le plan analytique
Le
plan analytique se propose d'examiner
une notion ou un phénomène en en envisageant les causes et les
manifestations qui en découlent avant de
proposer d'éventuelles solutions. C'est sans doute le plan le
plus répandu
de la synthèse de documents, et aussi le plus immédiatement reconnaissable dans
la mesure où, très souvent, les documents eux-mêmes suivent ce plan dans la
progression de leurs arguments. Vous trouverez ci-dessous deux exercices où le
plan analytique est d'abord traité dans sa forme classique en trois parties,
puis dans une progression réduite aux causes et conséquences.
Nous avons mélangé des arguments qui appartiennent à ces quatre textes (vous en
retrouverez l'auteur par sa couleur) :
Voltaire, Dictionnaire Philosophique,
(1764) |
Emile M. Cioran,
Précis de décomposition, (1949) |
François Jacob, Le jeu des possibles,
(1982) |
Bernard Poulet, « L'Événement du jeudi
», (1989) |
Repérez les
causes, les conséquences et les solutions que vous
organiseriez dans un plan destiné à répondre à cette problématique :
Comment lutter contre les ravages du
fanatisme ?
Un tableau vous est proposé à la suite des
documents pour y classer les numéros (4 arguments pour chacune des trois parties, c'est-à-dire un par texte)
et reformuler l'argument.
1.
La démocratie dans un monde " désenchanté ", c'est l'acceptation de l'autre, de
la différence, du doute. Mais la démocratie est également " perte du sens ",
qu'il soit religieux ou marxiste. Adieu les explications globales, les réponses
toutes faites. L'homme et les institutions restent seuls devant leurs
responsabilités. Dur !
Le fanatique craint la démocratie comme le vampire la lumière du jour. Il n'a
pas tort : c'est par la démocratie que la Tunisie a fait barrage à l'intégrisme.
[...] La démocratie nous commande d'inventer
d'autres valeurs, sous peine de rechute dramatique. Ainsi, face aux fanatismes
renaissants, " l'heure est à l'invention d'une morale démocratique ". |
2.
Cette froideur et cette objectivité qu'on reproche si souvent aux
scientifiques, peut-être conviennent-elles mieux que la fièvre et la
subjectivité pour traiter certaines affaires humaines. Car ce ne sont pas
les idées de la science qui engendrent les passions,. Ce sont les passions
qui utilisent la science pour soutenir leur cause. La science ne conduit
pas au racisme et à la haine. C'est la haine qui en appelle à la science
pour justifier son racisme. On peut reprocher à certains scientifiques la
fougue qu'ils apportent parfois à défendre leurs idées. Mais aucun
génocide n'a encore été perpétré pour faire triompher une théorie
scientifique. |
3. Car
ce n'est pas seulement l'intérêt qui fait s'entretuer les hommes. C'est
aussi le dogmatisme. Rien n'est aussi dangereux que la certitude d'avoir
raison. Rien ne cause autant de destruction que l'obsession d'une vérité
considérée comme absolue. Tous les crimes de l'histoire sont des
conséquences de quelque fanatisme. Tous les massacres ont été accomplis
par vertu, au nom de la religion vraie, du nationalisme légitime, de la
politique idoine, de l'idéologie juste; bref au nom du combat contre la
vérité de l'autre, du combat contre Satan. |
4.
Lorsqu'une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque
incurable. J'ai vu des convulsionnaires qui, en parlant des miracles de
saint Pâris, s'échauffaient par degrés malgré eux : leurs yeux
s'enflammaient, leurs membres tremblaient, la fureur défigurait leur
visage, et ils auraient tué quiconque les eût contredits. |
5.
Et malgré le Dr Frankenstein et le Dr Folamour, les catastrophes de l'histoire sont
le fait moins des scientifiques que des prêtres, et des hommes politiques. |
6.
On se méfie des finauds, des fripons, des farceurs; pourtant on ne saurait
leur imputer aucune des grandes convulsions de l'Histoire; ne croyant en
rien, ils ne fouillent pas vos cœurs, ni vos arrière-pensées : ils vous
abandonnent à votre nonchalance, à votre désespoir ou à votre inutilité;
l'humanité leur doit le peu de moments de prospérité qu'elle connut. Ce
sont eux qui sauvent les peuples que les fanatiques torturent et que les "
idéalistes " ruinent. Sans doctrine, ils n'ont que des caprices et des
intérêts, des vices accommodants, mille fois plus supportables que les
ravages provoqués par le despotisme à principes; car tous les maux de la
vie viennent d'une " conception de la vie ". Un homme politique accompli
devrait approfondir les sophistes anciens et prendre des leçons de chant -
et de corruption... |
7.
Ce sont d'ordinaire les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui
mettent le poignard entre leurs mains; ils ressemblent à ce Vieux de la
Montagne qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles,
et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait
donné un avant-goût, à condition qu'ils iraient assassiner tous ceux qu'il
leur nommerait. |
8.
Le fanatique, lui, est incorruptible : si pour une idée il tue, il peut tout
aussi bien se faire tuer pour elle; dans les deux cas, tyran ou martyr, c'est un
monstre. Point d'êtres plus dangereux que ceux qui ont souffert pour une
croyance : les grands persécuteurs se recrutent parmi les martyrs auxquels on
n'a pas coupé la tête. Loin de diminuer l'appétit de puissance, la souffrance
l'exaspère; aussi l'esprit se sent-il plus à l'aise dans la société d'un
fanfaron que dans celle d'un martyr; et rien ne lui répugne tant que ce
spectacle où l'on meurt pour une idée... Excédé du sublime et du carnage, il
rêve d'un ennui de province à l'échelle de l'univers, d'une Histoire dont la
stagnation serait telle que le doute s'y dessinerait comme un événement et
l'espoir comme une calamité... |
9.
Il n'y a d'autre remède à cette maladie épidémique que l'esprit
philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des
hommes, et qui prévient les accès du mal; car, dès que ce mal fait des
progrès, il faut fuir, et attendre que l'air soit purifié. Les lois et la
religion ne suffisent pas contre la peste des âmes ; la religion, loin
d'être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les
cerveaux infectés.
Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage : c'est comme si
vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que
l'esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est
la seule loi qu'ils doivent entendre.
Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux
hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? |
10.
Contrairement au doux illuminé, le fanatique est prêt, pour imposer sa
loi, à tuer et à sacrifier sa propre vie. Sa foi dans son dieu, son parti,
son chef, sa patrie, sa famille (la vendetta ne relève-t-elle pas du
fanatisme ?) est exclusive; en même temps qu'elle est quête d'un absolu,
elle est corsetée dans la certitude d'avoir raison, l'imperméabilité à
tout raisonnement critique et ne peut s'accomplir que par la destruction
(ou la conversion) de celui qui pense différemment. |
11.
Le fanatisme se nourrit du changement, des ébranlements provoqués par
l'histoire récente. [...] Les mouvements fanatiques trouvent donc leur
terreau dans les mondes qui se transforment. C'est une folie qu'entretient
le vertige des périodes de mutation. La plupart des mouvements fanatiques
prônent le retour en arrière [...] et aujourd'hui, ils se dressent face à
ce qui est pour eux la plus inquiétante des évolutions : l'essor de la
démocratie. |
12.
Lorsqu'on se refuse à admettre le caractère interchangeable des idées, le
sang coule... Sous les résolutions fermes se dresse un poignard; les yeux
enflammés présagent le meurtre. Jamais esprit hésitant, atteint
d'hamlétisme ne fut pernicieux : le principe du mal réside dans la tension
de la volonté, dans l'inaptitude au quiétisme, dans la mégalomanie
prométhéenne d'une race qui crève d'idéal, qui éclate sous ses convictions
et qui, pour s'être complu à bafouer le doute et la paresse - vices plus
nobles que toutes ses vertus - s'est engagée dans une voie de perdition,
dans l'histoire, dans ce mélange indécent de banalité et d'apocalypse...
Les certitudes y abondent : supprimez-les, supprimez surtout leurs
conséquences : vous reconstituez le Paradis. |
CORRECTION
Vous trouverez une
proposition de rédaction pour cette synthèse dans notre page consacrée à la
rédaction (« composer »). Vous
pourrez du même coup retrouver les textes intégraux d'où nous avons extrait les
citations de l'exercice.
|
EXERCICE 2 : En danger de progrès. |
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L'alliance de
ces deux termes a cessé de constituer un paradoxe : les connotations
positives du mot progrès se sont inversées au cours du XXème siècle,
dès lors que la science oubliait le bonheur des hommes en poursuivant
de son côté des ambitions effrénées ou se mettait au service des puissances
d'argent. Nous savons maintenant que le progrès n'est pas une marche
confiante et cumulative vers un mieux-être, puisqu'un progrès ici peut
se payer (se paie souvent) d'une régression là.
Denis de Rougemont proposait naguère de mesurer le progrès, non
pas à l'aune de ses conquêtes, mais des risques qu'il nous fait courir. Bonne
occasion pour nous d'ouvrir notre programme en synthétisant trois condamnations
du progrès, formulées par trois écrivains, vilains empêcheurs de profiter en
rond.
TEXTE
1
Éteindre ce
fanal perfide.
Il est encore
une erreur fort à la mode, de laquelle je veux me garder comme
de l'enfer. - Je veux parler de l'idée du progrès. Ce fanal obscur,
invention du philosophisme actuel, breveté sans garantie de la
Nature ou de la Divinité, cette lanterne moderne jette des ténèbres
sur tous les objets de la connaissance; la liberté s'évanouit,
le châtiment disparaît. Qui veut y voir clair dans l'histoire
doit avant tout éteindre ce fanal perfide. Cette idée grotesque,
qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne, a déchargé chacun
de son devoir, délivré toute âme de sa responsabilité, dégagé la
volonté de tous les liens que lui imposait l'amour du beau :
et les races amoindries, si cette navrante folie dure longtemps,
s'endormiront sur l'oreiller de la fatalité dans le sommeil radoteur
de la décrépitude. Cette infatuation est le diagnostic d'une
décadence déjà trop visible.
Demandez à tout bon Français qui lit tous les jours son journal dans son
estaminet ce qu'il entend par progrès, il répondra que c'est la vapeur, l'électricité et
l'éclairage au gaz, miracles inconnus aux Romains, et que ces découvertes témoignent
pleinement de notre supériorité sur les anciens; tant il s'est fait de ténèbres
dans ce malheureux cerveau et tant les choses de l'ordre matériel et de l'ordre
spirituel s'y sont si bizarrement confondues ! Le pauvre homme est tellement
américanisé par ses philosophes zoocrates et industriels qu'il a perdu la notion
des différences qui caractérisent les phénomènes du monde physique et du monde
moral, du naturel et du surnaturel.
Si une nation entend aujourd'hui la question morale dans un sens plus
délicat qu'on ne l'entendait dans le siècle précédent, il y a progrès; cela est
clair. Si un artiste produit cette année une œuvre qui témoigne de plus de savoir
ou de force imaginative qu'il n'en a montré l'année dernière, il est certain
qu'il a progressé. Si les denrées sont aujourd'hui de meilleure qualité et à meilleur
marché qu'elles n'étaient hier, c'est dans l'ordre matériel un progrès incontestable.
Mais où est, je vous prie, la garantie du progrès pour le lendemain ? Car les
disciples des philosophes de la vapeur et des allumettes chimiques l'entendent
ainsi : le progrès ne leur apparaît que sous la forme d'une série indéfinie.
Où est cette garantie ? Elle n'existe, dis-je, que dans votre crédulité et votre
fatuité.
Je laisse de côté la question de savoir si, délicatisant l'humanité en
proportion des jouissances nouvelles qu'il lui apporte, le progrès indéfini ne
serait pas sa plus ingénieuse et sa plus cruelle torture; si, procédant par une
opiniâtre négation de lui-même, il ne serait pas un mode de suicide incessamment
renouvelé, et si, enfermé dans le cercle de feu de la logique divine, il ne ressemblerait
pas au scorpion qui se perce lui-même avec sa terrible queue, cet éternel desideratum qui
fait son éternel désespoir ?
Charles Baudelaire, Curiosités
esthétiques, 1855. |
TEXTE
2
Le
grand imposteur c'est le mot Progrès.
Le
temps passe, le temps presse. Chaque jour un objet familier,
une coutume charmante, un sentiment, une religion tombe en
désuétude et disparaît. C'est une grande révolution en vérité que
nous avons vécue, que nous vivons, un changement fondamental
dans la nature de l'homme, de ses façons de vivre et son mode
de penser. Les jeunes générations ne s'en rendent pas compte,
nées avec l'avion, avec la bombe atomique, elles ont l'air
de n'avoir jamais connu l'arc ou la marche à pied. Quant à moi
j'ai vu dans une vie d'homme, en soixante ou soixante-dix ans,
j'ai vu vivre et mourir un nombre incroyable de croyances et
d'instruments, j'ai vu la lampe à pétrole, l'allumeur de réverbères,
l'excellente allumette de contrebande; j'ai vu la double taille
où le boulanger marquait ses pains par encoches; j'ai vu le
charroi à bœufs, le sachet de courroupios1 pendu
au cou du timonier; j'ai vu le facteur rural avec sa blouse
bleue et ses gros souliers ferrés, trottant ses trente kilomètres
par jour; j'ai connu le pan et la pistole, j'ai vu vendre une
vache trois cents écus, je possède encore un vieux liard, une
cruche vernie, un canif fait à la main par Antoni avec un vieux
rasoir; j'ai vu papa ceindre à la ronde sa vaste ceinture de
flanelle rouge qui faisait quatre ou cinq tours; j'ai été ramasser
du crottin sur les routes, un beau crottin blond qui sentait
le miel sauvage et le marc de raisin; j'ai vu l'alambic ambulant
sur la place du village, d'où coulait goutte à goutte le marc
ou le guignolet, qu'enfants nous puisions avec une coquille
de noix... Quel privilège que le mien ! D'ici dix ou vingt
ans, jamais plus personne ne pourra jouir du même spectacle
!
Or ce monde enseveli dans les alluvions faisait partie de notre sensibilité et
nous tenait à cœur, nous en gardons inconsciemment comme un regret, une espèce
de nostalgie. [ ...]
Ce qui distingue essentiellement ces gens-là de nous, c'est qu'ils étaient
des hommes naturels, de purs spécimens de l'espèce humaine. Le métier était un
des apanages de l'homme, le prolongement de ses membres et de son esprit. Alors
que nous sommes en train de nous fondre et de nous perdre dans nos fonctions,
dans l'anonymat et la roboterie de l'immense Machine. L'homme était le centre
du monde, l'univers entier était à son service. Chacun était son propre Pater
familias. Chacun avait le commandement, l'araire en main ou la hache au poing.
Voilà la ligne de partage de l'homme : ou les choses au service de l'homme, ou
l'homme au service des choses.
Non qu'on veuille naïvement retourner en arrière. Halte-là ! Primitif,
originel n'ont rien de commun avec ces vocables sentimentaux : jadis, naguère,
autrefois. On me dit que certains, au mot de paléolithique, me prennent pour
un Pitjantjara2, qui rêve de revenir au temps des Druides ou des Pharaons...
Et l'humour, Messieurs !... (Encore que je préférerais être berger sous les étoiles
que mineur au fond d'une mine. Et le Prince dîne aux chandelles.) Simplement
je refuse de devenir un outil comme un autre, un simple agent de production.
Les êtres et les choses sont créés et mis au monde non pour la production mais
pour la beauté. Productivité, esprit mercantile qui fait par exemple remplacer
par de vulgaires sapins, sous prétexte que ça rapporte davantage, le noble hêtre
qui trône depuis des siècles en haute futaie dans les forêts de la Galaube3.
Bref je refuse de devenir un animal domestique.
La grande bataille se livre entre sauvage et domestique, entre la nature
et l'industrie.
Si on veut me faire accroire que la nature du cheval est de consommer
son avoine à l'écurie et de pousser du collier, et non de vagabonder librement
par la prairie vierge, je regimbe, je piaffe, je prends le mors aux dents.
L'unité de mesure de l'homme c'est la main, et non son instrument de travail.
De mon temps on ne brutalisait pas la terre, à coups d'engrais et de produits
chimiques. On ne force pas un champ comme on force le cerf. On ramassait honnêtement
ses fruits, avec respect et signe de croix. Cueillir les fruits à la main au
lieu de les gauler ou de secouer le prunier leur donne une bien autre innocence
et majesté.
Le grand imposteur c'est le mot Progrès : progrès de l'instrument ou de
l'homme ?
Les préhistoriques, à la place de la Radio et du frigidaire, avaient des
sens intacts, plus frais et plus vifs et plus pléniers que les nôtres, des jambes
plus ingambes, des yeux plus astronomiques, des odorats plus fous. Chaque invention
nouvelle nous châtre d'un sens naturel, ou le minimise, ou rapetisse, la boussole
nous dérobe le sens de l'orientation, l'écriture ruine la mémoire, l'auto nous
estropie...
Nous ne sommes plus qu'une traduction de l'homme, un homme écrit. Que
d'organes momifiés, que de nuances perdues ! Par exemple espeillir, qui
signifie éclore bien sûr, mais avec un bruit de coquille, ou baira4,
qui veut dire mûrir, mais avec encore toute la pruine, tout le coloris de la
chose.
Ce n'est pas simple hasard si dans notre société dite « de consommation »,
l'insémination artificielle par exemple supplante peu à peu la vieille « œuvre
de chair ». Eh bien, crions sans vergogne tous en chœur : Vive l'œuvre
de chair !
Joseph
Delteil, « Pour le musée des vieux outils du docteur
Michel », in Le Sacré Corps, 1976.
1. caroubes, en
occitan.
2. peuple Aborigène.
3. dans la Montagne noire.
4. en occitan, "être au moment de la véraison", en parlant
du raisin.
|
TEXTE
3
L'homme a
besoin aussi de confort spirituel.
Il
m'a fallu, il y a quelques années, discuter pendant des mois
avec un maire, pas plus bête qu'un autre maire, pour essayer
de lui faire comprendre qu'une prairie (qu'on voyait des portes
de sa cité), dans laquelle il brûlait d'« implanter » je ne sais
plus quel silo ou quelle coopérative, avait une couleur verte
bien plus importante sur le plan local que le silo ou la coopérative.
C'était l'évidence même : les horizons d'Alpes, les collines
couvertes de chênes blancs, le déroulement d'un plateau couvert
d'amandiers qui entouraient ce petit bourg aimé des touristes
de passage, ne prenaient leur valeur et leur qualité que par
rapport à cette admirable tache de vert de la prairie. Quoi qu'on
fasse à ce vert, l'abolir ou simplement le réduire, c'était tout
détruire. Le maire susdit me traita de poète, ce qui, chez certains
imbéciles, est la marque du mépris le plus amical et le plus
condescendant. Il « implanta » son silo ou sa coopérative aux
applaudissements de tout le monde. Un an après, ils déchantaient
tous, et en particulier les hôteliers de la région. « Les gens
ne s'arrêtent plus, disaient-ils. Ils passent, jettent un coup
d'œil et s'en vont. » C'est qu'on ne tient pas à avoir un silo ou une
coopérative sous les yeux. C'est que ces constructions, au surplus
modernes, ne contribuent pas au bonheur de vivre. Ceci se passait
il y a cinq ans. Aujourd'hui, il n'y a plus un seul hôtel dans
la cité dont je parle. Mais, bien entendu, pas un de ces pauvres
gens ne voudra croire à la vertu du simple vert de la prairie.
La bêtise et l'absence de goût ne sont pas les seuls ennemis des beaux
paysages, il y a aussi ce qu'on est convenu d'adorer sous le nom général de science.
Il suffit de quelques pylônes « judicieusement » placés pour détruire toute beauté,
qu’elle soit subtile ou plantureuse. Il est à remarquer que les pylônes sont
toujours « judicieusement » placés. Ils sont toujours au « beau milieu ». Et
là, rien à faire ! Qu'il soit clair, qu'il soit manifeste qu'on est en train
de détruire un héritage de grande valeur, on vous répondra : « c'est le progrès
! »
Eh bien non, ce n'est pas le progrès. Il n'est pas vrai que quoi que ce
soit puisse progresser en allant de beauté en laideur. Il n'est pas vrai que
nous n'ayons besoin que d'acier bien trempé, d'automobiles, de tracteurs, de
frigidaires, d'éclairage électrique, d'autoroutes, de confort scientifique. Je
sais que tous ces robots facilitent la vie, je m'en sers moi-même abondamment,
comme tout le monde. Mais l'homme a besoin aussi de confort spirituel. La beauté est
la charpente de son âme. Sans elle, demain, il se suicidera dans les palais de
sa vie automatique.
Jean
Giono,« Il est évident », in La Chasse au bonheur (1988).
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VERS
LA SYNTHESE DE DOCUMENTS :
Ce petit dossier ne présente
pas de difficultés particulières. Il permettra de poser nettement les
différentes étapes de la préparation de la synthèse de documents :
-
le
dégagement d'un thème commun aux documents : la remise en
question de l'idée de progrès.
-
la position d'une thèse
commune : le progrès n'est pas uniforme. Les avancées technologiques,
responsables du confort matériel, s'accompagnent de lourdes régressions
spirituelles et morales.
-
la position de la problématique
: En quoi le progrès relève-t-il d'une imposture dommageable
au bonheur humain ?
Le relevé des
arguments permet
de construire aisément le plan de la synthèse : un plan analytique
réduit aux causes et aux conséquences du phénomène observé.
CAUSES :
- la fatuité, l'orgueil humain
(doc. 1)
- américanisation et industrialisation (doc. 2)
- la productivité, l'esprit mercantile (doc. 2 et 3)
- la victoire de l'outil sur la main (doc. 2)
- l'homme a besoin de beauté et de confort spirituel (doc. 2 et 3).
CONSÉQUENCES
:
- la course sans fin à la possession
(doc. 1)
- l'homme se met au service des choses (doc. 2 et 3)
- la disparition du patrimoine naturel (doc. 2 et 3)
- la décadence de l'espèce humaine (doc. 1).
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