3. Si nous pouvions
nous passer d'argent et avoir tous les avantages que
l'argent donne, nous jouirions bien mieux de ces avantages
qu'avec les richesses, puisque nous les aurions séparés
des vices qui les empoisonnent et que l'argent amène avec
lui. J.J. Rousseau, Projet de constitution pour la
Corse (1763).
4. L’argent devenu fin en soi ne laisse
même pas les biens qui par nature sont étrangers à
l’économie exister à titre de valeurs coordonnées, en soi
définitives ; non seulement il vient se placer, comme autre
finalité de l’existence, au même rang que la sagesse et que
l’art, que l’importance et la force personnelles, et même
que la beauté et l’amour mais, de plus, ce faisant, il
acquiert la force de ravaler ces derniers au rang de moyens
à son service. Georg Simmel, Philosophie de l’argent
(1900).
5. Si l'argent est le lien qui m'unit à la
vie humaine, qui unit à moi la société et m'unit à la nature
et à l'homme, l'argent n'est-il pas le lien de tous les
liens ? Ne peut-il pas nouer et dénouer tous les liens ?
N'est-il pas, de la sorte, l'instrument de division
universel ? Vrai moyen d'union, vraie force chimique de la
société, il est aussi la vraie monnaie « divisionnaire ».
[...]
Marx, Ébauche d'une critique de l'économie politique (1844).
6. Le commerce est, par son essence,
satanique. Le commerce, c'est le prêté-rendu, c'est le prêt
avec le sous-entendu : Rends-moi plus que je ne te donne.
L'esprit de tout commerçant est complètement vicié. Le
commerce est naturel, donc il est infâme. Le moins infâme de
tous les commerçants, c'est celui qui dit : "Soyons vertueux
pour gagner beaucoup plus d'argent que les sots qui sont
vicieux". Pour le commerçant, l'honnêteté elle-même est une
spéculation de lucre. Le commerce est satanique, parce qu'il
est une des formes de l'égoïsme, et la plus basse, et la
plus vile. Baudelaire, Mon cœur mis à nu (post.
1887).
7. L'argent ne représente qu'une nouvelle forme d'esclavage
impersonnel à la place de l'ancien esclavage personnel.
Léon Tolstoï, L'argent et le travail (1890).
MORALITÉ DE L'ARGENT
1. Le commerce guérit les préjugés
destructeurs ; et c'est presque une règle générale que
partout où il y a des mœurs douces il y a du commerce ; et
partout où il y a du commerce il y a des mœurs douces.
Montesquieu, L'Esprit des Lois, XX (1748).
2. L'argent qu'on possède est l'instrument
de la liberté, celui qu'on pourchasse est celui de la
servitude.
Jean-Jacques Rousseau, Confessions (1782).
3. L'argent est l'argent, quelles que
soient les mains où il se trouve. C'est la seule puissance
qu'on ne discute jamais.
Alexandre Dumas fils, La Question d'argent
(1857).
4. L'argent n'est point déshonorant, quand
il est le salaire, et la rémunération et la paye, par
conséquent quand il est le traitement. Quand il est
pauvrement gagné. Il n'est déshonorant que quand il est
l'argent des gens du monde. Il n'y a donc, dans les autres
cas, je veux dire quand il n'est pas l'argent des gens du
monde, aucune honte à en parler. Et à en parler comme tel.
Il n'y a même que cela qui soit honorable. Et qui soit
droit. Et qui soit décent. Il faut toujours parler d'argent
comme d'argent. Charles Péguy, L'Argent (1913).
5. L'argent est le fumier dans lequel
pousse l'humanité de demain. Le terreau nécessaire aux
grands travaux qui facilitent l'existence.
Emile Zola, L'Argent (1891).
6. L'argent n'est-il pas un moyen de
traiter les relations humaines aussi sûr que la violence, et
ne nous permet-il pas de renoncer au trop naïf usage de
celle-ci ? Il est de la violence spiritualisée; une forme
particulière, souple, raffinée, créatrice de la violence.
Robert Musil, L'Homme sans qualités (1930).
7. Je mesure aujourd’hui la folie et la
méchanceté de ceux qui calomnient cette institution divine :
l’argent ! L’argent spiritualise tout ce qu’il touche en lui
apportant une dimension à la fois rationnelle – mesurable -
et universelle - puisqu’un bien monnayé devient
virtuellement accessible à tous les hommes.
Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique
(1967).