LIVRE VIII (1155a-1163b) |
La
nature de l'amitié |
1. Lamitié. Sa
nécessité. |
L'amitié est ce qu'il y a de plus nécessaire pour vivre,
quels que soient l'âge et la condition; elle est le lien des cités et paraît à ce
titre aux législateurs plus précieuse que la justice. |
2. Les diverses théories sur la
nature de lamitié. |
L'amitié est commandée par le bien, l'agréable et l'utile.
Elle est faite d'une bienveillance mutuelle, chacun souhaitant le bien de
l'autre; cette bienveillance ne doit pas rester ignorée des intéressés; l'amitié doit
enfin avoir pour cause l'un des trois objets précédents. |
Les
types d'amitié
(conditions, causes) |
3. Les espèces de
lamitié : lamitié fondée sur lutilité et lamitié fondée sur
le plaisir. |
Ces deux types d'amitié restent fragiles, étant liées au
bien ou au plaisir que l'on attend de l'ami. La première est fréquente chez les
vieillards, la deuxième chez les jeunes gens. |
4. Lamitié fondée sur la
vertu. |
Cette amitié parfaite, plus rare et plus lente à se
former, est stable puisqu'elle appartient aux hommes vertueux : les amis font
semblablement résider leur plaisir dans les actions qui expriment leur nature et
celles-ci visent toujours le bien de l'autre. |
5. Comparaison entre
lamitié parfaite et les autres amitiés. |
L'amitié parfaite présente quelques points communs avec les deux
précédentes, mais, dénuée de tout intérêt personnel, elle est la seule à n'exister
que dans la vertu. Les deux autres ne sont fondées que sur le hasard et la ressemblance. |
6. Lhabitus et
lactivité dans lamitié. |
L'amitié est incompatible avec l'absence ou la solitude : elle se
nourrit de la vie en commun. |
7. Étude de rapports
particuliers entre les diverses amitiés. |
L'amitié est une égalité proportionnelle : chacun des
deux amis aime son propre bien et rend exactement à l'autre ce qu'il en reçoit, en
souhait et en plaisir. L'amitié suppose le goût des autres et de la vie commune. C'est
pourquoi l'amitié fondée sur le plaisir ressemble le plus à l'amitié parfaite. |
Juridiction
de l'amitié : les amitiés inégales |
8. Légalité et
linégalité dans lamitié. |
Dans les amitiés qui comportent une supériorité d'une partie sur
l'autre (le père et le fils, le mari et la femme...), l'affection doit être fonction du
mérite des parties : s'instaure alors une égalité nécessaire à l'amitié. |
9. Légalité dans la
justice et dans lamitié. Amitié donnée et amitié rendue. |
L'égalité dans l'amitié est quantitative, elle ne peut
s'accommoder d'une disparité sociale importante entre amis, comme le montre l'exemple de
ceux qui ne recherchent qu'à être honorés. Car l'amitié consiste plutôt à aimer
qu'à être aimé. |
10. Amitié active et amitié
passive, suite. Amitiés entre inégaux. |
Les amis dans lesquels l'amour se rencontre proportionné au
mérite de celui qu'ils aiment sont constants dans leurs rapports mutuels et dans
l'horreur du vice. Les personnes de conditions opposées connaissent surtout des amitiés
basées sur l'utilité. |
Politique
de l'amitié |
11. Amitié et justice. Les
types damitié. Associations particulières et cité. |
En toute communauté, amitié et justice sont coextensives.
L'étendue de la mise en commun des biens entre amis mesure l'étendue de leur amitié et
de leurs droits. Les espèces particulières d'amitié correspondent aux espèces
particulières des communautés régies par le juste, c'est-à-dire par ce qui est à
l'avantage de tous. |
12. Constitutions politiques et
amitiés correspondantes. |
Le trois constitutions politiques connaissent leur
perversion : la royauté dégénère en tyrannie, l'aristocratie en oligarchie, la
timocratie en démocratie. Elles ont leur correspondance dans l'organisation domestique. |
13. Formes de lamitié
correspondant aux constitutions politiques. |
L'affection du roi pour son peuple correspond au sentiment
paternel : leurs rapports de justice sont proportionnés au mérite de chacun. Le régime
aristocratique trouve son équivalent dans l'affection entre mari et femme : au meilleur
(l'époux) revient une plus large part de biens. Le régime timocratique ressemble à
l'affection fraternelle, où tous sont sur un pied d'égalité. Il en résulte que
l'amitié et la justice sont nulles dans la tyrannie et essentielles dans la démocratie. |
14. Laffection entre
parents et entre époux. |
Les parents aiment leur enfant comme eux-mêmes et cette
affection l'emporte en longueur sur celle des enfants qui aiment leurs parents comme
étant nés d'eux. L'affection entre frères est renforcée, comme celle entre camarades,
par la communauté d'éducation. L'amour entre mari et femme est fondé sur l'utilité et
l'agrément, mais aussi sur la vertu. |
Règles
de conduite |
15. Règles pratiques relatives
à lamitié entre égaux. Lamitié utilitaire. |
Les amis qui sont égaux doivent réaliser une égalité
d'affection et de biens; chez ceux qui sont inégaux, la partie défavorisée réalisera
l'égalité en fournissant un avantage proportionné à la supériorité de l'autre
partie. Des trois types d'amitié, seule l'amitié utilitaire est ouverte aux
récriminations et peut-être codifiée soit légalement soit moralement. La règle
devrait être fondée sur l'avantage de l'obligé, et, pour celui-ci, de rendre autant
qu'il a reçu, et même davantage. |
16. Règles de conduite pour
lamitié entre personnes inégales. |
Entre personnes inégales, chacune peut légitimement
espérer recevoir plus que l'autre : mais ce sera plus d'honneur pour la plus riche, et
plus de biens pour la plus démunie. L'amitié ne réclame rien en effet qui excède les
possibilités de chacun. |