PUISSANCES DE L'IMAGINATION DISSERTATIONS |
EXEMPLE 1
« Y
a-t-il quelque chose plus propre à se précipiter dans l'erreur, que de
prendre l'imagination pour guide ? » se demandait Leibniz.
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1) MISE EN PLACE DU
SUJET :
- On sera attentif à l'expression "quelque chose de plus
propre à", qui considère comme étant de la nature de l'imagination de nous
tromper. L'angle critique sera facilité par cette généralisation sans doute
abusive, comme d'ailleurs on peut le constater aussi dans la formule "prendre
l'imagination pour guide", qui n'exclut nullement qu'elle puisse servir
d'auxiliaire.
- Le contexte dans lequel écrit Leibniz ne doit pas être négligé : il s'agit du
rationalisme, et donc de la prévention manifestée par les philosophes classiques
contre les dangers de l'imagination sur le plan heuristique. On prendra soin de
ne pas quitter ce domaine en débordant, par exemple, sur le domaine moral.
► PROBLÉMATIQUE :
Elle ne pose pas ici de difficulté particulière, puisque le sujet
est déjà posé sous forme de question rhétorique.
L'imagination compromet-elle par nature toute recherche de la vérité ?
2) PLAN :
I - Thèse : L'imagination est source d'égarement...
a) l'imagination laisse agir nos sens sans contrôle.
ex : le vertige du philosophe chez Montaigne et Pascal
(voir les textes).
b) la pure imagination nous coupe du monde.
ex : la solitude de Don Quichotte ou d'Emma Bovary.
II - Antithèse : ... mais elle nous invite à une
redéfinition du vrai.
a) l'imagination décuple nos sens, élargissant leurs possibilités.
ex : chez Don Quichotte, l'énergie du désir se
transforme en volonté farouche.
b) l'imagination part à la conquête d'une vérité supérieure.
ex : l'intuition ou l'hypothèse dans les sciences, le
pouvoir de l'art et de la poésie.
III - Synthèse : Ainsi seule une imagination sans
contrôle nous voue à l'erreur.
a) l'imagination ne nous trompe que lorsque nous nous abandonnons au délire.
ex : la paranoïa de Don Quichotte s'accompagne de
phases de lucidité - Malebranche condamne l'abus du principe d'autorité.
b) l'erreur de l'imagination ne consisterait qu'à être seul à percevoir un
certain degré de réalité.
ex : c'est pourquoi Platon donne aux philosophes un
rôle primordial dans la Cité, à charge de dégager les hommes d'un réel trompeur.
CITATIONS
1. « On veut toujours que l'imagination
soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de
déformer les images […]. » (G. Bachelard, L'Air et les songes)
2. « [Chez] tous ceux qui sont agités de quelque passion violente, dans le
temps de leur émotion, les esprits animaux impriment avec tant de force
les traces et les images de leur passion qu’ils ne sont pas capables de
penser à autre chose. » (Malebranche, De la Recherche de la Vérité)
3. « Il n'y a pas d'action sans cette faculté d'anticiper, sans cette
imagination vive de l'avenir, mais réglée sur le possible. » J. Guitton,
Initiation à la pensée.
4. « Dans certaines situations, l'imaginaire, non seulement ne nous
empêche pas d'atteindre le réel, mais est une condition indispensable pour
l'atteindre. » .(Jean-Marie Schaeffer, De l'imagination à la fiction.)
5. « L'imagination est la reine du vrai, et le possible est une des
provinces du vrai. Elle est positivement apparentée à l'infini. [...] [M]ieux
elle est secourue et plus elle est puissante, et [...] ce qu'il y a de
plus fort dans les batailles avec l'idéal, c'est une belle imagination
disposant d'un immense magasin d'observations.» (Charles Baudelaire,
Salon de 1859.)
6. « J'ai toujours pensé ceci : chacun se crée la réalité qu'il a méritée.
Christophe Colomb a rencontré les rivages des royaumes d'Amérique, parce
qu'il avait eu l'audace de les susciter. Jamais la réalité n'a déçu celui
qui avait le courage et l'imagination nécessaires pour croire en elle... »
Alain-Fournier, Lettre à André Lhote, 16 janvier 1910.
7. « L'imagination […] pouvoir d'écart grâce auquel nous nous distançons
des réalités présentes. » (Starobinski, La Relation critique).
8. « Ce n'est pas un défaut que d'avoir le cerveau propre pour imaginer
fortement les choses, et recevoir des images très distinctes et très
vives des objets les moins considérables; pourvu que l'âme demeure
toujours la maîtresse de l'imagination, que ces images s'impriment par ses
ordres, et qu'elles s'effacent quand il lui plaît : c'est au contraire
l'origine de la finesse, et de la force de l'esprit. » (Malebranche, De
la Recherche de la Vérité, II, III)
9. « Chrysostome subit les tourments bien réels d'une jalousie imaginaire.
» (Cervantes, Don Quichotte, XIV)
10. « Comprendre ce qu'est l'imagination, c'est comprendre la possibilité
de l'humain. » (Ch. Bouriau, Qu'est-ce que l'imagination ?)
11. « Une forte imagination produit l'événement» (Montaigne, Essais,
I, 8 ).
12. « L'imagination dispose de tout; elle fait la beauté, la justice, et
le bonheur, qui est le tout du monde.» (Pascal, Pensées.)
13. « Un poète dessine d'abord l'ordonnance de son tableau; la raison
tient alors le crayon. Mais veut-il animer ses personnages et leur donner
le caractère des passions ? Alors l'Imagination s'échauffe, l'enthousiasme
agit; c'est un coursier qui s'emporte dans la carrière, mais sa carrière
est régulièrement tracée ». (Marmontel, Éléments de littérature).
14. « Malgré tous les magnifiques privilèges que j’attribue à
l’imagination, je ne ferai pas à vos lecteurs l’injure de leur expliquer
que mieux elle est secourue et plus elle est puissante, et, que ce qu’il y
a de plus fort dans les batailles avec l’idéal, c’est une belle
imagination disposant d’un immense magasin d’observations. » (Charles Baudelaire, Salon de 1859.)
15. « Mythique ou scientifique, la représentation du monde que construit
l'homme fait toujours une large place à son imagination. Car contrairement
à ce qu'on croit souvent, la démarche scientifique ne consiste pas
simplement à observer, à accumuler des données expérimentales pour en
déduire une théorie. On peut parfaitement examiner un objet pendant des
années sans jamais en tirer la moindre observation d'intérêt scientifique.
Pour apporter une observation de quelque valeur, il faut déjà, au départ,
avoir une certaine idée de ce qu'il y a à observer. Il faut déjà avoir
décidé ce qui est possible. ». (François Jacob, Le Jeu des possibles.)
16. « La fonction de l'irréel [...] est psychiquement aussi utile que la
fonction du réel si souvent évoquée par les psychologues pour caractériser
l'adaptation d'un esprit à une réalité estampillée par les valeurs
sociales ». (Gaston Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté)
17. « Désordre donc dans le corps, erreur dans l'esprit, l'un nourrissant
l'autre, voilà le réel de l'imagination, non sans des visions d'un instant
peut-être, ou bien des perceptions mal contrôlées. » (Alain, Système
des Beaux-arts.)
18. « Cette superbe puissance ennemie de la raison, qui se plaît à
la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes
choses, a établi dans l'homme une seconde nature. Elle a ses heureux, ses
malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres. Elle fait
croire, douter, nier la raison. Elle suspend les sens, elle les fait
sentir. Elle a ses fous et ses sages. Et rien ne nous dépite davantage que
de voir qu'elle remplit ses hôtes d'une satisfaction bien autrement pleine
et entière que la raison. » (Pascal, Pensées.)
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EXEMPLE 2
« Oui, représente-toi
bien dans ton imagination, à propos des mets et de tout ce qu'on mange,
que c'est ici un cadavre de poisson, là un cadavre d'oiseau ou de porc, et
d'autre part que le vin de Falerne est du suc de raisin, la robe de
pourpre des poils de brebis mouillés du sang d'un coquillage ; à propos de
l'accouplement, un frottement de ventres et l'éjaculation d'un liquide
gluant accompagné d'un spasme. Telles sont ces images qui vont jusqu'au
fond des choses mêmes et les pénètrent pour faire voir ce qu'elles sont ;
et telle est la manière dont il faut procéder pendant toute la vie ; là où
les choses ont une valeur apparente trop grande, les dénuder, bien voir
leur vulgarité, leur enlever tous les détails dont elles se parent. »
(Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, VI, 13)
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1) MISE EN PLACE DU
SUJET :
« Représente-toi bien dans ton imagination » : la
phrase est sans ambiguïté. Ce propos contre l’imagination invite à se servir de
l’imagination, par un effort inverse de représentation : à une imagination qui
embellit et pare, le philosophe préfère une imagination qui dépouille et
désamorce les faux-semblants et autres appâts inutiles.
Cette injonction fait penser à tous ceux qu’anime un souci de discipline
morale, et particulièrement aux stoïciens (cf. l’ataraxie). Tous les plaisirs
cités sont ici confondus, comme autant de troubles de l’âme : plaisirs des sens,
orgueil et ambition matérialiste sont ramenés à leur mensonge par un réalisme
quasi sordide. On pense à la Prière à Dieu de Voltaire où le même
parti-pris d’aplatissement des valeurs milite, lui, pour la tolérance :
« [...] Que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire
qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un
manteau de laine noire; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une
ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau; que ceux dont l’habit est teint
en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la
boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain
métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et
que les autres les voient sans envie: car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités
ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir. »
Le philosophe revendique pourtant un certain réalisme. Ces images sont
censées aller « jusqu’au fond des choses », ce qui induit une nature, voire une
essence, que ce déshabillage permettrait de dégager de l’artifice. Mais de
quelle essence s’agit-il ici ? On peut se demander en effet si la nature
du poisson est de finir en cadavre dans nos assiettes ! Le propos est donc bien
paradoxal : ne s’agit-il pas en fait de remplacer une imagination par une autre,
et de manifester une haine du mensonge esthétisant pour lui préférer un mensonge
vulgaire ?
► PROBLÉMATIQUE :
Le problème est donc ramené à une mise en question de l'imagination :
n'est-elle qu'une puissance trompeuse permettant de s'évader d'une réalité
prosaïque au prix du mensonge ? Mais la dénonciation de celui-ci ne
relève-t-elle pas de l'imagination elle-même, à laquelle on permettrait cette
fois d'imposer une conception assez avilissante du réel ?
2) PLAN :
(les numéros correspondent aux citations du tableau ci-dessous).
I - Thèse : Il convient de se méfier des fausses
valeurs enfantées par l'imagination ...
a) par l'imagination, nous fuyons la réalité et sommes
victimes de nos illusions.
ex : 3 - 6 - 18. On
pourra ici penser aux pages où Malebranche dénonce la contagion exercée par les
imaginations fortes.
b) une imagination prosaïque garantit l'esprit critique dans
la recherche de la vérité .
ex : 4 - 9 - 11 - 17. On
pensera ici à l'éloge de la Raison par les classiques (Descartes, Pascal,
Malebranche).
II - Antithèse : ... mais on ne peut vivre à une
certaine hauteur sans imaginer.
a) l'imagination est un refuge nécessaire qui compense la médiocrité du réel.
ex : 1 - 2 - 8 - 14 - 19.
Utiliser ici Don Quichotte comme Un
amour de Swann.
b) l'imagination insuffle des valeurs et des idéaux.
ex : 15 - Penser à ce
que Don Quichotte appelle « l'âge d'or ».
III - Synthèse : Ainsi le pari imaginatif pour la
vie doit savoir s'accompagner de lucidité.
a) on peut choisir l'amour des êtres et des choses, et la confiance à mettre
en eux, dans une adhésion vaillante et réfléchie.
ex : 10 - 20.
Penser à don Quichotte dans sa construction, fausse mais généreuse, du
personnage de Dulcinée.
b) il faut savoir se débarrasser des idoles, et exercer dignement cette
liberté.
ex : 5 - 16. A ce titre,
la dernière phrase d'Un Amour de Swann n'est-elle pas désolante ?
CITATIONS
1. « Je trouve inutile et fastidieux de
représenter ce qui est, parce que rien de qui est ne me satisfait. La
nature est laide et je préfère les monstres de ma fantaisie à la
trivialité positive ». Baudelaire, Salon de 1859.
2. « Même pour la duchesse de Guermantes, comme pour certaines pages de
Bergotte, son charme ne m'était visible qu'à distance et s'évanouissait
quand j'étais près d'elle, car il résidait dans ma mémoire et dans mon
imagination. » Proust, Le Temps retrouvé
3. « Nous travaillons incessamment à embellir et conserver notre être
imaginaire, et négligeons le véritable. » Pascal, Pensées, 147.
4. « Les égarements de l'imagination consistent dans des inventions sans
frein, ou bien absolument sans règles. » Kant, Anthropologie du point
de vue pragmatique, III.
5. « Pour qu'une conscience puisse imaginer il faut qu'elle échappe au
monde par sa nature même, il faut qu'elle puisse tirer d'elle même une
position de recul par rapport au monde. En un mot il faut qu'elle soit
libre. » Sartre, L'Imaginaire.
6. « Je n'approuve point qu'on tâche à se tromper, en se repaissant de
fausses imaginations; car tout le plaisir qui en revient ne peut toucher
que la superficie de l'âme, laquelle sent cependant une amertume
intérieure, en s'apercevant qu'ils sont faux. » Descartes, Lettre à
Elisabeth.
7. « Nous proposons au contraire de considérer l'imagination comme une
puissance majeure de la nature humaine ... L'imagination, dans ses vives
actions, nous détache à la fois du passé et de la réalité. Elle ouvre sur
l'avenir... Comment prévoir sans imaginer ? » Bachelard, La poétique de
l'espace.
8. Ce que j’appelle cristallisation, c’est l’opération de l’esprit qui
tire de tout ce qui se présente la découverte que l’objet aimé a de
nouvelles perfections. En un mot, il suffit de penser à une perfection
pour la voir dans ce qu’on aime. » Stendhal, De l’Amour
9. « Une ignorance profonde, une crédulité sans bornes, une tête très
faible, une imagination emportée: voilà les matériaux avec lesquels se
font les dévots, les zélés, les fanatiques et les saints. » Jean Meslier,
Le bon sens.
10. « Est pathologique le fait de prendre pour réel ce qui est un produit
de l'imagination. Notre activité intellectuelle a besoin de multiples
sources, ne refusons pas la source des mythes, ou même des hallucinations,
qui ont fourni la matière à tant de chefs-d'œuvre. Un poète est souvent un
halluciné. Mais si l'imaginaire devient la seule source, le danger est
aussi lourd que si la réalité en était la seule source. » Albert Jacquard,
Petite philosophie à l'usage des non-philosophes.
11. « Désordre dans le corps, erreur dans l'esprit, l'un nourrissant
l'autre, voilà le réel de l'imagination. » Alain, Système des
beaux-arts.
12. « L'imagination est pire qu'un bourreau chinois; elle dose la peur;
elle nous la fait goûter en gourmets. » Alain, Propos
13. « Le voyage n'est nécessaire qu'aux imaginations courtes. » Colette,
Belles saisons
14. « Quand on écrit, faut-il tout écrire? Quand on peint, faut-il tout
peindre? De grâce, laissez quelque chose à suppléer par mon imagination !
» Diderot, Lettres à Sophie Volland
15. « Un peuple n'a une vie réelle grande que s'il a une vie irréelle
puissante. [...] La force d'un peuple est son imagination. » Jean Giraudoux,
L'Impromptu de Paris
16. « Il ne convient point de se former une si grande idée des hommes, que
leur présence doive faire trembler, quels qu'ils soient. Que le courage ne
plie jamais sous l'imagination. » Baltasar Gracián y Morales, Maximes
17. « Je n’agis que sur les imaginations de la nation; lorsque ce moyen me
manquera, je ne serai plus rien. » Napoléon
18. « Si l'imaginaire est un outil, provisoire certes mais toujours
nécessaire, que se donne un sujet pour que le monde ait un sens, si
l'imaginaire est condition de possibilité du signe, donc de la
communication et par elle de la coexistence, le corollaire de ces
propositions doit également être admis : l'imaginaire installe le sujet
dans une position assujettie.»
Raymond Lemieux.
19. « Que les fous soient dans une mesure quelconque victimes de leur
imagination, je suis prêt à l’accorder. Mais le profond détachement dont
ils témoignent à l’égard de la critique que nous portons sur eux permet de
supposer qu’ils puisent un grand réconfort dans leur imagination. »
Breton, Manifeste du surréalisme.
20. « Mes écrits sont comparables à la lance d'Achille, dont un second
contact guérissait ceux qu'elle avait d'abord navrés. Si quelque livre de
moi vous déconcerte, relisez-le, sous le venin apparent j'eus soin de
cacher l'antidote; chacun d'eux ne trouble point tant qu'il n'avertit.»
André Gide, Journal.
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