|
LACLOS
LES LIAISONS DANGEREUSES
(suite)
|
Résumé
:
Valmont a fini par obtenir de Cécile la clef qui
lui ouvre sa chambre. De fait, il la séduit dans
la nuit qui suit. Prise par le remords, Cécile
se confie à Mme de Merteuil qui la console en
lui représentant les avantages de sa liaison
avec Valmont. Dans le même temps, la marquise
dissuade Mme de Volanges d'annuler le mariage de
Cécile et de Gercourt. Cependant Mme de Tourvel,
près de succomber, choisit la fuite, laissant
Valmont désemparé. Il la fait épier par son
chasseur Azolan, qui lui révèle les tourments de
la jeune femme et ses efforts pour ne pas lire
les lettres que Valmont lui écrit. Celui-ci
cultive alors le rôle d'un pieux personnage et
sollicite de Mme de Tourvel une entrevue par
l'intermédiaire de son confesseur. Cependant la
marquise de Merteuil, lassée de son amant
Belleroche, choisit son successeur en la
personne de Danceny, union que Valmont réprouve
et essaye de contrarier en rapprochant Cécile du
jeune homme.
|
1. Les victimes
Pour déterminer les raisons qui font de certains
personnages des victimes, on peut retenir la
typologie suggérée par Mme de Merteuil dans la
lettre LXXXI où elle évoque "les femmes
inconsidérées" avec ce même mépris qu'on lui
trouve dans les lettres CVI (vous
verriez comme je méprise les femmes assez
dépravées pour avoir un amant) ou
CXIII , dans laquelle la marquise établit que
seules les femmes d'esprit sortent victorieuses de
l'âge. C'est dire que toute abdication de la
volonté sous l'effet de l'amour passe sous le coup
du "déraisonnement" condamné par Valmont, où,
pourtant, lui-même menace de sombrer. Mme de
Merteuil classait
-
les
femmes "à délire et qui se disent à
sentiment" : d'imagination
exaltée, elles ont leurs sens dans leur tête.
On pense à Cécile de Volanges, analysée par la
marquise dans la lettre CVI, où elle
stigmatise la sotte ingénuité de la jeune
fille et sa faiblesse de caractère tout juste
à bonne à faire de ces sortes de femmes "des
machines à plaisir". Baudelaire la jugeait
"niaise, stupide et sensuelle, tout près de
l'ordure originelle" (Projet
d'étude des Liaisons dangereuses).
On verra dans notre lecture
de la lettre XCVII les caractères du
style de Cécile, qualifié par Valmont de
"petit radotage" (lettre CXV), et contre
lequel Mme de Merteuil sait la mettre en garde
: Vous écrivez toujours comme un enfant.
Je vois bien d'où cela vient; c'est
que vous dites tout ce que vous pensez, et
rien de ce que vous ne pensez pas. (lettre
CV).
Lecture
: lettre XCVII (extrait)
-
les
femmes sensibles : chez
elles, la marquise condamne la fermentation
imprudente des idées, leur occupation
exclusive aux choses de l'amour. Cette fois,
c'est à Mme de Tourvel que l'on pense.
Écartelée entre son amour et son devoir,
celle-ci se pose en héroïne tragique, et notre
lecture de la lettre CII tentera de mettre en
évidence son vocabulaire racinien et les
atermoiements que la force irrépressible de la
passion impose à la raison et à l'honneur : Où
est le temps où, tout entière à ces
sentiments louables, je ne connaissais point
ceux qui, portant dans l'âme le trouble
mortel que j'éprouve, ôtent la force de les
combattre en même temps qu'ils en imposent
le devoir ? Baudelaire (op.cit.)
voyait en elle un "type simple, grandiose,
attendrissant", une "femme naturelle", une
"Ève touchante", qu'il opposait à "l'Ève
satanique" qu'est la marquise de Merteuil.
Lecture
: lettre CII (extrait)
|
2. Typologie des faibles
Ces analyses de Mme de Merteuil permettent de
cerner l'entourage de nos deux libertins et d'y
déterminer plusieurs circonstances qui font de
certains personnages des victimes :
-
victimes
des apparences :
trois personnages, surtout, sont dupés par
les mensonges et les traquenards que leur
tendent Mme de Merteuil et Valmont. Danceny
oblige Cécile à donner à Valmont la clef qui la
perdra (lettre XCIII) et croit à l'amitié de Mme
de Merteuil (lettre CXVI); Cécile accorde la
même confiance à Valmont (lettre CXVII) et Mme
de Tourvel est piégée par ses tartufferies
(lettre CXXIV).
On a vu comment leur naïveté est
ironiquement soulignée par l'agencement des
lettres. Le lecteur savoure les illusions de Mme
de Volanges sur le chagrin de sa fille (lettre
XCVIII); celles de Mme de Rosemonde sur les
bâillements de la jeune fille (lettre CXII).
Valmont cultive ce cynisme dans la double
entente de la lettre dictée à Cécile pour
Danceny (Oh! vous avez là un bien
bon ami, je vous assure! Il fait tout comme
vous feriez vous-même, lettre CXVII).
-
victimes
de leur incertitude :
nos trois personnages sont en proie à des
hésitations perpétuelles qui les font
quémandeurs de conseils auprès de directeurs de
conscience : Mme de Tourvel auprès de Mme de
Rosemonde (lettres CIII, CVIII), Danceny auprès
de Valmont (lettre XCII), Cécile auprès de Mme
de Merteuil (lettre XCVII). De fait, ils tombent
sur des maîtres, le libertin étant pédagogue par
nature. La marquise sait communiquer à Cécile
son aversion pour le mariage (Pour ce qu'on
fait d'un mari, l'un vaut toujours bien
l'autre, lettre CV) ou inviter Danceny à
un style plus franc et simple (lettre CXXI).
Valmont se fait pour Cécile grand-prêtre d'un
"catéchisme de la débauche" et s'enchante des
progrès de son écolière (lettre CX).
-
victimes
de leur pusillanimité :
Cécile de Volanges et Mme de Tourvel sont
paralysées par les remords, la crainte du péché,
les menaces que fait peser sur elles un ordre
social qu'elles n'ont pas la force de
transgresser. Cécile se résout difficilement à
substituer la clef (maman regarde à tout, et
s'aperçoit de tout, lettre LXXXVIII); en
proie au repentir après avoir été séduite par
Valmont, elle ne trouvera à s'en libérer que sur
les conseils de Mme de Merteuil. Mme de Tourvel
offre à Valmont le spectacle pathétique du
combat qu'elle livre à sa passion (votre
idée même m'épouvante : quand je ne peux la
fuir, je la combats; je ne l'éloigne pas, mais
je la repousse, lettre XC).
Ces peurs, ces témoignages de
faiblesse ne font, bien sûr, qu'attiser les
railleries des libertins : Valmont peut ainsi
brocarder les sursauts de vertu de Cécile (De
la vertu!... c'est bien à elle qu'il convient
d'en avoir! Ah! qu'elle la laisse à la femme
véritablement née pour elle, la seule qui
sache l'embellir, qui la ferait aimer!
lettre XCIX). Ces derniers mots font visiblement
allusion à Mme de Tourvel et trahissent en
Valmont une incontestable émotion. Car, s'il
peut ricaner devant Mme de Merteuil de la
pruderie de Mme de Tourvel (Ma farouche
dévote courrait après moi, si je cessais de
courir après elle, lettre XCIX), Valmont
paraît déjà plus touché qu'il ne le dit (Ah!
laissez-moi du moins le temps
d'observer ces touchants combats entre l'amour
et la vertu, lettre XCVI).
|
Cette
gravure de l'époque signale nettement cette
convoitise !
|
Cécile et Mme de Tourvel sont enfin plus sensuelles
que la candeur de l'une et le sens du devoir de
l'autre ne le laisseraient attendre. La convoitise
homosexuelle de Mme de Merteuil à l'égard de Cécile,
après être simplement suggérée (lettres XXXVIII
et LIV), est clairement évoquée dans la lettre
LXIII, où la marquise confie à Valmont :
Vous ne sauriez croire combien la douleur
l’embellit ! Pour peu qu’elle prenne de
coquetterie, je vous garantis qu’elle pleurera
souvent : pour cette fois, elle pleurait sans
malice. Frappée de ce nouvel agrément que je ne
lui connaissais pas, et que j’étais bien aise
d’observer, je ne lui donnai d’abord que de ces
consolations gauches, qui augmentent plus les
peines qu’elles ne les soulagent ; et, par ce
moyen, je la menai au point d’être véritablement
suffoquée. Elle ne pleurait plus, et je craignis
un moment les convulsions. Je lui conseillai de se
coucher, ce qu’elle accepta ; et je lui servis de
femme de chambre : elle n’avait point fait de
toilette, et bientôt ses cheveux épars tombèrent
sur ses épaules et sur sa gorge entièrement
découvertes ; je l’embrassai ; elle se laissa
aller dans mes bras, et ses larmes recommencèrent
à couler sans effort. Dieu ! qu’elle était belle !
Ah ! si Magdeleine était ainsi, elle dut être bien
plus dangereuse, pénitente que pécheresse. Quand
la belle désolée fut au lit, je me mis à la
consoler de bonne foi. Je la rassurai d’abord sur
la crainte du couvent. Je fis naître en elle
l’espoir de voir Danceny en secret ; et m’asseyant
sur le lit : « S’il était là », lui dis-je ; puis,
brodant sur ce thème, je la conduisis, de
distraction en distraction, à ne plus se souvenir
du tout qu’elle était affligée.
C'est
en effet avec Cécile que se manifeste le mieux cet
empire des sens sur la volonté. Mme de Merteuil a
tôt perçu en elle une ingénue libertine (lettre CV),
ce qui est à ses yeux une occasion supplémentaire de
la mépriser (lettre CVI). Quant à Mme de Tourvel,
dans les accents raciniens qui la font se haïr,
percent néanmoins le langage de la passion et même
comme un regret diffus que Valmont ait, croit-elle,
l'intention de mener désormais une vie édifiante (Enfin
je le verrai s'éloigner... s'éloigner pour jamais,
et mes regards qui le suivront, ne verront pas les
siens se retourner sur moi ! lettre CXXIV).
|
3. Valmont et Merteuil
Le coup de théâtre de cette partie (mais nos
attentes de lecture nous le faisaient prévoir),
c'est l'évolution de Valmont, que la fuite de Mme
de Tourvel laisse désemparé. On repère alors dans
ses lettres les mêmes symptômes de faiblesse dont
il s'est toujours gaussé et que Mme de Merteuil
s'emploie à malignement lui reprocher :
-
le
sentiment de la fatalité : (Mais
quelle fatalité m'attache à cette femme? [...]
Il n'est plus pour moi de bonheur, de repos,
que par la possession de cette femme que je hais
et que j'aime avec une égale fureur, lettre
C).
- le désarroi qui lui fait solliciter les conseils
et l'aide de Mme de Merteuil (lettre C).
Celle-ci joue alors auprès de Valmont un rôle de
conseillère :
-
elle
persifle sa faiblesse (lettre CVI)
-
elle
l'avertit des dangers que court sa réputation
(lettre CXIII).
Sa jalousie l'inspire, bien sûr, mais ses
conseils reflètent bien la maîtrise de soi et
l'orgueil de ne pas être vaincue, ces deux
antidotes contre l'amour.
On saisit ici la réelle différence qui sépare
Valmont de Mme de Merteuil : celle-ci est femme et
place tout son orgueil dans un féminisme qui sonne
comme une revanche. Valmont semble, lui, conforme à
ce qu'elle disait des hommes dans la lettre LXXXI :
Combattant sans risque, vous devez agir sans
précaution. Pour vous autres hommes, les défaites
ne sont que des succès de moins. Dans cette partie
si inégale, notre fortune est de ne pas perdre, et
votre malheur de ne pas gagner. Quand je vous
accorderais autant de talent qu'à nous, de combien
encore ne devrions-nous pas nous surpasser, par la
nécessité où nous sommes d'en faire un continuel
usage !
|
La lutte entre
Valmont et la marquise a donc pour enjeu orgueilleux la
maîtrise de soi, la victoire sur la passion et sur la
jouissance. Dès la lettre CXXV, Valmont s'enorgueillit
d'être resté maître de soi malgré le charme inconnu qui le
possède.
Le lecteur peut alors générer une dernière
attente de lecture : dans cette lutte où c'est à qui ne
sera pas amoureux, Valmont saura-t-il résister aux
épreuves d'orgueil que lui tend Mme de Merteuil ?
Résumé
: Valmont envoie enfin à Mme de Merteuil le
bulletin de victoire qui annonce la chute de Mme
de Tourvel. Mais, loin d'être convaincue de
l'indifférence de Valmont à l'égard de celle-ci
et humiliée de ce qu'il lui rappelle sa
promesse, la marquise le met au défi de rompre.
Par orgueil, celui-ci s'exécute : il s'affiche
avec la courtisane Émilie, renoue avec Cécile,
envoie enfin à Mme de Tourvel une lettre de
rupture inspirée par Mme de Merteuil. Mais rien
ne fléchira plus celle-ci, qui triomphe d'avoir
manœuvré la vanité de Valmont. Ulcéré de se voir
préférer Danceny, ce dernier envoie à Mme de
Merteuil un ultimatum auquel elle répond par une
déclaration de guerre. Le mécanisme tragique se
met alors en branle : Valmont raccommode Cécile
et Danceny; Mme de Merteuil réplique en montrant
à celui-ci les lettres de Valmont; Danceny tue
Valmont en duel pendant que Mme de Tourvel
agonise; Cécile entre au couvent. Démasquée par
la révélation de ses lettres, huée au théâtre,
défigurée par la petite vérole, la marquise de
Merteuil s'exile en Hollande.
|
1. Les jeux de point
de vue.
Ils sont dans cette séquence particulièrement
significatifs :
-
ils
sont toujours porteurs d'ironie : on
apprécie ainsi la naïveté de Danceny, séduit par
Mme de Merteuil, qui regrette de n'avoir pas de
lettre d'elle puisque, dit-il, "une lettre est
le portrait de l'âme" ! (lettre CL)
-
ils
marquent plus que jamais l'ambiguïté des êtres
et
l'impossibilité où l'on est de parvenir à la
vérité. Ainsi, dans les trois versions de la
scène des carrosses à l'Opéra, qui est le vrai
Valmont ? (lettres CXXXV, CXXXVII,CXXXVIII). A
qui ment-il ? A Mme de Tourvel, pour "ne pas se
laisser quitter", ou à Mme de Merteuil pour
crâner dans une version cynique de l'épisode ?
On sait en fait que Valmont n'avait nullement
prémédité cette rencontre d'Émilie (comment
concilier la phrase Le désœuvrement m'avait
fait désirer d'abord de prolonger cette soirée
et celle que l'on trouve peu après J'allai
tranquillement joindre Émilie à l'Opéra
?). Mais Valmont a tant perverti la
communication qu'on ne sait où il faut le
croire. C'est par Mme de Volanges qu'on le saura
amoureux, ou par la lettre qu'il écrit à Mme de
Tourvel, et qu'on ne produit pas, faute de
pouvoir dissiper l'incertitude (lettre CLIV).
Seul le lecteur dispose de l'ensemble des lettres
et peut démêler l'écheveau de ces points de vue :
-
sensible
à l'ironie,
il peut être enclin à se trouver complice des
deux scélérats, ce qui atténue singulièrement
l'intention moralisatrice assez platement
affichée par le "rédacteur" dans la préface. Car
il en est du roman de Laclos comme du Dom
Juan de Molière : le lecteur ne peut
accorder de sympathie à ceux qui, dans ces deux
œuvres, sont chargés d'incarner les valeurs
morales admises. Ce sont des personnages
ridicules ou falots, à côté desquels ne peuvent
manquer de rayonner ces individus corrompus,
certes, mais parés de toutes les séductions de
l'intelligence : Don Juan, Merteuil, Valmont. La
chute de ce dernier, d'ailleurs, vient le
régénérer suffisamment pour qu'on le voie
porteur de la vraie morale du roman.
-
vrai
souverain de la narration parce
qu'il en connaît tous les fils, le lecteur
devine les sous-entendus, dépasse la
compréhension que la plupart des autres témoins
peuvent avoir des événements : ainsi pour les
tourments de Mme de Tourvel, que Mme de Volanges
évoque sans en connaître la cause (lettre
CXLVII).
C'est à ces témoins-là (Mme de
Rosemonde, Mme de Volanges) qu'est d'ailleurs
laissé le dernier mot, symbole du retour à
l'ordre. Ainsi un glissement s'est opéré : après
avoir été à l'égal de Merteuil, le lecteur est à
la place de Mme de Rosemonde, qui reçoit toutes
les lettres, ou de Mme de Volanges qui tire la
leçon morale (Qui pourrait ne pas frémir en
songeant aux malheurs que peut causer une
seule relation dangereuse ?, lettre
CLXXV).
Mais c'est grâce à la connaissance des vrais
enjeux, que lui ont donnée ses différents points
de vue, que le lecteur peut tirer une tout autre
morale, plus conforme à la hauteur du destin de
Valmont.
Les
jeux de point de vue : comment ils se
manifestent
|
- un même épisode est raconté par le
même personnage à des destinataires
différents :
lettres CXXXVII et CXXXVIII
- un même épisode est raconté par
plusieurs personnages à des
destinataires différents :
lettres XXI et XXII
- un même destinataire reçoit
plusieurs récits d'un même épisode :
lettres XCVI et XCVII
- un personnage envoie la même
lettre à des destinataires
différents :
lettre XLVIII (envoyée aussi à
Merteuil, v. XLVII )
|
Ce qu'ils entraînent |
- l'ironie
- l'ambiguïté, l'incertitude
- la révélation des mobiles
stratégiques du libertin
- la position privilégiée du
lecteur
- ces jeux servent-ils bien
l'intention morale affichée par le
rédacteur dans sa préface ?
|
|
2. Un univers tragique.
La
dernière partie du roman condense les
mécanismes du piège tragique comme une tragédie
resserre la crise au moment où, toutes les forces
étant posées, le dénouement n'a plus qu'à
s'accomplir seul. Ces forces sont ici celles de
l'orgueil. Elles opposent Valmont et Mme de
Merteuil dans une lutte implacable pour affirmer
sa liberté ( C'est la
brouille de ces deux scélérats qui amène les
dénouements, note Baudelaire, op.cit.).
On peut en reconstituer les étapes comme de
véritables "actes" :
- Mme
de Merteuil, jalouse, ulcérée
d'être la deuxième, dévolue au rang de récompense,
accentue son persiflage (lettre CXXVII) et parle
elle-même d'une rupture insurmontable. Valmont,
sommé de paraître maître de ses sentiments, ne
peut manquer de trahir sa tendresse pour Mme de
Tourvel (lettre CXXV).
Lecture
: lettre CXXV (extrait)
-
Le
défi : Mme
de Merteuil exige alors des sacrifices (lettre
CXXXI), mettant Valmont au défi de ne plus
considérer Mme de Tourvel que comme "une femme
ordinaire" (lettre CXXXIV), et lui propose comme
modèle la fameuse lettre où l'épiphore "Ce n'est
pas ma faute" (lettre CXLI) blesse autant Mme de
Tourvel que Valmont. Celui-ci s'exécute : il
s'indigne qu'on le croie amoureux , il multiplie
les preuves de liberté, présente Mme de Tourvel
comme un objet de travaux pratiques (lettre
CXXXIII) ou monte en épingle une vexation de la
jeune femme où il n'est pour rien (lettre
CXXXVIII). Après la rupture, il adopte devant la
marquise un ton goguenard qui met quiconque au
défi de le croire encore amoureux, mais sa
stupéfaction de croire Mme de Tourvel déjà
résignée trahit son amour pour elle (lettre
CXLIV).
-
Dernier
acte, et subite accélération :
Mme
de Merteuil révèle son piège et les mobiles de
son orgueil blessé (lettre CXLV) cependant
qu'elle fortifie ses relations avec Danceny.
Valmont doit recourir à la menace (lettres CLI
et CLIII), ce à quoi la marquise ne peut
répondre que par l'indifférence et une nouvelle
mise au défi (lettre CLII) où se révèle tout
l'orgueil féminin du personnage. C'est enfin une
déclaration de guerre (lettre CLIII) dont
l'issue est immédiate : Valmont ironise
sur les rendez-vous qu'il a fait manquer à Mme
de Merteuil et donne un excellent pastiche de
son persiflage (lettre CLVIII); celle-ci répond
par un billet (lettre CLIX) où elle annonce sa
vengeance. Ce seront les deux dernières lettres
des personnages. Le dénouement paraît d'autant
plus rapide qu'il nous est appris par d'autres
(comme les dénouements de tragédie). Il est à
cet égard significatif que ce soit au théâtre
que se consomme la chute de Mme de Merteuil
(lettre CLXXIII).
Jalousie, orgueil, volonté de puissance, voilà
bien les grands ressorts tragiques du théâtre
racinien. Il y manque l'amour :
-
C'est bien sûr celui, blessé à mort, de Mme de
Tourvel
dans une lettre où le destinataire n'est plus
nommé et qui rappelle le délire des grandes
héroïnes tragiques (lettre CLXI).
-
C'est
aussi celui de Valmont,
qui le comprend quand il est trop tard (On
n'est heureux que par l'amour, lettre
CLV). Mme de Volanges perçoit bien le mécanisme
du désespoir (lettre CLIV) et fait pour les
autres le double constat de la fatalité et de
l'impuissance de la raison (lettre CLXXV).
|
Quelle morale ? Certainement pas celle, tiède et
conformiste, des Volanges et Rosemonde, mais plutôt celle
d'un Laclos rousseauiste qui, loin de défendre une morale
sociale, infléchit sa leçon vers une apologie du sentiment
sincère. C'est en ce sens que la punition de Valmont est
exemplaire. Son cri "On n'est heureux que par
l'amour" résonne plus loin que le "prêchi-prêcha"
final de Mme de Volanges.
|