, Le Parti pris des choses, 1942.
LE MOLLUSQUE
Le mollusque est un être – presque une – qualité. Il n’a pas besoin de
charpente mais seulement d’un rempart, quelque chose comme la couleur1 dans le
tube.
La nature renonce ici à la présentation du plasma en forme. Elle montre
seulement qu’elle y tient en l’abritant soigneusement, dans un écrin dont la face
intérieure est la plus belle.
Ce n’est donc pas un simple crachat, mais une réalité des plus précieuses.
Le mollusque est doué d’une énergie puissante à se renfermer. Ce n’est à vrai
dire qu’un muscle, un gond, un blount2 et sa porte.
Le blount ayant sécrété la porte. Deux portes légèrement concaves
constituent sa demeure entière.
Première et dernière demeure. Il y loge jusqu’après sa mort.
Rien à faire pour l’en tirer vivant.
La moindre cellule du corps de l’homme tient ainsi, et avec cette force, à la
parole, - et réciproquement3.
Mais parfois un autre être vient violer ce tombeau, lorsqu’il est bien fait, et s’y
fixer à la place du constructeur défunt.
C’est le cas du pagure4.
1. La couleur : la peinture.
2. Un blount : le cadre de la porte.
3. Réciproquement : la parole joue pour l’homme le rôle de la coquille pour le mollusque.
4. Pagure : crustacé couramment appelé bernard-l’ermite.
Texte D : Norge, Les Quatre Vérités, « Insectes et mouches », 1962.
Une fourmi
Fait un trajet
De cette branche
A cette pierre,
Une fourmi,
Taille ordinaire
Sans aucun si-
Gne distinctif,
Ce matin, juin,
Je crois le sept;
Elle porte un
Brin, un fétu1.
Cette fourmi,
Taille ordinaire,
Qui n'a pas la
Moindre importance
Passe d'un trot
Simple et normal.
Il va pleuvoir,
Cela se sent.
Et je suis seul;
Moi, seul au monde
Ai vu passer
Cette fourmi.
Au temps des Grecs
Et des Romains,
D'autres fourmis
Couraient ainsi
Dont rien jamais
Ne parle plus.
Cette fourmi,
Taille ordinaire
Sans aucun si-
Gne distinctif,
Qui serait-elle,
Comment va-t-elle ?
|
Et toi et moi,
Qui sommes-nous,
Et comment tour-
Nent les planètes
Qui n'ont pas la
Moindre importance ?
Que fait l'histoire
Au fond des cœurs
Et comment battent
Ces cœurs d'hommes
Qui n'ont pas la
Moindre importance ?
Que font les four-
Mis de l'esprit
Ce matin, juin,
Je crois le sept,
Sans aucun si-
Gne distinctif.
Il va pleuvoir,
Cela se sent ;
Cela fera
Du bien aux champs.
— Et ta fourmi,
Taille ordinaire,
Qu'en as-tu fait ?
Que devient-elle,
Crois-tu qu'elle é-
Tait amoureuse,
Crois-tu qu'elle a-
Vait faim ou soif,
Crois-tu qu'elle é-
Tait vieille ou jeune
Ou triste ou gaie,
Intelligente
Ou bien quelconque ?
Pourquoi, pourquoi,
Pourquoi, pourquoi
Ça n'a-t-il pas
Plus d'importance ?
|
1. Fétu : brin de paille.
I- Après avoir lu tous les
textes du corpus, vous répondrez â la question suivante (4 points) :
Quelles significations peut-on donner aux figures animales dans ces quatre poèmes ?
II.
Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :
- Commentaire
Vous commenterez le texte D (texte de Norge).
- Dissertation
La réalité quotidienne peut-elle être la seule source d’inspiration pour les
poètes ?
Vous répondrez à la question en vous appuyant sur les textes du corpus, les
textes que vous avez étudiés en classe et sur vos lectures personnelles.
- Invention
A partir de l’évocation d’un objet ou d’un animal ordinaire, écrivez à votre tour
un texte dans lequel vous proposerez une réflexion sur l’Homme.
Dans ce texte qui aura un développement suffisant, vous vous efforcerez
d’employer des tournures poétiques, mais vous n’êtes pas tenu d’écrire en
vers.
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SÉRIES ES / S
Objet d'étude : L’argumentation : convaincre, persuader et délibérer.
Textes
:
Texte A : La Bruyère, « Des jugements », Les Caractères, 1688-1696.
Texte B : La Fontaine, « Les compagnons d’Ulysse », Livre XII, Fables, 1694.
Texte C : Voltaire, « Conversation avec les hommes », Micromégas (chapitre VII),
1752.
Texte A : La Bruyère, « Des jugements », Les Caractères, 1688-1696.
Petits hommes, hauts de six pieds1, tout au plus de sept, qui vous enfermez aux
foires comme géants, et comme des pièces rares dont il faut acheter la vue, dès que
vous allez jusques à huit pieds ; qui vous donnez sans pudeur de la hautesse et de
l’éminence2, qui3 est tout ce que l’on pourrait accorder à ces montagnes voisines du ciel
et qui voient les nuages se former au-dessous d’elles ; espèce d’animaux glorieux et
superbes4, qui méprisez toute autre espèce, qui ne faites pas même comparaison avec
l’éléphant et la baleine ; approchez, hommes, répondez un peu à Démocrite5. Ne dites-vous
pas en commun proverbe : des loups ravissants6, des lions furieux, malicieux
comme un singe ? Et vous autres, qui êtes-vous ? J’entends corner sans cesse à mes
oreilles : L’homme est un animal raisonnable. Qui vous a passé7 cette définition ? sont-ce
les loups, les singes, et les lions, ou si8 vous vous l’êtes accordée à vous-mêmes ?
C’est déjà une chose plaisante, que vous donniez aux animaux, vos confrères, ce qu’il y
a de pire, pour prendre pour vous ce qu’il y a de meilleur. Laissez-les un peu se définir
eux-mêmes, et vous verrez comme ils s’oublieront, et comme vous serez traités. Je ne
parle point, ô hommes, de vos légèretés, de vos folies et de vos caprices, qui vous
mettent au-dessous de la taupe et de la tortue, qui vont sagement leur petit train, et qui
suivent sans varier l’instinct de leur nature ; mais écoutez-moi un moment. Vous dites
d’un tiercelet de faucon9 qui est fort léger, et qui fait une belle descente sur la perdrix : «
Voilà un bon oiseau » ; et d’un lévrier qui prend un lièvre corps à
corps : « C’est un bon lévrier. » Je consens aussi que vous disiez d’un
homme qui court le sanglier, qui le met aux abois, qui l’atteint et qui
le perce : « Voilà un brave homme. »10 Mais si vous voyez deux chiens qui s’aboient, qui s’affrontent, qui se
mordent et se déchirent, vous dites : « Voilà de sots animaux » ; et
vous prenez un bâton pour les séparer. Que si l’on vous disait que tous
les chats d’un grand pays se sont assemblés par milliers dans une
plaine, et qu’après avoir miaulé tout leur soûl, ils se sont jetés avec
fureur les uns sur les autres, et ont joué ensemble de la dent et de la
griffe ; que de cette mêlée il est demeuré de part et d’autre neuf à
dix mille chats sur la place, qui ont infecté l’air à dix lieues de là
par leur puanteur, ne diriez-vous pas : « Voilà le plus abominable
sabbat11 dont on ait jamais ouï parler ? » Et si les loups en faisaient de même : « Quels
hurlements ! quelle boucherie ! » Et si les uns ou les autres vous disaient qu’ils aiment
la gloire, concluriez-vous de ce discours qu’ils la mettent à se trouver à ce beau rendez-vous,
à détruire ainsi et à anéantir leur propre espèce ? ou après l’avoir conclu, ne
ririez-vous pas de tout votre coeur de l’ingénuité de ces pauvres bêtes ? Vous avez
déjà, en animaux raisonnables, et pour vous distinguer de ceux qui ne se servent que
de leurs dents et de leurs ongles, imaginé les lances, les piques, les dards, les sabres
et les cimeterres, et à mon gré fort judicieusement ; car avec vos seules mains que
pouviez-vous vous faire les uns aux autres, que vous arracher les cheveux, vous
égratigner au visage, ou tout au plus vous arracher les yeux de la tête ? au lieu que
vous voilà munis d’instruments commodes, qui vous servent à vous faire
réciproquement de larges plaies d’où peut couler votre sang jusqu’à la dernière goutte,
sans que vous puissiez craindre d’en échapper.
1. Pied : 32 cm.
2. Hautesse : appellation du sultan ; éminence : titre donné à un cardinal.
3. Qui : comprendre : ce qui.
4. « Glorieux et superbes » : vaniteux, orgueilleux.
5. Démocrite : philosophe grec qui tournait les prétentions humaines en dérision.
6. Loups ravissants : comprendre : qui ravissent, ravisseurs.
7. Qui vous a passé : qui vous a permis.
8. « Ou si » : ou bien plutôt.
9. Tiercelet : faucon mâle.
10. Un brave homme : un homme brave, courageux.
11. Sabbat : comprendre, ici : agitation frénétique.
Texte B :
La Fontaine, « Les compagnons d’Ulysse », Livre XII, Fables, 1694.
[La magicienne Circé a changé les compagnons d’Ulysse en animaux. Ulysse
obtient qu’elle les fasse redevenir humains.]
Il obtint qu’on rendrait à ces Grecs leur figure.
Mais la voudront-ils bien, dit la Nymphe1, accepter ?
Allez le proposer de ce pas à la troupe.
Ulysse y court, et dit : L’empoisonneuse coupe
A son remède encore ; et je viens vous l’offrir :
Chers amis, voulez-vous hommes redevenir ?
On vous rend déjà la parole.
Le Lion dit, pensant rugir :
Je n’ai pas la tête si folle ;
Moi renoncer aux dons que je viens d’acquérir ?
J’ai griffe et dent, et mets en pièces qui m’attaque.
Je suis Roi : deviendrai-je un Citadin d’Ithaque2 ?
Tu me rendras peut-être encor simple Soldat :
Je ne veux point changer d’état.
Ulysse du Lion court à l’Ours : Eh ! mon frère,
Comme te voilà fait ! je t’ai vu si joli !
— Ah ! vraiment nous y voici,
Reprit l’Ours à sa manière.
Comme me voilà fait ? comme doit être un ours.
Qui t’a dit qu’une forme est plus belle qu’une autre ?
Est-ce à la tienne à juger de la nôtre ?
Je me rapporte aux yeux d’une Ourse mes amours.
Te déplais-je ? va-t-en, suis ta route et me laisse :
Je vis libre, content, sans nul soin3 qui me presse ;
Et te dis tout net et tout plat :
Je ne veux point changer d’état.
Le prince grec au Loup va proposer l’affaire ;
Il lui dit, au hasard d’un semblable refus4 :
Camarade, je suis confus
Qu’une jeune et belle Bergère
Conte aux échos les appétits gloutons
Qui t’ont fait manger ses moutons.
Autrefois on t’eût vu sauver sa bergerie :
Tu menais une honnête vie.
Quitte ces bois, et redeviens,
Au lieu de loup, homme de bien.
— En est-il5 ? dit le Loup. Pour moi, je n’en vois guère.
Tu t’en viens me traiter de bête carnassière :
Toi qui parles, qu’es-tu ? N’auriez-vous pas sans moi
Mangé ces animaux que plaint tout le Village ?
Si j’étais Homme, par ta foi,
Aimerais-je moins le carnage ?
Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous :
Ne vous êtes-vous pas l’un à l’autre des Loups ?
Tout bien considéré, je te soutiens en somme
Que scélérat pour scélérat,
Il vaut mieux être un Loup qu’un Homme :
Je ne veux point changer d’état.
Ulysse fit à tous une même semonce6,
Chacun d’eux fit même réponse,
Autant le grand que le petit.
La liberté, les bois, suivre leur appétit,
C’était leurs délices suprêmes :
Tous renonçaient au lôs7 des belles actions.
Ils croyaient s’affranchir suivant leurs passions,
Ils étaient esclaves d’eux-mêmes.
Prince8 j’aurais voulu vous choisir un sujet
Où je pusse mêler le plaisant à l’utile :
C’était sans doute un beau projet
Si ce choix eût été facile.
Les compagnons d’Ulysse enfin se sont offerts.
Ils ont force9 pareils en ce bas Univers :
Gens à qui j’impose pour peine10
Votre censure et votre haine.
1. Nymphe : déesse de second rang (désigne Circé).
2. Citadin d’Ithaque : habitant d’Ithaque, patrie d’Ulysse et de ses hommes.
3. Soin : souci, occupation.
4. Au hasard d’un refus : pour éviter un semblable refus.
5. En est-il : y a-t-il des hommes de bien ?
6. Semonce : admonestation, reproche.
7. Lôs : louange ; honneur, renom.
8. La fable, qui ouvre le Livre XII, est dédiée au jeune duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV.
9. Ils ont force : beaucoup de.
10. Peine : sanction.
Texte C : Voltaire, « Conversation avec les hommes », Micromégas (chapitre VII),
1752.
[Ce conte de Voltaire fait le récit de la visite de la Terre par Micromégas, un géant
de trente-deux kilomètres de haut venu d’une planète de l’étoile Sirius, accompagné par
un habitant de Saturne, un « nain » de dix kilomètres de haut. Micromégas parle ici aux
hommes..]
« Ô atomes intelligents, dans qui l’Être éternel s’est plu à manifester son adresse
et sa puissance, vous devez sans doute goûter des joies bien pures sur votre globe :
car, ayant si peu de matière, et paraissant tout esprit, vous devez passer votre vie à
aimer et à penser ; c’est la véritable vie des esprits. Je n’ai vu nulle part le vrai
bonheur ; mais il est ici, sans doute. » À ce discours, tous les philosophes secouèrent la
tête ; et l’un d’eux, plus franc que les autres, avoua de bonne foi que, si l’on en excepte
un petit nombre d’habitants fort peu considérés, tout le reste est un assemblage de
fous, de méchants et de malheureux. « Nous avons plus de matière qu’il ne nous en
faut, dit-il, pour faire beaucoup de mal, si le mal vient de la matière, et trop d’esprit, si le
mal vient de l’esprit. Savez-vous bien, par exemple, qu’à l’heure que je vous parle, il y a
cent mille fous de notre espèce, couverts de chapeaux, qui tuent cent mille autres
animaux couverts d’un turban, ou qui sont massacrés par eux, et que, presque sur toute
la terre, c’est ainsi qu’on en use de temps immémorial ? » Le Sirien1 frémit et demanda
quel pouvait être le sujet de ces horribles querelles entre de si chétifs2 animaux. « Il
s’agit, dit le philosophe, de quelque tas de boue grand comme votre talon. Ce n’est pas
qu’aucun de ces millions d’hommes qui se font égorger prétende un fétu sur ce tas de
boue. Il ne s’agit que de savoir s’il appartiendra à un certain homme qu’on nomme
Sultan, ou à un autre qu’on nomme, je ne sais pourquoi, César. Ni l’un ni l’autre n’a
jamais vu ni ne verra jamais le petit coin de terre dont il s’agit ; et presque aucun de ces
animaux qui s’égorgent mutuellement n’a jamais vu l’animal pour lequel ils s’égorgent.
— Ah ! malheureux ! s’écria le Sirien avec indignation, peut-on concevoir cet excès
de rage forcenée3 ! Il me prend envie de faire trois pas, et d’écraser de trois coups de
pied toute cette fourmilière d’assassins ridicules. – Ne vous en donnez pas la peine, lui
répondit-on ; ils travaillent assez à leur ruine. Sachez qu’au bout de dix ans, il ne reste
jamais la centième partie de ces misérables ; sachez que, quand même ils n’auraient
pas tiré l’épée, la faim, la fatigue ou l’intempérance4 les emportent presque tous.
D’ailleurs, ce n’est pas eux qu’il faut punir, ce sont ces barbares sédentaires qui du fond
de leur cabinet ordonnent, dans le temps de leur digestion, le massacre d’un million
d’hommes, et qui ensuite en font remercier Dieu solennellement. »
1. Sirien : habitant de Sirius, il s’agit bien sûr de Micromégas.
2. Chétifs : de faible constitution.
3. Forcenée : qui relève de la folie ; furieuse.
4. Intempérance : abus, excès.
I- Après avoir lu tous les
textes du corpus, vous répondrez â la question suivante (4 points) :
En quoi peut-on rapprocher les représentations de l’homme proposées par ces trois
textes ?
II.
Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :
- Commentaire
Vous commenterez le texte de La Bruyère (texte A) depuis « Je ne parle point,
ô hommes » (l. 14-15) jusqu’à la fin..
- Dissertation
Le recours à la fiction permet-il selon vous, de dénoncer plus efficacement
certains comportements humains ?
- Invention
L’un des philosophes s’adresse au Sirien en dénonçant un autre travers humain
que le goût de la guerre.
Vous rédigerez leur dialogue, qui prendra place à la suite du texte C.
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SÉRIES TECHNOLOGIQUES
Objets d'étude : La poésie - Convaincre, persuader
et délibérer.
Textes
:
Texte A : Du Bellay, sonnet I, Les Regrets, 1558
Texte B : Victor Hugo, Fonction du poète, Les Rayons et les Ombres (vers 277-306), 1840
Texte C : Léo Ferré, Les Poètes, 1960.
Texte D : Eugène Guillevic, Inclus, 1973.
Texte A : Du Bellay, sonnet I, Les Regrets, 1558.
Je ne veux point fouiller au sein de la nature,
Je ne veux point chercher l'esprit de l'univers,
Je ne veux point sonder les abîmes couverts,
Ni dessiner du ciel la belle architecture.
Je ne peins mes tableaux de si riche peinture,
Et si hauts arguments1 ne recherche à mes vers :
Mais suivant de ce lieu les accidents2 divers,
Soit de bien, soit de mal, j'écris à l'aventure3.
Je me plains à mes vers, si j'ai quelque regret :
Je me ris avec eux, je leur dis mon secret,
Comme étant de mon cœur les plus sûrs secrétaires4.
Aussi ne veux-je tant les peigner et friser,
Et de plus braves noms ne les veux déguiser
Que de papiers journaux5 ou bien de commentaires6.
1 - arguments : sujets.
2 - accidents : irrégularités de l'espace arpenté par le poète (lieu accidenté).
3 - à l'aventure : au hasard, sans intention précise.
4 - scrétaires : dépositaires de secrets.
5 - papiers journaux : journal intime.
6 - commentaires : écrits relatant des événements dont l'auteur a été le protagoniste et qu'il commente au fur et à mesure.
Texte B :
Victor Hugo, Fonction du poète, Les Rayons et les Ombres (vers 277-306), 1840.
Peuples ! écoutez le poète !
Écoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçant les ombres.
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe1 qui n’est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme.
Dieu parle à voix basse à son âme
Comme aux forêts et comme aux flots.
C’est lui qui, malgré les épines,
L’envie et la dérision,
Marche, courbé dans vos ruines.
Ramassant la tradition.
De la tradition féconde
Sort tout ce qui couvre le monde,
Tout ce que le ciel peut bénir.
Toute idée, humaine ou divine,
Qui prend le passé pour racine
A pour feuillage l’avenir.
Il rayonne ! Il jette sa flamme
Sur l’éternelle vérité !
II la fait resplendir pour l’âme
D’une merveilleuse clarté.
Il inonde de sa lumière
Ville et désert, Louvre et chaumière,
Et les plaines et les hauteurs ;
À tous d’en haut il la dévoile ;
Car la poésie est l’étoile
Qui mène à Dieu rois et pasteurs2 !
23 mars-1er avril 1839.
1 - germe : origine, source, principe premier en mesure de se développer.
2 - pasteurs : celui qui fait paître les troupeaux et en prend soin.
Texte C : Léo Ferré, Les Poètes, 1960.
LES POÈTES
Ce sont de drôl's de typ's qui vivent de leur plume
Ou qui ne vivent pas c'est selon la saison
Ce sont de drôl's de typ's qui traversent la brume
Avec des pas d'oiseaux sous l'aile des chansons
Leur âme est en carafe1 sous les ponts de la Seine
Leurs sous dans les bouquins qu'ils n'ont jamais vendus
Leur femme est quelque part au bout d'une rengaine2
Qui nous parle d'amour et de fruit défendu
Ils mettent des couleurs sur le gris des pavés
Quand ils marchent dessus ils se croient sur la mer
Ils mettent des rubans autour de l'alphabet
Et sortent dans la rue leurs mots pour prendre l'air
Ils ont des chiens parfois compagnons de misère
Et qui lèchent leurs mains de plume et d'amitié
Avec dans le museau la fidèle lumière
Qui les conduit vers les pays d'absurdité
Ce sont des drôl's de typ's qui regardent les fleurs
Et qui voient dans leurs plis des sourires de femme
Ce sont de drôl's de typ's qui chantent le malheur
Sur les pianos du cœur et les violons de l'âme
Leurs bras tout déplumés se souviennent des ailes
Que la littérature accrochera plus tard
A leur spectre gelé au-dessus des poubelles
Où remourront3 leurs vers comme un effet de l'Art
Ils marchent dans l'azur la tête dans les villes
Et savent s'arrêter pour bénir les chevaux
Ils marchent dans l'horreur la tête dans des îles
Où n'abordent jamais les âmes des bourreaux
Ils ont des paradis que l'on dit d'artifice
Et l'on met en prison leurs quatrains de dix sous
Comme si l'on mettait aux fers un édifice
Sous prétexte que les bourgeois sont dans l'égout...
1 - Leur âme est en carafe : leur âme abandonnée stagne et attend vainement (langage familier).
2 - Rengaine : refrain familier qu'on répète sans cesse.
3 - Remourront : mourront à nouveau.
Texte D : Eugène Guillevic, Inclus.
Travailleur
Comme eux tous.
Vivant le même temps
De machines, de bruit
De guerre, de journaux.
Les mêmes problèmes
De nourriture, de logement,
D'impôts.
Citoyen,
Comme eux tous.
Préoccupé
Comme eux,
Par les problèmes du présent,
Du futur.
Rêvant
De cette société
Où tous
Auront loisir d'écrire.
I- Après avoir lu tous les
textes du corpus, vous répondrez aux questions suivantes de façon organisée et synthétique (6 points) :
- Qu'est-ce qui permet de dire que ces textes appartiennent au genre
poétique ? Vous justifierez votre réponse en vous appuyant sur des
observations précises. (3 points)
- Quelle fonction principale l'auteur attribue-t-il à la poésie dans chacun des textes du corpus ? (3 points).
II-
Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (14 points) :
- Commentaire
Vous commenterez le texte B en vous aidant du parcours de lecture suivant :
- Le rôle de guide du poète.
- La parole lyrique et inspirée du poète.
- Dissertation
Du
Bellay écrit : "Je me plains à mes vers, si j'ai quelque regret".
Pensez-vous que la poésie ait pour première fonction de permettre
l'expression de la plainte et d'offrir une consolation ? Cette
dimension suffit-elle à définir la poésie ?
En vous appuyant sur les textes du corpus, les œuvres
étudiées en classe et vos lectures personnelles, explicitez et
justifiez votre point de vue.
- Invention
A
la sortie d'un spectacle musical, deux amis parlent de la poésie et des
rapports qu'elle entretient avec la chanson. Pour le premier, la
chanson ne saurait revendiquer ni atteindre le statut de poème, tandis
que pour le second leurs liens sont à la fois plus nourris et plus
complexes.
Vous rédigerez leur dialogue de manière argumentée et structurée.
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