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   Colère, ardent, furieux, agité,
    Je tremble tout sous la Divinité.
 
Pierre de Ronsard.

 

Chronologie (placez votre curseur sur les événements).

Pétrarque: Canzionere Dorat dirige le collège de Coqueret Thomas Sébillet : Art poétique Défense et Illustration de la langue française Jodelle : Cléopâtre captive Acte de naissance de la Pléiade Ronsard : Hymnes Du Bellay : Les Regrets Ronsard : Discours des misères de ce temps
1470  1547 1548 1549 1553 1553 1555  1558 1562

 

 e mot Pléiade, dans le sens que nous lui connaissons, a été employé d'abord vers 1563 par les Protestants pour tourner en dérision l'arrogance des jeunes disciples de l'humaniste Jean Dorat constitués en Brigade. Ronsard se plut en effet, en 1553, à élire sept d'entre eux : leur nombre n'était pas sans évoquer la Pléiade mythologique des sept filles d'Atlas changées en constellation, et surtout la Pléiade des sept poètes alexandrins du IIIème siècle avant Jésus-Christ. A vrai dire, cette Brigade constitue moins une école qu'un groupe, d'ailleurs variable, fédéré par la même volonté de rénover les formes poétiques :
— Ronsard, Du Bellay, Jean-Antoine de Baïf (1532-1589), condisciples au collège de Coqueret, constituent son « noyau dur »;
— venus du collège de Boncourt, s'y agrègent en 1553 Étienne Jodelle (1532-1573) et Jean de La Péruse (1529-1554), remplacé en 1554 par Rémy Belleau (1528-1577);
— plus lointainement (ils appartiennent à l'école lyonnaise), s'y associent Pontus de Tyard (1521-1605) et Guillaume des Autels (1529-1581); ce dernier sera remplacé en 1555 par Jacques Peletier du Mans (1517-1582).
— enfin, en 1583, cette place est attribuée à Jean Dorat pour honorer son magistère.

  La Pléiade se caractérise par un souci de variété dans l'inspiration qui lui fait privilégier l'exploration de différents genres : à côté d'une libre imitation des Anciens, les poètes se nourrissent d'influences modernes qu'ils mettent au service d'une langue neuve, volontiers érudite, et de mythes antiques savamment revisités (voyez notre corpus sur l'Inspiration mythologique au XVI° siècle). Ces jeux poétiques ne sauraient faire oublier cependant la hauteur de la mission assignée à la poésie : influencés par le néoplatonisme, les poètes de la Pléiade y voient l'émanation d'une « fureur divine » qui place au-dessus du commun cette figure du poète en mage inspiré dans laquelle Ronsard se reconnaîtra le premier.

 

 

1.  « Par longue et diligente imitation.»

  Le souci majeur de la Brigade, élevée sous l'égide de l'helléniste Jean Dorat, est de faire reculer le «Monstre Ignorance» par la diffusion de la culture antique. Conscients de la nécessité d'enrichir la langue française, ces jeunes poètes voient dans l'imitation des Anciens une possibilité d'intégrer des formes nobles délaissées par le Moyen Age et d'enrichir le vocabulaire. Mais ce dogme de l'imitation touche aussi les modernes, néo-latins ou italiens, et prend soin de se démarquer d'une simple servilité. Émile Faguet a appelé "innutrition" cette assimilation personnelle des sources livresques : « Si, par la lecture des bons livres, je me suis imprimé quelques traits en la fantaisie, qui, après [...] me coulent beaucoup plus facilement en la plume qu'ils ne me reviennent en la mémoire, doit-on pour cette raison les appeler pièces rapportées ?» (Du Bellay, Seconde préface de l'Olive, 1550).

Joachim Du Bellay (1522-1560)
Défense et illustration de la langue française (1549)

  Rédigé à la hâte pour prendre le contre-pied de l'Art poétique de Thomas Sébillet, ce manifeste exprime une "heureuse inconséquence" (V.L. Saulnier) : préconisant l'imitation des langues anciennes, il n'exclut pourtant pas que la langue française rivalise à son avantage avec elles, et, du même coup, il alimente une réflexion déjà moderne sur le caractère transitoire des civilisations.
(orthographe modernisée)

  Se compose donc celui qui voudra enrichir sa langue à l'imitation des meilleurs auteurs grecs et latins : et à toutes leurs plus grandes vertus, comme à un certain but, dirige la pointe de son style. Car il n'y a point de doute que la plus grande part de l'artificene soit contenue en l'imitation, et tout ainsi que ce fut le plus louable aux anciens de bien inventer, aussi est-ce le plus utile de bien imiter, même à ceux dont la langue n'est encore bien copieuse et riche. Mais entende celui qui voudra imiter, que ce n'est chose facile de bien suivre les vertus d'un bon auteur, et quasi comme se transformer en lui, vu que la nature même aux choses qui paraissent très semblables n'a su tant faire que par quelque note et différence elles ne puissent être discernées. Je dis ceci, parce qu'il y en a beaucoup en toutes langues qui, sans pénétrer aux plus cachées et intérieures parties de l'auteur qu'ils se sont proposé, s'adaptent seulement au premier regard, et, s'amusant à la beauté des mots, perdent la force des choses. Et certes, comme ce n'est point chose vicieuse, mais grandement louable, emprunter d'une langue étrangère les sentences et les mots, et les approprier à la sienne, aussi est-ce chose grandement à reprendre, voire odieuse à tout lecteur de libérale nature, voir en une même langue une telle imitation, comme celle d'aucuns savants mêmes, qui s'estiment être des meilleurs, quand plus ils ressemblent à un Heroët ou un Marot. Je t'admoneste donc (ô toi qui désires l'accroissement de ta langue, et veux exceller en icelle) de non imiter à pied levé, comme naguère a dit quelqu'un, les plus fameux auteurs d'icelle, ainsi que font ordinairement la plupart de nos poètes français, chose certes autant vicieuse, comme de nul profit à notre vulgaire : vu que ce n'est autre chose (ô grande libéralité !) sinon lui donner ce qui était à lui. Je voudrais bien que notre langue fût si riche d'exemples domestiques que n'eussions besoin d'avoir recours aux étrangers. Mais si Virgile et Cicéron se fussent contentés d'imiter ceux de leur langue, qu'auront les Latins outre Ennius ou Lucrèce, outre Crassus ou Antoine ? [...]
  Quoi donc (dira quelqu'un), veux-tu à l'exemple de ce Marsyas, qui osa comparer sa flûte rustique à la douce lyre d'Apollon, égaler ta langue à la grecque et latine ? Je confesse que les auteurs d'icelles nous ont surmontés en savoir et faconde : ès quelles choses leur a été bien facile de vaincre ceux qui ne répugnaient point. Mais que par longue et diligente imitation de ceux qui ont occupé les premiers ce que nature n'a pourtant dénié aux autres, nous ne puissions leur succéder aussi bien en cela que nous avions déjà fait en la plus grande part de leurs arts mécaniques, et quelquefois en leur monarchie, je ne le dirai pas; car telle injure ne s'étendrait pas seulement contre les esprits des hommes, mais contre Dieu, qui a donné pour loi inviolable à toute chose créée de ne durer perpétuellement, mais passer sans fin d'un état en l'autre, étant la fin et corruption de l'un, le commencement et génération de l'autre.
I,
VIII et IX

Questions :

  • Montrez comment le texte mêle la déférence à l'égard des lettres anciennes à un propos résolument moderne.
  • Lisez la Défense et Illustration de la langue française et recensez les moyens par lesquels Du Bellay propose d'enrichir la langue française. En consultant les pages que nous consacrons au Vocabulaire, vous pourrez vous exercer à des recherches lexicales portant sur des mots que l'on commence à fabriquer au XVIème siècle à partir de radicaux grecs. Dans la page consacrée à la Défense de la langue française, vous pourrez prendre connaissance de textes et de liens qui vous aideront à replacer le débat dans le monde d'aujourd'hui.

 

2. Le métier poétique.

  Les manifestes poétiques abondent chez les membres de la Pléiade. Ce souci de codification répond à l'anarchie des formes et des genres du Moyen Age, mais correspond aussi à la volonté de définir une place nouvelle pour le poète.  Loin du courtisan, familier des fêtes et des récréations princières, celui-ci est invité à un travail dont la Pléiade a souligné l'aridité : « Qui veut voler par les mains et bouches des hommes doit longuement demeurer en sa chambre; et qui désire vivre en la mémoire de la postérité doit, comme mort en soi-même, suer et trembler maintes fois» (Du Bellay Défense, II, III).

Jacques Peletier du Mans (1517-1582)
Art poétique (1555)

(texte modernisé)

  Les vices se reconnaissent aisément pour être l'opposé des vertus, et on ne peut souligner justement celles-ci sans rappeler leur contraire. Comme nous avons dit que la clarté est le plus remarquable ornement du poème, ainsi l'obscurité se comptera pour son premier vice. Car il n'y a point de différence entre ne pas parler et ne pas être compris. Je penserais même qu'il est plus malhabile de parler obscurément que de ne pas parler du tout, car on occupe le temps d'un homme qui s'amuserait ailleurs.
  Mais y a manière de juger les obscurités. Car si le poète n'use pas de mots trop recherchés, ni trop affectés, ni impropres, s'il n'est pas trop bref, s'il a suivi une bonne organisation (autant de points qui garantissent contre l'obscurité), alors ce sera la faute du lecteur, et non de l'auteur, s'il n'est pas compris. De même, si pour quelque fable alléguée en passant, si pour quelque problème de philosophie destiné à enrichir le discours, si pour quelque récit conté incidemment, en somme, si pour quelque allusion judicieuse, le lecteur est lent à comprendre, qu'il s'en accuse, et non pas l'auteur, qui serait plutôt coupable s'il avait écrit trop longuement et s'il enseignait comme dans une école.
  Mais nous parlons ici de l'obscurité naturelle et, pour ainsi dire, radicale, qui se reconnaît au fait que l'écrivain, en tout point, ne sort pas de lui-même et persiste dans son style incompréhensible; quand on voit des points en lui qui pourraient se traiter plus clairement, quand on voit que cela lui vient d'une saisie trop éloignée; quand, après avoir longuement pesé ses intentions, on est contraint d'en deviner la moitié.
  Il faut qu'en tout point un écrit soit louable du point de vue des doctes, mais qu'aux moins savants il offre aussitôt une apparence de beauté et l'espoir de pouvoir le comprendre. Et cela réside dans le fait de ne dire ni plus ni moins qu'il convient, chose très difficile, surtout dans notre poésie française, où la rime nous tient en grande sujétion. Mais c'est une raison supplémentaire de s'efforcer à la vertu et de montrer que la rime est d'une grande utilité, parce qu'elle oblige à penser longuement à bien faire. Sans cela, affluent toutes sortes de vices, comme, entre autres, la contradiction, qui, pour ne rien dissimuler, est fort fréquente dans notre poésie française où il y en a peu qui ne se contredisent pas, non seulement d'une œuvre à l'autre, mais aussi dans une même œuvre, et au même endroit. Ceci est un vice fort condamnable, qu'on doit d'autant plus soigneusement éviter qu'il arrive facilement. Car l'homme, étant composé de contraires et ayant l'esprit exposé à plein d'objets divers, douteux, obscurs, vrais et faux, ne peut que malaisément se maintenir dans un train invariable, sans trouver des rencontres, des obstacles, des troubles qui lui font oublier sa voie droite. De la même cause, viennent les redites, un peu plus excusables mais qui qui dénotent une nonchalance de style et d'examen.

Questions :

  • Récapitulez les vertus préconisées par l'auteur.
  • En quoi les recommandations de Peletier du Mans annoncent-elles l'idéal classique ? Prenez notamment connaissance des textes de Boileau et de La Bruyère dans la page suivante, consacrée au Classicisme.

 

 

3. Jeux poétiques.

   La Pléiade fut une école exclusivement littéraire. Si la satire politique, voire un certain engagement, ne sont pas absents de l'œuvre de Ronsard ou de Du Bellay, ce n'est qu'au terme d'une maturation personnelle qui leur a fait mesurer le caractère un peu artificiel et maniériste des exercices et variations poétiques auxquels les membres de la Brigade s'adonnent de préférence. L'influence de Pétrarque est ici déterminante, qui offre un modèle perpétuellement renouvelé de déclaration amoureuse : recherches rares, expressions difficiles, traits d'esprit brillants (les concetti) orientent l'écriture vers une préciosité dont le siècle suivant se souviendra. Avec le temps, tous ces jeux apparurent un peu faux et engagèrent nos poètes vers un souci d'authenticité : « J'ai oublié l'art de pétrarquiser / Je veux d'amour franchement deviser, / Sans vous flatter et sans me déguiser » (Du Bellay).

 Le topos de la « Belle Matineuse », dont l'éclat fait pâlir l'Aurore, prend naissance avec un sonnet de l'italien Rinieri. Il donna lieu à de multiples variations dans toute l'Europe et les poètes de la Pléiade en firent un de leurs motifs privilégiés. On trouvera ci-dessous la version traduite de Rinieri et trois adaptations différentes (orthographe non modernisée) :

  La mer était paisible; les forêts et les prés découvraient au ciel leurs fastes, fleurs et frondaisons, et déjà la nuit déchirait son voile, et éperonnait ses sombres chevaux ailés.
  L'aurore faisait tomber de ses cheveux dorés des perles d'un éclat vif et glacé, et déjà le Dieu qui naquit à Délos lançait ses rayons depuis les rives parfumées et précieuses de l'Orient;
  Quand d'Occident un soleil plus beau se leva, illuminant la face du jour et faisant pâlir l'image du Levant.
  Étoiles lumineuses, si rapides, éternelles et solitaires, dans la paix où vous êtes le beau visage que j'adore parut alors plus brillant et plus gracieux que vous.

Antonio Rinieri

Déjà la nuit en son parc amassoit
Un grand troupeau d'étoiles vagabondes,
Et pour entrer aux cavernes profondes
Fuyant le jour, ses noirs chevaulx chassoit ;

Déjà le ciel aux Indes rougissoit,
Et l'Aulbe encor de ses tresses tant blondes
Faisant gresler mille perlettes rondes,
De ses thésorts les prez enrichissoit ;

Quand d'occident, comme une étoile vive,
Je vy sortir dessus ta verte rive,
O fleuve mien ! une Nymphe en rient.

Alors voyant cette nouvelle Aurore,
Le jour honteux d'un double teint colore
Et l'Angevin et l'Indique orient.

J. du Bellay, L'Olive sonnet LXXXIII (1549)

De ses cheveulx la rousoyante Aurore
Eparsement les Indes remplissoyt,
Et ja le ciel à longz traitz rougissoyt
De meint esmail qui le matin decore,

Quand elle veit la Nymphe que j'adore
Tresser son chef, dont l'or, qui jaunissoit,
Le crespe honneur du sien esblouissoit,
Voire elle mesme et tout le ciel encore.

Lors ses cheveux vergongneuse arracha,
Si qu'en pleurant sa face elle cacha,
Tant la beaulté des beaultez luy ennuye :

Et ses souspirs parmy l'air se suyvantz,
Troys jours entiers enfanterent des ventz,
Sa honte un feu, et ses yeulx une pluye.

P. de Ronsard, Amours
sonnet XCI
(1552-1553)

Quand je te vis entre un millier de Dames,
L'elite et fleur des nobles, et plus belles,
Ta resplendeur telle estoyt parmy elles,
Quelle est Venus sur les celestes flames.

Amour adonq' se vangea de mille ames
Qui luy avoyent jadis esté rebelles,
Telles tes yeux eurent leurs estincelles
Par qui les cueurs d'un chacun tu enflames.

Phebus, jaloux de ta lumiere sainte,
Couvrit le ciel d'un tenebreux nuage,
Mais l'air, maugré sa clarté toute estainte,

Fut plus serain autour de ton visage.
Adonq' le dieu d'une rage contreinte
Versa de pleurs un large marescage.

J.A. de Baïf, Les Amours de Méline (1552)

Questions :

  • Déterminez les points communs de ces trois textes puis leurs caractères spécifiques. Lequel vous semble le plus réussi ?
  • Au siècle suivant, le motif de la « belle Matineuse » déclencha une querelle littéraire célèbre : les salons précieux se partagèrent en effet autour des mérites respectifs d'un sonnet de Claude Maleville et d'un autre de Vincent Voiture. Vous pourrez les consulter tous les deux et constater l'évolution du motif vers un certain maniérisme.

 

4. L'inspiration.

   A l'école de Platon, les poètes de la Pléiade ont eu un haute idée de leur mission et les pages ne manquent pas, notamment chez Ronsard, où l'on note une fière confiance dans leur génie. Inspiré par un souffle divin, le poète est déjà le «suprême savant» dont parlera Rimbaud, et aussi celui qui parvient à la Connaissance au prix d'une ascèse solitaire. Au-delà du Romantisme, qui voudra inscrire le poète dans la Cité, c'est au Parnasse et au Symbolisme que font songer ces vers de Ronsard adressés au poète : «Tu n'auras point de peur qu'un Roi, de sa tempête,/ Te vienne en moins d'un jour escarbouiller la tête / Ou confisquer tes biens, mais, tout paisible et coi, / Tu vivras dans les bois pour la Muse et pour toi. »

Pierre de Ronsard (1524-1585)
Hymne de l'Automne (1555)

[Vous pourrez prendre connaissance de la fin de ce poème sur la page que nous consacrons à l' inspiration mythologique au XVI° siècle.]

(orthographe non modernisée)

Le jour que je fu né, Apollon qui preside
Aux Muses, me servit en ce monde de guide,
M'anima d'un esprit subtil et vigoureux,
Et me fit de science et d'honneur amoureux.
En lieu des grands tresors et des richesses vaines,
Qui aveuglent les yeux des personnes humaines,
Me donna pour partage une fureur d'esprit,
Et l'art de bien coucher ma verve par escrit.
Il me haussa le cœur, haussa la fantasie,
M'inspirant dedans l'âme un don de poësie,
Que Dieu n'a concedé qu'à l'esprit agité
Des poignans aiguillons de sa Divinité.
Quand l'homme en est touché, il devient un prophete,
Il predit toute chose avant qu'elle soit faite,
Il cognoist la nature et les secrets des cieux,
Et d'un esprit bouillant s'eleve entre les Dieux.
Il cognoist la vertu des herbes et des pierres,
Il enferme les vents, il charme les tonnerres ;
Sciences que le peuple admire, et ne sçait pas
Que Dieu les va donnant aux hommes d'icy bas,
Quand ils ont de l'humain les âmes separées,
Et qu'à telle fureur elles sont preparées
Par oraison, par jeusne et penitence aussi,
Dont aujourd'huy le monde a bien peu de souci.
Car Dieu ne communique aux hommes ses mysteres,
S'ils ne sont vertueux, devots et solitaires,
Eslongnez des tyrans, et des peuples qui ont
La malice en la main et l'impudence au front,
Brulez d'ambition et tourmentez d'envie,
Qui leur sert de bourreau tout le temps de leur vie.
Je n'avois pas quinze ans que les monts et les bois
Et les eaux me plaisoient plus que la cour des Rois,
Et les noires forests espaisses de ramées,
Et du bec des oiseaux les roches entamées ;
Une valée, un antre en horreur obscurci,
Un desert effroyable estoit tout mon souci ;
A fin de voir au soir les Nymphes et les Fées
Danser dessous la lune en cotte par les prées
(Fantastique d'esprit), et de voir les Sylvains
Estre boucs par les pieds et hommes par les mains,
Et porter sur le front des cornes en la sorte
Qu'un petit aignelet de quatre mois les porte.
J'allois aprés la dance, et craintif je pressois
Mes pas dedans le trac des Nymphes, et pensois
Que pour mettre mon pied en leur trace poudreuse
J'aurois incontinent l'âme plus genereuse ;
Ainsi que l'Ascrean qui gravement sonna
Quand l'une des neuf Sœurs du laurier luy donna.
Or je ne fu trompé de ma jeune entreprise ;
Car la gentille Euterpe ayant ma dextre prise,
Pour m'oster le mortel par neuf fois me lava
De l'eau d'une fontaine où peu de monde va,
Me charma par neuf fois, puis d'une bouche enflée
(Ayant dessus mon chef son haleine souflée)
Me herissa le poil de crainte et de fureur,
Et me remplit le cœur d'ingenieuse erreur,
En me disant ainsi : « Puisque tu veux nous suivre,
Heureux après la mort nous te ferons revivre
Par longue renommée, et ton los ennobli
Accablé du tombeau n'ira point en oubli.»

Questions :

  •   L'influence de Platon est ici déterminante, qui fait dire à Socrate à propos des poètes : « Ils parlent en effet, non en vertu d'un art, mais d'une puissance divine, [...] et le but de la divinité, en enlevant la raison à ces chanteurs et à ces prophètes divins et en se servant d'eux comme des serviteurs, c'est que nous, les auditeurs, nous sachions bien que ce ne sont pas eux les auteurs d'œuvres si belles, eux qui sont privés de raison, mais que c'est la divinité elle-même leur auteur, et que par leur organe, elle se fait entendre à nous.» ( Ion , 534d).
      Relevez dans ce poème les termes qui caractérisent ce "don de poésie".

  • Quelle place le poète est-il appelé à occuper dans la société de son temps ? Vous pourrez vous inspirer de la distinction faite par Ronsard dans l'Hymne de l'Hiver entre deux attitudes qui s'offrent au poète : l'une consiste en une activité purement métaphysique de contemplation,

L'autre Philosophie habite sous la nue,
A qui tant seulement cette terre est connue
Sans se loger au ciel ; le cœur qui lui défaut
Ne lui laisse entreprendre un voyage si haut.
Elle a pour son sujet les négoces civiles,
L'équité, la justice et le repos des villes ;
Et au chant de sa lyre, a fait sortir des bois
Les hommes forestiers pour leur bailler des lois.
Elle sait la vertu des herbes et des plantes,
Elle va dessous terre aux crevasses béantes
Tirer l'argent et l'or et chercher de sa main
Le fer qui doit rougir en notre sang humain.
Puis afin que le peuple ignorant ne méprise
La vérité connue après l'avoir apprise
D'un voile bien subtil (comme les peintres font
Aux tableaux animés) lui couvre tout le front
Et laisse seulement tout au travers du voile
Paraître ses rayons comme une belle étoile,
Afin que le vulgaire ait désir de chercher
La couverte beauté dont il n'ose approcher.

Hymne de l'Hiver, 1564.

  • Si les poètes de la Pléiade se placent si souvent sous le patronage de l'Antiquité, c'est que la mythologie gréco-latine leur offre comme un lexique que le lecteur lettré déchiffrera sans mal. Comparaisons, métaphores appartiennent à ce fonds archétypal qui ne compromet nullement la qualité naturelle de l'inspiration. On en jugera par l'ode suivante où la référence antique ne manque pas de surgir après une élégie personnelle où le poète confie sa hantise de la décrépitude physique (Ronsard, Odes, 4, 11, orthographe non modernisée) :





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Ma douce jouvence est passée,
Ma première force est cassée,
J'ay la dent noire et le chef blanc;
Mes nerfs sont dissous, et mes veines,
Tant j'ay le corps froid, ne sont pleines
Que d'une eau rousse en lieu de sang.

Adieu, ma lyre; adieu, fillettes,
Jadis mes douces amourettes.
Adieu, je sens venir ma fin;
Nul passetemps de ma jeunesse
Ne m'accompagne en la vieillesse,
Que le feu, le lict et le vin.

J'ay la teste toute estourdie
De trop d'ans et de maladie;
De tous costez le soin me mord,
Et, soit que j'aille ou que je tarde,
Tousjours après moy je regarde
Si je verray venir la mort,

Qui doit, ce me semble, à toute heure
Me mener là bas, où demeure
Je ne sçay quel Pluton, qui tient
Ouvert à tous venans un antre,
Où bien facilement on entre,
Mais d'où jamais on ne revient.