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Extraits de l'œuvre |
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Chapitre |
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La rivière était bordée par des grèves de
sable. On rencontrait des trains de bois qui se
mettaient à onduler sous le remous des vagues,
ou bien, dans un bateau sans voiles, un homme
assis pêchait ; puis les brumes errantes se
fondirent, le soleil parut, la colline qui
suivait à droite le cours de la Seine peu à peu
s’abaissa, et il en surgit une autre, plus
proche, sur la rive opposée.
Des arbres la couronnaient parmi des maisons
basses couvertes de toits à l’italienne. Elles
avaient des jardins en pente que divisaient des
murs neufs, des grilles de fer, des gazons, des
serres chaudes, et des vases de géraniums,
espacés régulièrement sur des terrasses où l’on
pouvait s’accouder. Plus d’un, en apercevant ces
coquettes résidences, si tranquilles, enviait
d’en être le propriétaire, pour vivre là jusqu’à
la fin de ses jours, avec un bon billard, une
chaloupe, une femme ou quelque autre rêve. Le
plaisir tout nouveau d’une excursion maritime
facilitait les épanchements. Déjà les farceurs
commençaient leurs plaisanteries. Beaucoup
chantaient. On était gai. Il se versait des
petits verres.
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38
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I, 1
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Les
rives de la Seine en amont de Paris. |
38 |
I, 1 |
Le soleil dardait d’aplomb, en faisant reluire
les gabillots de fer autour des mâts, les
plaques du bastingage et la surface de l’eau ;
elle se coupait à la proue en deux sillons, qui
se déroulaient jusqu’au bord des prairies. À
chaque détour de la rivière, on retrouvait le
même rideau de peupliers pâles. La campagne
était toute vide. Il y avait dans le ciel de
petits nuages blancs arrêtés, et l’ennui,
vaguement répandu, semblait alanguir la marche
du bateau et rendre l’aspect des voyageurs plus
insignifiant encore.
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39
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I, 1
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Les
rives de la Seine en amont de Paris. |
39 |
I, 1 |
Une plaine s’étendait à droite ; à gauche un
herbage allait doucement rejoindre une colline,
où l’on apercevait des vignobles, des noyers, un
moulin dans la verdure, et des petits chemins au
delà, formant des zigzags sur la roche blanche
qui touchait au bord du ciel. Quel bonheur de
monter côte à côte, le bras autour de sa taille,
pendant que sa robe balayerait les feuilles
jaunies, en écoutant sa voix, sous le
rayonnement de ses yeux ! Le bateau pouvait
s’arrêter, ils n’avaient qu’à descendre ; et
cette chose bien simple n’était pas plus facile,
cependant, que de remuer le soleil !
Un peu plus loin, on découvrit un château, à
toit pointu, avec des tourelles carrées. Un
parterre de fleurs s’étalait devant sa façade ;
et des avenues s’enfonçaient, comme des voûtes
noires, sous les hauts tilleuls. Il se la figura
passant au bord des charmilles. À ce moment, une
jeune dame et un jeune homme se montrèrent sur
le perron, entre les caisses d’orangers. Puis
tout disparut.
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43
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I, 1
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Les
rives de la Seine en amont de Paris. |
43 |
I, 1 |
Des champs moissonnés se prolongeaient à n’en
plus finir. Deux lignes d’arbres bordaient la
route, les tas de cailloux se succédaient ; et
peu à peu, Villeneuve-Saint-Georges, Ablon,
Châtillon, Corbeil et les autres pays, tout son
voyage lui revint à la mémoire,
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44
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I, 1
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La route entre
Montereau et Nogent. |
44 |
I, 1 |
Une large couleur de pourpre enflammait le ciel
à l’occident. De grosses meules de blé, qui se
levaient au milieu des chaumes, projetaient des
ombres géantes. Un chien se mit à aboyer dans
une ferme, au loin. Il frissonna, pris d’une
inquiétude sans cause.
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44
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I, 1
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Coucher
de soleil entre Montereau et Nogent. |
44 |
I, 1 |
Et ils continuèrent à se promener d’un bout à
l’autre des deux ponts qui s’appuient sur l’île
étroite, formée par le canal et la rivière.
Quand ils allaient du côté de Nogent, ils
avaient, en face, un pâté de maisons s’inclinant
quelque peu ; à droite, l’église apparaissait
derrière les moulins de bois dont les vannes
étaient fermées ; et, à gauche, les haies
d’arbustes, le long de la rive, terminaient des
jardins, que l’on distinguait à peine. Mais, du
côté de Paris, la grande route descendait en
ligne droite ; et des prairies se perdaient au
loin, dans les vapeurs de la nuit. Elle était
silencieuse et d’une clarté blanchâtre. Des
odeurs de feuillage humide montaient jusqu’à
eux ; la chute de la prise d’eau, cent pas plus
loin, murmurait, avec ce gros bruit doux que
font les ondes dans les ténèbres.
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50
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I, 2
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Paysages à Nogent. |
50 |
I, 2 |
À droite et à gauche, des plaines vertes
s’étendaient ; le convoi roulait ; les
maisonnettes des stations glissaient comme des
décors, et la fumée de la locomotive versait
toujours du même côté ses gros flocons qui
dansaient sur l’herbe quelque temps, puis se
dispersaient.
Frédéric, seul sur sa banquette, regardait
cela, par ennui, perdu dans cette langueur que
donne l’excès même de l’impatience. Mais des
grues, des magasins parurent. C’était Creil.
La ville, construite au versant de deux
collines basses (dont la première est nue et la
seconde couronnée par un bois), avec la tour de
son église, ses maisons inégales et son pont de
pierre, lui semblait avoir quelque chose de gai,
de discret et de bon. Un grand bateau plat
descendait au fil de l’eau, qui clapotait
fouettée par le vent ; des poules, au pied du
calvaire, picoraient dans la paille ; une femme
passa, portant du linge mouillé sur la tête.
Après le pont, il se trouva dans une île, où
l’on voit sur la droite les ruines d’une abbaye.
Un moulin tournait, barrant dans toute sa
largeur le second bras de l’Oise, que surplombe
la manufacture. L’importance de cette
construction étonna grandement Frédéric. Il en
conçut plus de respect pour Arnoux.
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218-219
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II, 3
|
Vue
de Creil en arrivant par le train. |
218-219 |
II, 3 |
Enfin il se précipita dans la campagne.
La verdure monotone la faisait ressembler à
un immense tapis de billard. Des scories de fer
étaient rangées, sur les deux bords de la route,
comme des mètres de cailloux. Un peu plus loin,
des cheminées d’usine fumaient les unes près des
autres. En face de lui se dressait, sur une
colline ronde, un petit château à tourelles,
avec le clocher quadrangulaire d’une église. De
longs murs, en dessous, formaient des lignes
irrégulières parmi les arbres ; et, tout en bas,
les maisons du village s’étendaient.
Elles sont à un seul étage, avec des
escaliers de trois marches, faites de blocs sans
ciment. On entendait, par intervalles, la
sonnette d’un épicier. Des pas lourds
s’enfonçaient dans la boue noire, et une pluie
fine tombait, coupant de mille hachures le ciel
pâle.
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220
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II, 3
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Paysage urbain et
industriel à Creil. |
220 |
II, 3 |
Puis, il y eut un silence. Ils n’entendaient que le craquement du sable sous leurs pieds avec le murmure de la chute d’eau ; car la Seine, au-dessus de Nogent, est coupée en deux bras. Celui qui fait tourner les moulins dégorge en cet endroit la surabondance de ses ondes, pour rejoindre plus bas le cours naturel du fleuve ; et, lorsqu’on vient des ponts, on aperçoit, à droite sur l’autre berge, un talus de gazon que domine une maison blanche. À gauche, dans la prairie, des peupliers s’étendent, et l’horizon, en face, est borné par une courbe de la rivière ; elle était plate comme un miroir ; de grands insectes patinaient sur l’eau tranquille. Des touffes de roseaux et des joncs la bordent inégalement ; toutes sortes de plantes venues là s’épanouissaient en boutons d’or, laissaient pendre des grappes jaunes, dressaient des quenouilles de fleurs amarantes, faisaient au hasard des fusées vertes. Dans une anse du rivage, des nymphéas s’étalaient ; et un rang de vieux saules cachant des pièges à loup était, de ce côté de l’île, toute la défense du jardin.
En deçà, dans l’intérieur, quatre murs à chaperon d’ardoises enfermaient le potager, où les carrés de terre, labourés nouvellement, formaient des plaques brunes. Les cloches des melons brillaient à la file sur leur couche étroite ; les artichauts, les haricots, les épinards, les carottes et les tomates alternaient jusqu’à un plant d’asperges, qui semblait un petit bois de plumes.
Tout ce terrain avait été, sous le Directoire, ce qu’on appelait une folie. Les arbres, depuis lors, avaient démesurément grandi. De la clématite embarrassait les charmilles, les allées étaient couvertes de mousse, partout les ronces foisonnaient. Des tronçons de statue émiettaient leur plâtre sous les herbes. On se prenait en marchant dans quelques débris d’ouvrage en fil de fer. Il ne restait plus du pavillon que deux chambres au rez-de-chaussée avec des lambeaux de papier bleu. Devant la façade s’allongeait une treille à l’italienne, où, sur des piliers en brique, un grillage de bâtons supportait une vigne. |
274 |
II, 5 |
Le jardin de M. Roque à Nogent. |
274 |
II, 5 |
Le matin de bonne heure, ils allèrent visiter
le château. Comme ils entraient par la grille,
ils aperçurent sa façade tout entière, avec les
cinq pavillons à toits aigus et son escalier en
fer à cheval se déployant au fond de la cour,
que bordent de droite et de gauche deux corps de
bâtiments plus bas. Des lichens sur les pavés se
mêlent de loin au ton fauve des briques ; et
l’ensemble du palais, couleur de rouille comme
une vieille armure, avait quelque chose de
royalement impassible, une sorte de grandeur
militaire et triste.
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342
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III, 1
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La
façade du château de Fontainebleau. |
342 |
III, 1 |
Enfin ils descendirent dans le parterre.
C’est un vaste rectangle, laissant voir d’un
seul coup d’œil ses larges allées jaunes, ses
carrés de gazon, ses rubans de buis, ses ifs en
pyramide, ses verdures basses et ses étroites
plates-bandes, où des fleurs clairsemées font
des taches sur la terre grise. Au bout du
jardin, un parc se déploie, traversé dans toute
son étendue par un long canal.
Les résidences royales ont en elles une
mélancolie particulière, qui tient sans doute à
leurs dimensions trop considérables pour le
petit nombre de leurs hôtes, au silence qu’on
est surpris d’y trouver après tant de fanfares,
à leur luxe immobile prouvant par sa vieillesse
la fugacité des dynasties, l’éternelle misère de
tout ; et cette exhalaison des siècles,
engourdissante et funèbre comme un parfum de
momie, se fait sentir même aux têtes naïves.
Rosanette bâillait démesurément. Ils s’en
retournèrent à l’hôtel.
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344
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III, 1
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Dans le parc du château
de Fontainebleau. |
344 |
III, 1 |
Après leur déjeuner, on leur amena une
voiture découverte. Ils sortirent de
Fontainebleau par un large rond-point, puis
montèrent au pas une route sablonneuse dans un
bois de petits pins. Les arbres devinrent plus
grands ; et le cocher, de temps à autre,
disait : « Voici les Frères-Siamois, le
Pharamond, le Bouquet-du-Roi… » n’oubliant aucun
des sites célèbres, parfois même s’arrêtant pour
les faire admirer.
Ils entrèrent dans la futaie de Franchard.
La voiture glissait comme un traîneau sur le
gazon ; des pigeons qu’on ne voyait pas
roucoulaient ; tout à coup, un garçon de café
parut ; et ils descendirent devant la barrière
d’un jardin où il y avait des tables rondes.
Puis, laissant à gauche les murailles d’une
abbaye en ruines, ils marchèrent sur de grosses
roches, et atteignirent bientôt le fond de la
gorge.
Elle est couverte, d’un côté, par un
entremêlement de grès et de genévriers, tandis
que, de l’autre, le terrain presque nu s’incline
vers le creux du vallon, où, dans la couleur des
bruyères, un sentier fait une ligne pâle ; et on
aperçoit tout au loin un sommet en cône aplati,
avec la tour d’un télégraphe par derrière.
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344-345
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III, 1
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Promenade
en voiture dans la forêt de Fontainebleau. |
344-345 |
III, 1 |
Une demi-heure après, ils mirent pied à terre
encore une fois pour gravir les hauteurs
d’Aspremont.
Le chemin fait des zigzags entre les pins
trapus sous des rochers à profils anguleux ;
tout ce coin de la forêt a quelque chose
d’étouffé, d’un peu sauvage et de recueilli. On
pense aux ermites, compagnons des grands cerfs
portant une croix de feu entre leurs cornes, et
qui recevaient avec de paternels sourires les
bons rois de France, agenouillés devant leur
grotte. Une odeur résineuse emplissait l’air
chaud, des racines à ras du sol
s’entrecroisaient comme des veines. Rosanette
trébuchait dessus, était désespérée, avait envie
de pleurer.
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345
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III, 1
|
Les hauteurs
d’Aspremont. |
345 |
III, 1 |
Le lendemain, ils allèrent voir la
Gorge-au-Loup, la Mare-aux-Fées, le Long-Rocher,
la Marlotte ; le surlendemain, ils
recommencèrent au hasard, comme leur cocher
voulait, sans demander où ils étaient, et
souvent même négligeant les sites fameux.
Ils se trouvaient si bien dans leur vieux
landau, bas comme un sofa et couvert d’une toile
à raies déteintes ! Les fossés pleins de
broussailles filaient sous leurs yeux, avec un
mouvement doux et continu. Des rayons blancs
traversaient comme des flèches les hautes
fougères ; quelquefois, un chemin, qui ne
servait plus, se présentait devant eux, en ligne
droite ; et des herbes s’y dressaient çà et là,
mollement. Au centre des carrefours, une croix
étendait ses quatre bras ; ailleurs, des poteaux
se penchaient comme des arbres morts, et de
petits sentiers courbes, en se perdant sous les
feuilles, donnaient envie de les suivre ; au
même moment, le cheval tournait, ils y
entraient, on enfonçait dans la boue ; plus
loin, de la mousse avait poussé au bord des
ornières profondes.
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346
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III, 1
|
Paysages
autour de Fontainebleau. |
346 |
III, 1 |
Ils se croyaient loin des autres, bien seuls.
Mais tout à coup passait un garde-chasse avec
son fusil, ou une bande de femmes en haillons,
traînant sur leur dos de longues bourrées.
Quand la voiture s’arrêtait, il se faisait
un silence universel ; seulement, on entendait
le souffle du cheval dans les brancards, avec un
cri d’oiseau très faible, répété.
La lumière, à de certaines places éclairant
la lisière du bois, laissait les fonds dans
l’ombre ; ou bien, atténuée sur les premiers
plans par une sorte de crépuscule, elle étalait
dans les lointains des vapeurs violettes, une
clarté blanche. Au milieu du jour, le soleil,
tombant d’aplomb sur les larges verdures, les
éclaboussait, suspendait des gouttes argentines
à la pointe des branches, rayait le gazon de
traînées d’émeraudes, jetait des taches d’or sur
les couches de feuilles mortes ; en se
renversant la tête, on apercevait le ciel, entre
les cimes des arbres. Quelques-uns, d’une
altitude démesurée, avaient des airs de
patriarches et d’empereurs, ou se touchant par
le bout, formaient avec leurs longs fûts comme
des arcs de triomphe ; d’autres, poussés dès le
bas obliquement, semblaient des colonnes près de
tomber.
Cette foule de grosses lignes verticales
s’entr’ouvrait. Alors, d’énormes flots verts se
déroulaient en bosselages inégaux jusqu’à la
surface des vallées où s’avançait la croupe
d’autres collines dominant des plaines blondes,
qui finissaient par se perdre dans une pâleur
indécise.
Debout, l’un près de l’autre, sur quelque
éminence du terrain, ils sentaient, tout en
humant le vent, leur entrer dans l’âme comme
l’orgueil d’une vie plus libre, avec une
surabondance de forces, une joie sans cause.
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346
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III, 1
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Jeux de lumière dans la
forêt de Fontainebleau. |
346 |
III, 1 |
La diversité des arbres faisait un spectacle
changeant. Les hêtres, à l’écorce blanche et
lisse, entremêlaient leurs couronnes ; des
frênes courbaient mollement leurs glauques
ramures ; dans les cépées de charmes, des houx
pareils à du bronze se hérissaient ; puis venait
une file de minces bouleaux, inclinés dans des
attitudes élégiaques ; et les pins, symétriques
comme des tuyaux d’orgue, en se balançant
continuellement, semblaient chanter. Il y avait
des chênes rugueux, énormes, qui se
convulsaient, s’étiraient du sol, s’étreignaient
les uns les autres, et, fermes sur leurs troncs,
pareils à des torses, se lançaient avec leurs
bras nus des appels de désespoir, des menaces
furibondes, comme un groupe de Titans
immobilisés dans leur colère. Quelque chose de
plus lourd, une langueur fiévreuse planait
au-dessus des mares, découpant la nappe de leurs
eaux entre des buissons d’épines ; les lichens
de leur berge, où les loups viennent boire, sont
couleur de soufre, brûlés comme par le pas des
sorcières, et le coassement ininterrompu des
grenouilles répond au cri des corneilles qui
tournoient.
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347
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III, 1
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Arbres
et mares dans la forêt de Fontainebleau. |
347 |
III, 1 |
Ensuite, ils traversaient des clairières
monotones, plantées d’un baliveau çà et là. Un
bruit de fer, des coups drus et nombreux
sonnaient ; c’était, au flanc d’une colline, une
compagnie de carriers battant les roches. Elles
se multipliaient de plus en plus, et finissaient
par emplir tout le paysage, cubiques comme des
maisons, plates comme des dalles, s’étayant, se
surplombant, se confondant telles que les ruines
méconnaissables et monstrueuses de quelque cité
disparue. Mais la furie même de leur chaos fait
plutôt rêver à des volcans, à des déluges, aux
grands cataclysmes ignorés. Frédéric disait
qu’ils étaient là depuis le commencement du
monde et resteraient ainsi jusqu’à la fin ;
Rosanette détournait la tête, en affirmant que
« ça la rendrait folle », et s’en allait
cueillir des bruyères. Leurs petites fleurs
violettes, tassées les unes près des autres,
formaient des plaques inégales, et la terre qui
s’écroulait de dessous mettait comme des franges
noires au bord des sables pailletés de mica.
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347
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III, 1
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Les carrières dans la
forêt de Fontainebleau. |
347 |
III, 1 |
Ils arrivèrent un jour à mi-hauteur d’une
colline tout en sable. Sa surface, vierge de
pas, était rayée en ondulations symétriques ; çà
et là, tels que des promontoires sur le lit
desséché d’un océan, se levaient des roches
ayant de vagues formes d’animaux, tortues
avançant la tête, phoques qui rampent,
hippopotames et ours. Personne. Aucun bruit. Les
sables, frappés par le soleil, éblouissaient ;
et tout à coup, dans cette vibration de la
lumière, les bêtes parurent remuer. Ils s’en
retournèrent vite, fuyant le vertige, presque
effrayés.
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347
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III, 1
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Colline
de sable dans la forêt de Fontainebleau. |
347 |
III, 1 |
Le sérieux de la forêt les gagnait ; et ils
avaient des heures de silence où, se laissant
aller au bercement des ressorts, ils demeuraient
comme engourdis dans une ivresse tranquille. Le
bras sous la taille, il l’écoutait parler
pendant que les oiseaux gazouillaient, observait
presque du même coup d’œil les raisins noirs de
sa capote et les baies des genévriers, les
draperies de son voile, les volutes des nuages ;
et, quand il se penchait vers elle, la fraîcheur
de sa peau se mêlait au grand parfum des bois.
Ils s’amusaient de tout ; ils se montraient,
comme une curiosité, des fils de la Vierge
suspendus aux buissons, des trous pleins d’eau
au milieu des pierres, un écureuil sur les
branches, le vol de deux papillons qui les
suivaient ; ou bien, à vingt pas d’eux, sous les
arbres, une biche marchait, tranquillement, d’un
air noble et doux, avec son faon côte à côte.
Rosanette aurait voulu courir après, pour
l’embrasser.
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348
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III, 1
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Oiseaux, écureuil, papillons et biches dans la forêt de Fontainebleau. |
348 |
III, 1 |
Avant de repartir, ils allèrent se promener le
long de la berge.
Le ciel d’un bleu tendre, arrondi comme un
dôme, s’appuyait à l’horizon sur la dentelure
des bois. En face, au bout de la prairie, il y
avait un clocher dans un village ; et, plus
loin, à gauche, le toit d’une maison faisait une tache
rouge sur la rivière, qui semblait immobile dans
toute la longueur de sa sinuosité. Des joncs se
penchaient pourtant, et l’eau secouait
légèrement des perches plantées au bord pour
tenir des filets ; une nasse d’osier, deux ou
trois vieilles chaloupes étaient là. Près de
l’auberge, une fille en chapeau de paille tirait
des seaux d’un puits ; chaque fois qu’ils
remontaient, Frédéric écoutait avec une
jouissance inexprimable le grincement de la
chaîne.
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348-349
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III, 1
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Le
long de la berge de la Seine près de
Fontainebleau. |
348-349 |
III, 1 |
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Patricia Chabot et Danielle Girard
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