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L'Éducation sentimentale
La religion

Foi ou pratiques religieuses des personnages – Politique et religion
 

     
Le jeune homme déplut à Mme Moreau. Il mangea extraordinairement, il refusa d’assister le dimanche aux offices, il tenait des discours républicains ; enfin, elle crut savoir qu’il avait conduit son fils dans des lieux déshonnêtes. On surveilla leurs relations. Ils ne s’en aimèrent que davantage ; et les adieux furent pénibles, quand Deslauriers, l’année suivante, partit du collège pour étudier le droit à Paris. 49 I, 2
Deslauriers prenait les femmes comme une distraction, rien de plus. M. de Cisy avait à leur endroit toute espèce de crainte.
    Élevé sous les yeux d’une grand’mère dévote, il trouvait la compagnie de ces jeunes gens alléchante comme un mauvais lieu et instructive comme une Sorbonne.
92 I, 5
Cependant, il songeait au bonheur de vivre avec elle, de la tutoyer, de lui passer la main sur les bandeaux longuement, ou de se tenir par terre, à genoux, les deux bras autour de sa taille, à boire son âme dans ses yeux ! Il aurait fallu, pour cela, subvertir la destinée ; et, incapable d’action, maudissant Dieu et s’accusant d’être lâche, il tournait dans son désir, comme un prisonnier dans son cachot. 102 I, 5
 Le lendemain, il l’aperçut tout en larmes. Elle avoua « qu’elle pleurait ses péchés », et, comme il cherchait à les connaître, elle répondit en baissant les yeux :
    — Ne m’interroge pas davantage !
    La première communion approchait ; on l’avait conduite le matin à confesse.
    Le sacrement ne la rendit guère plus sage. Elle entrait parfois dans de véritables colères ; on avait recours à M. Frédéric pour la calmer.
127 I, 6
   Elle rêvait de lui acheter le greffe du tribunal ; Frédéric ne repoussait pas trop cette idée. Maintenant, il l’accompagnait à la messe, il faisait le soir sa partie d’impériale, il s’accoutumait à la province, s’y enfonçait ; et même son amour avait pris comme une douceur funèbre, un charme assoupissant.  129 I, 6
Et l’Enfant de chœur, homme facétieux, en faisant un grand signe de croix, commença le Benedicite.
    Les dames furent scandalisées, et principalement la Poissarde, mère d’une fille dont elle voulait faire une femme honnête. Arnoux, non plus, « n’aimait pas ça », trouvant qu’on devait respecter la religion.
154 II, 1
Ses parents étaient de petits bourgeois de Chartres. Un jour, Arnoux, dessinant au bord de la rivière (il se croyait peintre dans ce temps-là), l’avait aperçue comme elle sortait de l’église et demandée en mariage ; à cause de sa fortune, on n’avait pas hésité. 198 II, 3
Par complaisance, le pédagogue s’invita lui-même à dîner. Son élève ne mangea rien, et, après le repas, sentit le besoin de faire un tour.
    Il dit en passant devant une église :
    — Si nous entrions un peu… pour voir ?
    M. Vezou ne demanda pas mieux, et même lui présenta de l’eau bénite.
    C’était le mois de Marie, des fleurs couvraient l’autel, des voix chantaient, l’orgue résonnait. Mais il lui fut impossible de prier, les pompes de la religion lui inspirant des idées de funérailles ; il entendait comme des bourdonnements de De profundis.
    — Allons-nous-en ! Je ne me sens pas bien !
253 II, 4
Le jeune homme lui plaisait, personnellement. Enfin il le voulait pour gendre, parce que, depuis longtemps, il s’était féru de cette idée, qui ne faisait que s’accroître.
    Maintenant, il fréquentait l’église ; et il avait séduit Mme Moreau par l’espoir du titre, surtout. Elle s’était gardée cependant de faire une réponse décisive.
268 II, 4
 Elle lui dit son existence d’autrefois, à Chartres, chez sa mère ; sa dévotion vers douze ans ; puis sa fureur de musique, lorsqu’elle chantait jusqu’à la nuit, dans sa petite chambre, d’où l’on découvrait les remparts. 295 II, 6
Puis c’étaient d’interminables plaintes sur la Providence :
    — Pourquoi le ciel ne l’a-t-il pas voulu ! Si nous nous étions rencontrés !…
    — Ah ! si j’avais été plus jeune ! soupirait-elle.
    — Non ! moi, un peu plus vieux.
295 II, 6
— Sauvé ! Est-ce possible !
    Tout à coup l’idée de Frédéric lui apparut d’une façon nette et inexorable. C’était un avertissement de la Providence. Mais le Seigneur, dans sa miséricorde, n’avait pas voulu la punir tout à fait ! Quelle expiation, plus tard, si elle persévérait dans cet amour ! Sans doute, on insulterait son fils à cause d’elle ; et Mme Arnoux l’aperçut jeune homme, blessé dans une rencontre, rapporté sur un brancard, mourant. D’un bond, elle se précipita sur la petite chaise ; et de toutes ses forces, lançant son âme dans les hauteurs, elle offrit à Dieu, comme un holocauste, le sacrifice de sa première passion, de sa seule faiblesse.
305 II, 6
Il était moral, cependant, blâmait les excès, l’inconduite, parlait de son « pauvre père », et, tous les soirs, disait-il, faisait son examen de conscience, avant d’offrir son âme à Dieu. 339 III, 1
 La pauvre Maréchale n’en avait jamais connu de meilleure. Souvent, quand elle considérait Frédéric, des larmes lui arrivaient aux paupières, puis elle levait les yeux, ou les projetait vers l’horizon, comme si elle avait aperçu quelque grande aurore, des perspectives de félicité sans bornes. Enfin, un jour, elle avoua qu’elle souhaitait faire dire une messe « pour que ça porte bonheur à notre amour ». 352 III, 1
 Cependant, le vicomte se torturait l’intellect afin de conquérir Mlle Cécile. D’abord, il étala des goûts d’artiste, en blâmant la forme des carafons et la gravure des couteaux. Puis il parla de son écurie, de son tailleur et de son chemisier ; enfin, il aborda le chapitre de la religion et trouva moyen de faire entendre qu’il accomplissait tous ses devoirs. 364-365 III, 2
 Il n’éprouvait pas à ses côtés ce ravissement de tout son être qui l’emportait vers Mme Arnoux, ni le désordre gai où l’avait mis d’abord Rosanette. Mais il la convoitait comme une chose anormale et difficile, parce qu’elle était noble, parce qu’elle était riche, parce qu’elle était dévote, se figurant qu’elle avait des délicatesses de sentiment, rares comme ses dentelles, avec des amulettes sur la peau et des pudeurs dans la dépravation. 385 III, 3
  Les porteurs montèrent jusqu’au haut de l’escalier le lourd cercueil, et l’on entra.
    Les six chapelles, l’hémicycle et les chaises étaient tendus de noir. Le catafalque au bas du chœur formait, avec ses grands cierges, un seul foyer de lumières jaunes. Aux deux angles, sur des candélabres, des flammes d’esprit-de-vin brûlaient.
    Les plus considérables prirent place dans le sanctuaire, les autres dans la nef ; et l’office commença.
    À part quelques-uns, l’ignorance religieuse de tous était si profonde, que le maître des cérémonies, de temps à autre, leur faisait signe de se lever, de s’agenouiller, de se rasseoir. L’orgue et deux contrebasses alternaient avec les voix ; dans les intervalles de silence, on entendait le marmottement du prêtre à l’autel ; puis la musique et les chants reprenaient.
400 III, 4
Elle aurait écouté derrière les portes ; elle devait mentir à son confesseur. Par esprit de domination, elle voulut que Frédéric l’accompagnât le dimanche à l’église. Il obéit, et porta le livre. 409 III, 4
— Est-ce que je fréquente les jésuites ?
    — Comment, jésuites !
    Le Citoyen répondit, furieux :
    — Avec l’argent d’un patriote que je lui ai fait connaître, ce cochon-là s’est établi marchand de chapelets !
    — Pas possible !
    — Allez-y voir !
    Rien de plus vrai ; Arnoux, affaibli par une attaque, avait tourné à la religion ; d’ailleurs, « il avait toujours eu un fond de religion », et (avec l’alliage de mercantilisme et d’ingénuité qui lui était naturel), pour faire son salut et sa fortune, il s’était mis dans le commerce des objets religieux.
413-414 III, 4
 Cisy, enfoncé dans la religion et père de huit enfants, habitait le château de ses aïeux. 442 III, 7

Politique et religion
 
   
Il déclara Fourier un grand homme.
    — Allons donc ! dit Deslauriers. Une vieille bête ! qui voit dans les bouleversements d’empires des effets de la vengeance divine ! C’est comme le sieur Saint-Simon et son église, avec sa haine de la Révolution française : un tas de farceurs qui voudraient nous refaire le catholicisme !
168 II, 2
 — Un moment ! dit Hussonnet. D’abord, la Pologne n’existe pas ; c’est une invention de Lafayette ! Les Polonais, règle générale, sont tous du faubourg Saint-Marceau, les véritables s’étant noyés avec Poniatowski.
    Bref, « il ne donnait plus là-dedans », il était « revenu de tout ça ! » C’était comme le serpent de mer, la révocation de l’édit de Nantes et « cette vieille blague de la Saint-Barthélemy ! »
    Sénécal, sans défendre les Polonais, releva les derniers mots de l’homme de lettres. On avait calomnié les papes, qui, après tout, défendaient le peuple, et il appelait la Ligue « l’aurore de la Démocratie, un grand mouvement égalitaire contre l’individualisme des protestants ».
170 II, 2
— Oh ! prenez garde, monsieur, prenez garde ! dit un professeur, n’attaquez pas nos précieuses conquêtes de 1830 ! respectons nos libertés.
    Il fallait décentraliser plutôt, répartir l’excédent des villes dans les campagnes.
    — Mais elles sont gangrenées ! s’écria un catholique. Faites qu’on raffermisse la Religion !
    Martinon s’empressa de dire :
    — Effectivement, c’est un frein !
    Tout le mal gisait dans cette envie moderne de s’élever au-dessus de sa classe, d’avoir du luxe.
188 II, 2
— Mais sans doute ! il serait temps de traiter la Politique scientifiquement. Les vieux du XVIIIe siècle commençaient, quand Rousseau, les littérateurs, y ont introduit la philanthropie, la poésie et autres blagues, pour la plus grande joie des catholiques ; alliance naturelle, du reste, puisque les réformateurs modernes (je peux le prouver) croient tous à la Révélation. Mais si vous chantez des messes pour la Pologne, si à la place du Dieu des dominicains, qui était un bourreau, vous prenez le Dieu des romantiques, qui est un tapissier ; si, enfin, vous n’avez pas de l’Absolu une conception plus large que vos aïeux, la monarchie percera sous vos formes républicaines, et votre bonnet rouge ne sera jamais qu’une calotte sacerdotale ! Seulement, le régime cellulaire aura remplacé la torture, l’outrage à la Religion le sacrilège, le concert européen la Sainte-Alliance ; 205 II, 3
Mais, principe signifiant origine, il faut se reporter toujours à une révolution, à un acte de violence, à un fait transitoire. Ainsi, le principe du nôtre est la souveraineté nationale, comprise dans la forme parlementaire, quoique le parlement n’en convienne pas ! Mais en quoi la souveraineté du peuple serait-elle plus sacrée que le droit divin ? L’un et l’autre sont deux fictions ! Assez de métaphysique, plus de fantômes ! Pas n’est besoin de dogmes pour faire balayer les rues ! On dira que je renverse la société ? Eh bien, après ? où serait le mal ? Elle est propre, en effet, la société. 206 II, 3
Deslauriers dénonça les jésuites, qui venaient de s’installer à Lille, publiquement. 287 II, 6
Ils accueillirent Frédéric avec de grandes marques de sympathie, tous connaissant par Dussardier son langage chez M. Dambreuse. Sénécal se contenta de lui offrir la main, d’un air digne.
    Il se tenait debout contre la cheminée. Les autres, assis et la pipe aux lèvres, l’écoutaient discourir sur le suffrage universel, d’où devait résulter le triomphe de la Démocratie, l’application des principes de l’Évangile. 
287 II, 6
Alors, la Propriété monta dans les respects au niveau de la Religion et se confondit avec Dieu. Les attaques qu’on lui portait parurent du sacrilège, presque de l’anthropophagie. Malgré la législation la plus humaine qui fut jamais, le spectre de 93 reparut, et le couperet de la guillotine vibra dans toutes les syllabes du mot République ; ce qui n’empêchait pas qu’on la méprisait pour sa faiblesse. La France, ne sentant plus de maître, se mit à crier d’effarement, comme un aveugle sans bâton, comme un marmot qui a perdu sa bonne. 319 III, 1
Puis un patriote en blouse gravit la tribune. Celui-là était un plébéien, large d’épaules, une grosse figure très douce et de longs cheveux noirs. Il parcourut l’assemblée d’un regard presque voluptueux, se renversa la tête, et enfin, écartant les bras :
    — Vous avez repoussé Ducretot, ô mes frères ! et vous avez bien fait, mais ce n’est pas par irréligion, car nous sommes tous religieux.
    Plusieurs écoutaient la bouche ouverte, avec des airs de catéchumènes, des poses extatiques.
    — Ce n’est pas, non plus, parce qu’il est prêtre, car, nous aussi, nous sommes prêtres ! L’ouvrier est prêtre, comme l’était le fondateur du socialisme, notre Maître à tous, Jésus-Christ !
    Le moment était venu d’inaugurer le règne de Dieu ! L’Évangile conduisait tout droit à 89 ! Après l’abolition de l’esclavage, l’abolition du prolétariat. On avait eu l’âge de haine, allait commencer l’âge d’amour.
    — Le christianisme est la clef de voûte et le fondement de l’édifice nouveau…
327 III, 1
    — Vous fichez-vous de nous ? s’écria le placeur d’alcools. Qu’est-ce qui m’a donné un calotin pareil !
    Cette interruption causa un grand scandale. Presque tous montèrent sur les bancs, et, le poing tendu, vociféraient : « Athée ! aristocrate ! canaille ! » pendant que la sonnette du président tintait sans discontinuer et que les cris « À l’ordre ! à l’ordre ! » redoublaient. Mais, intrépide, et soutenu d’ailleurs par « trois cafés » pris avant de venir, il se débattait au milieu des autres.
    — Comment, moi ! un aristocrate ? allons donc !
    Admis enfin à s’expliquer, il déclara qu’on ne serait jamais tranquille avec les prêtres, et, puisqu’on avait parlé tout à l’heure d’économies, c’en serait une fameuse que de supprimer les églises, les saints ciboires, et finalement tous les cultes.
    Quelqu’un lui objecta qu’il allait loin.
    — Oui ! je vais loin ! Mais, quand un vaisseau est surpris par la tempête…
327-328 III, 1
J’avais cru, quand la révolution est arrivée, qu’on serait heureux. Vous rappelez-vous comme c’était beau ! comme on respirait bien ! Mais nous voilà retombés pire que jamais.
    Et, fixant ses yeux à terre :
    — Maintenant, ils tuent notre République, comme ils ont tué l’autre, la romaine ! et la pauvre Venise, la pauvre Pologne, la pauvre Hongrie ! Quelles abominations ! D’abord, on a abattu les arbres de la Liberté, puis restreint le droit de suffrage, fermé les clubs, rétabli la censure et livré l’enseignement aux prêtres, en attendant l’Inquisition. Pourquoi pas ?
417 III, 4
     

Danielle Girard