LES SUJETS DE L’
EAF 2009
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suite
CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIE L
Objet d'étude : Le roman et ses personnages.
Textes :
Texte A : Emile Zola, L'Assommoir, ch.7, 1877.
Texte B : Guy de Maupassant, Mont-Oriol, 1887.
Texte C : Louis Pergaud, La
Guerre des boutons, 1912.
Texte D : Georges Perec, Les choses, 1965.
Texte A : Emile Zola, L'Assommoir, ch.7, 1877.
[Dans L'Assommoir, Emile Zola décrit le milieu des petits artisans parisiens. Dans ce passage, on assiste au repas de noces de Gervaise, la blanchisseuse, et de Coupeau, le couvreur.]
Ah ! tonnerre ! quel trou dans la blanquette1 ! Si l'on ne parlait gučre, on mastiquait ferme. Le saladier se creusait, une cuiller plantée dans la sauce épaisse, une bonne sauce jaune qui tremblait comme une gelée. Lŕ-dedans, on péchait des morceaux de veau ; et il y en avait toujours, le saladier voyageait de main en main, les visages se penchaient et cherchaient des champignons. Les grands pains, posés contre le mur, derričre les convives, avaient l'air de fondre. Entre les bouchées, on entendait les culs des verres retomber sur la table. La sauce était un peu trop salée, il fallut quatre litres pour noyer cette bougresse de blanquette, qui s'avalait comme une crčme et qui vous mettait un incendie dans le ventre. Et l'on n'eut pas le temps de souffler, l'épinée2 de cochon, montée sur un plat creux, flanquée de grosses pommes de terre rondes arrivait au milieu d'un nuage de fumée. Il y eut un cri. Sacré nom ! c'était trouvé ! Tout le monde aimait ça. Pour le coup, on allait se mettre en appétit ; et chacun suivait le plat d'un śil oblique, en essuyant son couteau sur son pain, afin d'ętre pręt. Puis, lorsqu'on se fut servi, on se poussa du coude, on parla, la bouche pleine. Hein ? Quel beurre, cette épinée3 ! Quelque chose de doux et solide qu'on sentait couler le long de son boyau, jusque dans ses bottes. Les pommes de terre étaient un sucre. Ce n'était pas salé ; mais, juste ŕ cause des pommes de terre, ça demandait un coup d'arrosoir toutes les minutes. On cassa le goulot ŕ quatre nouveaux litres. Les assiettes furent si proprement torchées4 qu'on n'en changea pas pour manger les pois au lard. Oh ! les légumes ne tiraient pas ŕ conséquence. On gobait5 ça ŕ pleine cuiller, en s'amusant, de la vraie gourmandise enfin, comme qui dirait le plaisir des dames. Le meilleur, dans les pois, c'était les lardons, grillés ŕ point, puant le sabot de cheval6. Deux litres suffirent.
1. blanquette : veau en sauce blanche.
2. épinée : morceau du dos, échine.
3. « Quel beurre, cette épinée » : expression pour dire que l'épinée fond dans la bouche.
4. proprement torchée : entičrement essuyée ŕ coups de morceaux de pain.
5. gobait : avalait sans mâcher.
6. puant le sabot de cheval : qui sentait fort et bon l'odeur de grillé.
Texte B : Guy de Maupassant,
Mont-Oriol, 1887.
[ A Enval, une petite station thermale des monts d'Auvergne, des pensionnaires dînent ŕ la table de l'hôtel oů ils sont descendus pour suivre une cure. Les cures thermales étaient trčs ŕ la mode ŕ la fin du XIXčme sičcle.]
Une vieille dame trčs maigre, dont personne ne savait le nom, dit avec autorité :
- Je crois que tout le monde se trouverait mieux des eaux d'Enval si le chef de l'hôtel se souvenait un peu qu'il fait la cuisine pour des malades. Vraiment, il nous donne des choses impossibles ŕ digérer.
Et, soudain, toute la table tomba d'accord. Ce fut une indignation contre l'hôtelier qui servait des langoustes, des charcuteries, de l'anguille tartare1, des choux, oui, des choux et des saucisses, tous les aliments les plus indigestes du monde pour ces
gens ŕ qui les trois docteurs Bonnefille, Latonne et Honorât2 ordonnaient uniquement
des viandes blanches, maigres et tendres, des légumes frais et des laitages.
Riquier frémissait de colčre :
- Est-ce que les médecins ne devraient pas surveiller la table des stations
thermales, sans laisser le choix si important des nourritures ŕ l'appréciation d'une brute ? Ainsi, tous les jours on nous sert des śufs durs, des anchois et du jambon comme
hors-d'śuvre...
M. Monécu l'interrompit :
- Oh ! pardon, ma fille ne digčre bien que le jambon qui lui a été ordonné
d'ailleurs par Mas-Roussel et par Rémusot3.
Riquier cria :
- Le jambon ! le jambon ! mais c'est un poison, Monsieur.
Et tout ŕ coup la table se trouva divisée en deux clans, les uns tolérant et les autres ne tolérant pas le jambon.
Et une discussion interminable commença, reprise chaque jour, sur le classement des aliments.
Le lait lui-męme fut discuté avec emportement, Riquier n'en pouvant boire un verre ŕ bordeaux sans subir aussitôt une indigestion.
Aubry-Pasteur lui répondit, irrité ŕ son tour qu'on contestât les qualités de
choses qu'il adorait :
- Mais, sacristi4, Monsieur, si vous ętes atteint de dyspepsie5, et moi de gastralgie6, nous exigerons des aliments aussi différents que les verres de lunettes nécessaires aux myopes7 et aux presbytes8 qui ont cependant, les uns et les autres, les yeux malades.
Il ajouta :
- Moi j'étouffe quand j'ai bu un verre de vin rouge, et je crois qu'il n'y a rien de plus mauvais pour l'homme que le vin. Tous les buveurs d'eau vivent cent ans, tandis que nous...
1. anguille tartare : poisson gras servi avec une sauce mayonnaise aux câpres.
2. Bonnefille, Latonne et Honorât : petits médecins de province.
3. Mas-Roussel et Rémusot : médecins renommés.
4. sacristi : juron familier exprimant l'exaspération.
5. dyspepsie : digestion difficile.
6. gastralgie : douleurs d'estomac.
7. myope : personne qui voit mal de loin.
8. presbyte : personne qui voit mal de prčs.
Texte C : Louis Pergaud, La
Guerre des boutons, 1912.
[Dans La Guerre des boutons, Louis Pergaud met en scčne deux villages rivaux, Velran et Longeverne. Cette rivalité donne lieu ŕ d'épiques batailles entre les enfants de chacun d'eux. Dans la scčne ci-dessous, les « Longeverne » fętent leur dernier succčs par un festin, financé grâce ŕ un trésor de guerre, prélevé sur les « Velran » vaincus...]
- Au chocolat, maintenant !
Chacun eut sa part en deux morceaux, les autres en un seul. C'était le plat de résistance, on le mangea avec le pain ; toutefois, quelques-uns, des raffinés sans doute, préférčrent manger leur pain sec d'abord et le chocolat ensuite.
Les dents croquaient et mastiquaient, les yeux pétillaient. La flamme du foyer,
ravivée par une brassée de brandes1, enluminait les joues et rougissait les lčvres. On parlait des batailles passées, des combats futurs, des conquętes prochaines, et les bras commençaient ŕ s'agiter et les pieds se trémoussaient et les torses se tortillaient.
C'était l'heure des pommes et du vin.
- On boira chacun ŕ son tour dans la petite casserole, proposa Camus.
Mais La Crique, dédaigneusement, répliqua :
- Pas du tout, chacun aura son verre !
Une telle affirmation bouleversa les convives.
- Des verres ! T'as des verres ? Chacun son verre ! T'es pas fou, La Crique ? Comment ça ?
- Ah ! Ah ! ricana le compčre. Voilŕ ce que c'est que d'ętre malin ! Et ces pommes pour qui que vous les prenez ?
Personne ne voyait oů La Crique en voulait venir.
- Tas de gourdes2 ! reprit-il, sans respect pour la société, prenez vos couteaux et
faites comme moi.
Ce disant, l'inventeur, l'eustache3 ŕ la main, creusa immédiatement dans les chairs
rebondies d'une belle pomme rouge un trou qu'il évida avec soin, transformant en
coupe originale le beau fruit qu'il avait entaillé.
- C'est vrai tout de męme : sacré La Crique ! C'est épatant ! s'exclama Lebrac.
Et immédiatement il fit faire la distribution des pommes. Chacun se mit ŕ la taille de
son gobelet, tandis que La Crique, loquace4 et triomphant, expliquait :
- Quand j'étais aux champs et que j'avais soif, je creusais une grosse pomme et je trayais une vache et voilŕ, je m'enfilais comme ça mon petit bol de lait chaudot5.
Chacun ayant confectionné son gobelet, Grangibus et Lebrac débouchčrent les litres de vin. Ils se partagčrent les convives. Le litre de Grangibus, plus grand que l'autre, devait contenter vingt-trois guerriers, celui de son chef vingt-deux. Les verres heureusement étaient petits et le partage fut équitable, du moins il faut le croire, car il ne donna lieu ŕ aucune récrimination.
1. brandes : petit bois dont on se sert pour allumer le feu.
2. gourdes : ici au sens figuré pour désigner des sots.
3. eustache : petit couteau.
4. loquace : bavard.
5. lait chaudot : régionalisme, se dit du lait consommé au sortir du pis de la vache.
Texte D : Georges Perec, Les choses, 1965.
[Le roman de Georges Perec raconte la vie de Jérôme et Sylvie, un jeune couple qui n'a malheureusement pas les moyens de ses désirs dans la société de consommation des années 1960. Ils cherchent cependant ŕ se donner un style de vie, notamment quand ils invitent leurs amis ŕ la maison.]
Ils étaient neuf ou dix. Ils emplissaient l'appartement étroit qu'éclairait une seule fenętre donnant sur la cour ; un canapé recouvert de velours râpeux occupait au fond l'intérieur d'une alcôve1 ; trois personnes y prenaient place, devant la table servie, les autres s'installaient sur des chaises dépareillées, sur des tabourets. Ils mangeaient et buvaient pendant des heures entičres. L'exubérance et l'abondance de ces repas étaient curieuses : ŕ vrai dire, d'un strict point de vue culinaire, ils mangeaient de façon médiocre : rôtis et volailles ne s'accompagnaient d'aucune sauce ; les légumes étaient, presque invariablement, des pommes de terre sautées ou cuites ŕ l'eau, ou męme, en fin de mois, comme plats de résistance, des pâtes ou du riz accompagné d'olives et de quelques anchois. Ils ne faisaient aucune recherche; leurs préparations les plus complexes étaient le melon au porto, la banane flambée, le concombre ŕ la crčme. Il leur fallut plusieurs années pour s'apercevoir qu'il existait une technique, sinon un art, de la cuisine, et que tout ce qu'ils avaient par-dessus tout aimé manger n'était que produits bruts, sans appręts ni finesse.
Ils témoignaient en cela, encore une fois, de l'ambiguďté de leur situation : l'image qu'ils se faisaient d'un festin correspondait trait pour trait aux repas qu'ils avaient longtemps exclusivement connus, ceux des restaurants universitaires : ŕ force de manger des biftecks minces et coriaces, ils avaient voué aux chateaubriands2 et aux filets un véritable culte. Les viandes en sauce - et męme ils se méfičrent longtemps des pot-au-feu -, ne les attiraient pas ; ils gardaient un souvenir trop net des bouts de gras nageant entre trois ronds de carottes, dans l'intime voisinage d'un petit suisse3 affaissé et d'une cuillerée de confiture gélatineuse. D'une certaine maničre, ils aimaient tout ce qui niait la cuisine et exaltait l'apparat ; ils aimaient l'abondance et la richesse apparentes ; ils refusaient la lente élaboration qui transforme en mets des produits ingrats et qui implique un univers de sauteuses, de marmites, de hachoirs, de chinois, de fourneaux. Mais la vue d'une charcuterie, parfois, les faisait presque défaillir, parce que tout y est consommable, tout de suite : ils aimaient les pâtés, les macédoines ornées de guirlandes de mayonnaise, les roulés de jambon et les śufs en gelée : ils y succombaient trop souvent, et le regrettaient, une fois leurs yeux satisfaits, ŕ peine avaient-ils enfoncé leur fourchette dans la gelée rehaussée d'une tranche de tomate et de deux brins de persil : car ce n'était, aprčs tout, qu'un śuf dur.
1. alcôve : renfoncement d'une pičce oů l'on plaçait, autrefois, un lit.
2. chateaubriands : morceaux de filet de bśuf trčs épais, grillés ou sautés.
3. petit suisse : petit fromage blanc cylindrique en portion individuelle.
4. chinois : passoire fine et conique utilisée pour passer les sauces.
I- Après avoir lu tous les
textes du corpus, vous répondrez â la question suivante (4 points)
:
En quoi ces scčnes de repas informent-elles le lecteur sur le milieu social des personnages ?
II. Vous
traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :
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Commentaire
Vous ferez le commentaire du texte de Guy de Maupassant (texte B).
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Dissertation
Dans le roman, peut-on dire que les scčnes de la vie sociale nous en apprennent autant sur les personnages que leur portrait physique et psychologique ?
Vous répondrez ŕ cette question en vous appuyant sur des exemples tirés du corpus et sur des oeuvres que vous avez lues ou étudiées en classe.
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Invention
« II leur fallut plusieurs années pour s'apercevoir qu'il existait une technique, sinon un art, de la cuisine ».
Quelques années plus tard, l'un des personnages évoqués dans le texte de Georges Perec (texte D), qui a découvert cet « art de la cuisine », invite ŕ dîner ses amis d'autrefois.
Vous rédigerez la scčne du repas en décrivant les réactions des uns et des autres.
Vous pourrez introduire des dialogues dans votre récit.
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CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIE ES /S
Objet d'étude : le roman et ses personnages.
Textes :
Texte A :
STENDHAL, Le Rouge et le Noir, livre premier, chapitre XIII, 1830. Texte B : Alexandre
DUMAS, Les Trois Mousquetaires, chapitre 52, 1844. Texte C : Victor
HUGO, Les Misérables, 2čme partie, livre troisičme, 1862.
Texte A : STENDHAL, Le Rouge et le Noir, livre premier, chapitre XIII, 1830.
[Julien, homme du peuple, est précepteur chez M. et Mme de Ręnal
. Un soir il a l'audace de prendre la main de Mme de Ręnal
, qui finalement se laisse faire. Quelques jours plus tard, lors d'un repas au jardin avec son amie Mme Derville, c'est elle qui cherche la main de Julien.]
Certaine de l'affection de Julien, peut-ętre sa vertu eűt trouvé des forces contre lui. Tremblante de le perdre ŕ jamais, sa passion l'égara jusqu'au point de reprendre la main de Julien, que, dans sa distraction, il avait laissée appuyée sur le dossier d'une chaise. Cette action réveilla ce jeune ambitieux : il eűt voulu qu'elle eűt pour témoins tous ces nobles si fiers qui, ŕ table, lorsqu'il était au bas bout avec les enfants, le regardaient avec un sourire si protecteur. Cette femme ne peut plus me mépriser : dans ce cas, se dit-il, je dois ętre sensible ŕ sa beauté ; je me dois ŕ moi-męme d'ętre son amant. Une telle idée ne lui fűt pas venue avant les confidences naďves faites par son ami.
La détermination subite qu'il venait de prendre forma une distraction agréable. Il se disait : II faut que j'aie une de ces deux femmes; il s'aperçut qu'il aurait beaucoup mieux aimé faire la cour ŕ madame Derville ; ce n'est pas qu'elle fűt plus agréable, mais toujours elle l'avait vu précepteur honoré pour sa science, et non pas ouvrier charpentier, avec une veste de ratine1 pliée sous le bras, comme il était apparu ŕ madame de Ręnal
.
C'était précisément comme jeune ouvrier, rougissant jusqu'au blanc des yeux, arręté ŕ la porte de la maison et n'osant sonner, que madame de Ręnal
se le figurait avec le plus de charme.
En poursuivant la revue de sa position, Julien vit qu'il ne fallait pas songer ŕ la conquęte de madame Derville, qui s'apercevait probablement du goűt que madame de Ręnal
montrait pour lui. Forcé de revenir ŕ celle-ci : Que connais-je du caractčre de cette femme ? se dit Julien. Seulement ceci : avant mon voyage, je lui prenais la main, elle la retirait ; aujourd'hui je retire ma main, elle la saisit et la serre. Belle occasion de lui rendre tous les mépris qu'elle a eus pour moi. Dieu sait combien elle a eu d'amants ! elle ne se décide peut-ętre en ma faveur qu'ŕ cause de la facilité des entrevues.
Tel est hélas ! le malheur d'une excessive civilisation ! A vingt ans, l'âme d'un jeune homme, s'il a quelque éducation, est ŕ mille lieues du laisser-aller, sans lequel l'amour n'est souvent que le plus ennuyeux des devoirs.
Je me dois d'autant plus, continua la petite vanité de Julien, de réussir auprčs de cette femme, que si jamais je fais fortune, et que quelqu'un me reproche le bas emploi de précepteur, je pourrai faire entendre que l'amour m'avait jeté ŕ cette place.
1. Ratine : étoffe de laine dont le poil est tiré et frisé.
Texte B : Alexandre
DUMAS, Les Trois Mousquetaires, chapitre 52, 1844.
[Chargée par le cardinal de Richelieu d'empoisonner le duc de Buckingham, amant de la reine, Milady, figure d'ange démoniaque, vient d'ętre arrętée et emprisonnée.]
Que de haine elle distille ! Lŕ, immobile, et
les yeux ardents et fixes dans son appartement désert, comme les éclats de ses rugissements sourds, qui parfois s'échappent avec sa respiration du fond de sa poitrine, accompagnent bien le bruit de la houle qui monte, gronde, mugit et vient se briser, comme un désespoir éternel et impuissant, contre les rochers sur lesquels est bâti ce château sombre et orgueilleux ! Comme, ŕ la lueur des éclairs que sa colčre orageuse fait briller dans son esprit, elle conçoit contre Mme Bonacieux1, contre Buckingham, et surtout contre d'Artagnan, de magnifiques projets de vengeance, perdus dans les lointains de l'avenir !
Oui, mais pour se venger il faut ętre libre, et pour ętre libre, quand on est prisonnier il faut percer un mur, desceller des barreaux, trouer un plancher ; toutes entreprises que peut mener ŕ bout un homme patient et fort mais devant lesquelles doivent échouer les irritations fébriles d'une femme. D'ailleurs, pour faire tout cela, il faut avoir le temps, des mois, des années, et elle... elle a dix ou douze jours, ŕ ce que lui a dit lord de Winter, son fraternel et terrible geôlier2.
Cependant, si elle était un homme, elle tenterait tout cela, et peut-ętre réussirait-elle :
pourquoi donc le ciel s'est-il ainsi trompé, en mettant cette âme virile dans ce corps fręle et délicat !
Aussi les premiers moments de la captivité ont été terribles : quelques convulsions de rage qu'elle n'a pu vaincre ont payé sa dette de faiblesse féminine ŕ la nature. Mais peu ŕ peu elle a surmonté les éclats de sa folle colčre, les frémissements nerveux qui ont agité son corps ont disparu, et maintenant elle s'est repliée sur elle-męme comme un serpent fatigué qui se repose.
« Allons, allons ; j'étais folle de m'emporter ainsi, dit-elle en plongeant dans la glace, qui reflčte dans ses yeux son regard brűlant, par lequel elle semble s'interroger elle-męme.
Pas de violence, la violence est une preuve de faiblesse. D'abord je n'ai jamais réussi par ce moyen : peut-ętre, si j'usais de ma force contre des femmes, aurais-je chance de les trouver plus faibles encore que moi, et par conséquent de les vaincre ; mais c'est contre ces hommes que je lutte, et je ne suis qu'une femme pour eux. Luttons en femme, ma force est dans ma faiblesse. »
Alors, comme pour se rendre compte ŕ elle-męme des changements qu'elle pouvait
imposer ŕ sa physionomie si expressive et si mobile, elle lui fit prendre ŕ la fois toutes les expressions, depuis celle de la colčre qui crispait ses traits, jusqu'ŕ celle du plus doux, du plus affectueux et du plus séduisant sourire. Puis ses cheveux prirent successivement sous ses mains savantes les ondulations qu'elle crut pouvoir aider aux charmes de son visage. Enfin
elle murmura, satisfaite d'elle-męme :
« Allons, rien n'est perdu, je suis toujours belle. ».
1. Mme Bonacieux : femme de confiance de la reine.
2. Fraternel et terrible geôlier : Milady a assassiné son époux qui était le frčre de Lord de Winter.
Texte C : Victor
HUGO, Les Misérables, 2čme partie, livre troisičme, 1862.
[Fantine, la mčre de Cosette, a confié sa fille au couple Thénardier. Voici le portrait de madame Thénardier.]
On n'a encore aperçu dans ce livre les Thénardier que de profil ; le moment est venu de tourner autour de ce couple et de le regarder sous toutes ses faces.
Thénardier venait de dépasser ses cinquante ans ; madame Thénardier touchait ŕ la quarantaine, qui est la cinquantaine de la femme ; de façon qu'il y avait équilibre d'âge entre la femme et le mari.
Les lecteurs ont peut-ętre, dčs sa premičre apparition, conservé quelque souvenir de cette Thénardier grande, blonde, rouge, grasse, charnue, carrée, énorme et agile ; elle tenait, nous l'avons dit, de la race de ces sauvagesses colosses qui se cambrent dans les foires avec des pavés pendus ŕ leur chevelure. Elle faisait tout dans le logis, les lits, les chambres, la lessive, la cuisine, la pluie, le beau temps, le diable. Elle avait pour tout domestique Cosette ; une souris au service d'un éléphant. Tout tremblait au son de sa voix, les vitres, les meubles et les gens. Son large visage, criblé de taches de rousseur, avait l'aspect d'une écumoire. Elle avait de la barbe. C'était l'idéal d'un fort de la halle1 habillé en fille. Elle jurait splendidement ; elle se vantait de casser une noix d'un coup de poing. Sans les romans qu'elle avait lus, et qui, par moments, faisaient bizarrement reparaître la mijaurée2 sous l'ogresse, jamais l'idée ne fűt venue ŕ personne de dire d'elle : c'est une femme. Cette Thénardier était comme le produit de la greffe d'une donzelle sur une poissarde3. Quand on l'entendait parler, on disait : c'est un gendarme ; quand on la regardait boire, on disait : c'est un charretier ; quand on la voyait manier Cosette, on disait : c'est le bourreau. Au repos, il lui sortait de la bouche une dent.
1. fort de la halle : homme d'une grande force physique qui portait les fardeaux dans les Halles de Paris.
2. mijaurée : femme ou jeune fille dont les maničres sont excessives et ridicules.
3. poissarde ; marchande de la halle, au langage grossier.
I- Aprčs avoir pris connaissance de
l'ensemble des textes, vous répondrez d'abord ŕ la question suivante (4
points) :
En quoi le personnage central de chacun de ces textes est-il
rendu antipathique ? Vous justifierez votre réponse en vous appuyant sur quelques exemples précis.
II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets
suivants (16 points) :
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Commentaire
Vous ferez le commentaire de l'extrait des Trois mousquetaires, d'Alexandre Dumas (texte B).
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Dissertation
Julien Sorel, Milady, la Thénardier : nombreux sont les personnages de roman qui n'inspirent pas de sympathie. Ce type de personnage n'a-t-il pour fonction que de susciter le rejet du lecteur ?
Vous répondrez ŕ cette question dans un développement composé en vous appuyant sur les textes du corpus, sur vos lectures personnelles, ainsi que sur les śuvres étudiées en classe.
► voir le corrigé.
-
Invention
Aprčs le départ de Julien,
Mme Derville s'approche de
Mme de Ręnal et la met en garde contre le jeune homme. Imaginez cet
épisode.
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CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIE L
Objet d'étude : Les réécritures.
Textes :
Texte A : Ronsard, Amours de Cassandre, XX (1552).
Texte B : Jean de La Fontaine,
« L'homme et son image », Fables, I, 11 (1668).
Texte C : Paul Valéry,
« Cantate du Narcisse » (1941) dans Poésies (1958).
Texte D : Pierre Albert-Birot,
« L'affaire Narcisse » dans Poésie (1962).
Annexe : Ovide, Métamorphoses, livre III (1er sičcle aprčs J.-C).
Texte A : Ronsard, Amours de Cassandre, XX (1552).
Je voudrais bien richement jaunissant
En pluie d'or goutte ŕ goutte descendre
Dans le beau sein de ma belle Cassandre,
Lors qu'en ses yeux le somme va glissant1.
Je voudrais bien en taureau blanchissant
Me transformer pour sur mon dos la prendre,
Quand en avril par l'herbe la plus tendre
Elle va, fleur, mille fleurs ravissant2.
Je voudrais bien
pour alléger ma peine,
Etre un Narcisse, et elle une fontaine,
Pour m'y plonger une nuit ŕ séjour ;
Et si3 voudrais que cette nuit encore
Fűt éternelle, et que jamais l'Aurore
Pour m'éveiller ne rallumât le jour.
1. Allusion ŕ Jupiter, qui descendit en pluie d'or
sur Danaé.
2. Jupiter enleva Europe en se métamorphosant en taureau.
3. Et męme.
Texte B : Jean de La Fontaine, « L'homme et son image », Fables, I, 11 (1668).
L'HOMME ET SON IMAGE
POUR MONSIEUR LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD1
Un homme qui s'aimait sans avoir de rivaux
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde :
Il accusait toujours les miroirs d'ętre faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux2
Présentait partout ŕ ses yeux
Les Conseillers muets dont se servent nos Dames :
Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands,
Miroirs aux poches des galants,
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse ? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure.
Mais un canal, formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés :
Il s'y voit, il se fâche, et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimčre3 vaine.
Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau;
Mais quoi, le canal est si beau
Qu'il ne le quitte qu'avec peine.
On voit bien oů je veux venir.
Je parle ŕ tous; et cette erreur extręme
Est un mal que chacun se plaît d'entretenir.
Notre âme, c'est cet Homme amoureux de lui-męme;
Tant de Miroirs, ce sont les sottises d'autrui,
Miroirs de nos défauts les Peintres légitimes;
Et quant au Canal, c'est celui
Que chacun sait, le livre des Maximes.
1. Auteur des Maximes, publiées en 1655.
2. Qui rend des services (des "offices").
3. animal fantastique, créature étrange.
Texte C : Paul Valéry,
« Cantate du Narcisse » (1941) dans Poésies (1958).
[Une cantate est une śuvre
musicale chantée, composée pour une ou plusieurs voix avec accompagnement d'orchestre.]
Le Narcisse
Que veulent-ils tes dieux ?
La Nymphe
Ils m'ont prise pour voix.
Voici ce que tu dois connaître :
Médite leur message et prépare ton
choix.
Leurs mains portent sur toi l'ombre que tu devines.
Le Narcisse
Des mains pleines de maux sont bien des mains divines.
Une auguste rancune est
l'âme de leurs lois...
La Nymphe
Tais-toi ! N'appelle point la foudre vengeresse :
Tout le ciel contre
toi gronde comme une mer.
Garde au fond de ton cśur ce qu'il forme
d'amer,
Et reçois le secret de ta Race maîtresse :
PAR LE STYX1, PAR LE STYX, PAR LE STYX.
SI NARCISSE NE PEUT, SI
NARCISSE NE VEUT
AIMER D'AMOUR QUELQUE AUTRE QUE
SOI-MĘME
RIEN D'HUMAIN N'EST EN LUI. SA BEAUTÉ LE CONDAMNE
QU'IL SOIT ET SA BEAUTÉ
REPRIS PAR LA NATURE
TEL EST L'ORDRE DIVIN.
Courbe ton front, Narcisse : un noir serment
t'accable.
Le Narcisse
O Justice... Je sens dans leur voix implacable
L'affront que fait aux dieux le désir le plus
pur...
Ma Fontaine lucide, ils n'ont qu'un fleuve obscur
Pour
témoin ténébreux de leur toute-puissance...
Mais mon âme est plus
grande en désobéissance.
Plus admirable est
mon essence...
Fontaine, ma fontaine, ô
transparent tombeau
De maint oiseau blessé qu'ensevelit ton sable.
L'âme qui mire en toi Narcisse insaisissable
Médite amčrement le
malheur qu'il soit beau.
Une forme parfaite est-elle donc un crime ?
La plus sincčre amour2 veut-elle une victime
Qui expie une fois tant
d'incestes aux cieux ?
Nymphe ! ŕ l'extrémité de mon sort précieux
N'espérez point de moi quelque retour supręme...
A mon dédain des
dieux, pourrais-je rien changer ?
J'aime ce que je suis, Je suis celui
que j'aime :
Qui sauverais-je donc qu'un autre que moi-męme
Si
j'immolais Narcisse ŕ l'amour étranger ?
O Nymphes, j'appartiens ŕ mon divin danger :
Je ne vous puis aimer que
je ne me trahisse...
1. Le
Styx est un fleuve des enfers..
2. Amour est ici exceptionnellement au féminin.
Texte D : Pierre Albert-Birot,
« L'affaire Narcisse » dans Poésie (1962).
Narcisse fils de Céphise n'est plus depuis des
montagnes de temps
En nos âges il n'est plus de ces Narcisse-lŕ
Seule une fleur nous reste
Et pourtant nous avons des miroirs autrement
plus parfaits que la fontaine
Oů s'admira ce trop joli garçon
Ne dirai point que
je suis venu devant ma
glace
Au cours de mon printemps de mon été męme des
froides saisons qui suivent
Mais pas une fois ne me suis dit celui-lŕ c'est moi
Or bien hier
Sans doute disons
Glace parfaite
Lumičre magnifique
Et temps a perdre
Celui-lŕ fut moi
Je l'ai totalement vu
Et j'ai dű me dire et me redire tant que j'ai pu
Cet homme qui est lŕ devant c'est toi
complčtement toi
De la tęte aux pieds et quelle découverte moi je
suis fait comme tout homme est fait
El pourtant ne ressemble ŕ aucun
Toutefois ne sais si vais m'aimer autant que
m'aimais avant de me connaître
Enfin c'est agréable tout de męme de se savoir
pičce unique
Et n'oublions pas que chaque ętre humain peut en
dire autant
A bien regarder Narcisse avait raison
Un homme ça vaut la peine d'ętre vu.
Annexe : Ovide, Métamorphoses, livre III (1er sičcle aprčs J.-C).
[Fils du fleuve Céphise et d'une nymphe des eaux, Liriopé, Narcisse, jeune
homme d'une grande
beauté, reste indifférent aux passions et aux désirs amoureux qu'il inspire. Son attitude
lui attire les foudres de plusieurs nymphes, dont Echo, qui réclament vengeance.]
Ainsi Echo1, ainsi d'autres nymphes, nées dans les ondes ou les montagnes, avaient été déçues par Narcisse, ainsi avant elles nombre de
jeunes hommes. Alors, une des victimes de ses dédains, levant les mains au ciel, s'était écriée : « Qu'il aime donc de męme ŕ son tour et de męme ne puisse posséder l'objet de son amour
! » La déesse de Rhamnonte2 exauça cette juste pričre.
Il était une source limpide aux eaux brillantes et argentées. [....] C'est lŕ que l'enfant, fatigué par l'ardeur de la
chasse et par la chaleur, vint s'étendre, attiré par l'aspect du lieu et par
la source. Mais, tandis qu'il tente d'apaiser sa soif, une autre soif grandit en lui. Pendant qu'il boit, séduit par
l'image de sa beauté qu'il aperçoit, il s'éprend d'un reflet sans consistance, il prend pour un corps ce qui n'est qu'une ombre. Il reste en extase devant lui-męme, et, sans bouger, le visage fixe, absorbé dans ce spectacle, il semble une statue faite de marbre de Paros3. [...] A combien de reprises il prodigua de vains baisers ŕ
l'onde trompeuse ! Que de fois, pour saisir le cou aperçu, il plongea dans l'eau ses bras sans les refermer sur soi. Que voit-il donc
? Il l'ignore mais ce qu'il voit l'embrase [...], mais, comme on voit fondre la cire
blonde ŕ la douce chaleur de la flamme ou la rosée matinale ŕ la tiédeur
du soleil, ainsi, épuisé par l'amour, il dépérit et peu ŕ peu un feu secret le consume. [....] Il posa sa tęte fatiguée sur l'herbe verte, et la nuit ferma ces yeux emplis d'admiration pour la beauté de leur maître [....]. Ses sśurs les Naďades4 firent retentir leurs pleurs et déposčrent sur la tombe
de leur frčre leurs cheveux coupés. [...] Et déjŕ elles préparaient le bűcher, les torches que
l'on secoue, la civičre ; mais le corps avait disparu. A sa place, elles trouvent une fleur jaune safran dont le cśur est entouré de feuilles blanches.
1. Echo : nymphe des
sources et des foręts, personnalisation de l'écho.
2. la déesse de Rhamnonte est Némésis, déesse de la vengeance.
3. Paros : île grecque dans les Cyclades.
4. Naďades : nymphes des eaux et des fontaines, des ruisseaux et des
fleuves.
I- Après avoir lu tous les
textes du corpus, vous répondrez â la question suivante (4 points)
:
En vous appuyant sur le texte en annexe, vous identifierez les traits originaux apportés au mythe par chacun des počmes (registre, énonciation, forme poétique, redéfinition du sens).
II. Vous
traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :
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CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIE ES /S
Objet d'étude : le roman et ses personnages.
Textes :
Texte A - Honoré de Balzac (1799-18S0), Le Lys dans la vallée, chapitre 1, (1835).
Texte B - Emile Zola (1840-1902), Germinal, premičre partie, chapitre VI, (1885).
Texte C - Louis Pergaud (1882-1915), La Guerre des boutons, livre premier, chapitre 1 (1912).
Texte D - André Malraux (1901-1976), La Condition humaine, troisičme partie (1933).
Texte A - Honoré de Balzac, Le Lys dans la vallée, chapitre 1, (1835).
[Le narrateur est un jeune homme, Félix
de Vandenesse.]
Pour aller au chateau de Frapesle,
les gens ŕ pied ou ŕ cheval abrčgent la route en passant
par les landes dites de Charlemagne, terres en friche situées au sommet du plateau qui
sépare le bassin du Cher et celui de l'Indre. Ces landes plates et sablonneuses, qui vous
attristent durant une lieue environ, joignent par un bouquet de bois le chemin de Saché,
nom de la commune d'oů dépend Frapesle.
Ce chemin qui débouche sur la route de Chinon, bien au-delŕ de Ballan, longe une plaine ondulée jusqu'au petit
pays d'Artanne. Lŕ se découvre une vallée qui commence ŕ Montbazon, finit ŕ la Loire, et semble bondir sous les châteaux posés sur ces doubles collines ; une magnifique coupe d’émeraude au fond de laquelle l’Indre se roule par des mouvements de serpent. A cet aspect, je fus saisi d’un étonnement voluptueux que l’ennui des landes ou la fatigue du chemin avait préparé. — Si cette femme, la fleur de son sexe, habite un lieu dans le monde, ce lieu, le voici ! A cette pensée je m’appuyai contre un noyer sous lequel, depuis ce jour, je me repose toutes les fois que je reviens dans ma chčre vallée. Sous cet arbre confident de mes pensées, je m’interroge sur les changements que j’ai subis pendant le temps qui s’est écoulé depuis le dernier jour oů j’en suis parti. Elle demeurait lŕ, mon cśur ne me trompait point : le premier castel que je vis au penchant d’une lande était son habitation. Quand je m’assis sous mon noyer, le soleil de midi faisait pétiller les ardoises de son toit et les vitres de ses fenętres. Sa robe de percale produisait le point blanc que je remarquai dans ses vignes sous un hallebergier1.
Elle était, comme vous le savez déjŕ, sans rien savoir encore, LE LYS DE
CETTE VALLEE oů elle croissait pour le ciel, en la remplissant du parfum
de ses vertus. L’amour infini, sans autre aliment qu’un objet ŕ peine
entrevu dont mon âme était remplie, je le trouvais exprimé par ce long
ruban d’eau qui ruisselle au soleil entre deux rives vertes, par ces
lignes de peupliers qui parent de leurs dentelles mobiles ce val d’amour,
par les bois de chęnes qui s’avancent entre les vignobles sur des coteaux
que la rivičre arrondit toujours différemment, et par ces horizons
estompés qui fuient en se contrariant. Si vous voulez voir la nature belle
et vierge comme une fiancée, allez lŕ par un jour de printemps, si vous
voulez calmer les plaies saignantes de votre cśur, revenez-y par les
derniers jours de l’automne ; au printemps, l’amour y bat des ailes ŕ
plein ciel, en automne on y songe ŕ ceux qui ne sont plus.
1. Sorte
d'abricotier.
Texte B - Emile Zola, Germinal, premičre partie, chapitre VI, (1885).
[Mécanicien au chômage et sans attache. Etienne Lantier trouve ŕ s'embaucher aux mines de Montsou. Mais une hésitation le prend : doit-il rester ?]
Pendant qu'Etienne se débattait ainsi, ses yeux, qui erraient sur la plaine immense, peu ŕ peu l'aperçurent. Il s'étonna, il ne s'était pas figuré l'horizon de la sorte, lorsque le vieux Bonnemort le lui avait indiqué du geste, au fond des ténčbres. Devant lui, il retrouvait bien le Voreux, dans un pli de terrain, avec ses bâtiments de bois et de briques, le criblage goudronné, le beffroi couvert d'ardoises, la salle de la machine et la haute cheminée d'un rouge pâle, tout cela tassé, l'air mauvais. Mais, autour des bâtiments, le carreau1 s'étendait, et il ne se l'imaginait pas si large, changé en un lac d'encre par les vagues montantes du stock de charbon, hérissé des hauts chevalets qui portaient les rails des passerelles, encombré dans un coin de la provision des bois, pareille ŕ la moisson d'une foręt fauchée. Vers la droite, le terri2 barrait la vue, colossal comme une barricade de géants, déjŕ couvert d'herbe dans sa partie ancienne, consumé ŕ l'autre bout par un feu intérieur qui brűlait depuis un an, avec une fumée épaisse, en laissant ŕ la surface, au milieu du gris blafard des schistes et des grčs, de longues traînées de rouille sanglante. Puis, les champs se déroulaient, des champs sans fin de blé et de betteraves, nus ŕ cette époque de l'année, des marais aux végétations dures, coupés de quelques saules rabougris, des prairies lointaines, que séparaient des files maigres de peupliers. Trčs loin, de petites taches blanches indiquaient des villes, Marchiennes au nord, Montsou au midi ; tandis que la foręt de Vandame, ŕ l'est, bordait l'horizon de la ligne violâtre de ses arbres dépouillés. Et, sous le ciel livide, dans le jour bas de cet aprčs-midi d'hiver, il semblait que tout le noir du Voreux,
toute la poussičre volante de la houille se fűt abattue sur la plaine,
poudrant les arbres, sablant les routes, ensemençant la terre.
1. Il s'agit
du carreau de la mine, de l'emplacement oů sont déposés les minerais.
2. Le terri ou terril : tas de déblais au voisinage de la mine.
Texte C - Louis Pergaud, La Guerre des boutons, livre premier, chapitre 1 (1912).
[Nous sommes ici au tout début du roman.]
- Attends-moi, Grangibus ! héla Boulot, ses livres et ses cahiers sous le bras.
- Grouille-toi, alors, j'ai pas le temps de cotainer1, moi !
- Y a du neuf ?
- Ça se pourrait !
- Quoi ?
- Viens toujours !
Et Boulot ayant rejoint les deux Gibus, ses camarades de classe, tous trois continučrent ŕ marcher côte ŕ côte dans la direction de la maison commune.
C'était un matin d'octobre. Un ciel tourmenté de gros nuages gris limitait l'horizon
aux collines prochaines et rendait la campagne mélancolique. Les pruniers étaient nus,
les pommiers étaient jaunes, les feuilles de noyer tombaient en une sorte de vol plané,
large et lent d'abord, qui s'accentuait d'un seul coup comme un plongeon d'épervier
dčs que l'angle de chute devenait moins obtus. L'air était humide et tičde. Des
ondes de vent couraient par intervalles. Le ronflement monotone des
batteuses donnait sa note sourde qui se prolongeait de temps ŕ autre, quand la gerbe était dévorée, en une
plainte lugubre comme un sanglot désespéré d'agonie ou un vagissement douloureux.
L'été venait de finir et l'automne naissait.
II pouvait ętre huit heures du matin. Le soleil rôdait triste derričre les nues, et de l'angoisse, une angoisse imprécise et vague, pesait sur le village et sur la campagne.
Les travaux des champs étaient achevés et, un ŕ un ou par petits groupes, depuis deux ou trois semaines, on voyait revenir ŕ l'école
les petits bergers ŕ la peau tannée et bronzée de soleil, aux cheveux drus coupés ŕ la tondeuse (la męme qui servait pour les bśufs), aux pantalons de droguet ou de mouliné rapiécés, surchargés de « pattins » aux genoux et au fond, mais propres, aux blouses de grisette neuves, raides, qui, en déteignant, leur faisaient, les premiers jours, les mains noires comme des pattes de crapauds , disaient-ils.
Ce jour-lŕ, ils traînaient le long des chemins et leurs pas semblaient alourdis de toute la mélancolie du temps, de la saison et du paysage.
1. musarder, bavarder
inutilement.
Texte D - André Malraux, La Condition humaine, troisičme partie (1933).
[L'action du roman, qui se situe ŕ Shanghaď en 1927, retrace un épisode manqué de la révolution chinoise. Kyo,
l'un des chefs de l'insurrection, se rend ŕ Han-Kéou pour y recevoir des ordres et, espčre-t-il, trouver un appui.]
II lui fallait attendre vingt minutes. Il marcha au hasard. Les lampes ŕ pétrole s'allumaient au fond des boutiques : çŕ et lŕ, quelques silhouettes d'arbres et de cornes de maisons montaient sur le ciel de l'ouest oů demeurait une lumičre sans source qui semblait émaner de la douceur męme de l'air et rejoindre trčs haut l'apaisement de la nuit. Malgré les soldats et les Unions ouvričres, au fond d'échoppes, les médecins aux crapauds-enseignes, les marchands d'herbes et de monstres, les écrivains publics, le jeteurs de sorts,
les astrologues, les diseurs de bonne aventure continuaient leurs
métiers lunaires dans la lumičre trouble oů disparaissaient les taches
de sang. Les ombres se perdaient sur le sol plus qu'elles ne s'y allongeaient, baignées d'une phosphorescence bleuâtre ; le dernier éclat
de ce soir unique qui se passait trčs loin, quelque part dans les mondes, et dont seul un reflet venait baigner la terre, luisait faiblement au fond d'une arche énorme que surmontait une pagode rongée de lierre déjŕ noir. Au delŕ, un bataillon se perdait dans la nuit accumulée en brouillard au ras du fleuve, au-delŕ d'un chahut de clochettes, de phonographes, et criblé de toute une illumination. Kyo descendit, lui aussi, jusqu'ŕ un chantier de blocs énormes : ceux des murailles, rasées en signe de libération de la Chine. Le transbordeur était tout prčs.
Encore un quart d'heure sur le fleuve, ŕ voir la ville monter dans le soir. Enfin, Han-Kéou.
Des pousses1 attendaient sur le quai, mais l'anxiété de Kyo était trop grande pour qu'il pűt rester immobile. Il préféra marcher : la concession britannique que l'Angleterre avait abandonnée en janvier, les grandes banques mondiales fermées, mais pas occupées... « Etrange sensation que l'angoisse : on sent au rythme
de son cśur qu'on respire mal, comme si l'on respirait avec le cśur...
» Au coin d'une rue, dans la trouée d'un grand jardin plein d'arbres en fleurs, gris dans la brume du soir, apparurent les cheminées des manufactures de l'Ouest. Aucune fumée. De toutes celles qu'il voyait, seules celtes de l'Arsenal étaient en activité. Etait-il possible que Han-Kéou, la ville dont les communistes du monde entier attendaient le salut de la Chine, fűt en grčve ?
1. des pousses : voitures
légčres tirées par un homme.
I- Aprčs avoir pris connaissance de
l'ensemble des textes, vous répondrez d'abord ŕ la question suivante (4
points) :
Que révčlent ces descriptions sur les émotions ou les pensées du ou des personnages ?
II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets
suivants (16 points) :
-
Commentaire
Vous ferez le commentaire du texte de Zola (texte B).
-
Dissertation
Dans quelle mesure les descriptions dans
le roman révčlent-elles la vision qu'a l'écrivain de l'homme et du monde ?
Vous répondrez dans un développement organisé, en vous appuyant sur les textes du corpus, les romans étudiés en classe et vos lectures personnelles.
-
Invention
A son éditeur qui veut réduire la part des descriptions dans son manuscrit, un écrivain adresse une lettre et explique combien ses descriptions sont précieuses pour susciter l'intéręt et les émotions du lecteur.
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CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIES TECHNOLOGIQUES
Objet d'étude : la poésie.
Textes :
Texte A :
Arthur Rimbaud, « Le Buffet ». Poésies, 1870.
Texte B : Paul Verlaine,
« Le piano que baise une main fręle... » , Romances sans paroles, 1874.
Texte C : Francis Ponge, « La Valise », Pičces, 1961.
Texte D : Jacques Réda. « La Bicyclette », Retour au Calme, 1989.
Texte A : Arthur Rimbaud, « Le Buffet ». Poésies, 1870.
Le Buffet
C'est un large buffet sculpté ; le chęne sombre,
Trčs vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;
Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,
De fichus1 de grand-mčre oů sont peints des griffons ;
- C'est lŕ qu'on trouverait les médaillons, les mčches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sčches
Dont le parfum se męle ŕ des parfums de fruits.
- O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis2
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.
1. Fichus
: foulards
1. Bruire : produire un son confus.
Texte B : Paul Verlaine,
« Le piano que baise une main fręle... », Romances sans paroles, 1874.
Son joyeux, importun, d'un clavecin sonore.
(Pétrus Borel).
Le piano que baise une main fręle
Luit dans le soir rose et gris vaguement,
Tandis qu'avec un trčs léger bruit d'aile
Un air bien vieux, bien faible et bien charmant
Rôde discret, épeuré1 quasiment,
Par le boudoir2 longtemps parfumé d'Elle.
Qu'est-ce que c'est que ce berceau soudain
Qui lentement dorlote mon pauvre ętre ?
Que voudrais-tu de moi, doux Chant badin3 ?
Qu'as-tu voulu, fin refrain incertain
Qui vas tantôt mourir vers la fenętre
Ouverte un peu sur le petit jardin ?
1. Apeuré.
2. Petite pičce dans laquelle la maîtresse de maison se retire pour ętre seule ou s'entretenir
avec des intimes.
3. Léger, gai.
Texte C : Francis Ponge, « La Valise », Pičces, 1961.
La
Valise
Ma valise m'accompagne au massif de la Vanoise, et déjŕ ses nickels1 brillent et son cuir épais embaume. Je l'empaume2, je lui flatte le dos, l'encolure et
le plat. Car ce coffre comme un livre plein d'un trésor de plis blancs : ma vęture3 singuličre, ma lecture familičre et mon plus simple attirail, oui, ce coffre comme un
livre est aussi comme un cheval, fidčle contre mes jambes, que je selle, je harnache,
pose sur un petit banc, selle et bride, bride et sangle ou dessangle dans la chambre de
l'hôtel proverbial.
Oui, au voyageur moderne sa valise en somme reste comme un reste de
cheval.
1. Ferrures en métal blanc argenté.
2. Prendre dans la paume de la main.
3. Habit, vętement.
Texte D : Jacques Réda. « La Bicyclette », Retour au Calme, 1989.
Passant dans la rue un dimanche ŕ six heures, soudain,
Au bout d’un corridor fermé de vitres en losange,
On voit un torrent de soleil qui roule entre des branches
Et se pulvérise ŕ travers les feuilles d’un jardin,
Avec des éclats palpitants au milieu du pavage
Et des gouttes d’or — en suspens aux rayons d’un vélo.
C’est un grand vélo noir, de proportions parfaites,
Qui touche ŕ peine au mur. Il a la grâce d’une bęte
En éveil dans sa fixité calme : c’est un oiseau.
La rue est vide. Le jardin continue en silence
De déverser ŕ flots ce feu vert et doré qui danse
Pieds nus, ŕ petits pas légers sur le froid du carreau.
Parfois un chien aboie ainsi qu’aux abords d’un village.
On pense ŕ des murs écroulés, ŕ des bois, des étangs.
La bicyclette vibre alors, on dirait qu’elle entend.
Et voudrait-on s’en emparer, puisque rien ne l’entrave,
On devine qu’avant d’avoir effleuré le guidon
Éblouissant, on la verrait s’enlever d’un seul bond
Ŕ travers le vitrage ŕ demi noyé qui chancelle,
Et lancer dans le feu du soir les grappes d’étincelles
Qui font ŕ présent de ses roues deux astres en fusion.
I- Aprčs avoir pris connaissance de
l'ensemble des textes, vous répondrez d'abord aux deux questions suivantes (6
points) :
1. Quelle évolution remarquez-vous dans la forme des počmes qui composent ce corpus ? (3 points)
2. Par quels procédés les počtes donnent-ils vie aux objets ? {3 points)
II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets
suivants (14 points) :
-
Commentaire
Vous ferez le commentaire composé du počme de J. Réda, « La Bicyclette », en montrant
:
- comment le počme progresse de la description de l'objet réel ŕ la transcription d'une vision.
- comment cette métamorphose est mise en scčne.
-
Dissertation
La poésie a-t-elle pour fonction d'exprimer la réalité du monde ou de la transfigurer ?
Vous répondrez ŕ cette question en vous appuyant sur le corpus de počmes ci-dessus mais aussi sur les śuvres poétiques que vous avez lues ou étudiées.
-
Invention
Choisissez un objet du quotidien et décrivez-le dans un texte en prose, bref mais dense, en faisant ressortir ses aspects insolites. Vous veillerez ŕ vous détacher de la fonction utilitaire de cet objet pour observer sa forme, sa couleur...
Vous ne signerez pas votre texte.
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