Gustave Flaubert —
L'Éducation sentimentale [1869]
Transcription du
manuscrit des copistes
Troisième partie –
Chapitre 4
IV.
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Mr Dambreuse, quand Deslauriers se présenta chez lui, songeait à raviver sa grande affaire de houilles. Mais cette fusion de toutes les compagnies en une seule était mal vue ; on criait au monopole, comme s’il ne fallait pas pour de telles exploitations d’immen- -ses capitaux ! Deslauriers, qui venait de lire exprès l’ouvrage de Gobet et les articles de Mr Chappe dans le journal des mines, connaissait la question, parfaitement. Il démontra que la loi de 1810 établissait au pro- -fit du concessionnaire un droit incommutable Du reste, on pouvait donner à l’entreprise une couleur démocratique : empêcher les réunions houillères était un attentat contre le principe même d’association. Mr Dambreuse lui confia des notes pour rédi- ger un mémoire. Quant à la manière dont il paierait son travail, il fit des promesses d’autant meilleures qu’elles n’étaient pas précises. Deslauriers s’en revint chez Frédéric et lui rapporta la conférence. De plus, il avait vu Mme Dambreuse au bas de l’escalier, comme il sortait. « Je t’en fais mes compliments, sapre- -lotte ! » Puis ils causèrent de l’élection. Il y avait quelque chose à inventer. Trois jours après, Deslauriers reparut avec une feuille d’écriture destinée aux journaux
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et qui était une lettre familière, où Mr Dambreuse approuvait la candidature de leur ami. Soutenue par un conservateur et prônée par un rouge, elle devait réussir. Mais comment le capitaliste signait-il une pareille élucubration ? L’avocat, sans le moindre embarras, de lui-même, avait été la montrer à Mme Dambreu- -se qui la trouvant fort bien s’était chargée du reste. Cette démarche surprit Frédéric. Il l’approuva cependant ; puis comme Deslauriers s’aboucherait avec Mr Roque, il lui conta sa position vis-à-vis de Louise. « — Dis-leur tout ce que tu voudras, que mes affaires sont troubles, – je les arrangerai, elle est assez jeune pour attendre ! » Deslauriers partit, et Frédéric se considéra comme un hom- -me très fort. Il éprouvait, d’ailleurs, un assouvissement, une satisfaction profonde. Sa joie de posséder une femme riche n’était gâtée par aucun contraste. Le sentiment s’harmonisait avec le milieu ; sa vie, maintenant, avait des douceurs partout. La plus exquise, peut-être, était de con- -templer Mme Dambreuse, entre plusieurs personnes, dans son salon. La convenance de ses manières le faisait rêver à d’autres atti- -tudes ; pendant qu’elle causait d’un ton froid, il se rappelait ses mots d’amour bal- -butiés ; tous les respects pour sa vertu le délec- -taient comme un hommage retournant
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vers lui ; – et il avait parfois des envies de s’écrier : « Mais je la connais mieux que vous ! elle est à moi ! » Cependant, leur liaison ne tarda pas à être une chose convenue, acceptée. On les invitait ensemble. Mme Dambreuse durant tout l’hiver, traîna Frédéric dans le monde. Il arrivait presque toujours avant elle ; et il la voyait entrer, les bras nus, l’éventail à la main, des perles dans les cheveux. Elle s’arrê- -tait sur le seuil, – (le linteau de la porte l’entou- -rait comme un cadre) – et elle avait un léger mouvement d’indécision, en clignant les pau- -pières, pour découvrir s’il était là. Puis elle le ramenait dans sa voiture ; la pluie fouettait les vasistas ; les passants, tels que des ombres, s’agitaient dans la boue ; et serrés l’un contre l’autre, ils apercevaient tout cela, confusément, avec un dédain tranquille. Sous des prétextes différents, il restait encore une bonne heure dans sa chambre. C’était par ennui, surtout, que Made Dambreuse avait cédé ! Mais cette dernière épreuve ne devait pas être perdue ! Elle voulait un grand amour et elle se mit à le combler d’adulations et de caresses. Elle lui envoyait des fleurs ; elle lui fit une chaise en tapisserie, elle lui donna un porte-cigares, une écritoire, mille petites choses d’un usage quotidien pour qu’il n’eût pas une action indépendante de son souvenir. Ces prévenances le charmèrent d’abord, et bientôt lui parurent toutes simples.
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Elle montait dans un fiacre, le renvoyait à l’entrée d’un passage, sortait par l’autre bout ; puis se glissant le long des murs, avec un double voile sur le visage, elle atteignait la rue, où Frédéric en sentinelle, lui prenait le bras, vive- -ment, pour la conduire dans sa maison. Ses portier deux domestiques se promenaient, le concierge faisait des courses ; elle jetait les yeux tout à l’entour ; rien à craindre ! et elle poussait comme un soupir d’exilé qui revoit sa patrie. La chance les enhardit. Leurs rendez-vous se multiplièrent. Un soir même, elle se présenta tout-à-coup, en grande toilette de bal. Ces surprises pouvaient être dangereuses ; il la blâma de son imprudence ; elle lui déplut, du reste. Son corsage ouvert découvrait trop sa poitrine maigre. Il reconnut alors ce qu’il s’était caché ; la désillusion de ses sens. Il n’en feignait pas moins de grandes ar- -deurs. Mais pour les ressentir, il lui fallait évoquer l’image de Rosanette ou de Mme Arnoux. Cette atrophie sentimentale lui laissait la tête entièrement libre, et plus que jamais il ambitionnait une haute position dans le monde. Puisqu’il avait un marche-pied pareil, c’était bien le moins qu’il s’en servît ! Vers le milieu de janvier, un matin, Sé- -nécal entra dans son cabinet ; – et à son exclamation d’étonnement répondit qu’ il était secrétaire de Deslauriers. Il lui apportait même une lettre. Elle contenait
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de bonnes nouvelles, et le blâmait cependant de sa négligence ; il fallait venir là-bas. Le futur député dit qu’il se mettrait en route, le surlendemain. Sénécal n’exprima pas d’opinion sur cette candidature. Il parla de sa personne et des affaires du pays. Si lamentables qu’elles fussent, elles le réjouissaient, car on marchait au Commu- -nisme. D’abord, l’Administration nous y menait d’elle-même, puisque chaque jour, il y avait plus de choses régies par le Gouverne- -ment. Quant à la Propriété, la Constitution de 48, malgré ses faiblesses, ne l’avait pas ménagée ; au nom de l’utilité publique, l’État pouvait prendre désormais ce qu’il jugeait lui convenir. Sénécal se déclara pour l’auto- -rité, et Frédéric aperçut dans ses discours l’exagération de ses propres paroles à Deslauriers. Le républicain tonna même contre l’insuffi- -sance des masses. « Robespierre en défendant le droit du petit nombre amena Louis XVI devant la Convention [Nationale] et sauva le peuple. La fin des choses les rend légitimes. La dictature est quelquefois indispensable. Vive la tyrannie, pourvu que le tyran fasse le bien ! » Leur discussion dura longtemps, et comme il s’en allait, Sénécal avoua (C’était le but de sa visite peut-être) que Deslauriers s’im- -patientait beaucoup du silence de Mr Dambreuse. Mais Mr Dambreuse était malade.
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Frédéric le voyait tous les jours ; sa qualité d’intime le faisait admettre près de lui. La révocation du général Changarnier avait ému extrêmement le capitaliste. Le soir même, il fut pris d’une grande chaleur dans la poitrine, avec une oppression à ne pouvoir se tenir couché. Des sangsues amenèrent un soulagement immédiat. La toux sèche disparut, la respi- -ration devint plus calme, et huit jours a- -près, il dit, en avalant un bouillon : « — Ah ! Ça va mieux ! Mais j’ai man- -qué faire le grand voyage ! » « — Pas sans moi ! » s’écria Mme Dambreuse, notifiant par ce mot qu’elle n’aurait pu lui survivre. Au lieu de répondre, il étala sur elle et sur son amant un singulier sourire où il y avait à la fois, de la résignation, de l’indul- -gence, de l’ironie, et même comme une pointe, un sous-entendu presque gai. Frédéric voulut partir pour Nogent, Mme Dambreuse s’y opposa, et il défaisait et refaisait tour-à-tour ses paquets, selon les alternatives de la maladie. Tout à coup, Mr Dambreuse cracha le sang, abondamment. « Les princes de la science », consultés, n’avisèrent à rien de nou- -veau. Ses jambes enflaient et la faiblesse augmentait. Il avait témoigné plusieurs fois le désir de voir Cécile, qui était à l’autre bout de la
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France, avec son mari, nommé receveur depuis un mois. Il ordonna expressément qu’on la fît venir. Mme Dambreuse écrivit trois lettres et les lui montra. le premier jour appelée dès le début pr le soigner) Sans se fier même à la religieuse, elle ne le quittait pas d’une seconde, ne se cou- -chait plus. Les personnes qui se faisaient portier inscrire chez le concierge s’informaient d’elle concierge avec admiration ; – et les passants étaient sai- -sis de respect devant la quantité de paille qu’il y avait dans la rue, sous les fenêtres. cinq Le 12 février, à 5 heures, une hémopty- -sie effrayante se déclara. Le médecin de garde dit le danger. On courut vite chez un prêtre. Pendant la confession de Mr Dambreuse, Madame le regardait de loin, curieusement. Après quoi, le jeune docteur posa un vé- -sicatoire et attendit. La lumière des lampes, masquée par des meubles éclairait la chambre, inégale- -ment. Frédéric et Mme Dambreuse, au pied de la couche, observaient le moribond. Dans l’embrasure d’une croisée, le prêtre et le médecin causaient à demi-voix ; la bonne sœur, à genoux, marmottait des prières. Enfin un râle s’éleva. Les mains se refroi- -dissaient, la face commençait à pâlir. Quelquefois il tirait, tout-à-coup, une aspi- -ration énorme ; elles devinrent de plus en plus rares ; deux ou trois paroles confuses lui échappèrent ; il exhala un petit souffle
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en même temps qu’il tournait ses yeux, et la tête retomba de côté sur l’oreiller. Tous, pendant une minute, restèrent immobiles. Mme Dambreuse s’approcha ; et sans effort, avec la simplicité du devoir, elle lui fer- -ma les paupières. Puis elle écarta les deux bras, en se tordant la taille comme dans le spasme d’un désespoir contenu ; – et sortit de l’appartement, appuy- -ée sur le médecin et la religieuse. après Un quart-d’heure, Frédéric monta dans sa chambre. On y sentait une odeur indéfinissable, émanation des choses délicates qui l’emplis- -saient. Au milieu du lit, une robe noire s’étalait, tranchant sur le couvre-pieds rose. Mme Dambreuse était au coin de la cheminée, debout. Sans lui supposer de violents regrets, il la croyait un peu triste ; – Et d’une voix dolente : « — Tu souffres ? » « — Moi ? non, pas du tout ! » Comme elle se retournait, elle aperçut la robe, l’examina, – puis elle lui dit de ne pas se gêner : « fume, si tu veux ! tu es chez moi ! » Et avec un grand soupir : « Ah ! Sainte vier- -ge ! quel débarras ! » Frédéric fut étonné de l’exclamation. Il reprit, en lui baisant la main : « — On était libre, pourtant ! »
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Cette allusion à l’aisance de leurs amours parut blesser Mme Dambreuse. « — Eh ! tu ne sais pas les services que je lui rendais, ni dans quelles angoisses j’ai vécu ! » « — Comment ? » « — Mais oui ! Était-ce une sécurité que d’avoir toujours près de soi, cette bâtarde, un enfant introduit dans la maison, au bout de cinq ans de ménage, et qui sans moi, bien sûr, l’aurait amené à quelque sottise ! » Alors, elle expliqua ses affaires. Ils s’étaient mariés sous le régime de la séparation. Son patrimoine était de trois cent mille francs. Mr Dambreuse, par leur contrat, lui avait assuré, en cas de survivance, quinze mille livres de rente avec la propriété de l’hôtel. Mais, peu de temps après, il avait fait un testament où il lui donnait toute sa fortune et elle l’évaluait, autant qu’il était possi- -ble de le savoir maintenant, à plus de trois millions. Frédéric ouvrit de grands yeux. « — Ça en valait la peine, n’est-ce pas ? J’y a contribué du reste. C’était mon bien que je défendais. Cécile m’aurait dépouillée, injustement. « — Pourquoi n’est-elle pas venue voir son père ? » dit Frédéric. À cette question, Mme Dambreuse le considéra, puis d’un ton sec : « — Je n’en sais rien ! Faute de cœur, sans doute ! Oh ! Je la connais ! Aussi elle n’aura pas de moi, une obole ! »
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« — Elle n’était guère gênante, du moins, depuis son mariage. » « — « Ah ! son mariage ! » fit en ricanant Mme Dambreuse. – Et elle s’en voulait d’avoir traité trop bien cette pécore-là, qui était jalou- -se, intéressée, hypocrite. — « Tous les défauts de son père ! » Elle le dénigrait de plus en plus. Personne d’une fausseté aussi profonde, impitoyable d’ailleurs, dur comme un caillou, « un mauvais hom- -me ! un mauvais homme ! » Il échappe des fautes, même aux plus sages. Mme Dambreuse venait d’en faire une, par ce débordement de haine. Frédé- -ric, en face d’elle, dans une bergère, réflé- -chissait scandalisé. Elle se leva, se mit doucement sur ses genoux. « — Toi seul est bon ! Il n’y a que toi que j’aime ! » En le regardant, son cœur s’amollit. Une réaction nerveuse lui amena des lar- -mes aux paupières, et elle murmura : « veux-tu m’épouser ? » Il crut d’abord n’avoir pas compris. Cette richesse l’étourdissait. Elle répéta plus haut : « veux-tu m’épouser ? » Enfin, il dit, en souriant – « Tu en doutes ? » Puis une pudeur le prit ; – et, pour faire au défunt une sorte de réparation, il s’offrit à le veiller lui-même. Mais comme il avait honte de ce pieux sentiment, il ajouta d’un
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ton dégagé : « — Ce serait peut-être plus convenable ? » « — Oui, peut-être bien, » dit-elle, « à cause des domestiques ! » hors On avait tiré le lit complètement de l’alcôve ; la religieuse était au pied ; et au chevet, se tenait un prêtre, un autre, un grand homme maigre, l’air Espagnol et fanatique. Sur la table de nuit, couverte d’une serviette blanche, trois flambeaux brûlaient. Frédéric prit une chaise et regarda le mort. Son visage était jaune comme de la pail- -le ; un peu d’écume sanguinolente mar- -quait les coins de la bouche. Il avait un foulard autour du crâne, un gilet de tricot, et un crucifix d’argent sur la poitrine, entre ses bras croisés. Elle était finie, cette existence pleine d’agitations ! Combien n’avait-il pas fait de courses dans les bureaux, aligné de chiffres, tripoté d’affaires, entendu de rapports ! – et que de boniments, de sourires, de courbettes ! Car il avait acclamé Napoléon, les Cosa- -ques, Louis XVIII, 1830, les ouvriers, tous les régimes – chérissant le Pouvoir d’un tel amour qu’il aurait payé pour se vendre Mais il laissait le domaine de la Fortelle, trois manufactures en Picardie, le bois de Crancé dans l’Yonne, une ferme près
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d’Orléans, des valeurs mobilières, considérables. Frédéric fit ainsi la récapitulation de sa fortune ; – et elle allait, pourtant, lui appartenir ! Il songea d’abord à « ce qu’on dirait », à un cadeau pour sa mère, à ses fu- -turs attelages, à un vieux cocher de [illis.] sa famille dont il voulait faire le concierge. La livrée ne serait plus la même, naturellement. Il prendrait le grand salon comme cabinet de travail. Rien n’em- -pêchait, en abattant trois murs, d’avoir au second étage une galerie de tableaux. Il y avait moyen peut-être d’organiser en bas, une salle de bains turcs ? Quant au bureau de Mr Dambreuse, pièce déplaisante, à quoi pouvait -elle servir ? Le prêtre qui venait à se mou- -cher, ou la bonne-sœur arran- -geant le feu, interrompait bru- -talement ces imaginations. Mais la réalité les confirmait ; le cadavre était toujours là. Ses paupières
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— Ses paupières s’étaient r’ouvertes ; et les pupilles, bien que noyées dans visqueuses des ténèbres […..illis…..], avaient une ex- -pression énigmatique, intolérable. Frédé- -ric croyait y voir comme un jugement porté sur lui, – et il sentait presque un remords, Car il n’avait jamais eu à se plaindre de cet homme, qui au contraire… « Allons donc ! un vieux misérable ! » et il le considérait de plus près, pour se raffermir, en lui criant mentalement : « — Eh bien ! quoi ? est-ce que je t’ai tué ? » Cependant, le prêtre lisait son bréviaire. La religieuse immobile, sommeillait, les mèches des trois flambeaux s’allongeaient. On entendit, pendant deux heures, le roule- -ment sourd des charrettes défilant vers les hal- -les. Les carreaux blanchirent, un fiacre passa, puis une compagnie d’ânesses qui trot- -tinaient sur le pavé ; – et des coups de mar- -teau, des cris de vendeurs ambulants, des éclats de trompette, tout déjà se confondait dans la gran- -de voix de Paris qui s’éveille. Frédéric se mit en courses. Il se transpor- -ta premièrement à la Mairie pour faire la dé- -claration, puis quand le médecin des morts eut donné un certificat, il revint à la Mairie, dire quel cimetière la famille choisissait, et pour s’en- -tendre avec le bureau des Pompes funèbres. L’employé exhiba un dessin et un programme, l’un indiquant les diverses clas- -ses d’enterrement, l’autre le détail complet de tout le décor.
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Voulait-on un char avec galerie, ou un char des avec panaches, des tresses aux chevaux, aigrettes aux valets, des initiales ou un blason, des lampes funèbres, un homme pour porter les honneurs, et combien de voitures ? Frédéric fut large, Madame Dambreuse tenait à ne rien ménager. Puis il se rendit à l’église. Le vicaire-des-convois commença par blâmer l’exploitation des Pompes-funèbres ; ainsi l’officier pour les pièces d’honneur était vraiment inutile ; beaucoup de cierges valait mieux ! On convint d’une messe basse relevé de musique. Fré- -déric signa ce qui était convenu, avec obligation solidaire de payer tous les frais. Il alla ensuite à l’Hôtel-de-ville, pour l’achat du terrain. Une concession de deux mètres en lon- -gueur sur une de largeur coûtait cinq cents francs. Était-ce une concession mi-séculaire, ou perpétuelle ? — « Oh, perpétuelle ! » – dit Frédéric. Il pre- -nait la chose au sérieux, se donnait du mal. Dans la cour de l’hôtel de Ville, un marbrier l’attendait pour lui montrer des devis et plans de tombeaux, grecs, égyptiens, moresques, mais l’architecte de la maison en avait déjà conféré avec Madame ; – et sur la table, dans le vestibule, il y avait toutes sortes de prospectus, relatifs au nettoyage des mate- -las, à la désinfection des chambres, à divers procédés d’embaumement. Après son dîner, il retourna chez
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le tailleur pour le deuil des domestiques ; et il dut faire une dernière course, car il avait commandé des gants de castor – et c’étaient des gants de filoselle qui convenaient ! Quand il arriva le lendemain, à dix heures, le grand salon s’emplissait de monde, et presque tous, en s’abordant d’un air mé- -lancolique, disaient : – « moi qui l’ai encore vu, il y a un mois ! – mon Dieu, c’est notre sort à tous ! » — « Oui, mais tâchons que ce soit le plus tard possible. » – Alors, on poussait un petit rire de satisfaction, et même on en- -gageait des dialogues, parfaitement étran- -gers à la circonstance. Enfin, le maître des cérémonies, en habit noir à la française et culotte courte, avec manteau, pleureuses, brette au côté et tricorne sous le bras, arti- -cula, en saluant, les mots d’usage — « Mes- -sieurs, quand il vous fera plaisir. » – Et l’on partit. C’était jour de marché aux fleurs sur la place de la Madeleine. Il faisait un temps clair et doux – Et la brise, qui secouait un peu les baraques de toile, gonflait par les bords, l’immense drap noir, accroché sur le portail. L’écusson de Monsieur Dambreuse, occupant un carré de velours, s’y répétait trois fois. Il était– de sable – au senestrochère d’or, à poing fermé, ganté d’argent – Avec la couronne de comte, et cette de devise – Par toutes voies. – Les porteurs montèrent jusqu’au
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et l’on haut de l’escalier le lourd cercueil, & on entra. Les six chapelles, l’hémicycle et les chaises étaient tendus de noir. Le catafalque au bas du chœur, formait avec ses grands cierges un seul foyer de lumières jaunes. Au deux angles, sur des candélabres, des flammes d’esprit-de-vin brûlaient. Les plus considérables prirent leur place dans le sanctuaire, les autres dans la nef, et l’office commença. À part quelques uns, l’ignorance reli- -gieuse de tous était si profonde que le maître des cérémonies, de temps à autres, leur faisait signe de se lever, de s’agenouiller, de se rasseoir. L’or- -gue et deux contrebasses alternaient avec les voix ; dans les intervalles de silence, on enten- -dait le marmottement du prêtre à l’autel ; puis la musique et les chants reprenaient. Un jour mat tombait des trois coupo- -les. Mais la porte ouverte envoyait horizon- -talement comme un fleuve de clarté blanche qui frappait toutes les têtes nues ; et dans l’air, à mi-hauteur du vaisseau, flottait une ombre, pénétrée par le reflet des ors décorant la nervure des pendatifs, et le feuillage des chapiteaux. Frédéric, pour se distraire, écouta le Diesiræ ; Il considérait les assistants, tâchait de voir les peintures trop élevées qui représen- -tent la vie de Madeleine. Heureusement Pellerin vint se mettre près de lui, et com- -mença tout de suite, à propos de fresques, une longue dissertation. La cloche tinta.
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On sortit de l’église. Le corbillard, orné de draperies pendantes et de hauts plumets, s’achemina vers le Père-La- -chaise, tiré par quatre chevaux noirs ayant des tresses dans la crinière, des panaches sur la tête, et qu’enveloppaient jusqu’aux sabots, de larges caparaçons brodés d’argent. Leur cocher en bottes à l’écuyère por- -tait un chapeau à trois cornes avec un long crêpe retombant. Les cordons étaient tenus par quatre personnages : un questeur de la chambre des députés, un membre du Conseil -général de l’Aube, un délégué des houilles, et Fumichon, comme ami. La calèche du défunt et douze voitures de deuil suivaient. Les conviés par derrière, emplissaient le milieu du Bou- -levard. Pour voir tout cela, les passants s’arrê- -taient, des femmes, leur marmot entre les bras, montaient sur des chaises ; et des gens qui prenaient des chopes dans les cafés ap- -paraissaient aux fenêtres, une queue de bil- -lard à la main. La route était longue ; et comme dans les repas de cérémonie où l’on est réservé d’abord expansif puis [illis.], la tenue générale se relâcha bien- -tôt. On ne causait que du refus d’allocation fait par la Chambre au Président. Monsieur Piscatory s’était montré trop acerbe, Monta- -lembert magnifique comme d’habitudes, et messieurs Chambolle, Pidoux, Creton, enfin toute la commission aurait dû
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suivre, peut-être, l’avis de messieurs Quentin Bauchart et Dufour. Ces entretiens continuèrent dans la rue de la Roquette, bordée par des boutiques où l’on ne voit que des chaînes en verre de cou- -leur et des rondelles noires couvertes de dessins et de lettres d’or, ce qui les fait ressembler à des grottes pleines de stalactites et à des ma- -gasins de faïence – Mais devant la grille du cimetière, tout le monde, instantanément, se tut. Les tombes se levaient au milieu des arbres, colonnes brisées, pyramides, temples, dolmens, obélisques, caveaux étrusques à la porte de bronze. On appercevait dans quel- -ques-uns des espèces de boudoirs funèbres, avec des fauteuils rustiques et des pliants. Mais des toiles d’arignées pendaient comme des haillons aux chaînettes des urnes, et de la poussière couvrait les bouquets de rubans de satin et les crucifix. Partout, entre les balus- -tres, sur les tombeaux, des couronnes d’immor- -telles, et des chandeliers, des vases, des fleurs, des disques noirs rehaussés de lettres d’or, des statuettes de plâtre : petits garçons et petites de- -moiselles ou petits anges tenus en l’air par un fil de laiton, plusieurs même ont un toit de zinc sur la tête. D’énormes câbles en verre filé, noirs, blancs et azur, descendent du haut des stèles jusqu’au pied des dalles, avec de longs replis comme des boas. Le soleil, frappant dessus, les faisait
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scintiller entre les croix de bois noir ; et le corbil- -lard s’avançait dans les grands chemins, qui sont pavés, comme les rues d’une ville. De temps à autre, les essieux claquaient. Des femmes à genoux, la robe traînant dans l’herbe, parlaient doucement aux morts. Des fumignons blan- -châtres [* bleuâtres] sortaient de la verdure des ifs. C’était des offrandes abandonnées, des débris que l’on brûlait. La fosse de Mr Dambreuse était dans le voisinage de Manuel et de Benjamin-Constant. Le terrain dévale, en cet endroit, par une pente abrupte. On a sous les pieds des sommets d’arbres verts, plus loin des cheminées de pompes à feu, puis toute la grande ville. Frédéric put admirer le paysage pen- -dant qu’on prononçait les discours. Le premier fut au nom de la Cham- -bre des Députés, le deuxième au nom du Conseil général de l’Aube, le troisième au nom de la société houillère de Saône et Loire, le quatrième au nom de la société d’agriculture de l’Yonne ; – et il y en eut un autre, au nom de la société philanthropique Universelle. Enfin, on s’en allait, lorsqu’un inconnu se mit à lire un sixième discours, au nom de la Société des antiquaires d’Amiens. Et tous profitèrent de l’occasion pour tonner contre le socialisme, dont Monsieur Dambreuse était mort victime. C’était le spectacle de l’anarchie et son dévouement à l’ordre qui avait abrégé ses jours. On exalta ses lumières, sa probité, sa générosité, ses
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vertus, et même son mutisme comme représentant du Peuple, car s’il n’était pas orateur, il possédait en revanche, ces qualités solides, mille fois préféra- -bles, etc… avec tous les mots qu’il faut dire : – « Fin patrie prématurée, regrets éternels – l’autre [illis.] – A- -dieu, ou plutôt non, au revoir ! – » La terre, mêlée de cailloux retomba ; – et il ne devait plus en être question dans le monde. On en parla encore un peu, en descen- -dant le cimetière ; et on ne se gênait pas pour l’apprécier. Hussonnet qui devait rendre compte de l’enterrement dans les journaux reprit mê- -me, en blague, tous les discours. – Car enfin le bonhomme Dambreuse avait été un des potsdevinistes les plus distingués du dernier règne Puis les voitures de deuil reconduisirent les bour- -geois à leurs affaires. La cérémonie n’avait pas duré trop longtemps, on s’en félicitait. Frédéric, fatigué, rentra chez lui. Quand il se présenta le lendemain à l’hôtel Dambreuse, on l’avertit que Madame travaillait en bas, dans le bureau. Les cartons, les tiroirs étaient ouverts pêle-mêle, les livres de compte jetés de droite et de gauche, un rouleau de paperasses ayant pour titre – « recouvrements désespérés » – traînait par terre, – il manqua tomber dessus et le ramassa. Madame Dambreuse disparaissait ensevelie dans le grand fauteuil. — « Eh bien ? où êtes-vous donc ? qu’y a-t-il ? » Elle se leva d’un bond :
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— « Ah ! ce qu’il y a ! Je suis ruinée, ruinée ! entends-tu ? » Monsieur Adolphe Langlois le notaire l’avait fait venir en son étude, et lui avait com- -muniqué un testament, écrit par son mari, avant leur mariage. Il léguait tout à Cécile ; et l’autre testament était perdu. Frédéric devint très pâle. Sans doute, elle avait mal cherché ? — « Mais regarde donc ! » dit Madame Dam- -breuse, en lui montrant l’appartement. Les deux coffres-forts bâillaient, défoncés à coups de merlin ; et elle avait retourné le pu- -pitre, fouillé les placards, secoué les paillassons, quand tout à coup, poussant un cri aigu, elle se précipita dans un angle où elle venait d’ap- -percevoir une petite boîte à serrure de cuivre, elle l’ouvrit, rien ! — « Ah ! le misérable ! et moi qui l’ai soigné avec tant de dévouement ! » – puis elle éclata en sanglots. — « Il est peut-être ailleurs ? » – dit Frédéric. — « Eh ! non ! il était là ! dans ce coffre-fort Je l’ai vu dernièrement. Il est brûlé ! j’en suis certaine ! » – un jour au commencement de sa maladie, monsieur Dambreuse était descendu pour donner des signatures — « C’est alors qu’il aura fait le coup ! » – Et elle retomba sur une chaise, anéan- -tie. Une mère en deuil n’est pas plus lamentable près d’un berceau vide que ne l’était Madame Dambreuse devant les coffres-forts béants. Enfin sa douleur – malgré la bassesse du motif – sem-
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-blait tellement profonde qu’il tâcha de la consoler en lui disant qu’après tout, elle n’était pas ré- -duite à la misère. — « Eh ! C’est la misère, puisque je ne peux pas t’offrir une grande fortune ! » Elle n’avait plus que trente-mille livres de rente, sans compter l’hôtel qui en valait de dix-huit à vingt, peut-être. de Bien que ce fût l’opulence pour Frédé- -ric, il n’en ressentait pas moins une déception. Adieu ses rêves, et toute la grande vie qu’il aurait menée ! Mais l’honneur le forçait à épouser Madame Dambreuse. Il réfléchit une minu- -te, puis d’un air tendre : — « J’aurai toujours ta personne ! » Elle se jeta dans ses bras, – et il la serra contre sa poitrine, avec un attendrissement où il y avait un peu d’admiration pour lui- même. Madame Dambreuse, dont les larmes ne coulaient plus, releva sa figure, toute ré- -yonnante de bonheur, et lui prenant la main — « Ah ! je n’ai jamais douté de toi ! j’y com- -ptais ! –» Cette certitude anticipée de ce qu’il re- -gardait comme une belle action déplut au jeune homme. Puis elle l’emmena dans sa chambre, et ils firent des projets Frédéric devait songer maintenant, à se pousser. Elle lui donna même sur sa
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candidature d’admirables conseils. Le premier point était de savoir deux ou trois phrases d’économie politique. Il fallait haras prendre une spécialité, comme les […illis…] par exemple, écrire plusieurs mémoires sur une question d’intérêt local, avoir toujours à sa disposition des bureaux – de poste ou de tabac, rendre une foule de petits services. Monsieur Dambreuse s’était montré là-dessus un vrai modèle. Ainsi, une fois à la campagne, il avait fait arrêter son char-à-bancs, plein d’amis devant l’échoppe d’un savetier, avait pris pour ses hôtes douze paires de chaussures et pour lui des bottes épouvantables qu’il eut même l’héroïsme de porter durant quinze jours. Cette anecdote les rendit gais. Elle en conta d’autres – et avec un revif de grâce, de jeunesse et d’esprit. Elle approuva son idée d’un voyage im- -médiat à Nogent. Leurs adieux furent tendres puis sur le seuil, elle murmura encore une fois : — « Tu m’aimes, n’est-ce pas ? » — « Éternellement ! » répondit-il Mais un commissionnaire l’attendait lui chez son concierge avec un mot au crayon, le prévenant que Rosanette allait accoucher. Il avait eu tant d’occupation depuis quelques jours qu’il n’y pensait plus. Elle spécial s’était mise dans un établissement, à Chaillot. Frédéric prit un fiacre et partit Au coin de la rue de Marbeuf, il lut
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sur une planche, en grosses lettres – « Maison de San- -té et d’accouchement tenue par Me Alessandri, sage- -femme de première classe, ex-élève de la mater- -nité, auteur de divers ouvrages, etc – » puis au milieu de la rue, sur la porte, une petite porte bâtarde, l’enseigne répétait, sans le mot accou- -chement – « maison de santé de Me Alexandri » ; – avec tous ses titres. Frédéric donna un coup de marteau ; – Une femme de chambre, à tournure de sou- -brette, l’introduisit dans le salon, orné d’une table en acajou, de fauteuils en velours grenat et d’une pendule sous globe. Presqu’aussitôt – Madame – parut. C’était une grande brune, de quarante ans avec la taille mince, de beaux yeux, l’usage du monde. Elle apprit à Frédéric l’heureuse déli- -vrance de la mère, et le fit monter dans sa chambre. Rosanette se mit à sourire ineffable- -ment ; et comme submergée sous les flots d’amour qui l’étouffaient, elle dit d’une voix basse : — « Un garçon, là, là ! » – en désignant près son lit de [..illis..] une barcelonnette. Il écarta les rideaux, et aperçut, au milieu des linges, quelque chose d’un rouge jaunâtre, extrêmement ridé, qui sentait mauvais et vagissait. — « Embrasse le ! » Il répondit, pour cacher sa répugnance
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— « Mais j’ai peur de lui faire mal — « Non ! non ! » Alors il baisa, du bout des lèvres, son enfant — « Comme il te ressemble ! » – et de ses deux bras faibles, elle se suspendit à son cou avec une effusion de sentiment qu’il n’avait jamais vue. Le souvenir de Madame Dambreuse lui revint – Il se reprocha comme une mons- -truosité de trahir ce pauvre être qui aimait et souffrait dans toute la franchise de sa nature. Pendant plusieurs jours, il lui tint com- -pagnie jusqu’au soir. Elle se trouvait heureuse dans cette mais- -on discrète, les volets de la façade restaient même constamment fermés ; sa chambre tend- -ue en perse claire, donnait sur un grand jardin ; madame Alessandri – dont le seul défaut était de citer comme ses intimes les médecins illustres – l’entourait d’attentions ; ses compagnes, presque toutes des Demoiselles de la province, s’en- -nuyaient beaucoup n’ayant personne qui vînt les voir. Rosanette s’aperçut qu’on l’enviait et le dit à Frédéric avec fierté. – Il fallait parler bas, cependant ; les cloisons étaient minces, et tout le monde se tenait aux écoutes, malgré le bruit continuel des pianos. Il allait enfin partir pour Nogent, quand il reçut une lettre de Deslauriers. Deux candidats nouveaux se présentaient, l’un con- -servateur et l’autre rouge, si bien qu’ un troisiè- -me, quel qu’il fût, n’avait pas de chances.
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C’était la faute de Frédéric. Il avait laissé pas- -ser le bon moment, il aurait dû venir plutôt, se remuer – « On ne t’a même pas vu aux Comi- -ces agricoles ! » – L’avocat le blâmait de n’avoir aucune attache dans les journaux – « Ah ! si tu avais suivi autrefois mes conseils ! Si nous avions une feuille publique à nous ! » Il insis- -tait là-dessus. Du reste, beaucoup de personnes qui auraient voté en sa faveur, par considération pour Mr Dambreuse, l’abandonneraient maintenant. Deslauriers était de ceux-là. N’ayant plus rien à attendre du capitaliste, il lâchait son protégé. Frédéric porta sa lettre à Mme Dambreuse — « Tu n’as donc pas été à Nogent. » – dit-elle. — « Pourquoi ? — « C’est que j’ai vu Deslauriers il y a trois jours » la mort l’avocat Sachant de son mari, il était venu rapporter des notes sur les houilles, et lui offrir ses services, comme homme d’affaires. Cela parut étrange à Frédéric ; et que faisait son ami, là-bas ? Mme Dambreuse voulut savoir l’emploi de son temps, depuis leur séparation. — « J’ai été malade » – répondit-il. — « Tu aurais dû me prévenir, au moins ! » — « Oh ! Cela n’en valait pas la peine » ; d’ailleurs il avait eu une foule de petits désagréments, des rendez- -vous, des visites. Il mena dès lors une existence double, couchant religieusement [* régulièrement] chez la Maréchale et pas- -sant l’après-midi chez Madame Dambreuse. Si bien qu’il lui restait à peine, au milieu de la journée, une heure de liberté L’enfant était à la campagne, à Andilly. On allait le voir toutes les semaines.
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La maison de la nourrice se trouvait sur la hauteur du village, au fond d’une petite cour, sombre comme un puits, avec de la paille par terre, des poules çà et là, une charrette à légumes sous le hangar. Rosanette com- -mençait par baiser frénétiquement son poupon, et prise bientôt d’une sorte de délire, allait et venait, essayait de traire la chèvre, mangeait du gros pain, aspirait l’odeur du fumier, voulait en mettre un peu dans son mouchoir. Puis ils faisaient de grandes promenades ; et elle entrait chez les pépiniéristes, arra- -chait les branches de lilas qui pendaient en dehors des murs, criait « hue, bourri- -quet » aux ânes traînant une carriole, s’arrêtait à contempler, par la grille, l’intérieur des beaux jardins ; – ou bien la nourrice prenait l’enfant, on le posait à l’ombre sous un noyer, – et alors les deux femmes débitaient, pendant des heures, d’assommantes niaiseries. Frédéric, près d’elles, contemplait les carrés de vignes sur les pentes du terrain, avec la touffe d’un arbre de place en place, les petits sentiers poudreux pareils à des rubans grisâtres, les maisons éta- -lant dans la verdure des taches blanches et rouges ; – et quelquefois, la fumée d’une locomotive allongeait horizontalement, au pied des collines couvertes de feuil- -lages, comme une gigantesque plume
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d’autruche, dont le bout léger s’envolait. sur Puis, ses yeux retombaient son fils. Il se le figurait jeune homme ; il en ferait son compagnon ; mais ce serait peut-être un sot, un malheureux, à coup sûr ! L’illégalité de sa naissance l’opprimerait toujours. Mieux aurait valu pour lui ne pas naître ! et Frédéric murmurait « « pauvre enfant » le cœur gonflé d’une incompréhensible tristesse. Souvent, ils manquaient le dernier départ. Alors Mme Dambreuse le grondait de son inexactitude. Il lui faisait une histoire. Il fallait en inventer aussi pour Rosanette. Elle ne comprenait pas à quoi il employait toutes ses soirées ; et quand on envoyait chez lui, il n’y était jamais ! Un jour, comme il s’y trouvait, elles apparurent presque à la fois. Il fit sortir la Maréchale et cacha madame Dambreuse, en leur disant que sa mère allait arriver. Bientôt ces mensonges le divertirent ; il répétait à l’une le serment qu’il venait de faire à l’autre, leur envoyait deux bouquets semblables, leur écrivait en même temps, puis établissait, entre elles des comparaisons ; – et il y en avait toujours une troisième toujours présente à sa pensée – L’impossibilité de l’avoir le justifiait de ses
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qui perfidies. D’ailleurs, elles avivaient le plaisir, en y mettant de l’alternance – et plus il avait trompé n’importe laquelle des deux, plus elle l’aimait, comme si leurs amours se fussent échauf- -fés réciproquement et que dans une sorte d’émulation chacune ait voulu lui faire oublier l’autre. — « Admire ma confiance ! » lui dit un jour Mme Dambreuse, en dépliant un papier, où on la prévenait que Mr Moreau vivait conjugale- -ment avec une certaine Rose Bron. — « Est-ce la demoiselles des courses, par hasard ? » — « Quelle absurdité, » reprit-il – « laisse-moi voir ! » La lettre, écrite en caractères Romains, n’était pas signée. Madame Dambreuse, au début, avait toléré cette maîtresse qui couvrait leur adultère. Mais sa passion devenant plus forte, elle avait exigé une rupture, chose faite depuis longtemps, selon Frédéric ; – et quand il eut fini ses protestations, elle répliqua, tout en clignant ses paupières, où brillait un d’un regard, pareil à la pointe du stylet sous de la mousseline. — « Eh bien, et l’autre ? » — « Quelle autre ? » — « La femme du faïencier ! »
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Il leva les épaules dédaigneusement. Elle n’insista pas. Mais un mois plus tard, comme ils parlaient d’honneur, de loyauté, – et qu’il vantait la sienne – (d’une manière incidente, par précaution) elle lui dit : — « C’est vrai, tu es honnête, tu n’y retournes plus » Frédéric qui pensait à la Maréchale, balbutia : — « Où donc ? — « Chez Me Arnoux. » Il la supplia de lui avouer d’où elle tenait ce renseignement. C’était par sa couturière en second, Me Regimbart. Ainsi, elle connaissait sa vie, et lui ne savait rien de la sienne ! Cependant il avait découvert dans son cabinet de toilette la miniature d’un monsieur à longues moustaches ; était-ce le même sur lequel on lui avait conté autrefois, une vague histoire de suicide, qui aurait eu lieu dans les premiers temps de son mariage ? Mais il n’existait aucun moyen d’en savoir plus ! à quoi bon, du reste ? Les de ces cœurs des femmes sont comme des petits meubles à secret, pleins de tiroirs emboîtés. les uns dans les autres. On se donne du mal, on se casse les ongles ; et on trouve, au fond, quelque fleur desséchée, des brins de poussière ou le vide ! – Et puis, il craignait peut-être d’en trop apprendre.
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Elle lui faisait refuser les invitations où elle ne pouvait se rendre avec lui, le tenait à ses côtés, avait peur de le perdre ; et malgré cette union chaque jour plus grande, tout à coup, des abîmes se découvraient entr’eux, à propos de choses insignifiantes, l’appréciation d’une personne, d’une œuvre d’art. Elle avait une façon de jouer du piano, correcte et dure. son spiritualisme me (Madame Dambreuse croyait à la transmigration des âmes dans les étoiles) ne l’empêchait pas de tenir sa caisse admirablement. Elle était hautaine hautaine envers ses gens ; ses yeux restaient secs devant les haillons des pauvres. Un égoïsme ingénu éclatait dans ses locutions ordinaires « qu’est-ce que cela me fait ? je serais bien bonne ! est-ce que j’ai besoin ! » et mille petites actions inalysables, odieuses. Elle aurait écouté derrière les portes ; elle devait mentir à son confesseur. Par esprit de domination, elle voulut que Frédéric l’accompagnât le dimanche à l’église. Il obéit et porta le livre. La perte de son héritage l’avait considérablement changée. Ces mar- -ques d’un chagrin qu’on attribuait à la mort de Mr Dambreuse la rendaient intéressante ; et comme
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autrefois, elle recevait beaucoup de monde. Depuis l’insuccès électoral de Frédéric, elle ambitionnait pour eux deux une légation en Allemagne ; aussi la première chose à faire était de se soumettre aux idées régnantes. Les uns désiraient l’Empire, d’autres comte les Orléans, d’autres le duc de Chambord ; mais tous s’accordaient sur l’urgence de la Décentralisation – et plusieurs mo- -yens étaient proposés tels que ceux-ci : Couper Paris en une foule de grandes rues afin d’y établir des villages, trans- -férer à Versailles le siège du gouver- -nement, mettre à Bourges les Écoles, supprimer les bibliothèques, confier tout aux Généraux de Division ; et on exaltait les campagnes, l’homme illettré ayant naturellement plus de bon-sens que les autres ! Les haines foisonnaient : haine contre les instituteurs-primaires et contre les marchands de vin, contre les classes de philosophie, contre les cours d’histoire, contre les romans, les gilets rouges, les barbes longues, toute indépendance, toute manifestation in- -dividuelle, car il fallait « Relever le principe d’autorité » qu’elle s’exerçât au nom de n’importe qui, qu’elle vînt de n’importe où, pourvu que ce fût la Force, l’Autorité ! Les conservateurs parlaient maintenant comme Sénécal.
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Frédéric ne comprenait plus. et il retrouvait chez son autre maîtresse les mêmes propos débités par les mêmes hommes ! Les salons des filles (C’est de ce temps-là que date leur importance.) étaient un terrain neutre, où les réac- -tionnaires de bords différents se rencon- -traient. Hussonnet qui se livrait au dénigrement des gloires contemporaines – (bonne chose pour la restauration de l’ordre.) inspira l’envie à Rosanette d’avoir comme un autre, ses soirées – il en ferait des comptes rendus ; Ça la « poserait », et il amena d’abord un homme sérieux Fumichon, puis parurent Nonancourt, Mr de Grémon- -ville, le sieur de Larsillois ex-préfet, et Cisy qui était maintenant agronome, bas breton, et plus que jamais chré- -tien. Il venait, en outre, d’anciens amants de la Maréchale, tels que le baron de Comaing, le comte de Jumillac, et quelques autres ; la liberté de leurs allures blessait Frédéric. Afin de se poser comme le maître, il augmenta le train de la maison. Alors on prit un groom, on changea de loge- -ment, et on eut un mobilier nouveau. Ces dépenses étaient utiles pour faire
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paraître son mariage moins disproportionné à sa fortune. Aussi diminuait-elle effroyablement – et Rosanette ne comprenait rien à tout cela ! Bourgeoise déclassée, elle adorait la vie de ménage, un petit intérieur paisible. Cependant, elle était contente d’avoir « un jour » disait « Ces femmes- -là ! » en parlant de ses pareilles, voulait être « une dame du monde », s’en croyait une ! Elle le pria de ne plus fumer dans le salon, essaya de lui faire faire maigre, par bon genre. Elle mentait à son rôle, enfin, car elle devenait sérieuse ; et même, avant de se coucher, montrait toujours un peu de mélan- -colie, comme il y a des cyprès à la porte d’un cabaret. Il en découvrit la cause ; elle rêvait mariage ; – Elle aussi ! Frédéric en fut exaspéré. D’ailleurs, il se rappelait son apparition chez Madame Arnoux – et puis il lui gardait rancune pour sa longue résistance. Il n’en cherchait pas moins quels avaient été ses amants. Elle les niait tous. Alors une sorte de jalousie l’envahit. Il s’irrita des cadeaux qu’elle avait reçus, qu’elle recevait ; – et à mesure que le fond même de sa personne l’agaçait davantage, un goût des sens
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âpre et bestial l’entraînait vers elle, illusions d’une minute qui se résol- -vaient en haine. Ses paroles, sa voix, son sourire tout vint à lui déplaire, ses regards surtout, cet œil de femme éternellement limpide et inepte. Il s’en trouvait tellement excédé quelque- -fois, qu’il l’aurait vue mourir sans émotion. Mais comment se fâcher ? Elle était d’une douceur désespérante. Deslauriers reparut, et expliqua son séjour à Nogent, en disant qu’il y mar- -chandait une étude d’avoué. Frédéric fut heureux de le revoir ; c’était quel- -qu’un ! Il le mit en tiers dans leur compagnie. L’avocat dînait chez eux, de temps à autre – et, quand il s’élevait de petites contestations, se déclarait toujours pour Rosanette, si bien qu’une fois, Frédéric lui dit : prend la — « Eh ! couche avec elle si ça t’amuse ! » tant il souhaitait un pour l’en débarrasser hasard qui l’en débarrassât ! » Vers le milieu du mois de juin, elle reçut un commandement, où Maître Athanase Gautherot, huissier, lui enjoignait de solder quatre mille francs, dus à la demoiselle Clémence Vatnas, sinon qu’il viendrait le lendemain, la saisir.
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En effet, des quatre billets autrefois souscrits, un seul était payé – l’argent qu’elle avait pu avoir depuis lors, ayant passé à d’autres besoins. Elle courut chez Arnoux. Il habitait le portier faubourg St Germain, et le concierge ignorait la rue. Alors Elle se transporta chez plusieurs amis, ne trouva personne, et rentra désespérée. Elle ne voulait rien dire à Frédéric, tremblant que cette nouvelle histoire ne fît du tort à son mariage. Le lendemain matin, Mtre Athanase Gautherot se présenta, flanqué de deux acolytes, l’un blême, à figure chafouine, l’air dévoré d’envie, l’autre portant un faux-col et des sous-pieds très tendus, avec un délot de taffetas noir à l’index, – et avaient tous deux ignoblement sales, des colets gras, des manches de redingote trop courtes. Leur patron, un fort bel homme, au contraire, commença par s’excuser de sa mission pénible, tout en regardant l’appartement, « plein de jolies choses, ma parole d’honneur ! » il ajouta « outre celles & qu’on ne peut saisir » sur un geste les deux recors disparurent. ses Alors ses compliments redoublèrent. Pouvait-on croire qu’une personne aussi… charmante n’eût pas d’ami sérieux ! une vente par autorité de justice était un
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véritable malheur ! on ne s’en relève jamais – Il tâcha de l’effrayer ; puis la voyant émue, prit subitement un ton paterne. Il connaissait le monde, il avait eu affaire à toutes ces dames ; et en les nommant, il examinait les cadres, sur les murs. C’étaient d’anciens cadeaux du brave Arnoux, des esquisses de Sombaz, des aquarelles de Burieu, trois paysages de Dittmer. Rosanette n’en savait pas le prix, évidemment. Mtre Gautherot se tourna vers elle : — « Tenez ! pour vous montrer que je suis un bon garçon – faisons un chose : Cédez-moi ces Dittmer-là ! et je paye tout. Est-ce convenu ? » À ce moment, Frédéric, que Delphine avait instruit dans l’anti- -chambre et qui venait de voir les deux praticiens, entra le chapeau sur la tête, d’un air brutal – Mtre Gautherot reprit sa dignité, – et comme la porte était restée ouverte : — « Allons messieurs, écrivez ! Dans la seconde pièce nous disons : une table de chêne, avec ses deux rallonges, deux buffets… » Frédéric l’arrêta, demandant s’il n’y avait pas quelque moyen d’em- -pêcher la saisie. — « Oh ! parfaitement ! qui a payé les meubles ?
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— « Moi ! » — « Eh bien, formulez une revendication. C’est toujours du temps que vous aurez devant vous. » Maître Gautherot acheva vive- -ment ses écritures – et dans le même procès-verbal assigna en référé Mlle Bron, puis se retira. Frédéric ne fit pas un reproche. Il contemplait, sur le tapis, les traces de boue laissées par les chaussures des praticiens ; et se parlant à lui- même : — « Il va falloir chercher de l’argent ! » — « Ah ! mon Dieu que je suis bête ! » dit la Maréchale. Elle fouilla dans un tiroir, prit une lettre et s’en alla vivement à la société d’éclairage du Languedoc, afin d’obte- -nir le transfert de ses actions. Elle revint une heure après. Les titres étaient vendus à un autre ! le commis lui avait répondu en examinant son papier, la promesse écrite par Arnoux : « Cet acte ne vous constitue nullement son propriétaire. La Compa- -gnie ne connaît pas cela » bref, il l’avait congédiée, elle en suffoquait, et Frédéric devait se rendre à l’instant même chez Arnoux – pour éclaircir la chose. Mais Arnoux croirait, peut-être, qu’il venait pour recouvrer indirectement
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les quinze mille francs de son hypothèque perdue ? et puis, cette réclamation à un homme qui avait été l’amant de sa maîtresse lui semblait être une turpitude. Enfin, choisissant un moyen terme, il alla prendre à l’hôtel Dambreuse l’adresse de Madame Regimbart, envoya chez elle un commissionnaire, et connut ainsi le café que hantait maintenant le citoyen. C’était un petit café sur la Place de la Bastille – où il se tenait toute la journée, dans le coin de droite, au fond, pas ne bougeant plus que s’il avait fait partie de l’immeuble. Après avoir passé, successivement, par la demi- -tasse, le grog, le bischop, le vin chaud et même l’eau rougie il était revenu à la bière ; – et de demi-heure en demi- -heure laissait tomber de ses lèvres ce mot « bock ! » ayant réduit son langage à l’indispensable. Frédéric lui demanda s’il voyait quelquefois Arnoux. — « Non ! — « Tiens, pourquoi ? » — « Un imbécile ! » La politique, peut-être les séparait, et Frédéric crut bien faire que de s’informer de Compain. — « Quelle brute ! » dit Regimbart
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à cause ? — « Comment cela ? » — « Sa tête de veau ! » — « Ah ! apprenez-moi ce que c’est que la tête de veau ! » Regimbart eut un sourire de pitié. — « Des bêtises ! Frédéric, après un long silence, reprit : — « Il a donc changé de logement ? » — « Qui cela ? » — « Arnoux ! » — « Oui ! rue de Fleurus ! » — « Quel numéro ? » — « Est-ce que je fréquente les jésuites ? » — « Comment, jésuites ! » Le Citoyen répondit furieux. — « Avec l’argent d’un patriote que je lui ai fait connaître, ce cochon-là s’est établi marchand de chapelets ! » — « Pas possible ! — « Allez-y voir ! » Rien de plus vrai – Arnoux affaibli par une attaque avait tourné à la religion – (D’ailleurs il avait toujours eu un fond de religion) et avec l’alliage & de mercantilisme d’ingénuité qui lui était naturel pour faire son salut et sa fortune, il s’était mis dans le com- -merce des objets religieux –
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Frédéric n’eut pas de mal à découvrir son établissement, dont l’enseigne portait « Aux Arts Gothiques. – restauration du culte – Ornements d’église – sculpture encens polychrome – encens des Rois-mages, – etc. » Aux deux coins de la vitrine, s’élevaient deux statues en bois, bariolées d’or, de cinabre et d’azur : un Saint-Jean Baptiste avec sa peau de mouton ; et une sainte Geneviève, des roses dans son tablier et une quenouille sous son bras ; puis des groupes en plâtre, une bonne sœur instruisant une petite fille, une mère à genoux près d’une couchette, trois collégiens devant la sainte table. Le plus joli était une manière de chalet, figurant l’intérieur de la crèche avec l’âne, le bœuf et l’enfant Jésus étalé sur de la paille, de la vraie paille. Du haut en bas des étagères, on voyait des médailles à la douzaine, des chapelets de toute espèce, des bénitiers en forme de coquille, et les portraits des gloires ecclésias- -tiques, parmi lesquelles brillaient Mon- -seigeur Affre et notre Saint-Père, tous deux souriant. Arnoux, à son comptoir, sommeillait la tête basse. – Il était prodigieusement vieilli, avait même autour des tempes roses une couronne de boutons – et le reflet des croix d’or frappées par le soleil tombait dessus.
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Frédéric devant cette décadence, fut pris de tristesse. Par dévouement pour la Maréchale, il se résigna cependant et il s’avançait ; mais au fond de la boutique, Mme Arnoux parut. Alors il tourna les talons. — « Je ne l’ai pas trouvé » dit -il en rentrant – et il eut beau reprendre qu’il allait écrire tout de suite à son notaire du Havre pour avoir de l’ar- -gent, Rosanette s’emporta. On n’avait jamais vu un homme si faible, si mollasse ; – Pendant qu’elle endurait mille privations, les autres se gobergeaient. Frédéric songeait à la pauvre Mme Arnoux, se figurant la médio- -crité navrante de son intérieur. mis Il s’était au secrétaire, et comme la voix aigre de Rosanette continuait — « Ah ! au nom du ciel, tais-toi ! » — « Vas-tu les défendre, par hasard ? » — « Eh bien, oui ! » s’écria-t’il – « Car d’où vient cet acharnement ? » — « Mais toi, pourquoi ne veux-tu pas qu’ils payent ? C’est dans la peur d’affliger ton ancienne, avoue-le ! » Il eut envie de l’assommer avec la pendule – Les paroles lui manquèrent – Il se tut. Rosanette, tout en marchant dans la chambre, ajouta :
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— « Mais je vais lui flanquer un procès, à ton Arnoux – Oh ! je n’ai et pinçant les lèvres pas besoin de toi » et en ….[illis]… « Je consulterai. » Trois jours après, Delphine, entra brusquement. — « Madame, madame, il y a là, un homme avec un pot de colle qui me fait peur ! » Rosanette passa dans la cuisine ; et vit un chenapan, la face criblée de petite vérole, paralytique d’un bras, aux trois- quarts ivre et bredouillant C’était l’afficheur de maître Gau- -therot. L’opposition à la saisie ayant été repoussée, la vente, naturellement, s’en suivait. Pour sa peine d’avoir monté l’escalier, il réclama d’abord un petit verre – puis il implora une autre faveur, à savoir des billets de spectacle, croyant que Madame était une actrice. Il fut ensuite plusieurs minutes à faire des clignements d’yeux incompréhensibles ; enfin il déclara que moyennant quarante sols, il déchirerait les coins de l’affiche déjà posée en bas, contre la porte. Ro- -sanette s’y trouvait désignée par son nom, – rigueur exceptionnelle qui marquait toute la haine de la Vatnas.
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Cependant, elle avait été sensible autrefois, et même dans une peine de cœur avait écrit à Béranger pour en obtenir un conseil. Mais elle s’était aigrie sous les bourrasques de l’existence, ayant, tour à tour, donné des leçons de piano, présidé une table d’hôte, collaboré à des journaux de modes, sous-loué des appartements, fait le trafic des dentelles dans le monde des femmes légères – où ses relations lui permirent d’obliger beau- -coup de personnes, Arnoux entr’autres – Elle avait travaillé auparavant, dans une maison de commerce. Elle y soldait les ouvrières ; et il y avait pour chacune d’elles deux livres, dont l’un restait toujours entre ses mains. Dus- -sardier, qui tenait par obligeance, celui d’une nommée Hortense Baslin, se présenta, un jour, à la caisse au moment où Melle Vatnas apportait le compte de cette fille 1682 francs, que le caissier lui paya. Or la veille même, Dussardier n’en avait inscrit que 1082 sur le livre de la Baslin. Il le redemanda sous un prétexte, puis voulant ensevelir cette histoire de vol lui conta qu’il l’avait perdu. L’ouvrière redit naïvement son mensonge à Melle Vatnaz ; celle-ci, pour en avoir le cœur en net, d’un air indifférent, vint parler au brave commis. Il se contenta de répondre. « Je l’ai brûlé, » ce fut tout. Elle quitta la maison peu de temps après, sans croire
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à l’anéantissement du livre et s’imaginant que Dussardier le gardait. À la nouvelle de sa blessure, elle était accourue chez lui dans l’intention de le reprendre. Puis n’ayant rien découvert, malgré les perquisitions les plus fines, elle avait été saisie de respect, et bientôt d’amour pour ce garçon si loyal, si doux, si héroïque et si fort ! Une pareille bonne fortune, à son âge, était inespérée. Elle se jeta dessus avec un appétit d’ogresse – et elle en avait abandonné la littérature, le socialisme, « les doctrines consolantes et les utopies généreuses » ; le cours qu’elle professait sur la Désubalternisation de la femme tout, Delmar lui-même ; enfin, elle offrit à Dussardier de s’unir par un mariage. Bien qu’elle fût sa maîtresse, il n’en était nullement amoureux. D’ailleurs il n’avait pas oublié son vol. Puis elle était trop riche. Il la refusa. Alors, elle lui dit, en pleurant, les rêves qu’elle avait faits : c’était d’avoir à eux deux, un magasin de confection. Elle possédait les premiers fonds indis- -pensables, qui s’augmenteraient de quatre mille francs la semaine prochaine ; et elle narra ses poursuites contre la Maréchale. Dussardier en fut chagrin, à
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cause de son ami. Il se rappelait le porte-cigares offert au corps de garde, les soirs du quai Napoléon, tant de bonnes causeries, de livres prêtés, les mille complaisances de Frédéric. Il pria la Vatnas de se désister. Elle le railla de sa bonhomie, en manifestant contre Rosanette une exécration incompréhensible ; elle ne souhaitait même la for- -tune que pour l’écraser plus tard avec son carrosse. Ces abîmes de noirceur effrayèrent Dussardier et quand il sut positivement le jour de la vente, il sortit. Dès le lendemain matin, il entrait chez Frédéric avec une contenance embarrassée. — « J’ai des excuses à vous faire ! » — « de quoi donc ? » — « Vous devez me prendre pour un ingrat, moi dont elle est… » il balbutiait. « Mais je ne la verrai plus, je ne serai pas son complice » et l’autre le regardant tout surpris – « Est-ce qu’on ne va pas, dans trois jours vendre les meubles de votre maîtresse ? » — « Qui vous a dit cela ?
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— « Elle-même, la Vatnas ! Mais j’ai peur de vous offenser ! » — « Impossible ! cher ami ! » — « Ah ! c’est vrai, vous êtes si bon ! » et il lui tendit d’une main discrète un petit portefeuille de basane. C’était quatre mille francs, toutes ses économies. — « Comment ! ah ! non ! – non !… » bien — « je savais que je vous « blesserais » répliqua Dussardier, avec une larme au bord des yeux – Frédéric lui serra la main, et le brave garçon reprit d’une voix dolente –
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— « Acceptez-les ! faites-moi ce plaisir-là ! Je suis tellement désespéré ! Est-ce que tout n’est pas fini, d’ailleurs ? – J’avais cru quand la révolution est arrivée qu’on serait heureux. Vous rappelez-vous comme c’était beau ! comme on respirait bien ! Mais nous voilà retombés pire que jamais ! » Et fixant ses yeux par terre « maintenant, ils tuent notre Répu- blique, comme ils ont tué l’autre, la Romaine ! et la pauvre Venise, la pauvre Pologne, la pauvre Hon- grie ! Quelles abominations ! D’abord, on a abattu les arbres de la liberté, puis restreint le droit de suffrage, fermé les clubs, rétabli la censure et livré l’enseignement aux prêtres, en attendant l’in- quisition ! Pourquoi pas ? Des conservateurs nous souhaitent bien les cosaques ! On condamne les journaux quand ils parlent contre la peine de mort, Paris regorge de bayonnettes, seize dépar- tements sont en état de siège – et l’amnistie qui est encore une fois repoussée ! » Il se prit le front à deux mains, puis écartant les bras, comme dans une grande détresse « Si on tâchait cependant, si on était de bonne foi, on pourrait s’entendre ! Mais non ! les ouvriers ne valent pas mieux que les bourgeois, voyez-vous ! à Elbeuf, dernière- ment, ils ont refusé leur secours dans un incen- die. Des misérables traitent Barbès d’aristocrate ! Pour qu’on se moque du peuple, ils veulent nom- mer à la Présidence, Nadaud, un maçon, je vous demande un peu ! et il n’y a pas de moyen ! pas de remède ! Tout le monde est contre nous ! – Moi, je n’ai jamais fait de mal, et pourtant, c’est comme un poids qui me pèse sur l’estomac. J’en deviendrai
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fou, si ça continue ! J’ai envie de me faire tuer ! Je vous dis que je n’ai pas besoin de mon argent ! vous me le rendrez parbleu ! je vous le prête ! » Frédéric, que la nécessité contraignait, finit par prendre ses quatre mille francs. Ainsi du côté de la Vatnas, ils n’avaient plus d’in- quiétude. Mais Rosanette perdit bientôt son pro- cès contre Arnoux – et, par entêtement, voulait en appeler. Deslauriers s’exténuait à lui faire com- prendre que la promesse d’Arnoux ne consti- tuait ni une donation, ni une cession régulière ; elle n’écoutait même pas, trouvant la loi in- juste ; c’est parce qu’elle était une femme ! les hommes se soutenaient entre eux ; À la fin, cependant, elle suivit ses conseils. Il se gênait si peu dans la maison, que plusieurs fois, il amena Sénécal y dîner. Ce sans-façon déplut à Frédéric qui lui avan- çait de l’argent, le faisait même habiller par son tailleur – et l’avocat donnait ses vieilles redingottes au socialiste, dont les moyens d’exis- tence étaient inconnus. Il aurait voulu servir Rosanette, cepen- dant. – un jour qu’elle lui montrait douze ac- tions de la Compagnie du Caolin (Cette entre- prise qui avait fait condamner Arnoux à trente mille francs) il lui dit : — « Mais c’est véreux ! c’est superbe ! » Elle avait le droit de l’assigner pour le rembour- sement de ses créances. Elle prouverait, d’abord,
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qu’il était tenu solidairement à payer tout le passif de la compagnie, puis, qu’il avait déclaré comme dettes collectives des dettes personnelles, enfin qu’il avait diverti plusieurs effets à la Société ! « Tout cela le rend coupable de ban- queroute frauduleuse articles 586 et 587 du Code de commerce. – Et nous l’emballerons, soyez- en sûre, ma mignonne. » Rosanette lui sauta au cou. Il la recommanda, le lendemain, à son ancien patron, ne pouvant s’occuper lui- même, du procès ; car il avait besoin à Nogent – Sénécal lui écrirait en cas d’urgence. Ses négociations pour l’achat d’une étude étaient un prétexte. Il passait son temps chez Mr Roque, où il avait commencé non – seulement par faire l’éloge de leur ami, mais par l’imiter d’allures et de langage autant que possible, ce qui lui avait obtenu la confiance celle de Louise, tandis qu’il gagnait de son père, en se déchaînant contre Ledru-Rollin. Si Frédéric ne revenait pas, c’est qu’il fréquentait le grand-monde ; et peu-à-peu, Deslauriers leur apprit qu’il aimait quelqu’un, qu’il avait un enfant, qu’il entretenait une créature. Le désespoir de Louise fut immense, l’indignation de Made Moreau non moins forte grande. Elle voyait son fils tourbillonnant vers le fond d’un gouffre vague, était blessée dans sa religion des convenances, et en éprou- vait comme un déshonneur personnel, – quand,
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tout-à-coup, sa physionomie changea. – Aux questions qu’on lui faisait sur Frédéric, elle répondait, d’un air narquois. « Il va bien, très bien. Elle savait son mariage avec Madame Dambreuse. L’époque en était fixé – et même il avaler cherchait comment faire passer la chose à Rosanette. Vers le milieu de l’automne, elle gagna son procès relatif aux actions de caolin. Frédéric l’apprit, en rencontrant à sa porte Sénécal qui sortait de l’audience. On avait reconnu Mr Arnoux com- plice de toutes ses fraudes ; et l’ex-répétiteur avait un tel air de s’en réjouir que Frédéric l’empêcha d’aller plus loin, en assurant qu’il se chargeait de sa commission près de Ro- sanette. Il entra chez elle, la figure irritée. — « Eh ! bien, te voilà contente ! » Mais, sans remarquer ces paroles : – « regarde donc ! » et elle lui montra son en- fant, couché dans un berceau, près du feu. Elle l’avait trouvé si mal, le matin, chez sa nourrice, qu’elle l’avait ramené à Paris. Tous ses membres étaient maigris ex- traordinairement et ses lèvres couvertes de points blancs, qui faisaient dans l’in- térieur de sa bouche comme des caillots de lait.
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— « Qu’a dit le médecin ? » — « Ah ! le médecin ! il prétend que le voyage a augmenté son… je ne sais plus un nom en ite… enfin qu’il a le muguet, – Connais-tu cela ? » Frédéric n’hésita pas à répondre – « Certainement » ajoutant que ce n’était rien. Mais dans la soirée, il fut effrayé par l’aspect débile de l’enfant et le pro- grès de ces taches blanchâtres, pareilles à de la moisissure, comme si la vie aban- donnant déjà ce pauvre petit corps, n’eût laissé qu’une matière où la végétation poussait. Ses mains étaient froides ; Il ne pouvait plus boire, maintenant ; et la portier nourrice, une autre que le concierge avait été prendre au hasard dans un bureau, répétait : « Il me paraît bien bas ! bien bas ! » Rosanette fut debout toute la nuit. Le matin, elle alla trouver Frédéric. — « Viens donc voir. Il ne remue plus. » En effet, il était mort. Elle le prit, le secoua, l’étreignait en l’appelant des noms les plus doux, le couvrait de baisers et de sanglots, tournait sur elle-même éperdue, s’arrachait les cheveux, poussait des cris ; – et elle se laissa tomber au bord du divan, où elle restait la bouche ouverte, avec un flot de larmes
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tombant de ses yeux fixes. – Puis une torpeur la gagna – et tout redevint tranquille dans l’ap- partement – et Les meubles étaient renversés. Deux ou trois serviettes traînaient. Six heures sonnèrent. La veilleuse s’éteignit. Frédéric en regardant tout cela, croy- ait presque rêver. Son cœur se serrait d’an- goisse. Il lui semblait que cette mort n’était qu’un commencement et qu’il y avait par derrière un malheur plus considérable prêt à survenir. Tout à coup, Rosanette dit d’une voix tendre : — « Nous le conserverons, n’est-ce pas ? » Elle désirait le faire embaumer. Mais bien des raisons s’y opposaient. La meilleure, selon Frédéric, c’est que la chose était impraticable sur des enfants si jeunes. Un portrait valait mieux. Elle adopta cette idée. Il écrivit un mot à Pellerin et Delphine courut le porter. Pellerin arriva promptement, – voulant effacer par ce zèle tout souvenir de sa con- duite. Il dit d’abord « Pauvre petit ange ! Ah ! mon Dieu quel malheur ! » Mais peu-à- peu l’artiste en lui, l’emportant, il décla- ra qu’on ne pouvait rien faire avec ces yeux bistrés, cette face livide – que c’était une véritable nature morte, qu’il faudrait
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beaucoup de talent et il murmurait : — « Oh ! pas commode, pas commode ! » — « Pourvu que ce soit ressemblant » objecta Rosanette. — « Eh ! je me moque de la ressemblance ! à bas le réalisme ! c’est l’esprit qu’on peint ! laissez-moi ? je vais tâcher de me figurer ce que ça devait être. » Il réfléchit, le front dans la main gau- che, le coude dans la droite, puis tout-à-coup – « Ah ! une idée ! un pastel ! avec des demi- teintes colorées passées presque à plat, on peut faire un beau modelé, sur les bords seulement. » Il envoya la femme de chambre cher- cher sa boîte ; – puis ayant une chaise sous les pieds et une autre près de lui, il commença à de jeter les grands traits, aussi calme que s’il eût travaillé d’après la bosse – Il vantait les petits Saint Jean de Corrège, l’infante rose de Velasquez, les chairs lactées de Reynolds, la distinction de Lawrence, et surtout l’enfant aux longs cheveux qui est sur les genoux de lady Gower. — « d’ailleurs peut-on trouver rien de plus charmant que ces crapauds-là ! le type du sublime – (Raphaël l’a prouvé par ses madones) C’est peut-être une mère avec son enfant. » Rosanette qui suffoquait sortit ; et Pellerin dit aussitôt : — « Eh bien, Arnoux ? – vous savez ce qui arrive ? » — « Non ! Quoi ?
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— « Ça devait finir comme ça, du reste ! » — « Qu’est-ce donc ? » — « Il est peut-être maintenant – pardon ! » L’artiste se leva pour exhausser la tête du petit cadavre. — « Vous disiez ? » reprit Frédéric. Et Pellerin, tout en clignant pour mieux prendre ses mesures : — « Je disais que notre ami Arnoux est peut-être, maintenant, coffré ? » Puis d’un ton satisfait : « regardez un peu ! est-ce ça ? » — « Oui ! très-bien ! mais Arnoux ? » Pellerin déposa son crayon. — « D’après ce que j’ai pu comprendre, il se trouve poursuivi par un certain Mignot, un intime de Regimbart – une bonne tête, celui-là, hein ? quel idiot ! figurez-vous qu’un jour… » — « Eh ! il ne s’agit pas de Regimbart ! » — « C’est vrai. Eh ! bien, Arnoux hier au soir, devait trouver douze mille francs, sinon il était perdu. » — « Oh ! c’est peut-être exagéré » dit Frédéric. — « Pas le moins du monde ! ça m’avait l’air grave ! très grave ! » Rosanette, à ce moment, reparut, – avec des rougeurs sous les paupières, ardentes comme des plaques de fard. – Elle se mit près du car- ton, et regarda. Pellerin fit signe qu’il se taisait à
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cause d’elle.
Mais Frédéric, sans y prendre garde.
— « Cependant je ne peux pas croire…
— « Je vous répète que je l’ai rencontré
hier » dit l’artiste « à sept heures du soir,
rue Jacob. Il avait même son passe-port,
par précaution – et il parlait de s’embar-
quer au Havre, lui et toute sa smala. »
— « Comment ! avec sa femme ! »
— « Sans doute ! Il est trop bon père
de famille pour vivre tout seul. »
— « Et vous en êtes sûr ?… »
— « Parbleu ! Où voulez-vous qu’il
ait trouvé douze mille francs ? »
Frédéric fit deux ou trois tours dans
la chambre – Il haletait, se mordait les lèvres,
puis saisit son chapeau.
— « Où vas-tu donc ? » dit Rosanette –
Il ne répondit pas et disparut.
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