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Extraits de l'œuvre |
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Chapitre |
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On
s’étonnait du prix de leurs œuvres ; et tous se
plaignaient de ne point gagner suffisamment,
lorsque entra un homme de taille moyenne, l’habit
fermé par un seul bouton, les yeux vifs, l’air un
peu fou.
— Quel tas de bourgeois vous êtes ! dit-il.
Qu’est-ce que cela fait, miséricorde ! Les vieux
qui confectionnaient des chefs-d’œuvre ne
s’inquiétaient pas du million. Corrège, Murillo…
— Ajoutez Pellerin, dit Sombaz.
Mais sans relever l’épigramme, il continua de
discourir |
69 |
I, 4 |
Pellerin reprit son
parallèle entre Michel-Ange et Shakespeare. |
70 |
I, 4 |
Les
autres causaient des choses du jour : le portrait
de Cherubini, l’hémicycle des Beaux-Arts,
l’Exposition prochaine. Pellerin déblatérait
contre l’Institut. Les cancans, les discussions
s’entrecroisaient. |
71 |
I, 4 |
Arnoux dit à Pellerin
de rester, et conduisit Mlle Vatnaz dans le
cabinet. |
71 |
I, 4 |
Frédéric
accompagna Pellerin jusqu’au haut du faubourg
Poissonnière, et lui demanda la permission de
venir le voir quelquefois, faveur qui fut accordée
gracieusement. |
71 |
I, 4 |
Pellerin lisait tous
les ouvrages d’esthétique pour découvrir la
véritable théorie du Beau, convaincu, quand il
l’aurait trouvée, de faire des chefs-d’œuvre. Il
s’entourait de tous les auxiliaires imaginables,
dessins, plâtres, modèles, gravures ; et il
cherchait, se rongeait ; il accusait le temps, ses
nerfs, son atelier, sortait dans la rue pour
rencontrer l’inspiration, tressaillait de l’avoir
saisie, puis abandonnait son œuvre et en rêvait
une autre qui devait être plus belle. |
71 |
I, 4 |
Ainsi
tourmenté par des convoitises de gloire et perdant
ses jours en discussions, croyant à mille
niaiseries, aux systèmes, aux critiques, à
l’importance d’un règlement ou d’une réforme en
matière d’art, il n’avait, à cinquante ans, encore
produit que des ébauches. Son orgueil robuste
l’empêchait de subir aucun découragement, mais il
était toujours irrité et dans cette exaltation à
la fois factice et naturelle qui constitue les
comédiens. |
72 |
I, 4 |
On remarquait en
entrant chez lui deux grands tableaux, où les
premiers tons, posés çà et là, faisaient sur la
toile blanche des taches de brun, de rouge et de
bleu. Un réseau de lignes à la craie s’étendait
par-dessus, comme les mailles vingt fois reprises
d’un filet ; il était même impossible d’y rien
comprendre. Pellerin expliqua le sujet de ces deux
compositions en indiquant avec le pouce les
parties qui manquaient. L’une devait représenter
la Démence de Nabuchodonosor, l’autre l’Incendie
de Rome par Néron. Frédéric les admira.
Il admira des académies de femmes échevelées,
des paysages où les troncs d’arbre tordus par la
tempête foisonnaient, et surtout des caprices à la
plume, souvenirs de Callot, de Rembrandt ou de
Goya, dont il ne connaissait pas les modèles.
Pellerin n’estimait plus ces travaux de sa
jeunesse ; maintenant, il était pour le grand
style ; il dogmatisa sur Phidias et Winckelmann,
éloquemment. Les choses autour de lui renforçaient
la puissance de sa parole : on voyait une tête de
mort sur un prie-Dieu, des yatagans, une robe de
moine ; Frédéric l’endossa.
Quand il arrivait de bonne heure, il le
surprenait dans son mauvais lit de sangle, que
cachait un lambeau de tapisserie |
72 |
I, 4 |
Pellerin
se couchait tard, fréquentant les théâtres avec
assiduité. Il était servi par une vieille femme en
haillons, dînait à la gargote et vivait sans
maîtresse. |
72 |
I, 4 |
Ses connaissances,
ramassées pêle-mêle, rendaient ses paradoxes
amusants. Sa haine contre le commun et le
bourgeois débordait en sarcasmes d’un lyrisme
superbe, et il avait pour les maîtres une telle
religion, qu’elle le montait presque jusqu’à eux.
|
72 |
I, 4 |
Mais
il aperçut le profil de Pellerin sur le
trottoir ; il cogna vivement contre le carreau, et
le peintre n’était pas assis que Regimbart lui
demanda pourquoi on ne le voyait plus à l’Art
industriel.
— Que je crève si j’y retourne ! C’est une
brute, un bourgeois, un misérable, un drôle !
Ces injures flattaient la colère de Frédéric.
Il en était blessé cependant, car il lui semblait
qu’elles atteignaient un peu Mme Arnoux.
— Qu’est-ce donc qu’il vous a fait ? dit
Regimbart. |
76 |
I, 4 |
Pellerin battit le sol
avec son pied, et souffla fortement, au lieu de
répondre.
Il se livrait à des travaux clandestins, tels
que portraits aux deux crayons ou pastiches de
grands maîtres pour les amateurs peu éclairés ;
et, comme ces travaux l’humiliaient, il préférait
se taire, généralement. Mais « la crasse
d’Arnoux » l’exaspérait trop. Il se soulagea. |
76 |
I, 4 |
D’après
une commande, dont Frédéric avait été le témoin,
il lui avait apporté deux tableaux. Le marchand,
alors, s’était permis des critiques ! Il avait
blâmé la composition, la couleur et le dessin, le
dessin surtout, bref, à aucun prix n’en avait
voulu. Mais, forcé par l’échéance d’un billet,
Pellerin les avait cédés au juif Isaac ; et,
quinze jours plus tard, Arnoux, lui-même les
vendait à un Espagnol, pour deux mille francs.
— Pas un sou de moins ! Quelle gredinerie ! et
il en fait bien d’autres, parbleu ! Nous le
verrons, un de ces matins, en cour d’assises.
— Comme vous exagérez ! dit Frédéric d’une
voix timide.
— Allons ! bon ! j’exagère ! s’écria l’artiste, en
donnant sur la table un grand coup de poing.
Cette violence rendit au jeune homme tout son
aplomb. Sans doute, on pouvait se conduire plus
gentiment ; cependant, si Arnoux trouvait ces deux
toiles…
— Mauvaises ! lâchez le mot ! Les
connaissez-vous ? Est-ce votre métier ? Or, vous
savez, mon petit, moi, je n’admets pas cela, les
amateurs !
— Eh ! ce ne sont pas mes affaires ! dit
Frédéric.
— Quel intérêt avez-vous donc à le défendre ?
reprit froidement Pellerin.
Le jeune homme balbutia :
— Mais… parce que je suis son ami.
— Embrassez-le de ma part ! bonsoir !
Et le peintre sortit furieux, sans parler, bien
entendu, de sa consommation. |
76 |
I, 4 |
Lorsqu’on passa dans la
salle à manger, Mme Arnoux prit son bras. Une
chaise était restée vide pour Pellerin. Arnoux
l’aimait, tout en l’exploitant. D’ailleurs, il
redoutait sa terrible langue, si bien que, pour
l’attendrir, il avait publié dans l’Art
industriel son portrait accompagné d’éloges
hyperboliques ; et Pellerin, plus sensible à la
gloire qu’à l’argent, apparut vers huit heures,
tout essoufflé. Frédéric s’imagina qu’ils étaient
réconciliés depuis longtemps. |
80 |
I, 4 |
Pellerin
s’écria :
— Laissez-moi tranquille avec votre hideuse
réalité ! Qu’est-ce que cela veut dire, la
réalité ? Les uns voient noir, d’autres bleu, la
multitude voit bête. Rien de moins naturel que
Michel-Ange, rien de plus fort ! Le souci de la
vérité extérieure dénote la bassesse
contemporaine ; et l’art deviendra, si l’on
continue, je ne sais quelle rocambole au-dessous
de la religion comme poésie, et de la politique
comme intérêt. Vous n’arriverez pas à son but, —
oui, son but ! — qui est de nous causer une
exaltation impersonnelle, avec de petites œuvres,
malgré toutes vos finasseries d’exécution. Voilà
les tableaux de Bassolier, par exemple : c’est
joli, coquet, propret, et pas lourd ! Ça peut se
mettre dans la poche, se prendre en voyage ! Les
notaires achètent ça vingt mille francs, il y a
pour trois sous d’idées ; mais, sans l’idée, rien
de grand ! sans grandeur, pas de beau ! L’Olympe
est une montagne ! Le plus crâne monument, ce sera
toujours les Pyramides. Mieux vaut l’exubérance
que le goût, le désert qu’un trottoir, et un
sauvage qu’un coiffeur ! |
81 |
I, 4 |
Le lendemain, avant
midi, il s’était acheté une boîte de couleurs, des
pinceaux, un chevalet. Pellerin consentit à lui
donner des leçons, et Frédéric l’emmena dans son
logement pour voir si rien ne manquait parmi ses
ustensiles de peinture. |
85 |
I, 5 |
Pellerin
ouvrit la boîte de couleurs.
— Est-ce pour toi, tout cela ? dit le clerc.
— Mais sans doute !
— Tiens ! quelle idée !
Et il se pencha sur la table, où le répétiteur
de mathématiques feuilletait un volume de Louis
Blanc. Il l’avait apporté lui-même, et lisait à
voix basse des passages, tandis que Pellerin et
Frédéric examinaient ensemble la palette, le
couteau, les vessies ; puis ils vinrent à
s’entretenir du dîner chez Arnoux.
— Le marchand de tableaux ? demanda Sénécal.
Joli monsieur, vraiment !
— Pourquoi donc ? dit Pellerin.
Sénécal répliqua :
— Un homme qui bat monnaie avec des turpitudes
politiques !
Et il se mit à parler d’une lithographie célèbre,
représentant toute la famille royale livrée à des
occupations édifiantes : Louis-Philippe tenait un
code, la reine un paroissien, les princesses
brodaient, le duc de Nemours ceignait un sabre ;
M. de Joinville montrait une carte géographique à
ses jeunes frères ; on apercevait, dans le fond,
un lit à deux compartiments. Cette image,
intitulée Une bonne famille, avait fait
les délices des bourgeois, mais l’affliction des
patriotes. Pellerin, d’un ton vexé comme s’il en
était l’auteur, répondit que toutes les opinions
se valaient ; Sénécal protesta. L’Art devait
exclusivement viser à la moralisation des masses !
Il ne fallait reproduire que des sujets poussant
aux actions vertueuses ; les autres étaient
nuisibles.
— Mais ça dépend de l’exécution ? cria
Pellerin. Je peux faire des chefs-d’œuvre !
— Tant pis pour vous, alors ! on n’a pas le
droit…
— Comment ?
— Non ! monsieur, vous n’avez pas le droit de
m’intéresser à des choses que je réprouve ! |
85-86 |
I, 5 |
Pellerin en balbutiait
d’indignation, et, croyant avoir trouvé un
argument :
— Molière, l’acceptez-vous ?
— Soit ! dit Sénécal. Je l’admire comme
précurseur de la Révolution française.
— Ah ! la Révolution ! Quel art ! Jamais il
n’y a eu d’époque plus pitoyable !
— Pas de plus grande, monsieur !
Pellerin se croisa les bras, et, le regardant
en face :
— Vous m’avez l’air d’un fameux garde
national !
Son antagoniste, habitué aux discussions,
répondit :
— Je n’en suis pas ! et je la déteste
autant que vous. Mais, avec des principes pareils,
on corrompt les foules ! Ça fait le compte du
Gouvernement, du reste ; il ne serait pas si fort
sans la complicité d’un tas de farceurs comme
celui-là.
Le peintre prit la défense du marchand, car
les opinions de Sénécal l’exaspéraient. |
86 |
I, 5 |
Il
travaillait chez Pellerin. Mais souvent Pellerin
était en courses, ayant coutume d’assister à tous
les enterrements et événements dont les journaux
devaient rendre compte ; et Frédéric passait des
heures entièrement seul dans l’atelier. |
88 |
I, 5 |
Alors, la conversation
s’engagea sur les femmes. Pellerin n’admettait pas
qu’il y eût de belles femmes (il préférait les
tigres) ; d’ailleurs, la femelle de l’homme était
une créature inférieure dans la hiérarchie
esthétique :
— Ce qui vous séduit est particulièrement ce
qui la dégrade comme idée ; je veux dire les
seins, les cheveux… |
91 |
I, 5 |
Chacun avait
apporté quelque cadeau : Dittmer une écharpe
syrienne, Rosenwald un album de romances, Burieu
une aquarelle, Sombaz sa propre caricature, et
Pellerin un fusain, représentant une espèce de
danse macabre, hideuse fantaisie d’une exécution
médiocre. |
113 |
I, 5 |
Puis, la conversation
ayant repris sur la peinture, on parla d’un
Ruysdaël, dont Arnoux espérait des sommes
considérables, et Pellerin lui demanda s’il était
vrai que le fameux Saül Mathias, de Londres, fût
venu, le mois passé, lui en offrir vingt-trois
mille francs.
— Rien de plus vrai ! |
114 |
I, 5 |
Ensuite,
il fut question des embellissements de la
capitale, des quartiers nouveaux, et le bonhomme
Oudry vint à citer, parmi les grands spéculateurs,
M. Dambreuse.
Frédéric, saisissant l’occasion de se faire
valoir, dit qu’il le connaissait. Mais Pellerin se
lança dans une catilinaire contre les épiciers ;
vendeurs de chandelles ou d’argent, il n’y voyait
pas de différence. |
115 |
I, 5 |
Tous étaient heureux ;
Cisy ne finirait pas son droit ; Martinon allait
continuer son stage en province, où il serait
nommé substitut ; Pellerin se disposait à un grand
tableau figurant le Génie de la Révolution.
|
119 |
I, 5 |
Mais
il n’existait au monde qu’un seul endroit pour les
faire valoir : Paris ! car, dans ses idées, l’art,
la science et l’amour (ces trois faces de Dieu,
comme eût dit Pellerin) dépendaient exclusivement
de la capitale. |
123 |
I, 6 |
Il y avait trois
cents Arnoux, mais pas de Jacques Arnoux ! Où donc
logeaient-ils ? Pellerin devait le savoir.
Il se transporta tout en haut du faubourg
Poissonnière, à son atelier. La porte n’ayant ni
sonnette ni marteau, il donna de grands coups de
poing, et il appela, cria. Le vide seul lui
répondit. |
136 |
II, 1 |
Il
s’informa des anciens amis, de Pellerin, entre
autres.
— Je ne le vois pas souvent, dit Arnoux.
Elle ajouta :
— Nous ne recevons plus, comme autrefois ! |
140 |
II, 1 |
Mais il y avait près de
lui, de l’autre côté de la porte, Pellerin ;
Pellerin en grande toilette, le bras gauche dans
la poitrine et tenant de la droite, avec son
chapeau, un gant blanc, déchiré.
— Tiens, il y a longtemps qu’on ne vous a vu !
où diable étiez-vous donc ? parti en voyage, en
Italie ? Poncif, hein, l’Italie ? pas si raide
qu’on dit ? N’importe ! apportez-moi vos
esquisses, un de ces jours ? |
148 |
II, 1 |
Et,
sans attendre sa réponse, l’artiste se mit à
parler de lui-même.
Il avait fait beaucoup de progrès, ayant
reconnu définitivement la bêtise de la Ligne. On
ne devait pas tant s’enquérir de la Beauté et de
l’Unité, dans une œuvre, que du caractère et de la
diversité des choses.
— Car tout existe dans la nature, donc tout
est légitime, tout est plastique. Il s’agit
seulement d’attraper la note, voilà. J’ai
découvert le secret !
Et lui donnant un coup de coude, il répéta
plusieurs fois :
— J’ai découvert le secret, vous voyez ! Ainsi
regardez-moi cette petite femme à coiffure de
sphinx qui danse avec un postillon russe, c’est
net, sec, arrêté, tout en méplats et en tons
crus : de l’indigo sous les yeux, une plaque de
cinabre à la joue, du bistre sur les tempes ;
pif ! paf !
Et il jetait, avec le pouce, comme des coups
de pinceau dans l’air.
— Tandis que la grosse, là-bas, continua-t-il en
montrant une Poissarde, en robe cerise avec une
croix d’or au cou et un fichu de linon noué dans
le dos, rien que des rondeurs ; les narines
s’épatent comme les ailes de son bonnet, les coins
de la bouche se relèvent, le menton
s’abaisse, tout est gras, fondu, copieux,
tranquille et soleillant, un vrai Rubens ! Elles
sont parfaites cependant ! Où est le type alors ?
Il s’échauffait.
— Qu’est-ce qu’une belle femme ? Qu’est-ce que
le beau ? Ah ! le beau ! me direz-vous… |
149 |
II, 1 |
Il s’échauffait.
— Qu’est-ce qu’une belle femme ? Qu’est-ce que
le beau ? Ah ! le beau ! me direz-vous…Frédéric
l’interrompit pour savoir ce qu’était un Pierrot à
profil de bouc, en train de bénir tous les
danseurs au milieu d’une pastourelle.
— Rien du tout ! un veuf, père de trois
garçons. Il les laisse sans culottes, passe sa vie
au club, et couche avec la bonne. |
149 |
II, 1 |
Elle
l’écouta, penchée vers son visage. Ensuite, elle
lui accommoda un verre de sirop ; et rien
n’était mignon comme ses mains sous leurs manches
de dentelles qui dépassaient les parements de
l’habit vert. Quand le bonhomme eut bu, il les
baisa.
— Mais c’est M. Oudry, le voisin d’Arnoux !
— Il l’a perdu ! dit en riant Pellerin.
— Comment ? |
150 |
II, 1 |
Enfin, les fiacres
étant survenus, les invités s’en allèrent.
Hussonnet, employé dans une correspondance pour la
province, devait lire avant son déjeuner
cinquante-trois journaux ; la Sauvagesse avait une
répétition à son théâtre, Pellerin un modèle,
l’Enfant de chœur trois rendez-vous. |
157 |
II, 1 |
Puis
il se ressouvint de ses amis. Le premier auquel
il songea fut Hussonnet, le second Pellerin. |
166 |
II,2 |
Il était midi
cependant, et tous bâillaient ; Frédéric attendait
quelqu’un. Au nom d’Arnoux, Pellerin fit la
grimace. Il le considérait comme un renégat depuis
qu’il avait abandonné les arts. |
167 |
II, 2 |
Hussonnet,
comme poète, regrettait les bannières ; Pellerin
aussi, prédilection qui lui était venue au café
Dagneaux, en écoutant causer des phalanstériens.
Il déclara Fourier un grand homme. |
168 |
II, 2 |
— Et le musée de
Versailles ! s’écria Pellerin. Parlons-en ! Ces
imbéciles-là ont raccourci un Delacroix et
rallongé un Gros ! Au Louvre, on a si bien
restauré, gratté et tripoté toutes les toiles,
que, dans dix ans, peut-être pas une ne restera.
Quant aux erreurs du catalogue, un Allemand a
écrit dessus tout un livre. Les étrangers, ma
parole, se fichent de nous ! |
169 |
II, 2 |
—
Permettez ! car l’artiste, refusé depuis vingt ans
à tous les Salons, était furieux contre le
Pouvoir. — Eh ! qu’on nous laisse tranquilles.
Moi, je ne demande rien ! seulement les Chambres
devraient statuer sur les intérêts de l’Art. Il
faudrait établir une chaire d’esthétique, et dont
le professeur, un homme à la fois praticien et
philosophe, parviendrait, j’espère, à grouper la
multitude. Vous feriez bien, Hussonnet, de toucher
un mot de ça dans votre journal ? |
169 |
II, 2 |
Puis, comme il parlait
de son bal et du costume d’Arnoux :
— On prétend qu’il branle dans le manche ? dit
Pellerin.
Le marchand de tableaux venait d’avoir un procès
pour ses terrains de Belleville, et il était
actuellement dans une compagnie de kaolin
bas-breton avec d’autres farceurs de son espèce. |
170 |
II, 2 |
Le
dessert était fini ; on passa dans le salon,
tendu, comme celui de la Maréchale, en damas
jaune, et de style Louis XVI.
Pellerin blâma Frédéric de n’avoir pas choisi,
plutôt, le style néo-grec ; |
171 |
II, 2 |
— Moi, je trouve, dit
Pellerin, qu’il aurait bien pu me commander un
tableau. |
172 |
II, 2 |
Frédéric
était resté seul. Il pensait à ses amis, et
sentait entre eux et lui comme un grand fossé
plein d’ombre qui les séparait. Il leur avait
tendu la main cependant, et ils n’avaient pas
répondu à la franchise de son cœur.
Il se rappela les mots de Pellerin et de
Dussardier sur Arnoux. C’était une invention, une
calomnie sans doute ? Mais pourquoi ? |
172 |
II, 2 |
Cependant, Frédéric
conservait ses projets littéraires, par une sorte
de point d’honneur vis-à-vis de lui-même. Il
voulut écrire une histoire de l’esthétique,
résultat de ses conversations avec Pellerin, |
176 |
II, 2 |
Une
idée machiavélique surgit dans sa cervelle.
Connaissant par Dussardier les récriminations
de Pellerin sur son compte, il imagina de
lui commander le portrait de la Maréchale, un
portrait grandeur nature, qui exigerait beaucoup
de séances ; il n’en manquerait pas une seule ;
l’inexactitude habituelle de l’artiste
faciliterait les tête-à-tête.
Quant à Pellerin, il saisit la proposition
avidement. Ce portrait devait le poser en grand
homme, être un chef-d’œuvre. |
179 |
II, 2 |
Il passa en revue
dans sa mémoire tous les portraits de maître qu’il
connaissait, et se décida finalement pour un
Titien, lequel serait rehaussé d’ornements à la
Véronèse. Donc il exécuterait son projet sans
ombres factices, dans une lumière franche
éclairant les chairs d’un seul ton, et faisant
étinceler les accessoires. |
179 |
II, 2 |
Il
alla chercher une caisse à tableaux, qu’il mit sur
l’estrade pour figurer la marche ; puis il disposa
comme accessoires sur un tabouret en guise de
balustrade, sa vareuse, un bouclier, une boîte de
sardines, un paquet de plumes, un couteau, et,
quand il eut jeté devant Rosanette une douzaine de
gros sous, il lui fit prendre sa pose.
— Imaginez-vous que ces choses-là sont des
richesses, des présents splendides. La tête un peu
à droite ! Parfait ! et ne bougez plus ! Cette
attitude majestueuse va bien à votre genre de
beauté. |
180 |
II, 2 |
C’était l’heure où l’on
rentrait de la promenade, et des équipages
défilaient au grand trot sur le pavé sec. Les
flatteries de Pellerin lui revenant sans doute à
la mémoire, elle poussa un soupir.
— Ah ! il y en a qui sont heureuses ! Je suis
faite pour un homme riche, décidément. |
181 |
II, 2 |
Pellerin
l’avait engagé à venir voir le portrait ; il
l’éconduisait toujours. |
202 |
II, 3 |
Le surlendemain, dès
huit heures, Pellerin vint lui faire visite. Il
commença par des admirations sur le mobilier, des
cajoleries. Puis, brusquement :
— Vous étiez aux courses, dimanche ?
— Oui, hélas !
Alors, le peintre déclama contre l’anatomie
des chevaux anglais, vanta les chevaux de
Géricault, les chevaux du Parthénon.
— Rosanette était avec vous ?
Et il entama son éloge, adroitement.
La froideur de Frédéric le décontenança. Il ne
savait comment en venir au portrait. |
241 |
II, 4 |
Sa
première intention avait été de faire un Titien.
Mais, peu à peu, la coloration variée de
son modèle l’avait séduit ; et il avait travaillé
franchement, accumulant pâte sur pâte et lumière
sur lumière. Rosanette fut enchantée d’abord ; ses
rendez-vous avec Delmar avaient interrompu les
séances et laissé à Pellerin tout le temps de
s’éblouir. Puis, l’admiration s’apaisant, il
s’était demandé si sa peinture ne manquait point
de grandeur. Il avait été revoir les Titien, avait
compris la distance, reconnu sa faute ; et il
s’était mis à repasser ses contours simplement.
Ensuite il avait cherché, en les rongeant, à y
perdre, à y mêler les tons de la tête et ceux des
fonds ; et la figure avait pris de la consistance,
les ombres de la vigueur ; tout paraissait plus
ferme. Enfin la Maréchale était revenue. Elle
s’était même permis des objections ; l’artiste,
naturellement, avait persévéré. Après de grandes fureurs
contre sa sottise, il s’était dit qu’elle pouvait
avoir raison. Alors avait commencé l’ère des
doutes, tiraillements de la pensée qui provoquent
les crampes d’estomac, les insomnies, la fièvre,
le dégoût de soi-même ; il avait eu le courage de
faire des retouches, mais sans cœur et sentant que
sa besogne était mauvaise. |
241-242 |
II, 4 |
Il se plaignit
seulement d’avoir été refusé au Salon, puis
reprocha à Frédéric de ne pas être venu voir le
portrait de la Maréchale.
— Je me moque bien de la Maréchale !
Une déclaration pareille l’enhardit.
— Croiriez-vous que cette bête-là n’en veut
plus, maintenant ?
Ce qu’il ne disait point, c’est qu’il avait
réclamé d’elle mille écus. Or la Maréchale s’était
peu souciée de savoir qui payerait, et, préférant
tirer d’Arnoux des choses plus urgentes, ne lui en
avait même pas parlé.
— Eh bien, et Arnoux ? dit Frédéric.
Elle l’avait relancé vers lui. L’ancien
marchand de tableaux n’avait que faire du
portrait.
— Il soutient que ça appartient à Rosanette.
— En effet, c’est à elle.
— Comment ! c’est elle qui m’envoie vers
vous ! répliqua Pellerin.
S’il eût cru à l’excellence de son œuvre, il
n’eût pas songé, peut-être, à l’exploiter. Mais
une somme (et une somme considérable) serait un
démenti à la critique, un raffermissement pour
lui-même. Frédéric, afin de s’en délivrer,
s’enquit de ses conditions, courtoisement.
L’extravagance du chiffre le révolta, il
répondit :
— Non, ah ! non !
— Vous êtes pourtant son amant, c’est vous qui
m’avez fait la commande !
— J’ai été l’intermédiaire, permettez !
— Mais je ne peux pas rester avec ça sur les
bras !
L’artiste s’emportait.
— Ah ! je ne vous croyais pas si cupide.
— Ni vous si avare ! Serviteur ! |
242 |
II, 4 |
C’était
bien elle, ou à peu près, vue de face, les seins
découverts, les cheveux dénoués, et tenant dans
ses mains une bourse de velours rouge, tandis que,
par derrière, un paon avançait son bec sur son
épaule, en couvrant la muraille de ses grandes
plumes en éventail.
Pellerin avait fait cette exhibition pour
contraindre Frédéric au payement, persuadé qu’il
était célèbre et que tout Paris, s’animant en sa
faveur, allait s’occuper de cette misère.
Était-ce une conjuration ? Le peintre et le
journaliste avaient-ils monté leur coup ensemble ?
|
260 |
II, 4 |
Il se dit qu’il n’avait
besoin de personne, que tous ses embarras venaient
de sa timidité, de ses hésitations. Il aurait dû
commencer avec la Maréchale brutalement, refuser
Hussonnet dès le premier jour, ne pas se
compromettre avec Pellerin ; et, pour montrer que
rien ne le gênait, il se rendit
chez Mme Dambreuse, à une de ses soirées
ordinaires. |
260 |
II, 4 |
et
les locataires apparaissaient à leurs carreaux,
surpris du tapage insolite qui se faisait dans le
logement de Dussardier.
Le brave garçon était heureux, et dit que ça
lui rappelait leurs petites séances d’autrefois,
au quai Napoléon ; plusieurs manquaient cependant,
« ainsi Pellerin… »
— On peut s’en passer, reprit Frédéric. |
290 |
II, 4 |
Dès qu’ils furent dans
la rue, l’avocat eut l’air de réfléchir, et, après
un moment de silence :
— Tu lui en veux donc beaucoup, à Pellerin ?
Frédéric ne cacha pas sa rancune.
Le peintre, cependant, avait retiré de la
montre le fameux tableau. On ne devait pas se
brouiller pour des vétilles ! À quoi bon se faire
un ennemi ?
— Il a cédé à un mouvement d’humeur, excusable
dans un homme qui n’a pas le sou. Tu ne peux pas
comprendre ça, toi !
Et, Deslauriers remonté chez lui, le commis ne
lâcha point Frédéric ; il l’engagea même à acheter
le portrait. En effet, Pellerin, désespérant de
l’intimider, les avait circonvenus pour que, grâce
à eux, il prît la chose.
Deslauriers en reparla, insista. Les
prétentions de l’artiste étaient raisonnables.
— Je suis sûr que, moyennant, peut-être, cinq
cents francs…
— Ah ! donne-les ! tiens, les voici, dit
Frédéric.
Le soir même, le tableau fut apporté. Il lui
parut plus abominable encore que la première fois.
Les demi-teintes et les ombres s’étaient plombées
sous les retouches trop nombreuses, et elles
semblaient obscurcies par rapport aux lumières,
qui, demeurées brillantes çà et là, détonnaient
dans l’ensemble.
Frédéric se vengea de l’avoir payé, en le
dénigrant amèrement. |
290-291 |
II, 6 |
Frédéric
vit s’avancer une colonne d’individus à chapeaux
bizarres, à longues barbes. En tête et battant du
tambour marchait un nègre, un ancien modèle
d’atelier, et l’homme qui portait la bannière sur
laquelle flottait au vent cette inscription :
« Artistes peintres », n’était autre que Pellerin.
Il fit signe à Frédéric de l’attendre, puis
reparut cinq minutes après, ayant du temps devant
lui, car le Gouvernement recevait à ce moment-là
les tailleurs de pierre. Il allait avec ses
collègues réclamer la création d’un Forum de
l’Art, une espèce de Bourse où l’on débattrait les
intérêts de l’Esthétique ; des œuvres sublimes se
produiraient puisque les travailleurs mettraient
en commun leur génie. Paris, bientôt, serait
couvert de monuments gigantesques ; il les
décorerait ; il avait même commencé une figure de
la République. Un de ses camarades vint le
prendre, car ils étaient talonnés par la
députation du commerce de la volaille. |
318 |
III, 1 |
Et il poussait
l’impartialité jusqu’à reconnaître que Proudhon
avait de la logique. « Oh ! beaucoup de logique !
diable ! » Puis, avec le détachement d’une
intelligence supérieure, il causa de l’exposition
de peinture, où il avait vu le tableau de
Pellerin. Il trouvait cela original, bien touché.
|
320 |
III, 1 |
Au
bruit de la grande porte qui retombait, un rideau
s’entr’ouvrit derrière une croisée ; une femme y
parut. Il n’eut pas le temps de la reconnaître ;
mais, dans l’antichambre, un tableau l’arrêta, le
tableau de Pellerin, posé sur une chaise,
provisoirement sans doute.
Cela représentait la République, ou le
Progrès, ou la Civilisation, sous la figure de
Jésus-Christ conduisant une locomotive, laquelle
traversait une forêt vierge. Frédéric, après une
minute de contemplation, s’écria :
— Quelle turpitude !
— N’est-ce pas, hein ? dit M. Dambreuse,
survenu sur cette parole et s’imaginant qu’elle
concernait non la peinture, mais la doctrine
glorifiée par le tableau. |
322 |
III, 1 |
Mais Dussardier se mit
en recherche, et lui annonça qu’il existait,
rue Saint-Jacques, un club intitulé le Club de
l’Intelligence. Un nom pareil donnait bon
espoir. D’ailleurs, il amènerait des amis.
Il amena ceux qu’il avait invités à son
punch ; le teneur de livres, le placeur de vins,
l’architecte ; Pellerin même était venu, |
325 |
III, 1 |
Cette
réponse détermina Frédéric ; et, comme il
cherchait de droite et de gauche ses amis pour le
soutenir, il aperçut, devant lui, Pellerin à la
tribune. L’artiste le prit de haut avec la foule.
— Je voudrais savoir un peu où est le candidat
de l’Art dans tout cela ? Moi, j’ai fait un
tableau…
— Nous n’avons que faire des tableaux ! dit
brutalement un homme maigre, ayant des plaques
rouges aux pommettes.
Pellerin se récria qu’on l’interrompait. |
328-329 |
III, 1 |
Frédéric se tourna vers
Pellerin. L’artiste lui répondit par une abondance
de gestes qui signifiait :
— Ah ! mon cher, ils m’ont repoussé ! Diable !
que voulez-vous ! |
330 |
III, 1 |
M.
Dambreuse sortit de son cabinet avec Martinon.
Elle détourna la tête, et répondit aux saluts de
Pellerin qui s’avançait. L’artiste considérait les
murailles, d’une façon inquiète. Le banquier le
prit à part, et lui fit comprendre qu’il avait dû,
pour le moment, cacher sa toile révolutionnaire.
— Sans doute ! dit Pellerin, son échec au Club
de l’Intelligence ayant modifié ses
opinions.
M. Dambreuse glissa fort poliment qu’il lui
commanderait d’autres travaux. |
362 |
III, 2 |
Pellerin en voulait à
la révolution à cause du musée espagnol,
définitivement perdu. C’était ce qui l’affligeait
le plus, comme peintre. À ce mot, M. Roque
l’interpella.
— Ne seriez-vous pas l’auteur d’un tableau
très remarquable ?
— Peut-être ! Lequel ?
— Cela représente une dame dans un costume… ma
foi !… un peu… léger, avec une bourse et un paon
derrière.
Frédéric à son tour s’empourpra. Pellerin
faisait semblant de ne pas entendre.
— Cependant c’est bien de vous ! Car il y a
votre nom écrit au bas, et une ligne sur le cadre
constatant que c’est la propriété de M. Moreau.
Un jour que le père Roque et sa fille
l’attendaient chez lui, ils avaient vu le portrait
de la Maréchale. Le bonhomme l’avait même pris
pour « un tableau gothique ».
— Non ! dit Pellerin brutalement ; c’est un
portrait de femme.
Martinon ajouta :
— D’une femme très vivante ! N’est-ce pas,
Cisy ? |
366 |
III, 2 |
Les
hommes se tenaient debout, et Pellerin, au milieu
d’eux, émettait des idées. Ce qu’il y avait de
plus favorable pour les arts, c’était une
monarchie bien entendue. Les temps modernes le
dégoûtaient, « quand ce ne serait qu’à cause de la
garde nationale », il regrettait le moyen âge,
Louis XIV ; M. Roque le félicita de ses opinions,
avouant même qu’elles renversaient tous ses
préjugés sur les artistes. |
366 |
III, 2 |
Frédéric, pour se
distraire, écouta le Dies iræ ; il
considérait les assistants, tâchait de voir les
peintures trop élevées qui représentent la vie de
Madeleine. Heureusement, Pellerin vint se
mettre près de lui, et commença tout de suite, à
propos de fresques, une longue dissertation. |
401 |
III, 4 |
Elle
désirait le faire embaumer. Bien des raisons s’y
opposaient. La meilleure, selon Frédéric, c’est
que la chose était impraticable sur des enfants si
jeunes. Un portrait valait mieux. Elle
adopta cette idée. Il écrivit un mot à Pellerin,
et Delphine courut le porter.
Pellerin arriva promptement, voulant effacer
par ce zèle tout souvenir de sa conduite. Il dit
d’abord :
— Pauvre petit ange ! Ah ! mon Dieu, quel
malheur ! |
420 |
III, 4 |
Mais, peu à peu,
l’artiste en lui l’emportant, il déclara qu’on ne
pouvait rien faire avec ces yeux bistrés, cette
face livide ; que c’était une véritable nature
morte ; qu’il faudrait beaucoup de talent ; et il
murmurait :
— Oh ! pas commode, pas commode !
— Pourvu que ce soit ressemblant, objecta
Rosanette.
— Eh ! je me moque de la ressemblance ? À bas
le Réalisme ! C’est l’esprit qu’on peint !
Laissez-moi ! Je vais tâcher de me figurer ce que
ça devait être.
Il réfléchit, le front dans la main gauche, le
coude dans la droite ; puis, tout à coup :
— Ah ! une idée ! un pastel ! Avec des
demi-teintes colorées, passées presque à plat, on
peut obtenir un beau modelé, sur les bords
seulement. |
420 |
III, 4 |
Il
réfléchit, le front dans la main gauche, le coude
dans la droite ; puis, tout à coup :
— Ah ! une idée ! un pastel ! Avec des
demi-teintes colorées, passées presque à plat, on
peut obtenir un beau modelé, sur les bords
seulement.
Il envoya la femme de chambre chercher sa
boîte ; puis, ayant une chaise sous les pieds et
une autre près de lui, il commença à jeter de
grands traits, aussi calme que s’il eût travaillé
d’après la bosse. Il vantait les petits Saint-Jean
de Corrège, l’infante Rose de Velasquez, les
chairs lactées de Reynolds, la distinction de
Lawrence, et surtout l’enfant aux longs cheveux
qui est sur les genoux de lady Gower.
— D’ailleurs, peut-on trouver rien de
plus charmant que ces crapauds-là ! Le type du
sublime (Raphaël l’a prouvé par ses madones),
c’est peut-être une mère avec son enfant ! |
420-421 |
III, 4 |
Rosanette, qui
suffoquait, sortit ; et Pellerin dit aussitôt :
— Eh bien, Arnoux !… vous savez ce qui
arrive ?
— Non ! Quoi ?
— Ça devait finir comme ça, du reste !
— Qu’est-ce donc ?
— Il est peut-être maintenant… Pardon !
L’artiste se leva pour exhausser la tête du
petit cadavre.
— Vous disiez… reprit Frédéric.
Et Pellerin, tout en clignant pour mieux
prendre ses mesures :
— Je disais que notre ami Arnoux est
peut-être, maintenant, coffré !
Puis, d’un ton satisfait :
— Regardez un peu ! Est-ce ça ?
— Oui, très bien ! Mais Arnoux ?
Pellerin déposa son crayon.
— D’après ce que j’ai pu comprendre, il se
trouve poursuivi par un certain Mignot, un intime
de Regimbart, une bonne tête, celui-là, hein ?
Quel idiot ! |
421 |
III, 4 |
Pellerin
fit signe qu’il se taisait à cause d’elle. Mais
Frédéric, sans y prendre garde :
— Cependant, je ne peux pas croire…
— Je vous répète que je l’ai rencontré hier,
dit l’artiste, à sept heures du soir, rue Jacob.
Il avait même son passeport, par précaution ; et
il parlait de s’embarquer au Havre, lui et toute
sa smala.
— Comment ! Avec sa femme ?
— Sans doute ! Il est trop bon père de famille
pour vivre tout seul. |
422 |
III, 4 |
Pellerin, après avoir
donné dans le fouriérisme, l’homéopathie, les
tables tournantes, l’art gothique et la peinture
humanitaire, était devenu photographe ; et sur
toutes les murailles de Paris, on le voyait
représenté en habit noir avec un corps minuscule
et une grosse tête. |
442 |
III, 7 |
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Philippe Lavergne |
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