Les instructions officielles concernant l'épreuve
écrite du Baccalauréat prévoyaient naguère pour le
commentaire de texte une disposition particulière : Il
peut être également proposé de comparer deux textes.
Cette disposition n'est pas renouvelée dans les
programmes mis en place à la rentrée 2019. Le cas de
figure était resté de toutes façons rarissime. En dehors
de la session 2004 où l'on proposait l'exercice aux séries
L (voir ici
le sujet), il ne s'est plus jamais présenté. Ce n'est
toutefois pas une raison pour ignorer délibérément les
spécificités de l'exercice et on aura intérêt à s'y
préparer en s'y étant au moins une fois confronté.
Aussi bien, le principe de l'exercice n'a pas de quoi
étonner. Le travail régulier de l'analyse autour d'objets
d'étude rend le comparatisme familier : la synthèse à
laquelle vous devez vous livrer au terme de leur parcours
et le commentaire comparé requièrent les mêmes compétences
:
- repérage des caractères particuliers d'un texte,
- capacité à le situer dans un genre, un registre, un
mouvement,
- perception de parentés entre les textes, voire d'une
intention parodique...,
tout cela fait partie de ce que l'on attend de vous très
ordinairement, notamment dans le cadre de l'objet d'étude
consacré aux réécritures.
Un point plus délicat concerne l'établissement du
plan qui doit savoir rendre compte synthétiquement
des ressemblances et/ou des différences entre deux textes
choisis en raison de leur communauté d'inspiration. Le
libellé du sujet est souvent clair à cet égard : Vous
veillerez à ce que votre plan confronte les deux textes
dans chaque partie. Autrement dit, pas de plan
simpliste examinant chaque texte l'un après l'autre, même
si une troisième partie tente de présenter une synthèse !
Tentons d'appliquer cette démarche à propos d'un
sujet-type.
1
: le relevé comparatif.
Le travail préparatoire ne diffère pas
d'abord de celui qui est requis pour un commentaire simple
: il vous faudra de toutes façons procéder à la lecture
analytique de chacun des deux textes en leur
appliquant les grilles d'analyse qu'appelle leur type.
Pour cela vous pouvez vous reporter aux pages précédentes
qui détaillent cette méthode.
Une fois terminé ce travail de lecture, il peut
être intéressant de mettre en parallèle vos observations
dans un tableau comparatif.
Procédons à ce travail autour des deux textes
suivants :
Texte
1
Henri
MICHAUX
Passages (1963)
Premières impressions
|
|
Texte
2
Pierre
REVERDY
La Liberté des mers (1959)
Tard dans la vie
|
|
Pourquoi faut-il aussi que je compose ?
Pour briser l'étau peut-être,
pour me noyer peut-être,
pour me noyer sans m'étouffer,
pour me noyer mes piques,
mes distances, mon inaccessible.
Pour noyer le mal,
le mal et les angles des choses,
et l'impératif des choses,
et le dur et le calleux des choses,
et le poids et l'encombrement des choses,
et presque tout des choses,
sauf le passage des choses,
sauf le fluide des choses,
et la couleur et le parfum des choses,
et le touffu et la complicité parfois des
choses,
et presque tout de l'homme,
et tellement de la femme,
et beaucoup, beaucoup de tout
et de moi aussi
beaucoup, beaucoup,
beaucoup
... pour que passe enfin mon torrent d'anges.
|
Je suis dur
Je suis tendre
Et
j'ai perdu mon temps
A
rêver sans dormir
A dormir en marchant
Partout où j'ai passé
J'ai trouvé mon absence
Je ne suis nulle part
Excepté le néant
Mais je porte caché au plus haut des entrailles
A la place où la foudre a frappé trop souvent
Un cœur où chaque mot a laissé son entaille
Et d'où ma vie s'égoutte au moindre mouvement.
|
Une
première lecture fait état d'une similitude évidente et
rassurante : il s'agit de deux poèmes en vers libres à
peu près contemporains. Le texte d'Henri Michaux impose
d'emblée le thème de la composition, c'est-à-dire de la
création poétique, et le place de manière interrogative,
comme si le poète enquêtait avec difficulté sur les
raisons qui le poussent à écrire. Un regard sur le poème
de Reverdy nous convainc d'une connivence. Chez ce
dernier aussi la création poétique va de pair avec un
mystère : pourquoi avoir perdu son temps à rêver
sans dormir ? Dans les deux poèmes, le je
paraît d'abord indécis, chez Michaux surtout où
plusieurs réponses embarrassées sont fournies sans
conviction (peut-être).
Mais dans les deux textes également, une rupture
se produit (sauf / Mais) qui laisse cette fois
place à la certitude : le poète est maintenant sûr de sa
mission. Nos poèmes prennent à ce moment-là une allure
de manifeste : la poésie semble vouée chez Michaux à
triompher du poids des choses pour n'en garder que le
parfum; elle exprime chez Reverdy, par le filtre du
cœur, la substance même de la vie.
Chez les deux poètes, la force de l'inspiration
poétique est exprimée par des métaphores d'écoulement :
"torrent d'anges", dit Michaux, comme si ce
flux venait de quelque au-delà; "ma vie s'égoutte"
confie Reverdy, assimilant, comme chez les Romantiques,
la création au saignement d'une blessure
On peut ainsi considérer ces deux textes dans cette
fraternité fondamentale : deux poètes sont penchés sur
leur création et témoignent de son mystère et de sa
vocation.
Tentons de synthétiser ces remarques en un tableau :
|
Texte
1
|
Texte
2
|
Voir
sur Amazon :
|
Thème |
l'inspiration
et la création poétiques |
l'inspiration
et la création poétiques |
Genre |
Poésie
(milieu XXème siècle) |
Poésie
(milieu XXème siècle) |
Indices
d'énonciation |
je, moi, me, mon, mes |
je,
mon, ma |
Formes de
discours |
autobiographie,
introspection, autoportrait, manifeste |
autobiographie,
introspection, autoportrait, manifeste |
Registres |
lyrique
: hésitation, désarroi, puis conviction |
lyrique
: plainte, égarement, puis fierté |
Densité des
images |
réseau
antithétique (le mal des choses ≠ le parfum des
choses) |
champ
lexical du corps et de la souffrance |
Ce tableau fait état de nombre de points
communs entre les deux textes, qui justifient leur analyse
conjointe. Dans les deux cas, l'énonciation est
autobiographique et renvoie à la personne du poète penché
sur son travail. Dans les deux cas, la création poétique
semble avoir à triompher de l'opacité des choses, de la
dureté du monde, de l'ignorance à quoi l'homme est à
jamais voué.
Notre lecture des deux textes doit maintenant
savoir s'organiser autour d'une problématique Ce combat,
dont la poésie semble sortir victorieuse en assumant le
travail et la souffrance, peut rester au centre de notre
étude comparatiste :
Problématique : comment les deux
textes assignent-ils une mission à la poésie ?
2
: l'établissement du plan.
Il nous faut maintenant trouver un plan capable de
répondre à la question formulée par notre problématique en
mobilisant conjointement nos analyses des deux textes.
Gardons-nous de tout plan systématique établi à l'avance !
Si le plan ressemblances/différences est toujours tentant,
on voit bien par exemple ici qu'il ne conviendrait pas,
tant nos textes sont proches.
Nous
y avons remarqué en effet un double mouvement : chacun de
ces textes fait d'abord état d'une ignorance voire d'un
accablement du poète quant à son activité de créateur,
puis finit par faire triompher sa certitude d'un travail
fécond et libérateur. Construisons un plan sur ce double
mouvement qui aura le mérite de mettre en valeur la
fraternité des deux poèmes.
Achevez
de construire les deux parties suivantes :
I/
La condition du poète : incertitude et
égarement.
|
II/
La création poétique : une mission
libératrice.
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a-
une confidence autobiographique:
- texte 1 : ...
- texte 2 : ...
b- accablement et souffrance :
- texte 1 : ...
- texte 2 : ...
|
a-
passage de l'incertitude à la foi en une
mission :
- texte 1 : ...
- texte 2 : ...
b- destination du travail poétique :
- texte 1 : ...
- texte 2 : ...
|
CORRIGÉ
3
: la rédaction du commentaire.
Elle ne diffère pas de la rédaction du commentaire simple
dont vous trouverez les principes dans les pages
précédentes : elle obéit à la même nécessité d'une
mobilisation constante des remarques, à la différence près
qu'il ne faut jamais oublier d'utiliser conjointement les
deux textes.
Essayez-vous à l'exercice et envoyez-moi
votre travail !
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