[...]
ô lumière amicale
ô fraîche source de la lumière
ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole
ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur ni
l'électricité
ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel
mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre
gibbosité d'autant plus bienfaisante que la terre
déserte
davantage la terre
silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus
terre
ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée
contre la clameur du jour
ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'œil
mort de la terre
ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale
elle plonge dans la
chair rouge du sol elle
plonge dans la chair ardente du ciel elle
troue l'accablement opaque de sa droite patience.
-
- Eiapour
le Kaïlcédrat
royal !
- Eia pour ceux qui n'ont
jamais rien inventé pour
ceux qui n'ont jamais rien exploré pour
ceux qui n'ont jamais rien dompté
-
mais ils s'abandonnent,
saisis, à l'essence de toute chose ignorants
des surfaces mais saisis par le mouvement de toute chose
insoucieux de
dompter, mais jouant le jeu du monde véritablement
les fils aînés du monde poreux
à tous les souffles du monde aire
fraternelle de tous les souffles du monde lit
sans drain de toutes les eaux du monde étincelle
du feu sacré du monde chair
de la chair du monde palpitant du mouvement même du
monde !
Tiède
petit matin de vertus ancestrales
Sang ! Sang ! tout
notre sang ému par le cœur mâle du soleil
ceux qui savent la féminité de la lune au corps d'huile
l'exaltation réconciliée de l'antilope et de l'étoile
ceux dont la survie chemine en la germination de l'herbe
!
Eia parfait cercle du monde et close concordance ! -
Écoutez le monde blanc
horriblement las de son effort immense
ses articulations rebelles craquer sous les étoiles
dures
ses raideurs d'acier bleu transperçant la chair mystique
écoute ses victoires proditoires trompeter ses défaites
écoute aux alibis grandioses son piètre trébuchement
Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs !
[...]
Même
consigne
pour ce poème que pour celui de Senghor : complétez le
tableau suivant en vue d'un commentaire qui
s'attacherait à souligner son caractère oratoire :
I
- Un réquisitoire
|
II
- Le chant de louange de tout un peuple
|
-
Le jeu des oppositions :
- elles opposent les valeurs blanches
aux valeurs noires :
- elles valorisent les unes pour
déprécier les autres :
- Les formes didactiques :
- elles s'adressent à un lecteur
complice :
- elles visent à réhabiliter une autre
forme d'entendement :
|
- Un rythme
incantatoire :
- les anaphores :
- les formes exclamatives :
- Une tendresse fraternelle :
- des formes laudatives :
- des métaphores « élémentaires » :
|
René
DEPESTRE
(né en 1926)
Minerai
Noir
(1956)
|
|
5
10
15
20
25
30
35
40
45 |
Quand
la sueur de l'Indien se trouva brusquement
tarie par le soleil
Quand la frénésie de l'or draina au marché
la dernière goutte de sang indien
De sorte qu'il ne resta plus un seul Indien
aux alentours des mines d'or
On se tourna vers le fleuve musculaire de
l'Afrique
Pour assurer la relève du désespoir
Alors commença la ruée vers l'inépuisable
Trésorerie de la chair noire
Alors commença la bousculade échevelée
Vers le rayonnant midi du corps noir
Et toute la terre retentit du vacarme des
pioches
Dans l'épaisseur du minerai noir
Et tout juste si des chimistes ne pensèrent
Au moyen d'obtenir quelque alliage précieux
Avec le métal noir tout juste si des dames
ne
Rêvèrent d'une batterie de cuisine
En nègre du Sénégal d'un service à thé
En massif négrillon des Antilles
Tout juste si quelque curé
Ne promit à sa paroisse
Une cloche coulée dans la sonorité du sang
noir
Ou encore si un brave Père Noël ne songea
Pour sa visite annuelle
A des petits soldats de plomb noir
Ou si quelque vaillant capitaine
Ne tailla son épée dans l'ébène minéral
Toute la terre retentit de la secousse des
foreuses
Dans les entrailles de ma race
Dans le gisement musculaire de l'homme noir
Voilà de nombreux siècles que dure
l'extraction
Des merveilles de cette race
O couches métalliques de mon peuple
Minerai inépuisable de rosée humaine
Combien de pirates ont exploré de leurs
armes
Les profondeurs obscures de ta chair
Combien de flibustiers se sont frayé leur
chemin
A travers la riche végétation des clartés de
ton corps
Jonchant tes années de tiges mortes
Et de flaques de larmes
Peuple dévalisé peuple de fond en comble
retourné
Comme une terre en labours
Peuple défriché pour l'enrichissement
Des grandes foires du monde
Mûris ton grisou dans le secret de ta nuit
corporelle
Nul n'osera plus couler des canons et des
pièces d'or
Dans le noir métal de ta colère en crues. |
Pour
ce poème, dont nous souhaiterons montrer le caractère «
engagé », nous proposons les axes largement complétés.
Vous pourrez ici vous entraîner à rédiger
le commentaire :
I
- L'expression de la fraternité |
|
-
un discours : un « je » ("ma", "mon"
aux vers 27 et 31) s'adresse à un « tu » ("ta", "ton",
"tes", vers 34-45). Les apostrophes ("peuple",
vers 39 et 41), l'invocation (vers 31) induisent comme une
contemplation émue. A ces formes oratoires, il faut
ajouter la fréquence des anaphores ("combien",
vers 33 et 35; "peuple", vers 39 et 41) qui
créent un effet de lamentation.
-
les formes mélioratives s'émerveillent de la
beauté d'une race ("fleuve musculaire", vers 4; "rayonnant
midi du corps noir", vers 9; "sonorité du sang
noir", vers 20; "merveilles de cette race",
vers 30; "rosée humaine", vers 32; "riche
végétation", vers 36).
-
l'expression de la pitié : le ton pathétique
est dû aux adjectifs dévalorisants ("dévalisé,
défriché, retourné", vers 39-41), à l'évocation de
l'innocence ("massif négrillon, petits soldats de
plomb noir") exploitée par l'appât du gain ("bousculade,
ruée, secousse des foreuses, grandes foires du monde").
II
- L'expression de la colère et de la révolte |
- une structure éloquente : à
l'évocation historique (vers 1-29) succède celle du présent
marqué par les ruines (vers 29-38) puis d'une futur de
vengeance (vers 39-45). La première partie est une sorte de
prose désarticulée qui souligne l'horreur de l'évocation et
marque aussi un refus de la métrique occidentale. Les
deuxième et troisième parties renouent avec le verset
musical pour exprimer la plainte et la colère.
- la monstruosité : elle
est due à la réification de l'homme noir, réduit à l'état de
matière exploitée ("minerai noir, trésorerie de la chair
noire, métal noir, massif négrillon, ébène minéral,
gisement musculaire"). Cette horreur est rehaussée
par l'anaphore "tout juste" qui révèle un comble
presque atteint (vers 12-21).
- les formes épiques :
elles sont dues au vocabulaire guerrier ("relève, épée,
pirates, armes") mais aussi aux anaphores ("quand",
vers 1-2; "alors", vers 6-8; "tout juste",
vers 12-21; "combien", vers 33 et 35). Ces
anaphores provoquent un effet hyperbolique par l'énormité
des actions guerrières et de leur résultat ("flaques de
larmes, années de tiges mortes") d'où surgit la
volonté de vengeance promise avec la même violence ("grisou,
colère en crues").