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Voir sur Amazon
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Aie
le courage de te servir de ton propre
entendement. Voilà la devise
des Lumières.
Emmanuel Kant
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1715 |
1723 |
1750 |
1751 |
1756 |
1774 |
1776 |
1789 |
1792 |
1794 |
1799 |
e
mot "Lumières" désigne métaphoriquement le mouvement
intellectuel qui caractérise le dix-huitième siècle
européen : illuminismo en italien, ilustración
en espagnol, Aufklärung en allemand évoquent
semblablement le passage de la nuit au jour, de
l'obscurantisme à la connaissance rationnelle, qui
marque cette époque décidée à secouer tous les jougs qui
pesaient jusque-là sur les peuples. En France, le mot
"mouvement" semble plus approprié qu'ailleurs puisque,
fédérés par l'Encyclopédie, les philosophes ont
conjugué leurs efforts pour proposer une refonte générale de
l'entendement au nom d'un attachement commun aux valeurs
de la bourgeoisie montante — mérite, travail, libre
entreprise — encouragées par le modèle idéal du despote
éclairé. Venus d'horizons différents, ils peuvent varier sur
certains aspects de la vie sociale (on consultera sur
d'autres pages ), mais leur accord résonne
dans le cri de guerre entendu par Condorcet : raison,
tolérance, humanité.
C'est au nom de cette dernière en effet que se
déploie toujours le zèle des encyclopédistes, et nos quatre
textes veulent en donner l'illustration : tant sur le plan
de la connaissance que sur celui de la vie morale, les
philosophes sont animés par leur considération pour le
genre humain et par leur foi dans sa marche vers
le progrès.
1. « Il fallait un
siècle philosophe. »
Née
en 1748 du projet de
Diderot de traduire la Cyclopædia de l'anglais
Ephraïm Chambers (1728) pour l'éditeur Le Breton, l'Encyclopédie
ou Dictionnaire raisonné des
sciences, des arts et des métiers
a l'ambition de faire l'inventaire des acquisitions de
l'esprit humain et de favoriser la diffusion de la
philosophie des Lumières. Voltaire résume
ainsi son histoire : "Le siècle passé a mis
celui où nous sommes en état de rassembler en un corps, et
de transmettre à la postérité le dépôt de toutes les
sciences et de tous les arts, tous poussés aussi loin que
l'industrie humaine a pu aller; et c'est à quoi a travaillé
une société de savants remplis d'esprit et de lumières. Cet
ouvrage immense et immortel semble accuser la brièveté de la
vie des hommes. Il a été commencé par MM. Diderot et
d'Alembert, traversé et persécuté par l'envie et
l'ignorance, ce qui est le destin de toutes les grandes
entreprises" (Le siècle de Louis XIV). L'ouvrage
est certes un dictionnaire, mais offre surtout une
critique raisonnée des savoirs, dont chaque article, par
le système des renvois, souligne l'unité. Il leur
adjoint aussi pour la première fois les arts mécaniques,
que onze volumes de planches permettent de découvrir. L'Encyclopédie
est ainsi le meilleur témoignage sur l'esprit des
Lumières, où se conjuguent l'appétit de savoir, la
liberté de pensée et la nécessité de douter.
Denis Diderot
(1713-1784)
Article "Encyclopédie" (Encyclopédie,
1751)
[Chargé
avec d'Alembert de l'édition de l'Encyclopédie,
Diderot s'y employa avec une énergie
considérable, à laquelle on ne manqua pas
d'opposer censures et emprisonnements.
Touche-à-tout de génie, il a donné à l'ouvrage
ses caractères originaux et su définir son
but, à la fois didactique et humaniste :
répandre le savoir pour engendrer la liberté
et le bonheur.]
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Encyclopédie.
Ce mot signifie enchaînement de
connaissances; il est composé de la
préposition grecque en, et des
substantifs kuklos, cercle, et paideia,
connaissance.
En effet, le but d'une Encyclopédie est
de rassembler les connaissances éparses sur la
terre; d'en exposer le système général aux
hommes avec qui nous vivons, et de le
transmettre aux hommes qui viendront après nous,
afin que les travaux des siècles passés n'aient
pas été des travaux inutiles pour les siècles
qui succéderont; que nos neveux, devenant plus
instruits, deviennent en même temps plus
vertueux et plus heureux, et que nous ne
mourions pas sans avoir bien mérité du genre
humain. [...]
C'est à l'exécution de ce projet étendu,
non seulement aux différents objets de nos
académies, mais à toutes les branches de la
connaissance humaine, qu'une Encyclopédie doit
suppléer; ouvrage qui ne s'exécutera que par une
société de gens de lettres et d'artistes, épars,
occupés chacun de sa partie, et liés seulement
par l'intérêt général du genre humain, et par un
sentiment de bienveillance réciproque. [...]
J'ai dit qu'il n'appartenait qu'à un
siècle philosophe de tenter une Encyclopédie; et
je l'ai dit, parce que cet ouvrage demande
partout plus de hardiesse dans l'esprit, qu'on
n'en a communément dans les siècles pusillanimes
du goût. Il faut tout examiner, tout remuer sans
exception et sans ménagement; oser voir [...]
que ceux qui sont venus après les premiers
inventeurs n'ont été, pour la plupart, que leurs
esclaves; que les productions qu'on devait
regarder comme le premier degré, prises
aveuglément pour le dernier terme, au lieu
d'avancer un art à sa perfection, n'ont servi
qu'à le retarder, en réduisant les autres hommes
à la condition servile d'imitateurs. [...] Il
faut fouler aux pieds toutes ces vieilles
puérilités; renverser les barrières que la
raison n'aura point posées; rendre aux sciences
et aux arts une liberté qui leur est si
précieuse. [...]
Je sais que ce sentiment n'est pas celui
de tout le monde; il y a des têtes étroites, des
âmes mal nées, indifférentes sur le sort du
genre humain, et tellement concentrées dans leur
petite société qu'elles ne voient rien au-delà
de son intérêt. [...] A quoi bon divulguer les
connaissances de la nation, ses transactions
secrètes, ses inventions, son industrie, ses
ressources, ses mystères, sa lumière, ses arts
et toute sa sagesse ! Ne sont-ce pas là les
choses auxquelles elle doit une partie de sa
supériorité sur les nations rivales et
circonvoisines ? Voilà ce qu'ils disent; et
voici ce qu'ils pourraient encore ajouter. Ne
serait-il pas à souhaiter qu'au lieu d'éclairer
l'étranger, nous pussions répandre sur lui des
ténèbres, et plonger dans la barbarie le reste
de la terre, afin de le dominer plus sûrement ?
Ils ne font pas attention qu'ils n'occupent
qu'un point sur ce globe, et qu'ils n'y dureront
qu'un moment; que c'est à ce point et à cet
instant qu'ils sacrifient le bonheur des siècles
à venir et de l'espèce entière.
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Questions
:
- Comment
ce texte manifeste-t-il ces trois caractères des
Lumières que sont l'amour du genre humain, la confiance
dans ses progrès grâce au savoir et l'exercice critique
de la raison ? Retrouvez ces notions dans de Dumarsais (1730).
-
Recensez les procédés qui donnent au texte sa force de
conviction. Identifiez-en notamment les différents
registres.
-
Jean-Paul
Sartre a souligné l'engagement du philosophe au
XVIIIème siècle : "Un ouvrage de l'esprit était alors
un acte doublement [...] puisqu'il produisait des
idées qui devaient être à l'origine de bouleversements
sociaux et puisqu'il mettait en danger son auteur. Et
cet acte, quel que soit le livre considéré, se définit
toujours de la même manière : il est libérateur. Au
temps des encyclopédistes, il s'agit de contribuer par
sa plume à la libération de l'homme tout court." (Qu'est-ce
que la littérature ?). A travers un , vous
pourrez avoir une idée de cet engagement et de la
solidarité qui scelle la classe des philosophes.
2. «
Joindre à la noblesse de l'âme les lumières de l'esprit.
»
Les codes de bienséance et
de sociabilité établis au siècle précédent se sont
aisément inscrits dans le nouveau décor de la vie
intellectuelle au XVIIIème siècle : si
les salons, les clubs et les cafés ont remplacé la Cour,
on exige toujours en effet de l'honnête homme les mêmes
vertus. "L'homme n'est point un monstre qui ne
doive vivre que dans les abîmes de la mer ou au fond
d'une forêt, écrit Dumarsais; les seules nécessités
de la vie lui rendent le commerce des autres nécessaire; et
dans quelque état où il puisse se trouver, ses besoins et le
bien-être l'engagent à vivre en société. Ainsi la raison
exige de lui qu'il étudie et qu'il travaille à acquérir les
qualités sociables." (Article Philosophe).
On notera que c'est en effet la raison qui, ici encore,
est garante de la probité : pour l'homme privé comme pour
le monarque, que les philosophes ont tous rêvé sous la
forme du "despote éclairé", l'amour du genre humain est
une véritable mystique.
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Claude-Adrien
Helvétius (1715-1771)
De l'esprit
(1758)
[Fermier général,
Helvétius consacra toute sa fortune au soutien
de la philosophie des Lumières. Collaborateur
de l'Encyclopédie, il y apporta son
matérialisme, qui fait de l'homme le produit
de l'éducation, et son ardent désir d'une
refonte de la législation. Son ouvrage
essentiel, De l'esprit, fut condamné
à être brûlé, et Helvétius dut se rétracter
publiquement.
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La
vérité est ordinairement trop mal accueillie des
princes et des grands, pour séjourner longtemps
dans les cours. Comment habiterait-elle un pays
où la plupart de ceux qu'on appelle les honnêtes
gens, habitués à la bassesse et à la flatterie,
donnent et doivent réellement donner à ces vices
le nom d'usage du monde ? L'on aperçoit
difficilement le crime où se trouve l'utilité.
Qui doute cependant que certaines flatteries ne
soient plus dangereuses et par conséquent plus
criminelles aux yeux d'un prince ami de la
gloire, que des libelles faits contre lui ? Non
que je prenne ici le parti des libelles : mais
enfin une flatterie peut, à son insu détourner
un bon prince du chemin de la vertu, lorsqu'un
libelle peut quelquefois y ramener un tyran. Ce
n'est souvent que par la bouche de la licence
que les plaintes des opprimés peuvent s'élever
jusqu'au trône. Mais l'intérêt cachera toujours
de pareilles vérités aux sociétés particulières
de la cour. Ce n'est, peut-être, qu'en vivant
loin de ces sociétés qu'on peut se défendre des
illusions qui les séduisent. Il est du moins
certain que, dans ces mêmes sociétés, on ne peut
conserver une vertu toujours forte et pure, sans
avoir habituellement présent à l'esprit le
principe de l'utilité publique, sans avoir une
connaissance profonde des véritables intérêts de
ce public, par conséquent de la morale et de la
politique. La parfaite probité n' est jamais le
partage de la stupidité; une probité sans
lumières n'est, tout au plus, qu'une probité
d'intention, pour laquelle le public n'a et ne
doit effectivement avoir aucun égard, 1 parce
qu'il n'est point juge des intentions; 2 parce
qu'il ne prend, dans ses jugements, conseil que
de son intérêt. S'il soustrait à la mort celui
qui par malheur tue son ami à la chasse, ce n'
est pas seulement à l'innocence de ses
intentions qu'il fait grâce, puisque la loi
condamne au supplice la sentinelle qui s'est
involontairement laissé surprendre au sommeil.
Le public ne pardonne, dans le premier cas, que
pour ne point ajouter à la perte d'un citoyen
celle d'un autre citoyen; il ne punit, dans le
second, que pour prévenir les surprises et les
malheurs auxquels l'exposerait une pareille
invigilance. Il faut donc, pour être honnête,
joindre à la noblesse de l'âme les lumières de
l'esprit. Quiconque rassemble en soi ces
différents dons de la nature, se conduit
toujours sur la boussole de l'utilité publique.
Cette utilité est le principe de toutes les
vertus humaines, et le fondement de toutes les
législations. Elle doit inspirer le législateur,
forcer les peuples à se soumettre à ses lois;
c'est enfin à ce principe qu'il faut sacrifier
tous ses sentiments, jusqu'au sentiment même de
l'humanité.
L'humanité publique est quelquefois
impitoyable envers les particuliers. Lorsqu'un
vaisseau est surpris par de longs calmes, et que
la famine a, d'une voix impérieuse, commandé de
tirer au sort la victime infortunée qui doit
servir de pâture à ses compagnons, on l'égorge
sans remords : ce vaisseau est l'emblème de
chaque nation; tout devient légitime et même
vertueux pour le salut public.
Discours II,
chapitre VI, Des moyens de s'assurer de la
vertu.
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Questions
:
- Relevez
dans ce texte les allusions polémiques et les
précautions prises par l'auteur.
- Le salut public : en quoi la fin
de ce texte annonce-t-elle le sacrifice des sentiments
privés au nom de l'utilité publique, qu'on observera
notamment dans le règne de vertu et de terreur établi
par un Robespierre ? Prenez connaissance du texte de évoquant la tentative de juridiction de
l'amitié initiée par Saint-Just. Vous pourrez l'utiliser
pour discuter cette affirmation d'Helvétius :
"tout devient légitime et même vertueux pour le salut
public."
3. « Les
titres légitimes de la souveraineté. »
"Aucun homme n'a reçu de la
nature le droit de commander aux autres", écrit Diderot (Article
Autorité
politique, Encyclopédie). Si l'esprit
des Lumières souffle en faveur de la démocratie, c'est au
nom de cette recherche de la légitimité du pouvoir, que
les philosophes ont trouvée dans le concours que l'on peut
apporter au bien public. A vrai dire, de sérieuses
nuances les divisent sur ce point, et l'on chercherait
vainement chez la plupart la volonté de confier ce pouvoir
au peuple. C'est bel et bien pour elle-même que la
bourgeoisie philosophique convoite ce droit de commander,
qu'elle souhaite réserver en toute équité à ceux que
distingue le mérite. Il suffit néanmoins que ce dernier se
définisse par la conscience de l'intérêt général pour
qu'il constitue l'arme la plus offensive contre les
privilèges et l'absolutisme.
d'Holbach
(1723-1789)
La morale universelle ou Les devoirs de
l'homme fondés sur sa nature (1776)
[Collaborateur
important de l'Encyclopédie, où il
signe notamment le fulminant article
"Prêtres", Paul-Henri Thiry, baron d'Holbach,
est un des premiers représentants du
matérialisme du
XVIII° siècle :
"Des âmes physique et des besoins physiques
demandent un bonheur physique et des objets
réels et préférables aux chimères dont
depuis tant de siècles on repaît nos
esprits", écrit-il dans son Système
de la nature. La
morale lui paraît à ce titre devoir
résulter d'un pacte
social bâti sur la sublimation de l'état
de nature et sur la vigilance de la
raison.]
|
|
Dépendre de quelqu'un, c'est avoir besoin de lui
pour se conserver et se rendre heureux. Le
besoin est le principe et le motif de la vie
sociale; nous dépendons de ceux qui nous
procurent des biens que nous serions incapables
d'obtenir par nous-mêmes. L'autorité des parents
et la dépendance des enfants, ont pour principe
le besoin continuel qu'ont ces derniers de
l'expérience, des conseils, des secours, des
bienfaits, de la protection de leurs parents
pour obtenir des avantages qu'ils sont
incapables de se procurer. C'est sur les mêmes
motifs que se fonde l'autorité de la société et
de ses lois, qui, pour le bien de tous, doivent
commander à tous. La diversité et l'inégalité
que la nature a mises entre les hommes, donne
une supériorité naturelle à ceux qui surpassent
les autres par les forces du corps, par les
talents de l'esprit, par une grande expérience,
par une raison plus éclairée, par des vertus et
des qualités utiles à la société. Il est juste
que celui qui se trouve capable de faire jouir
les autres de grands biens, soit préféré à celui
qui ne leur est bon à rien. La nature ne soumet
les hommes à d'autres hommes que par les besoins
qu'elle leur donne et qu'ils ne peuvent
satisfaire sans leurs secours. Toute
supériorité, pour être juste, doit être fondée
sur les avantages réels dont on fait jouir les
autres hommes. Voilà les titres légitimes de la
souveraineté, de la grandeur, des richesses, de
la noblesse, de toute espèce de puissance :
voilà la source raisonnable des distinctions et
des rangs divers qui s'établissent dans une
société. L'obéissance et la subordination
consistent à soumettre ses actions à la volonté
de ceux que l'on juge capables de procurer les
biens que l'on désire, ou d'en priver.
L'espérance de quelque bien ou la crainte de
quelque mal sont les motifs de l'obéissance du
sujet envers son prince, du respect du citoyen
pour ses magistrats, de la déférence du peuple
pour les grands, de la dépendance où les pauvres
sont des riches et des puissants, etc. Mais si
la justice approuve la préférence ou la
supériorité que les hommes accordent à ceux qui
sont les plus utiles à leur bien-être, la
justice cesse d'approuver cette préférence
aussitôt que ces hommes supérieurs abusent de
leur autorité pour nuire. La justice se nomme équité,
parce que, nonobstant l'inégalité naturelle des
hommes, elle veut qu'on respecte également les
droits de tous, et défend aux plus forts de se
prévaloir de leurs forces contre les plus
faibles.
On voit, d'après ces principes, que la
société, ou ceux qu'elle a choisis pour annoncer
ses lois, exercent une autorité qui doit être
reconnue par tous ceux qui jouissent des
avantages de la société. Si les lois sont
justes, c'est-à-dire conformes à l'utilité
générale et au bien des êtres associés, elles
les obligent tous également, et punissent très
justement ceux qui les violent. Punir quelqu'un
c'est lui causer du mal, c'est le priver des
avantages dont il jouissait, et dont il aurait
continué de jouir, s'il eût suivi les règles de
la justice indiquées par la prudence de la
société. Destinée à conserver les droits des
hommes et à les garantir de leurs passions
mutuelles, la loi doit punir ceux qui se
montrent rebelles aux volontés générales. Elle
peut priver du bien-être et réprimer ceux qui
troublent la félicité publique, afin de contenir
par la crainte ceux que leurs passions empêchent
d'entendre la voix publique et qui refusent de
remplir les engagements du pacte social.
Section 2,
chapitre 5, De l'autorité.
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Questions
:
- En quoi d'Holbach légitime-t-il
ici l'inégalité naturelle entre les hommes et la
sanction sociale ? Pourquoi néanmoins
celles-ci restent-elles inséparables de la justice ?
- Repérez les allusions polémiques
à l'adresse de la monarchie absolue. Comment, à l'aide
de ce texte, peut-on définir la notion de
"despote éclairé" ?
4. « La
nature n'a mis aucun terme à nos espérances. »
L'amour du genre humain, qui
marque les Lumières, ne peut manquer de s'accompagner de
la plus grande confiance dans son génie et dans ses
progrès. Les contacts de plus en plus étroits avec
d'autres civilisations ont pu susciter, il est vrai,
quelques doutes quant au bien-fondé des valeurs
occidentales et à leur supériorité. Mais si le mythe du bon
sauvage a séduit certains d'entre eux (on pense à
Rousseau et au Diderot du ), la
plupart des philosophes du siècle sont animés par la
conviction qu'un "amour de l'ordre anime en secret le
genre humain" (Voltaire, Essai sur les mœurs)
et que l'effort vers la civilisation est inscrit dans la
nature. Leur matérialisme et leur scientisme les incitent
d'ailleurs à apercevoir dans les
phénomènes naturels ce même ordre dont l'homme ne
saurait s'excepter.
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Condorcet
(1743-1794)
Esquisse d'un tableau historique des
progrès de l'esprit humain (1793-1794)
[Philosophe
et mathématicien, Jean-Antoine-Nicolas de
Caritat, marquis de Condorcet, fut l'homme des
grands combats du siècle : esclavage, droits
des femmes, réformes nécessaires à la société
française... Décrété d'accusation en 1793, il
travailla dans la clandestinité à cette
Esquisse
et, finalement arrêté, mourut dans sa
prison.]
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Si l'homme peut prédire, avec une assurance
presque entière les phénomènes dont il connaît
les lois; si, lors même qu'elles lui sont
inconnues, il peut, d'après l'expérience du
passé, prévoir, avec une grande probabilité, les
événements de l'avenir; pourquoi regarderait-on
comme une entreprise chimérique, celle de
tracer, avec quelque vraisemblance, le tableau
des destinées futures de l'espèce humaine,
d'après les résultats de son histoire ? Le seul
fondement de croyance dans les sciences
naturelles, est cette idée que les lois
générales, connues ou ignorées, qui règlent les
phénomènes de l'univers, sont nécessaires et
constantes; et par quelle raison ce principe
serait-il moins vrai pour le développement des
facultés intellectuelles et morales de l'homme,
que pour les autres opérations de la nature ?
Enfin, puisque des opinions formées d'après
l'expérience du passé, sur des objets du même
ordre, sont la seule règle de la conduite des
hommes les plus sages, pourquoi interdirait-on
au philosophe d'appuyer ses conjectures sur
cette même base, pourvu qu'il ne leur attribue
pas une certitude supérieure à celle qui peut
naître du nombre, de la constance, de
l'exactitude des observations ?
Nos espérances sur l'état à venir de
l'espèce humaine peuvent se réduire à ces trois
points importants : la destruction de
l'inégalité entre les nations; les progrès de
l'égalité dans un même peuple; enfin, le
perfectionnement réel de l'homme. Toutes les
nations doivent-elles se rapprocher un jour de
l'état de civilisation où sont parvenus les
peuples les plus éclairés, les plus libres, les
plus affranchis de préjugés, tels que les
français et les anglo-américains ? Cette
distance immense qui sépare ces peuples de la
servitude des nations soumises à des rois, de la
barbarie des peuplades africaines, de
l'ignorance des sauvages, doit-elle peu à peu
s'évanouir ?
Y a-t-il sur le globe des contrées dont
la nature ait condamné les habitants à ne jamais
jouir de la liberté, à ne jamais exercer leur
raison ?
Cette différence de lumières, de moyens
ou de richesses, observée jusqu'à présent chez
tous les peuples civilisés entre les différentes
classes qui composent chacun d'eux; cette
inégalité, que les premiers progrès de la
société ont augmentée, et pour ainsi dire
produite, tient-elle à la civilisation même, ou
aux imperfections actuelles de l'art social ?
Doit-elle continuellement s'affaiblir pour faire
place à cette égalité de fait, dernier but de
l'art social, qui, diminuant même les effets de
la différence naturelle des facultés, ne laisse
plus subsister qu'une inégalité utile à
l'intérêt de tous, parce qu'elle favorisera les
progrès de la civilisation, de l'instruction et
de l'industrie, sans entraîner, ni dépendance,
ni humiliation, ni appauvrissement; en un mot,
les hommes approcheront-ils de cet état où tous
auront les lumières nécessaires pour se conduire
d'après leur propre raison dans les affaires
communes de la vie, et la maintenir exempte de
préjugés, pour bien connaître leurs droits et
les exercer d'après leur opinion et leur
conscience; où tous pourront, par le
développement de leurs facultés, obtenir des
moyens sûrs de pourvoir à leurs besoins; où
enfin, la stupidité et la misère ne seront plus
que des accidents, et non l'état habituel d'une
portion de la société ?
Enfin, l'espèce humaine doit-elle
s'améliorer, soit par de nouvelles découvertes
dans les sciences et dans les arts, et, par une
conséquence nécessaire, dans les moyens de
bien-être particulier et de prospérité commune;
soit par des progrès dans les principes de
conduite et dans la morale pratique; soit enfin
par le perfectionnement réel des facultés
intellectuelles, morales et physiques, qui peut
être également la suite, ou de celui des
instruments qui augmentent l'intensité et
dirigent l'emploi de ces facultés, ou même de
celui de l'organisation naturelle de l'homme ?
En répondant à ces trois questions, nous
trouverons, dans l'expérience du passé, dans
l'observation des progrès que les sciences, que
la civilisation ont faits jusqu'ici, dans
l'analyse de la marche de l'esprit humain et du
développement de ses facultés, les motifs les
plus forts de croire que la nature n'a mis aucun
terme à nos espérances.
Dixième
époque, Des progrès futurs de l'esprit
humain.
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Questions
:
- Constitué pour l'essentiel
d'interrogations, ce texte affirme néanmoins une thèse.
Reformulez-la
nettement et précisez ses trois arguments essentiels.
- Avec le recul qui est le nôtre, comment
peut-on nuancer la conviction de Condorcet à propos de
l'accession de tous les peuples à la civilisation ? La
confiance qu'il manifeste dans leur égalité future
n'a-t-elle pas aussi validé les entreprises
colonialistes et permis une abolition regrettable des
différences ?
5. Une
image :
Jean Huber, Un dîner
de philosophes, 1772
ou 1773, Voltaire
Foundation, Oxford.
Le peintre Jean
Huber (1721-1786) devint l'un des familiers de
Voltaire et, sous la forme de croquis, de tableaux ou de
découpures, laissa des témoignages essentiels sur la vie
quotidienne du patriarche de Ferney. Le tableau ci-dessus
donne une assez bonne idée de la « cour » que Voltaire
entretint dans son château, lui que l'interdit de séjour à
Versailles, promulgué par Louis XV, transforma en «
aubergiste de l'Europe », à deux pas de la Suisse. Au
centre, entouré de Huber et de Saint-Lambert, levant la main
comme pour imposer le silence, Voltaire semble vouloir
laisser la parole à Diderot (à droite), cependant que
Condorcet (à gauche) continue son aparté avec le père Adam,
lui aussi familier de Voltaire et bien le seul
ecclésiastique qu'il tolérât ! On reconnaît encore La Harpe,
Marmontel et Grimm. Ces conversations brillantes, bien à
l'écart des princes, sont une des caractéristiques
essentielles de ce siècle où les idées font leur chemin à
partir des salons et des cafés.
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