BEAUMARCHAIS
LE MARIAGE DE FIGARO

DISSERTATION

  

Objet d'étude :
Le théâtre du XVIIème au XXIème siècle.
      
 Parcours :  Comédie et satire
                          La comédie du valet.

 

  Plan détaillé proposé par Marie-Luce COLATRELLA.

 

SUJET : (adapté du "Profil d'une œuvre" Maîtres et valets dans la comédie du XVIIIe siècle, p. 36)

« Les comédies du XVIIIe siècle libèrent la parole du valet : celui-ci dit désormais ce qu'il pense, et d'abord de ses maîtres; cependant, elles ont un impact politique limité. Tout au plus peut-on dire qu'elles aident à une prise de conscience de l'injustice qui régnait dans les rapports sociaux. »


 

 Le conte, le roman et la comédie sont les médias en vogue à l'époque des Philosophes. A propos de cette dernière, Jean-Benoît Hutier constate : " Les comédies du XVIIIe siècle libèrent la parole du valet : celui-ci dit désormais ce qu'il pense, et d'abord de ses maîtres; cependant, elles ont un impact politique limité. Tout au plus peut-on dire qu'elles aident à une prise de conscience de l'injustice qui régnait dans les rapports sociaux. " Le critique souligne donc les limites du message transmis par les pièces de théâtre. Celui-ci ne serait pas révolutionnaire. Est-ce le cas dans Le Mariage de Figaro? Comment la parole du valet s'y émancipe-t-elle? Quelles revendications transmet-elle? L'audace des paroles de Figaro entraîne effectivement une réflexion sur les inégalités sociales, mais l'œuvre a suscité de telles réactions que l'on peut nuancer à son propos l'avis de Jean-Benoît Hutier sur son impact politique.


I/ LA PAROLE DU VALET

Beaumarchais, en effet, "libère la parole du valet" dans son œuvre.

1)  Libérer la parole, donner la parole. Chez Molière, les valets avaient déjà la parole, mais celle-ci n'était pas libre. Personne n'imagine Scapin ou Sganarelle disant à leurs maîtres "vous vous êtes donné la peine de naître et rien de plus" . Chez Molière, les valets n'osent critiquer leurs maîtres que lorsque ceux-ci sont ridicules. Figaro, en revanche, parle plus librement : il s'adresse parfois à son maître comme à un  "homme assez ordinaire" (c'est le propre de l'esprit des Lumières de voir d'abord l'homme et ensuite le rang).

2)  Figaro parle ouvertement de sa vie et exprime ses revendications face à un public qui n'a pas l'habitude d'écouter les serviteurs. Beaumarchais lui accorde le plus long monologue de la pièce dans l'acte V, sène 3. Il y évoque successivement ses sentiments et son expérience personnelle. Dans ce passage, l'écrivain a fait du valet son porte parole. Cette identification explique sans doute la liberté de ton de Figaro. Le thème de la liberté d'expression est d'ailleurs essentiel dans ce monologue.

3) Figaro ne se soumet pas toujours au comte, il s'adresse parfois à lui sans contrainte : dans l'acte V scène 2, il lui reproche son comportement : "Vous commandez à tous ici, hors à vous-même ". Le valet se permet de juger
son maître, ce qui est à éviter en principe!

4) Les valets vont jusqu'à critiquer leurs maîtres :
- Suzanne critique le libertinage et la malhonnêteté du comte,
- Figaro lui reproche de manière spirituelle son absence de mérite : " Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! " (acte V, scène 3). Il s'attaque donc aux privilèges de la noblesse.

5)  Toutefois, cette liberté de ton a des limites :
  Il n'y a pas d'égalité. Ni Suzanne, ni Figaro ne sont familiers envers leurs maîtres. Ils les vouvoient toujours, et les nomment " Monseigneur "ou  " Madame ". Le seul moment où Figaro se permet " Monsieur le comte ", celui-ci est absent de la scène.

   Beaumarchais a donc accordé à ses valets une audace nouvelle dans leur manière de s'exprimer; grâce à cette liberté, la comédie offre au spectateur un nouveau regard sur la société de son époque.


II/ PRISE DE CONSCIENCE DES INÉGALITÉS SOCIALES

La comédie aide à une prise de conscience de " l'injustice qui régnait dans les rapports sociaux ".

1) L'injustice fondamentale : l'inégalité de la naissance. A plusieurs reprises, Figaro évoque dans la pièce cette injustice : Acte III scènes 15, 16 et acte V scène 3. Le fait que Figaro ignore son origine permet à Beaumarchais de laisser un instant imaginer au spectateur ce qui arriverait s'il était " fils de prince ". L'acte III scène 16 évoque implicitement cette hypothèse.

2) Cette injustice due au hasard est la source de plusieurs autres que dénonce la comédie : le comte se permet des comportements illicites en toute impunité :
a) * Il veut profiter du " droit du seigneur " qu'il a aboli.
b) * Il est juge et partie dans le procès de Figaro. Il a d'ailleurs décidé avant l'audience que Figaro perdrait son procès.

3) De plus, Figaro reproche à la société et aux " gens comme il faut " (Acte V scène 3) de tout faire pour éviter que les hommes de mérite s'enrichissent : la fortune lui échappe systématiquement alors que " chacun pille " autour de [lui] en exigeant [qu'il fût] honnête."

4) Enfin Beaumarchais, par l'intermédiaire de Marceline, proteste contre l'infériorité sociale des femmes pauvres qui sont sans défense face aux séducteurs.

5) Cette prise de conscience est rendue possible par l'art de l'écrivain :
a) * il fait du spectateur un complice de Figaro dans la scène 12 de l'acte V, lorsque ce dernier laisse entendre qu'il avait rendez vous " avec une jeune personne qui [l']honore de ses bontés ".
b) * de plus, la légèreté de ton de Beaumarchais lui évite de moraliser ici comme dans La Mère coupable ; il utilise les ressources de l'esprit et du théâtre pour rendre acceptables ses idées : il prête un ton comique aux plaintes de Figaro qui charme toujours par son esprit.
        "Par le sort et la naissance
        L'un est roi, l'autre berger;
        Le hasard fit leur distance
        L'esprit seul peut tout changer."
  Voilà sans doute la conviction de l'écrivain qui reflète une réalité du siècle : Voltaire et Beaumarchais ont fréquenté la cour parce que c'étaient des hommes spirituels qui savaient rendre séduisantes leurs idées. Mais dire que l'esprit "peut tout changer" est sans doute excessif.

  Beaumarchais fait entendre ses critiques parce qu'il a l'art de "rire de tout", de faire des jeux de mots à tous propos -ces "concetti italiens" que le sérieux Louis XVI trouvait de mauvais goût-. Ainsi, il peut prétendre que ses idées ne sont pas dangereuses, puisqu'il ne s'agit que d'une comédie... Faut-il en déduire que la pièce de Beaumarchais n'a pas eu d'impact politique ?


III/ UN IMPACT POLITIQUE LIMITÉ ?

Selon Jean-Benoît Hutier, Le Mariage de Figaro a eu " un impact politique limité."

1) En effet, le dénouement ne remet pas en cause la hiérarchie sociale. Tout rentre dans l'ordre (énumération des faits). La hiérarchie sociale n'est aucunement bouleversée.

2) De plus, Beaumarchais se moque lui-même dans sa préface de ceux qui voient dans sa pièce une œuvre subversive : " dans Le Barbier de Séville, je n'avais qu'ébranlé l'État; dans ce nouvel essai, plus infâme et plus séditieux, je le renversais de fond en comble." Son ton ironique prouve qu'il ne croit pas vraiment au caractère révolutionnaire de son œuvre. Mais peut-être est-ce une feinte...

3) Cependant, la pièce a choqué Louis XVI et certains censeurs. Selon Madame Campan, le roi lui-même déclara :  " il faudrait détruire la Bastille pour que la représentation de cette pièce ne fût pas une inconséquence dangereuse." Ce commentaire révèle un impact politique certain, même s'il est resté au plan des idées : Figaro s'attaquait à la prison symbole de l'absolutisme (celle dont la chute est célébrée le 14 juillet comme la naissance de la République) dans la première version de son monologue.

4) Enfin les adversaires de Louis XVI,  le comte d'Artois et ses partisans, ont applaudi la représentation de la pièce " comme un recul du despotisme".

  Le jugement de J. B. Hutier est donc à nuancer lorsque l'on envisage précisément la réception de la comédie de Beaumarchais. Certes, l'intention de Beaumarchais n'est pas révolutionnaire, mais sa pièce a été perçue comme subversive. Son impact politique est important puisque Le Mariage de Figaro a séduit une certaine aristocratie frondeuse, celle-là même qui vota la mort du roi à la suite de Philippe-Égalité. Consciemment ou pas,  Beaumarchais se fait donc l'écho d'un mouvement latent de révolte contre le pouvoir absolu.