Si je n'étais Alexandre, disait ce conquérant, je voudrais être
Diogène. Le philosophe eût-il dit : si je n'étais ce que je suis, je voudrais être
Alexandre ? J'en doute; un conquérant consentirait plutôt d'être un sage qu'un
sage d'être un conquérant. Mais quel homme au monde ne
consentirait pas d'être un héros ? On sent donc que
l'héroïsme a des vertus à lui, qui ne dépendent point de la fortune, mais qui ont
besoin d'elle pour se développer. Le héros est l'ouvrage de la nature, de la fortune, et
de lui-même. Pour bien le définir, il faudrait assigner ce qu'il tient de chacun des
trois.
Toutes les vertus appartiennent au sage. Le héros se dédommage de celles
qui lui manquent par l'éclat de celles qu'il possède. Les vertus du premier sont
tempérées, mais il est exempt de vices; si le héros a des défauts, ils sont effacés
par l'éclat de ses vertus. L'un toujours vrai n'a point de mauvaises qualités; l'autre
toujours grand n'en a point de médiocres. Tous deux sont fermes et inébranlables, mais
de différentes manières et en différentes choses; l'un ne cède jamais que par raison,
l'autre jamais que par générosité; les faiblesses sont aussi peu connues du sage que
les lâchetés le sont peu du héros, et la violence n'a pas plus d'empire sur l'âme de
celui-ci que les passions sur celle de l'autre.
Il y a donc plus de solidité dans le
caractère du sage et plus d'éclat dans celui du héros ; et la préférence se
trouverait décidée en faveur du premier, en se contentant de les considérer ainsi en
eux-mêmes. Mais si nous les envisageons par leur rapport
avec l'intérêt de la société, de nouvelles réflexions produiront bientôt d'autres
jugements et rendront aux qualités héroïques cette prééminence qui leur est due, et
qui leur a été accordée dans tous les siècles, d'un commun consentement.
En effet, le soin de sa propre félicité fait toute
l'occupation du sage, et c'en est bien assez sans doute pour remplir la tâche d'un homme
ordinaire. Les vues du vrai héros s'étendent plus loin ; le bonheur des hommes est son
objet, c'est à ce sublime travail qu'il consacre la grande âme qu'il a reçue du ciel.
Les philosophes, je l'avoue, prétendent enseigner aux hommes l'art d'être heureux, et
comme s'ils devaient s'attendre à former des nations de sages, ils prêchent aux peuples
une félicité chimérique qu'ils n'ont pas eux-mêmes, et dont ceux-ci ne prennent jamais
ni l'idée ni le goût. Socrate vit et déplora les malheurs
de sa patrie ; mais c'est à Trasibule qu'il était réservé de les finir ; et
Platon, après avoir perdu son éloquence, son honneur et son temps à la cour d'un tyran,
fut contraint d'abandonner à un autre la gloire de délivrer Syracuse du joug de la
tyrannie. Le philosophe peut donner à l'univers quelques instructions salutaires;
mais ses leçons ne corrigeront jamais ni les grands qui les méprisent, ni le peuple qui
ne les entend point. Les hommes ne se gouvernent pas ainsi par des vues abstraites; on ne
les rend heureux qu'en les contraignant à l'être, et il faut leur faire éprouver le
bonheur pour le leur faire aimer : voilà l'occupation et les talents du héros; c'est
souvent la force à la main qu'il se met en état de recevoir les bénédictions des
hommes qu'il contraint d'abord à porter le joug des lois pour les soumettre enfin à
l'autorité de la raison.
L'héroïsme est donc, de toutes les qualités
de l'âme, celle dont il importe le plus aux peuples que ceux qui les gouvernent soient
revêtus. C'est la collection d'un grand nombre de vertus sublimes, rares dans leur
assemblage, plus rares dans leur énergie, et d'autant plus rares encore que l'héroïsme
qu'elles constituent, détaché de tout intérêt personnel, n'a pour objet que la
félicité des autres et pour prix que leur admiration.
Jean-Jacques Rousseau,
Discours sur la vertu
du héros, 1752 (extrait). |
Première étape
: l'énonciation. Une première - voire une seconde lecture - doit vous amener à
identifier les caractères essentiels du texte, que votre résumé devra reproduire :
situation d'énonciation (notamment, présence du je), niveau de langue (ainsi ce
texte du XVIII° exclura de votre résumé tout emploi anachronique), difficultés de
vocabulaire (attention par exemple au mot fortune qui a alors le sens de sort,
destinée; le terme générosité désigne aussi le courage).
Deuxième étape : thème, thèse : Efforcez-vous de
formuler pour vous-même le sujet du texte (au besoin, donnez-lui un titre :
ici le texte
pourrait s'intituler Le héros et le sage). Plus important encore : repérez la
(ou les) thèse(s) et prenez soin de la (les) rédiger rapidement. Dans ce texte, la
thèse soutenue est seule développée. On pourrait la formuler ainsi :
le héros
paraît moins constant que le sage, mais sur le plan social, sa noblesse magnanime et
désintéressée est d'un plus grand prix car elle a force d'exemple.
Troisième étape : l'organisation : la lecture du
texte vous fait percevoir par les paragraphes différentes unités de sens. Ces
paragraphes constituent cependant des indices insuffisants de l'organisation. Vous savez
que tout raisonnement discursif s'accompagne de connexions logiques (nous les soulignons
en rouge) qui vous feront percevoir l'enchaînement des
arguments. Quant aux exemples, leur caractère concret et circonstancié vous permet de
les repérer d'emblée (nous les soulignons en bleu).
C'est cette organisation que nous vous invitons à représenter
précisément dans un tableau de structure : ne pensez pas que le fait
d'établir ce tableau au brouillon vous fera perdre du temps. Une fois rempli, il vous
permettra au contraire d'aller plus vite dans la reformulation, chaque unité de sens
étant nettement repérée. La colonne Parties sépare chaque étape de
l'argumentation, que la colonne Sous-Parties décompose si nécessaire. La
colonne Arguments vous permet d'identifier rapidement chaque argument et d'aller
déjà vers son expression la plus concise en repérant les mots-clefs. C'est cette
colonne, surtout, qui vous sera précieuse. Quant à la colonne Exemples, elle
vous permet de repérer ce que votre résumé pourra ensuite ignorer (attention cependant
au fait qu'un long paragraphe d'exemples peut avoir une valeur argumentative !). |