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Extraits de l'œuvre |
Édition |
Chapitre |
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Il y
avait dans le ciel de petits nuages blancs
arrêtés, et l’ennui, vaguement répandu, semblait
alanguir la marche du bateau et rendre l’aspect
des voyageurs plus insignifiant encore.
À part quelques bourgeois, aux Premières,
c’étaient des ouvriers, des gens de boutique avec
leurs femmes et leurs enfants.
Comme on avait coutume alors de se vêtir
sordidement en voyage, presque tous portaient de
vieilles calottes grecques ou des chapeaux
déteints, de maigres habits noirs râpés par le
frottement du bureau, ou des redingotes ouvrant la
capsule de leurs boutons pour avoir trop servi au
magasin ; çà et là, quelque gilet à châle laissait
voir une chemise de calicot, maculée de café ; des
épingles de chrysocale piquaient des cravates en
lambeaux ; des sous-pieds cousus retenaient des
chaussons de lisière ; deux ou trois gredins qui
tenaient des bambous à gance de cuir lançaient des
regards obliques, et des pères de famille
ouvraient de gros yeux, en faisant des questions.
Ils causaient debout, ou bien accroupis sur leurs
bagages ; d’autres dormaient dans des coins ;
plusieurs mangeaient. Le pont était sali par des
écales de noix, des bouts de cigares, des pelures
de poires, des détritus de charcuterie apportée
dans du papier ; trois ébénistes, en blouse,
stationnaient devant la cantine ; un joueur de
harpe en haillons se reposait, accoudé sur son
instrument ; on entendait par intervalles le bruit
du charbon de terre dans le fourneau, un éclat de
voix, un rire ; et le capitaine, sur la
passerelle, marchait d’un tambour à l’autre, sans
s’arrêter. Frédéric, pour rejoindre sa place,
poussa la grille des Premières, dérangea deux
chasseurs avec leurs chiens.
Ce fut comme une apparition : |
39-40 |
I, 1 |
15
septembre 1840, les passagers du Ville-de-Montereau. |
39-40 |
I, 1 |
Les jours de soleil,
il continuait sa promenade jusqu’au bout des
Champs-Élysées.
Des femmes, nonchalamment assises dans des
calèches, et dont les voiles flottaient au vent,
défilaient près de lui, au pas ferme de leurs
chevaux, avec un balancement insensible qui
faisait craquer les cuirs vernis. Les voitures
devenaient plus nombreuses, et, se ralentissant à
partir du Rond-Point, elles occupaient toute la
voie. Les crinières étaient près des crinières,
les lanternes près des lanternes ; les étriers
d’acier, les gourmettes d’argent, les boucles de
cuivre, jetaient çà et là des points lumineux
entre les culottes courtes, les gants blancs, et
les fourrures qui retombaient sur le blason des
portières. Il se sentait comme perdu dans un monde
lointain. Ses yeux erraient sur les têtes
féminines ; et de vagues ressemblances amenaient à
sa mémoire Mme Arnoux. Il se la figurait, au
milieu des autres, dans un de ces petits coupés,
pareils au coupé de Mme Dambreuse. Mais le soleil
se couchait, et le vent froid
soulevait des tourbillons de poussière. Les
cochers baissaient le menton dans leurs cravates,
les roues se mettaient à tourner plus vite, le
macadam grinçait ; et tous les équipages
descendaient au grand trot la longue avenue, en se
frôlant, se dépassant, s’écartant les uns des
autres, puis, sur la place de la Concorde, se
dispersaient. Derrière les Tuileries, le ciel
prenait la teinte des ardoises. Les arbres du
jardin formaient deux masses énormes, violacées
par le sommet. Les becs de gaz s’allumaient ; et
la Seine, verdâtre dans toute son étendue, se
déchirait en moires d’argent contre les piles des
ponts. |
58 |
I, 3 |
Les voitures sur les
Champs-Élysées par jour de soleil. |
58 |
I, 3 |
Un
matin du mois de décembre, en se rendant au cours
de procédure, il crut remarquer dans la rue
Saint-Jacques plus d’animation qu’à l’ordinaire.
Les étudiants sortaient précipitamment des cafés,
ou, par les fenêtres ouvertes, ils s’appelaient
d’une maison à l’autre ; les boutiquiers, au
milieu du trottoir, regardaient d’un air inquiet ; les volets se fermaient ; et, quand il
arriva dans la rue Soufflot, il aperçut un grand
rassemblement autour du Panthéon.
Des jeunes gens, par bandes inégales de cinq à
douze, se promenaient en se donnant le bras et
abordaient les groupes plus considérables qui
stationnaient çà et là ; au fond de la place,
contre les grilles, des hommes en blouse
péroraient, tandis que, le tricorne sur l’oreille
et les mains derrière le dos, des sergents de
ville erraient le long des murs, en faisant sonner
les dalles sous leurs fortes bottes. Tous avaient
un air mystérieux, ébahi ; on attendait quelque
chose évidemment ; chacun retenait au bord des
lèvres une interrogation. |
62 |
I, 4 |
Rassemblement
étudiant autour du Panthéon en décembre 1841 |
62 |
I, 4 |
Bientôt la multitude
se fendit d’elle-même ; plusieurs têtes se
découvrirent ; on saluait l’illustre
professeur Samuel Rondelot, qui, enveloppé de sa
grosse redingote, levant en l’air ses lunettes
d’argent et soufflant de son asthme, s’avançait
à pas tranquilles, pour faire son cours. Cet homme
était une des gloires judiciaires du XIXe siècle,
le rival des Zachariæ, des Ruhdorff. Sa dignité
nouvelle de pair de France n’avait modifié en rien
ses allures. On le savait pauvre, et un grand
respect l’entourait.
Cependant, du fond de la place, quelques-uns
crièrent :
— À bas Guizot !
— À bas Pritchard !
— À bas les vendus !
— À bas Louis-Philippe !
La foule oscilla, et, se pressant contre la porte
de la cour qui était fermée, elle empêchait le
professeur d’aller plus loin. Il s’arrêta devant
l’escalier. On l’aperçut bientôt sur la dernière
des trois marches. Il parla ; un bourdonnement
couvrit sa voix. Bien qu’on l’aimât tout à
l’heure, on le haïssait maintenant, car il
représentait l’Autorité. Chaque fois qu’il
essayait de se faire entendre, les cris
recommençaient. Il fit un grand geste pour engager
les étudiants à le suivre. Une vocifération
universelle lui répondit. Il haussa les épaules
dédaigneusement et s’enfonça dans le couloir.
Martinon avait profité de sa place pour
disparaître en même temps.
— Quel lâche ! dit Frédéric.
— Il est prudent ! reprit l’autre.
La foule éclata en applaudissements. Cette
retraite du professeur devenait une victoire pour
elle. À toutes les fenêtres, des curieux
regardaient. Quelques-uns entonnaient la Marseillaise ; d’autres
proposaient d’aller chez Béranger. |
64 |
I, 4 |
Décembre 1841 – La foule contre un professeur qui représente l’Autorité. |
64 |
I, 4 |
Quelquefois,
l’espoir d’une distraction l’attirait vers les
boulevards. Après de sombres ruelles exhalant des
fraîcheurs humides, il arrivait sur de grandes
places désertes, éblouissantes de lumière, et où
les monuments dessinaient au bord du pavé des
dentelures d’ombre noire.
Mais les charrettes, les boutiques recommençaient,
et la foule l’étourdissait, le dimanche surtout,
quand, depuis la Bastille jusqu’à la Madeleine,
c’était un immense flot ondulant sur l’asphalte,
au milieu de la poussière, dans une rumeur
continue ; il se sentait tout écœuré par la
bassesse des figures, la niaiserie des propos, la
satisfaction imbécile transpirant sur les fronts
en sueur ! Cependant, la conscience de mieux
valoir que ces hommes atténuait la fatigue de les
regarder. |
99 |
I, 5 |
Promenades
de Frédéric sur les boulevards. |
99 |
I, 5 |
Des étudiants
promenaient leurs maîtresses ; des commis en
nouveautés se pavanaient une canne entre les
doigts ; des collégiens fumaient des régalias ; de
vieux célibataires caressaient avec un peigne leur
barbe teinte ; il y avait des Anglais, des Russes,
des gens de l’Amérique du Sud, trois Orientaux en
tarbouch. Des lorettes, des grisettes et des
filles étaient venues là, espérant trouver un
protecteur, un amoureux, une pièce d’or, ou
simplement pour le plaisir de la danse ; et leurs
robes à tunique vert d’eau, bleu cerise, ou
violette, passaient, s’agitaient entre les
ébéniers et les lilas. Presque tous les hommes
portaient des étoffes à carreaux, quelques-uns des
pantalons blancs, malgré la fraîcheur du soir. On
allumait les becs de gaz. |
103 |
I, 5 |
Au bal public de
l’Alhambra. |
103 |
I, 5 |
Les
musiciens, juchés sur l’estrade, dans des postures
de singe, raclaient et soufflaient,
impétueusement. Le chef d’orchestre, debout,
battait la mesure d’une façon automatique. On
était tassé, on s’amusait ; les brides dénouées
des chapeaux effleuraient les cravates, les bottes
s’enfonçaient sous les jupons ; tout cela sautait
en cadence ; Deslauriers pressait contre lui la
petite femme, et, gagné par le délire du cancan,
se démenait au milieu des quadrilles comme une
grande marionnette. |
104 |
I, 5 |
L’orchestre
et les danseurs de l’Alhambra. |
104 |
I, 5 |
Mais ses paroles
étaient couvertes par le tapage de la musique ;
et, sitôt le quadrille ou la polka terminés, tous
s’abattaient sur les tables, appelaient le garçon,
riaient ; les bouteilles de bière et de limonade
gazeuse détonaient dans les feuillages, des femmes
criaient comme des poules, quelquefois, deux
messieurs voulaient se battre ; un voleur fut
arrêté.
Au galop, les danseurs envahirent les allées.
Haletant, souriant, et la face rouge, ils
défilaient dans un tourbillon qui soulevait les
robes avec les basques des habits ; les trombones
rugissaient plus fort ; le rythme s’accélérait ;
derrière le cloître moyen âge, on entendit des
crépitations, des pétards éclatèrent ; des soleils
se mirent à tourner ; la lueur des feux de
Bengale, couleur d’émeraude, éclaira pendant une
minute tout le jardin ; et, à la dernière fusée,
la multitude exhala un grand soupir. |
106-107 |
I, 5 |
Fin de soirée à
l’Alhambra. |
106-107 |
I, 5 |
La
foule marchait lentement. Il y avait des groupes
d’hommes causant au milieu du trottoir ; et des
femmes passaient, avec une mollesse dans les yeux
et ce teint de camélia que donne aux
chairs féminines la lassitude des grandes
chaleurs. Quelque chose d’énorme s’épanchait,
enveloppait les maisons. Jamais Paris ne lui avait
semblé si beau. Il n’apercevait, dans l’avenir,
qu’une interminable série d’années toutes pleines
d’amour. |
120 |
I, 5 |
Frédéric
flâne sur les boulevards. |
120 |
I, 5 |
Un archet ayant frappé
sur un pupitre, danseurs et danseuses se mirent en
place.
Ils étaient une soixantaine environ, les
femmes pour la plupart en villageoises ou en
marquises, et les hommes, presque tous d’âge mûr,
en costumes de routier, de débardeur ou de
matelot.
Frédéric, s’étant rangé contre le mur, regarda
le quadrille devant lui.
Un vieux beau, vêtu, comme un doge vénitien,
d’une longue simarre de soie pourpre, dansait avec
Mme Rosanette, qui portait un habit vert, une
culotte de tricot et des bottes molles à éperons
d’or. Le couple en face se composait d’un Arnaute
chargé de yatagans et d’une Suissesse aux yeux
bleus, blanche comme du lait, potelée comme une
caille, en manches de chemise et corset rouge.
Pour faire valoir sa chevelure qui lui descendait
jusqu’aux jarrets, une grande blonde, marcheuse à
l’Opéra, s’était mise en Femme sauvage ; et,
par-dessus son maillot de couleur brune, n’avait
qu’un pagne de cuir, des bracelets de verroterie,
et un diadème de clinquant, d’où s’élevait une
haute gerbe en plumes de paon. Devant elle, un
Pritchard, affublé d’un habit noir grotesquement
large, battait la mesure avec son coude sur sa
tabatière. Un petit berger Watteau, azur et argent
comme un clair de lune, choquait sa houlette
contre le thyrse d’une Bacchante, couronnée de
raisins, une peau de léopard sur le flanc gauche
et des cothurnes à rubans d’or. De l’autre côté
une Polonaise, en spencer de velours nacarat,
balançait son jupon de gaze sur ses bas de soie
gris perle, pris dans des bottines roses cerclées
de fourrure blanche. Elle souriait à un
quadragénaire ventru, déguisé en Enfant de chœur,
et qui gambadait très haut, levant d’une main son
surplis et retenant de l’autre sa calotte rouge.
Mais la reine, l’étoile, c’était Mlle Loulou,
célèbre danseuse des bals publics. Comme elle se
trouvait riche maintenant, elle portait une large
collerette de dentelle sur sa veste de velours
noir uni ; et son large pantalon de soie ponceau,
collant sur la croupe et serré à la taille par une
écharpe de cachemire, avait, tout le long de la
couture, des petits camélias blancs naturels. Sa
mine pâle, un peu bouffie et à nez retroussé,
semblait plus insolente encore par l’ébouriffure
de sa perruque où tenait un chapeau d’homme, en
feutre gris, plié d’un coup de poing sur l’oreille
droite ; et, dans les bonds qu’elle faisait, ses
escarpins à boucles de diamants atteignaient
presque au nez de son voisin, un grand baron moyen
âge tout empêtré dans une armure de fer. Il y
avait aussi un Ange, un glaive d’or à la main,
deux ailes de cygne dans le dos, et qui, allant,
venant, perdant à toute minute son cavalier, un
Louis XIV, ne comprenait rien aux figures et
embarrassait la contredanse. |
146-147 |
II, 1 |
Les danseurs costumés
chez Rosanette. |
146-147 |
II, 1 |
C’était
bien là un milieu fait pour lui plaire. Dans une
brusque révolte de sa jeunesse, il se jura d’en
jouir, s’enhardit ; puis, revenu à l’entrée du
salon, où il y avait plus de monde maintenant
(tout s’agitait dans une sorte de pulvérulence
lumineuse), il resta debout à contempler les
quadrilles, clignant les yeux pour mieux voir, et
humant les molles senteurs de femmes, qui
circulaient comme un immense baiser épandu. |
148 |
II, 1 |
Les
danseurs chez Rosanette. |
148 |
II, 1 |
Les invités
arrivaient ; en manière de salut, ils jetaient
leur torse de côté, ou se courbaient en deux, ou
baissaient la figure seulement ; puis un couple
conjugal, une famille passait, et tous se
dispersaient dans le salon déjà plein.
Sous le lustre, au milieu, un pouf énorme
supportait une jardinière, dont les fleurs,
s’inclinant comme des panaches, surplombaient la
tête des femmes assises en rond, tout autour,
tandis que d’autres occupaient les bergères
formant deux lignes droites interrompues
symétriquement par les grands rideaux des fenêtres
en velours nacarat et les hautes baies des portes
à linteau doré.
La foule des hommes qui se tenaient debout sur
le parquet, avec leur chapeau à la main, faisait
de loin une seule masse noire, où les rubans des
boutonnières mettaient des points rouges çà et là,
et que rendait plus sombre la monotone blancheur
des cravates. Sauf de petits jeunes gens à barbe
naissante, tous paraissaient s’ennuyer ; quelques
dandys, d’un air maussade, se balançaient sur
leurs talons. Les têtes grises, les perruques
étaient nombreuses ; de place en place, un crâne
chauve luisait ; et les visages, ou empourprés ou
très blêmes, laissaient voir dans leur flétrissure
la trace d’immenses fatigues, les gens qu’il y
avait là appartenant à la politique ou aux
affaires. M. Dambreuse avait aussi invité
plusieurs savants, des magistrats, deux ou trois
médecins illustres, et il repoussait avec
d’humbles attitudes les éloges qu’on lui faisait
sur sa soirée et les allusions à sa richesse.
Partout, une valetaille à larges galons d’or
circulait. |
186 |
II, 2 |
Les invités de la
réception chez Dambreuse. |
186 |
II, 2 |
Frédéric
s’arrêta devant une d’elles, perdit les quinze
napoléons qu’il avait dans sa poche, fit une
pirouette, et se trouva au seuil du boudoir où
était alors Mme Dambreuse.
Des femmes le remplissaient, les unes près des
autres, sur des sièges sans dossier. Leurs longues
jupes, bouffant autour d’elles, semblaient des
flots d’où leur taille émergeait, et les seins
s’offraient aux regards dans l’échancrure des
corsages. Presque toutes portaient un bouquet de
violettes à la main. Le ton mat de leurs gants
faisaient ressortir la blancheur humaine de leurs
bras ; des effilés, des herbes, leur pendaient sur
les épaules, et on croyait quelquefois, à certains
frissonnements, que la robe allait tomber. Mais la
décence des figures tempérait les provocations du
costume ; plusieurs même avaient une placidité
presque bestiale, et ce rassemblement de femmes
demi-nues faisait songer à un intérieur de harem ;
il vint à l’esprit du jeune homme une comparaison
plus grossière. En effet, toutes sortes de beautés
se trouvaient là : des Anglaises à profil de
keepsake, une Italienne dont les yeux noirs
fulguraient comme un Vésuve, trois sœurs habillées
de bleu, trois Normandes, fraîches comme des
pommiers d’avril, une grande rousse avec une
parure d’améthystes ; et les blanches
scintillations des diamants qui tremblaient en
aigrettes dans les chevelures, les taches
lumineuses des pierreries étalées sur les
poitrines, et l’éclat doux des perles accompagnant
les visages se mêlaient au miroitement des anneaux
d’or, aux dentelles, à la poudre, aux plumes, au
vermillon des petites bouches, à la nacre des
dents. Le plafond, arrondi en coupole, donnait au
boudoir la forme d’une corbeille ; et un courant
d’air parfumé circulait sous le battement des
éventails. |
188-189 |
II, 2 |
Les
femmes dans le boudoir de madame Dambreuse. |
188-189 |
II, 2 |
Puis, laissant à droite
le Trocadéro, ils traversèrent le pont d’Iéna, et
s’arrêtèrent enfin, au milieu du Champ de Mars,
près des autres voitures, déjà rangées dans
l’Hippodrome.
Les tertres de gazon étaient couverts de menu
peuple. On apercevait des curieux sur le balcon de
l’École Militaire ; et les deux pavillons en
dehors du pesage, les deux tribunes comprises dans
son enceinte, et une troisième devant celle du
Roi, se trouvaient remplies d’une foule en
toilette qui témoignait, par son maintien, de la
révérence pour ce divertissement
encore nouveau. Le public des courses, plus
spécial dans ce temps-là, avait un aspect moins
vulgaire ; c’était l’époque des sous-pieds, des
collets de velours et des gants blancs. Les
femmes, vêtues de couleurs brillantes, portaient
des robes à taille longue, et, assises sur les
gradins des estrades, elles faisaient comme de
grands massifs de fleurs, tachetés de noir, çà et
là, par les sombres costumes des hommes. Mais tous
les regards se tournaient vers le célèbre Algérien
Bou-Maza, qui se tenait impassible, entre deux
officiers d’état-major, dans une des tribunes
particulières. Celle du Jockey-Club contenait
exclusivement des messieurs graves.
Les plus enthousiastes s’étaient placés, en bas,
contre la piste, défendue par deux lignes de
bâtons supportant des cordes ; dans l’ovale
immense que décrivait cette allée, des marchands
de coco agitaient leur crécelle, d’autres
vendaient le programme des courses, d’autres
criaient des cigares, un vaste bourdonnement
s’élevait ; les gardes municipaux passaient et
repassaient ; une cloche, suspendue à un poteau
couvert de chiffres, tinta. Cinq chevaux parurent,
et on rentra dans les tribunes. |
230-231 |
II, 4 |
Le public des courses à
l’hippodrome du Champ de Mars. |
230-231 |
II, 4 |
Et la
berline se lança vers les Champs-Élysées au milieu
des autres voitures, calèches, briskas, wursts,
tandems, tilburys, dog-carts, tapissières à
rideaux de cuir où chantaient des ouvriers en
goguette, demi-fortunes que dirigeaient avec
prudence des pères de famille eux-mêmes. Dans des
victorias bourrées de monde, quelque garçon, assis
sur les pieds des autres, laissait pendre en
dehors ses deux jambes. De grands coupés à siège
de drap promenaient des douairières qui
sommeillaient ; ou bien un stepper magnifique
passait emportant une chaise, simple et coquette
comme l’habit noir d’un dandy. L’averse cependant
redoublait. On tirait les parapluies, les
parasols, les mackintosh ; on se criait de loin :
« Bonjour ! — Ça va bien ? — Oui ! — Non ! — À
tantôt ! », et les figures se succédaient avec une
vitesse d’ombres chinoises. Frédéric et Rosanette
ne se parlaient pas, éprouvant une sorte
d’hébétude à voir auprès d’eux, continuellement,
toutes ces roues tourner.
Par moments, les files de voitures, trop
pressées, s’arrêtaient toutes à la fois sur
plusieurs lignes. Alors, on restait les uns près
des autres, et l’on s’examinait. Du bord des
panneaux armoriés, des regards indifférents
tombaient sur la foule ; des yeux pleins d’envie
brillaient au fond des fiacres ; des sourires de
dénigrement répondaient aux ports de tête
orgueilleux ; des bouches grandes ouvertes
exprimaient des admirations imbéciles ; et, çà et
là, quelque flâneur, au milieu de la voie, se
rejetait en arrière d’un bond pour éviter un
cavalier qui galopait entre les voitures et
parvenait à en sortir. Puis tout se remettait en
mouvement ; les cochers lâchaient les rênes,
abaissaient leurs longs fouets ; les chevaux,
animés, secouant leur gourmette, jetaient de
l’écume autour d’eux ; et les croupes et les
harnais humides fumaient, dans la vapeur d’eau que
le soleil couchant traversait. Passant sous l’Arc
de triomphe, il allongeait à hauteur d’homme une
lumière roussâtre, qui faisait étinceler les
moyeux des roues, les poignées des portières, le
bout des timons, les anneaux des sellettes ; et,
sur les deux côtés de la grande avenue, pareille à
un fleuve où ondulaient des crinières, des
vêtements, des têtes humaines, les arbres tout
reluisants de pluie se dressaient, comme deux
murailles vertes. Le bleu du ciel, au-dessus,
reparaissant à de certaines places, avait des
douceurs de satin. |
235 |
II, 4 |
Les
voitures sur les Champs-Élysées au retour du champ
de courses. |
235 |
II, 4 |
En débouchant de la
rue Tronchet, il entendit derrière la Madeleine
une grande clameur ; il s’avança ; et il aperçut
au fond de la place, à gauche, des gens en blouse
et des bourgeois.
En effet, un manifeste publié dans les
journaux avait convoqué à cet endroit tous les
souscripteurs du banquet réformiste. Le Ministère,
presque immédiatement, avait affiché une
proclamation l’interdisant. La veille au soir,
l’opposition parlementaire y avait renoncé ; mais
les patriotes, qui ignoraient cette résolution des
chefs, étaient venus au rendez-vous, suivis par un
grand nombre de curieux. Une députation des écoles
s’était portée tout à l’heure chez Odilon Barrot.
Elle était maintenant aux Affaires Étrangères ; et
on ne savait pas si le banquet aurait lieu, si le
Gouvernement exécuterait sa menace, si les gardes
nationaux se présenteraient. On en voulait aux
Députés comme au Pouvoir. La foule augmentait de
plus en plus, quand tout à coup vibra dans les
airs le refrain de la Marseillaise.
C’était la colonne des étudiants qui arrivait.
Ils marchaient au pas, sur deux files, en bon
ordre, l’aspect irrité, les mains nues, et tous
criant par intervalles :
— Vive la Réforme ! à bas Guizot ! |
300 |
II, 6 |
Manifestation
républicaine du 22 février 1848. |
300 |
II, 6 |
Quand
les étudiants eurent fait deux fois le tour de la
Madeleine, ils descendirent vers la place de la
Concorde. Elle était remplie de monde ; et la
foule tassée semblait, de loin, un champ d’épis
noirs qui oscillaient.
Au même moment, des soldats de la ligne se
rangèrent en bataille, à gauche de l’église.
Les groupes stationnaient, cependant. Pour en
finir, des agents de police en bourgeois
saisissaient les plus mutins et les emmenaient au
poste, brutalement. Frédéric, malgré son
indignation, resta muet ; on aurait pu le prendre
avec les autres, et il aurait manqué Mme Arnoux.
Peu de temps après, parurent les casques des
municipaux. Ils frappaient autour d’eux, à coups
de plat de sabre. Un cheval s’abattit ; on courut
lui porter secours ; et, dès que le cavalier fut
en selle, tous s’enfuirent.
Alors, il y eut un grand silence. La pluie
fine, qui avait mouillé l’asphalte, ne tombait
plus. Des nuages s’en allaient, balayés mollement
par le vent d’ouest. |
301 |
II, 6 |
22
février 1848. Première journée révolutionnaire. |
301 |
II, 6 |
À la nouvelle d’un
changement de ministère, Paris avait changé. Tout
le monde était en joie ; des promeneurs
circulaient, et des lampions à chaque étage
faisaient une clarté comme en plein jour. Les
soldats regagnaient lentement leurs casernes,
harassés, l’air triste. On les saluait, en
criant : « Vive la ligne ! » Ils continuaient sans
répondre. Dans la garde nationale, au contraire,
les officiers, rouges d’enthousiasme,
brandissaient leur sabre en vociférant : « Vive la
réforme ! » et ce mot-là, chaque fois, faisait
rire les deux amants. Frédéric blaguait, était
très gai.
Par la rue Duphot, ils atteignirent les
boulevards. Des lanternes vénitiennes, suspendues
aux maisons, formaient des guirlandes de feux. Un
fourmillement confus s’agitait en dessous ; au
milieu de cette ombre, par endroits, brillaient
des blancheurs de baïonnettes. Un grand brouhaha
s’élevait. La foule était trop compacte, le retour
direct impossible ; et ils entraient dans la rue
Caumartin, quand, tout à coup, éclata derrière eux
un bruit, pareil au craquement d’une immense pièce
de soie que l’on déchire. C’était la fusillade du
boulevard des Capucines. |
307 |
II, 6 |
Soirée du 23 février
1848 : la fusillade du boulevard des Capucines. |
307 |
II, 6 |
Des
hommes d’une éloquence frénétique haranguaient la
foule au coin des rues ; d’autres dans les églises
sonnaient le tocsin à pleine volée ; on coulait du
plomb, on roulait des cartouches ; les arbres des
boulevards, les vespasiennes, les
bancs, les grilles, les becs de gaz, tout fut
arraché, renversé ; Paris, le matin, était couvert
de barricades. |
309 |
III, 1 |
Matin
du 24 février 1848. Les barricades. |
309 |
III, 1 |
Les tambours battaient
la charge. Des cris aigus, des hourras de triomphe
s’élevaient. Un remous continuel faisait osciller
la multitude. Frédéric, pris entre deux masses
profondes, ne bougeait pas, fasciné d’ailleurs et
s’amusant extrêmement. Les blessés qui tombaient,
les morts étendus n’avaient pas l’air de vrais
blessés, de vrais morts. Il lui semblait assister
à un spectacle. |
310-111 |
III, 1 |
24 février, attaque du
poste du Château-d’Eau. |
310-111 |
III, 1 |
Tout
à coup la Marseillaise retentit.
Hussonnet et Frédéric se penchèrent sur la rampe.
C’était le peuple. Il se précipita dans
l’escalier, en secouant à flots vertigineux des
têtes nues, des casques, des bonnets rouges, des
baïonnettes et des épaules, si impétueusement, que
des gens disparaissaient dans cette masse
grouillante qui montait toujours, comme un fleuve
refoulé par une marée d’équinoxe, avec un long
mugissement, sous une impulsion irrésistible. En
haut, elle se répandit, et le chant tomba.
On n’entendait plus que les piétinements de
tous les souliers, avec le clapotement des voix.
La foule inoffensive se contentait de
regarder. Mais, de temps à autre, un coude trop à
l’étroit enfonçait une vitre ; ou bien un
vase, une statuette déroulait d’une console, par
terre. Les boiseries pressées craquaient. Tous les
visages étaient rouges ; la sueur en coulait à
larges gouttes ; Hussonnet fit cette remarque :
— Les héros ne sentent pas bon !
— Ah ! vous êtes agaçant, reprit Frédéric. |
312 |
III, 1 |
Invasion
du château des Tuileries par le peuple. |
312 |
III, 1 |
Alors, une joie
frénétique éclata, comme si, à la place du trône,
un avenir de bonheur illimité avait paru ; et le
peuple, moins par vengeance que pour affirmer sa
possession, brisa, lacéra les glaces et les
rideaux, les lustres, les flambeaux, les tables,
les chaises, les tabourets, tous les
meubles, jusqu’à des albums de dessins, jusqu’à
des corbeilles de tapisserie. Puisqu’on était
victorieux, ne fallait-il pas s’amuser ! La
canaille s’affubla ironiquement de dentelles et de
cachemires. Des crépines d’or s’enroulèrent aux
manches des blouses, des chapeaux à plumes
d’autruche ornaient la tête des forgerons, des
rubans de la Légion d’honneur firent des ceintures
aux prostituées. Chacun satisfaisait son caprice ;
les uns dansaient, d’autres buvaient. Dans la
chambre de la reine, une femme lustrait ses
bandeaux avec de la pommade ; derrière un
paravent, deux amateurs jouaient aux cartes ;
Hussonnet montra à Frédéric un individu qui fumait
son brûle-gueule accoudé sur un balcon ; et le
délire redoublait son tintamarre continu des
porcelaines brisées et des morceaux de cristal qui
sonnaient, en rebondissant, comme des lames
d’harmonica.
Puis la fureur s’assombrit. Une curiosité
obscène fit fouiller tous les cabinets, tous les
recoins, ouvrir tous les tiroirs. Des galériens
enfoncèrent leurs bras dans la couche des
princesses, et se roulaient dessus par consolation
de ne pouvoir les violer. D’autres, à figures plus
sinistres, erraient silencieusement, cherchant à
voler quelque chose ; mais la multitude était trop
nombreuse. Par les baies des portes, on
n’apercevait dans l’enfilade des appartements que
la sombre masse du peuple entre les dorures, sous
un nuage de poussière. Toutes les poitrines
haletaient ; la chaleur de plus en plus devenait
suffocante ; les deux amis, craignant d’être
étouffés, sortirent. |
313-314 |
III, 1 |
Saccage du château des
Tuileries. |
313-314 |
III, 1 |
Comme
les affaires étaient suspendues, l’inquiétude et
la badauderie poussaient tout le monde hors de
chez soi. Le négligé des costumes atténuait la
différence des rangs sociaux, la haine se cachait,
les espérances s’étalaient, la foule était pleine
de douceur. L’orgueil d’un droit conquis éclatait
sur les visages. On avait une gaieté de carnaval,
des allures de bivac ; rien ne fut amusant comme
l’aspect de Paris, les premiers jours. |
317 |
III, 1 |
25
février, avant la fusillade, la foule est pleine
de douceur. |
317 |
III, 1 |
On criait de temps en
temps : « Vive Napoléon ! vive Barbès ! à bas
Marie ! » La foule innombrable parlait très haut ;
et toutes ces voix, répercutées par les maisons,
faisaient comme le bruit continuel des vagues dans
un port. À de certains moments, elles se
taisaient ; alors, la Marseillaise s’élevait.
Sous les portes cochères, des hommes d’allures
mystérieuses proposaient des cannes à dard.
Quelquefois, deux individus, passant l’un devant
l’autre, clignaient de l’œil, et s’éloignaient
prestement. Des groupes de badauds occupaient les
trottoirs ; une multitude compacte s’agitait sur
le pavé. Des bandes entières d’agents de police,
sortant des ruelles, y disparaissaient à peine
entrés. De petits drapeaux rouges, çà et là,
semblaient des flammes ; les cochers, du haut de
leur siège, faisaient de grands gestes, puis s’en
retournaient. C’était un mouvement, un spectacle
des plus drôles. |
340 |
III, 1 |
Début juin 1848 -
Manifestation des clubs du désespoir. |
340 |
III, 1 |
Vers
neuf heures, les attroupements formés à la
Bastille et au Châtelet refluèrent sur le
boulevard. De la porte Saint-Denis à la porte
Saint-Martin, cela ne faisait plus qu’un
grouillement énorme, une seule masse d’un bleu
sombre, presque noir. Les hommes que l’on
entrevoyait avaient tous les prunelles ardentes,
le teint pâle, des figures amaigries par la faim,
exaltées par l’injustice. Cependant, des nuages
s’amoncelaient ; le ciel orageux chauffant
l’électricité de la multitude, elle tourbillonnait
sur elle-même, indécise, avec un large balancement
de houle ; et l’on sentait dans ses profondeurs
une force incalculable, et comme l’énergie d’un
élément. Puis tous se mirent à chanter : « Des
lampions ! des lampions ! » Plusieurs fenêtres ne
s’éclairaient pas ; des cailloux furent lancés
dans leurs carreaux. M. Dambreuse jugea prudent de
s’en aller. Les deux jeunes gens le
reconduisirent. |
341 |
III, 1 |
Journées
de juin. |
341 |
III, 1 |
Quatre barricades
formaient, au bout des quatre voies, d’énormes
talus de pavés ; des torches çà et là
grésillaient ; malgré la poussière qui s’élevait,
il distingua des fantassins de la ligne et des
gardes nationaux, tous le visage noir, débraillés,
hagards. Ils venaient de prendre la place, avaient
fusillé plusieurs hommes ; leur colère durait
encore. |
354 |
III, 1 |
Paris dans la nuit du
25 juin 48. |
354 |
III, 1 |
La rue Saint-Victor était toute sombre, sans un bec de gaz ni une lumière aux maisons. De dix minutes en dix minutes, on entendait :
— Sentinelles ! prenez garde à vous !
Et ce cri, jeté au milieu du silence, se prolongeait comme la répercussion d’une pierre tombant dans un abîme.
Quelquefois,
un battement de pas lourds s’approchait. C’était
une patrouille de cent hommes au moins ; des
chuchotements, de vagues cliquetis de fer
s’échappaient de cette masse confuse ; et,
s’éloignant avec un balancement rythmique, elle se
fondait dans l’obscurité.
Il y avait au centre des carrefours un dragon
à cheval, immobile. De temps en temps, une
estafette passait au grand galop, puis le silence
recommençait. Des canons en marche faisaient au
loin sur le pavé un roulement sourd et
formidable ; le cœur se serrait à ces bruits
différant de tous les bruits ordinaires. Ils
semblaient même élargir le silence, qui était
profond, absolu, un silence noir. Des hommes en
blouse blanche abordaient les soldats, leur
disaient un mot, et s’évanouissaient comme des
fantômes.
Le poste de l’École polytechnique regorgeait
de monde. Des femmes encombraient le seuil,
demandant à voir leur fils ou leur mari. |
355 |
III, 1 |
Les bruits de Paris dans la nuit du
25 juin 48. |
355 |
III, 1 |
Frédéric traversait le
Carrousel quand une civière vint à passer. Le
poste, tout de suite, présenta les armes, et
l’officier dit en mettant la main à son shako :
— Honneur au courage malheureux !
Cette parole était devenue presque
obligatoire ; celui qui la prononçait paraissait
toujours solennellement ému. Un groupe de gens
furieux escortait la civière, en criant :
— Nous vous vengerons ! nous vous vengerons !
Les voitures circulaient sur le boulevard, et
des femmes devant les portes faisaient de la
charpie. Cependant, l’émeute était vaincue ou à
peu près ; une proclamation de Cavaignac, affichée
tout à l’heure, l’annonçait. Au haut de la rue
Vivienne, un peloton de mobiles parut. Alors, les
bourgeois poussèrent des cris d’enthousiasme ; ils
levaient leurs chapeaux, applaudissaient,
dansaient, voulaient les embrasser, leur offrir à
boire, et des fleurs jetées par des dames
tombaient des balcons. |
356 |
III, 1 |
La fin de l’émeute est
proclamée. |
356 |
III, 1 |
Sénécal,
enfermé aux Tuileries sous la terrasse du bord de
l’eau, n’avait rien de ces angoisses.
Ils étaient là, neuf cents hommes, entassés
dans l’ordure, pêle-mêle, noirs
de poudre et de sang caillé, grelottant la fièvre,
criant de rage ; et on ne retirait pas ceux qui
venaient à mourir parmi les autres. Quelquefois,
au bruit soudain d’une détonation, ils croyaient
qu’on allait tous les fusiller ; alors, ils se
précipitaient contre les murs, puis retombaient à
leur place, tellement hébétés par la douleur,
qu’il leur semblait vivre dans un cauchemar, une
hallucination funèbre. La lampe suspendue à la
voûte avait l’air d’une tache de sang ; et de
petites flammes vertes et jaunes voltigeaient,
produites par les émanations du caveau. Dans la
crainte des épidémies, une commission fut nommée.
Dès les premières marches, le président se rejeta
en arrière, épouvanté par l’odeur des excréments
et des cadavres. Quand les prisonniers
s’approchaient d’un soupirail, les gardes
nationaux qui étaient de faction pour les empêcher
d’ébranler les grilles, fourraient des coups de
baïonnette, au hasard, dans le tas. |
357-358 |
III, 1 |
Neuf cents émeutiers sont enfermés au Caveau des Tuileries. |
357 |
III, 1 |
Il était cinq heures,
une pluie fine tombait. Des bourgeois occupaient
le trottoir du côté de l’Opéra. Les maisons d’en
face étaient closes. Personne aux fenêtres. Dans
toute la largeur du boulevard, des dragons
galopaient, à fond de train, penchés sur leurs
chevaux, le sabre nu ; et les crinières de leurs
casques, et leurs grands manteaux blancs soulevés
derrière eux passaient sur la lumière des becs de
gaz, qui se tordaient au vent dans la brume. La
foule les regardait, muette, terrifiée.
Entre les charges de cavalerie, des escouades de
sergents de ville survenaient, pour faire refluer
le monde dans les rues. |
436 |
III, 5 |
4 décembre 1851. Après
le coup d’État, les dragons chargent la foule. |
436 |
III, 5 |
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Oleg Hirschmann
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