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Extraits de l'œuvre |
Édition |
Chapitre |
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Cette maison, spacieuse, avec un jardin donnant sur la campagne, ajoutait à la considération de Mme Moreau, qui était la personne du pays la plus respectée.
Elle sortait d’une vieille famille de gentilshommes, éteinte maintenant. Son mari, un plébéien que ses parents lui avaient fait épouser, était mort d’un coup d’épée, pendant sa grossesse, en lui laissant une fortune compromise. |
45 |
I, 1 |
Le mari de Mme Moreau est mort d'un coup d'épée avant même la naissance de Frédéric. |
45 |
I, 1 |
Des nues sombres couraient sur la
face de la lune. Il la contempla, en rêvant à la
grandeur des espaces, à la misère de la vie, au
néant de tout. Le jour parut ; ses dents
claquaient ; et, à moitié endormi, mouillé par le
brouillard et tout plein de larmes, il se demanda
pourquoi n’en pas finir ? Rien qu’un mouvement à
faire ! Le poids de son front l’entraînait, il
voyait son cadavre flottant sur
l’eau ; Frédéric se pencha. Le parapet était un
peu large, et ce fut par lassitude qu’il n’essaya
pas de le franchir.
Une épouvante le saisit. Il regagna les boulevards
et s’affaissa sur un banc. Des agents de police le
réveillèrent, convaincus qu’il « avait fait la
noce ». |
109 |
I, 5 |
Frédéric a un court instant envie de
se suicider. |
109 |
I, 5 |
Ils s’asseyaient pour dîner,
quand tintèrent à l’église trois longs coups de
cloche ; et la domestique, entrant, annonça
que Mme Eléonore venait de mourir.
Cette mort, après tout, n’était un malheur
pour personne, pas même pour son enfant. La jeune
fille ne s’en trouverait que mieux, plus tard. |
131 |
I, 6 |
Éléonore, la mère de Louise,
meurt – ce qui n'est un malheur pour personne. |
131 |
I, 6 |
Et la Sphinx buvait de l’eau-de-vie,
criait à plein gosier, se démenait comme un démon.
Tout à coup ses joues s’enflèrent, et, ne
résistant plus au sang qui l’étouffait, elle porta
sa serviette contre ses lèvres, puis la jeta sous
la table.
Frédéric l’avait vue.
— Ce n’est rien !
Et, à ses instances pour partir et se soigner,
elle répondit lentement :
— Bah ! à quoi bon ? autant ça qu’autre
chose ! la vie n’est pas si drôle ! |
155 |
II, 1 |
La Sphinx crache du sang au bal
costumé de Rosanette. |
155 |
II, 1 |
Puis, quand il fut seul, il se répéta tout haut, plusieurs fois :
« Je vais me battre. Tiens, je vais me battre ! C’est drôle »
Et, comme il marchait dans sa chambre, en passant devant sa glace, il s’aperçut qu’il était pâle.
« Est-ce que j’aurais peur ? »
Une angoisse abominable le saisit à l’idée d’avoir peur sur le terrain.
« Si j’étais tué, cependant ? Mon père est mort de la même façon. Oui, je serai tué ! »
Et, tout à coup, il aperçut sa mère, en robe noire ; des images incohérentes se déroulèrent dans sa tête. |
252 |
II, 4 |
Frédéric évoque la mort de son père, tué dans un duel. |
252 |
II, 4 |
Bientôt les
horribles quintes recommencèrent. Quelquefois,
l’enfant se dressait tout à coup. Des mouvements
convulsifs lui secouaient les muscles de la
poitrine, et, dans ses aspirations, son ventre se
creusait comme s’il eût suffoqué d’avoir couru.
Puis il retombait la tête en arrière et la bouche
grande ouverte. Avec des précautions infinies,
Mme Arnoux tâchait de lui faire avaler le contenu
des fioles, du sirop d’ipécacuana, une potion
kermétisée. Mais il repoussait la cuiller, en
gémissant d’une voix faible. On aurait dit qu’il
soufflait ses paroles. […] |
303-305 |
II, 6 |
Eugène, le fils de
Mme Arnoux, est malade du croup. |
303-305 |
II, 6 |
Les tambours battaient la charge.
Des cris aigus, des hourras de triomphe
s’élevaient. Un remous continuel faisait osciller
la multitude. Frédéric, pris entre deux masses
profondes, ne bougeait pas, fasciné d’ailleurs et
s’amusant extrêmement. Les blessés qui tombaient,
les morts étendus n’avaient pas l’air de vrais
blessés, de vrais morts. Il lui semblait assister
à un spectacle. |
310-311 |
III, 1 |
24 février 1848 : Morts lors de
l'attaque du poste du Château-d’Eau. |
310-311 |
III, 1 |
Le premier étage
du Palais-Royal s’était peuplé de gardes
nationaux. De toutes les fenêtres de la place, on
tirait ; les balles sifflaient, l’eau de la
fontaine crevée se mêlait avec le sang, faisait
des flaques par terre ; on glissait dans la boue
sur des vêtements, des shakos, des armes ;
Frédéric sentit sous son pied quelque chose de
mou ; c’était la main d’un sergent en capote
grise, couché la face dans le ruisseau. Des bandes
nouvelles de peuple arrivaient toujours, poussant
les combattants sur le poste. La fusillade
devenait plus pressée. Les marchands de vins
étaient ouverts ; on allait de temps à autre y
fumer une pipe, boire une chope, puis on
retournait se battre. Un chien perdu hurlait. Cela
faisait rire.
Frédéric fut ébranlé par le choc d’un homme
qui, une balle dans les reins, tomba sur son
épaule, en râlant. À ce coup, dirigé peut-être
contre lui, il se sentit furieux ; et il se jetait
en avant quand un garde national l’arrêta.
— C’est inutile ! le Roi vient de partir. Ah ! si
vous ne me croyez pas, allez-y voir ! |
311 |
III, 1 |
24 février 1848 :
Morts lors du pillage du Palais Royal. |
311 |
III, 1 |
Rosanette considérait un point par
terre, à trois pas d’elle, fixement, les narines
battantes, absorbée. Frédéric lui prit la main.
— Comme tu as souffert, pauvre chérie !
— Oui, dit-elle, plus que tu ne crois !…
Jusqu’à vouloir en finir ; on m’a repêchée.
— Comment ?
— Ah ! n’y pensons plus !… Je t’aime, je suis
heureuse ! embrasse-moi. |
351 |
III, 1 |
Rosanette évoque sa tentative de
suicide dans sa jeunesse. |
351 |
III, 1 |
Elle emmena
Frédéric à l’écart, et lui apprit comment
Dussardier avait reçu sa blessure.
Le samedi, au haut d’une barricade, dans la
rue Lafayette, un gamin enveloppé d’un drapeau
tricolore criait aux gardes nationaux :
« Allez-vous tirer contre vos frères ! » Comme ils
s’avançaient, Dussardier avait jeté bas son fusil,
écarté les autres, bondi sur la barricade, et,
d’un coup de savate, abattu l’insurgé en lui
arrachant le drapeau. On l’avait retrouvé sous les
décombres, la cuisse percée d’un lingot de cuivre.
Il avait fallu débrider la plaie, extraire le
projectile. Mlle Vatnaz était arrivée le soir
même, et, depuis ce temps-là, ne le quittait plus. |
357 |
III, 1 |
Juin
1848 : Dussardier est blessé sur une barricade. |
357 |
III, 1 |
— Du pain !
— Est-ce que j’en ai, moi !
D’autres prisonniers apparurent dans le
soupirail, avec leurs barbes hérissées, leurs
prunelles flamboyantes, tous se poussant et
hurlant :
— Du pain !
Le père Roque fut indigné de voir son autorité
méconnue. Pour leur faire peur, il les mit en
joue ; et, porté jusqu’à la voûte par le flot qui
l’étouffait, le jeune homme, la tête en arrière,
cria encore une fois :
— Du pain !
— Tiens ! en voilà ! dit le père Roque, en
lâchant son coup de fusil.
Il y eut un énorme hurlement, puis, rien. Au
bord du baquet, quelque chose de blanc était
resté. |
358 |
III, 1 |
Juin 1848 : Le père
Roque tue un soldat prisonnier au caveau des
Tuileries. |
358 |
III, 1 |
Mais M. Dambreuse
était malade. Frédéric le voyait tous les jours,
sa qualité d’intime le faisait admettre près de
lui.
La révocation du général Changarnier avait ému
extrêmement le capitaliste. Le soir même, il fut
pris d’une grande chaleur dans la poitrine, avec
une oppression à ne pouvoir se tenir couché. Des
sangsues amenèrent un soulagement immédiat. La
toux sèche disparut, la respiration devint plus
calme ; et, huit jours après, il dit en avalant un
bouillon :
— Ah ! ça va mieux ! Mais j’ai manqué faire le
grand voyage !
— Pas sans moi ! s’écria Mme Dambreuse,
notifiant par ce mot qu’elle n’aurait pu lui
survivre.
Au lieu de répondre, il étala sur elle et sur
son amant un singulier sourire, où il y avait à la
fois de la résignation, de l’indulgence, de
l’ironie, et même comme une pointe, un
sous-entendu presque gai. |
395 |
III, 4 |
Maladie de
M. Dambreuse. |
395-396 |
III, 4 |
On avait tiré le lit complètement
hors de l’alcôve. La religieuse était au pied ; et
au chevet se tenait un prêtre, un autre, un grand
homme maigre, l’air espagnol et fanatique. Sur la
table de nuit, couverte d’une serviette blanche,
trois flambeaux brûlaient.
Frédéric prit une chaise, et regarda le mort.
Son visage était jaune comme de la paille ; un
peu d’écume sanguinolente marquait les coins de sa
bouche. Il avait un foulard autour du crâne, un
gilet de tricot, et un crucifix d’argent sur la
poitrine, entre ses bras croisés.
[…] Le prêtre qui venait à se moucher, ou la bonne
sœur arrangeant le feu, interrompait brutalement
ces imaginations. Mais la réalité les confirmait ;
le cadavre était toujours là. Ses paupières
s’étaient rouvertes ; et les pupilles, bien que
noyées dans des ténèbres visqueuses, avaient une
expression énigmatique, intolérable. Frédéric
croyait y voir comme un jugement porté sur lui, |
398 |
III, 4 |
Veillée funèbre de M. Dambreuse. |
398 |
III, 4 |
Le corbillard,
orné de draperies pendantes et de hauts plumets,
s’achemina vers le Père-Lachaise, tiré par quatre
chevaux noirs ayant des tresses dans la crinière,
des panaches sur la tête, et qu’enveloppaient
jusqu’aux sabots de larges caparaçons brodés
d’argent. Leur cocher, en bottes à l’écuyère,
portait un chapeau à trois cornes avec un long
crêpe retombant. Les cordons étaient tenus par
quatre personnages : un questeur de la Chambre des
députés, un membre du Conseil général de l’Aube,
un délégué des houilles, et Fumichon, comme ami.
La calèche du défunt et douze voitures de deuil
suivaient. Les conviés, par derrière, emplissaient
le milieu du boulevard.
Pour voir tout cela, les passants
s’arrêtaient ; des femmes, leur marmot entre les
bras, montaient sur des chaises, et des gens qui
prenaient des chopes dans les cafés apparaissaient
aux fenêtres, une queue de billard à la main.
La route était longue ; et, comme dans les
repas de cérémonie où l’on est réservé d’abord,
puis expansif, la tenue générale se relâcha
bientôt. |
401 |
III, 4 |
Funérailles de M.
Dambreuse. |
401 |
III, 4 |
— Regarde donc !
Et elle lui montra son enfant couché dans un
berceau, près du feu. Elle l’avait trouvé si mal
le matin chez sa nourrice, qu’elle l’avait ramené
à Paris.
Tous ses membres étaient maigris
extraordinairement et ses lèvres couvertes de
points blancs, qui faisaient dans l’intérieur de
sa bouche comme des caillots de lait.
— Qu’a dit le médecin ?
— Ah ! le médecin ! Il prétend que le voyage a
augmenté son… je ne sais plus, un nom en ite…
enfin qu’il a le muguet. Connais-tu cela ?
Frédéric n’hésita pas à répondre :
« Certainement », ajoutant que ce n’était rien.
Mais dans la soirée, il fut effrayé par
l’aspect débile de l’enfant et le progrès de ces
taches blanchâtres, pareilles à de la moisissure,
comme si la vie, abandonnant déjà ce pauvre petit
corps, n’eût laissé qu’une matière où la
végétation poussait. Ses mains étaient froides ;
il ne pouvait plus boire, maintenant ; et la
nourrice, une autre que le portier avait été
prendre au hasard dans un bureau, répétait :
— Il me paraît bien bas, bien bas !
Rosanette fut debout toute la nuit.
Le matin, elle alla trouver Frédéric.
— Viens donc voir. Il ne remue plus.
En effet, il était mort. |
419 |
III, 4 |
Maladie du muguet et mort du bébé de
Rosanette. |
419-420 |
III, 4 |
Entre les charges
de cavalerie, des escouades de sergents de ville
survenaient, pour faire refluer le monde dans les
rues.
Mais, sur les marches de Tortoni, un homme,
Dussardier, remarquable de loin à sa haute taille,
restait sans plus bouger qu’une cariatide.
Un des agents qui marchait en tête, le
tricorne sur les yeux, le menaça de son épée.
L’autre alors, s’avançant d’un pas, se mit à
crier :
— Vive la République !
Il tomba sur le dos, les bras en croix.
Un hurlement d’horreur s’éleva de la foule.
L’agent fit un cercle autour de lui avec son
regard ; et Frédéric, béant, reconnut Sénécal. |
436 |
III, 5 |
4 décembre 1851 :
Mort de Dussardier tué par Sénécal |
436 |
III, 5 |
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SAWASAKI Hisaki
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