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Extraits de l'œuvre |
Édition |
Chapitre |
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Sa femme, la jolie
Mme Dambreuse, que citaient les journaux de modes,
présidait les assemblées de charité. En cajolant
les duchesses, elle apaisait les rancunes du noble
faubourg et laissait croire que M. Dambreuse
pouvait encore se repentir et rendre des services. |
54 |
I, 3 |
Un coupé bleu, attelé d’un cheval
noir, stationnait devant le perron. La portière
s’ouvrit, une dame y monta, et la voiture, avec un
bruit sourd, se mit à rouler sur le sable.
Frédéric, en même temps qu’elle, arriva de l’autre
côté, sous la porte cochère. L’espace n’étant pas
assez large, il fut contraint d’attendre. La jeune
femme, penchée en dehors du vasistas, parlait tout
bas au concierge. Il n’apercevait que son dos,
couvert d’une mante violette. Cependant, il
plongeait dans l’intérieur de la voiture, tendue
de reps bleu, avec des passementeries et des
effilés de soie. Les vêtements de la dame
l’emplissaient ; il s’échappait
de cette petite boîte capitonnée un parfum d’iris
et comme une vague senteur d’élégances féminines.
Le cocher lâcha les rênes, le cheval frôla la
borne brusquement, et tout disparut.
Frédéric s’en revint à pied, en suivant les
boulevards.
Il regrettait de n’avoir pu distinguer
Mme Dambreuse. |
55 |
I, 3 |
Il se la figurait,
au milieu des autres, dans un de ces petits
coupés, pareils au coupé de Mme Dambreuse. Mais le
soleil se couchait, et le vent froid soulevait des
tourbillons de poussière. |
58 |
I, 3 |
« Monsieur et Madame Dambreuse
prient Monsieur F. Moreau de leur faire l’honneur
de venir dîner chez eux samedi 24 courant. — R. S.
V. P. » |
111 |
I, 5 |
Le hasard le
servit, car il reçut, dans la soirée, un billet
bordé de noir, et où Mme Dambreuse, lui annonçant
la perte d’un oncle, s’excusait de remettre à plus
tard le plaisir de faire sa connaissance. |
112 |
I, 5 |
Il regagnait sa place, quand, au
balcon, dans la première loge d’avant-scène,
entrèrent une dame et un monsieur. Le mari avait
un visage pâle, bordé d’un filet de barbe grise,
la rosette d’officier, et cet aspect glacial qu’on
attribue aux diplomates.
Sa femme, de vingt ans plus jeune pour le moins,
ni grande ni petite, ni laide ni jolie, portait
ses cheveux blonds tirebouchonnés à l’anglaise,
une robe à corsage plat, et un large éventail de
dentelle noire. Pour que des gens d’un pareil
monde fussent venus au spectacle dans cette
saison, il fallait supposer un hasard, ou l’ennui
de passer leur soirée en tête-à-tête. La
dame mordillait son éventail, et le monsieur
bâillait. Frédéric ne pouvait se rappeler où il
avait vu cette figure. |
120 |
I, 5 |
Mme Dambreuse,
appuyée sur son bras, inclinait la tête,
légèrement ; et l’aménité spirituelle de son
visage contrastait avec son expression chagrine de
tout à l’heure. |
121 |
I, 5 |
Enfin, il arriva dans un
appartement ovale, lambrissé de bois de rose,
bourré de meubles mignons et qu’éclairait une
seule glace donnant sur un jardin. Mme Dambreuse
était auprès du feu, une douzaine de personnes
formant cercle autour d’elle. Avec un mot aimable,
elle lui fit signe de s’asseoir, mais sans
paraître surprise de ne l’avoir pas vu depuis
longtemps. |
160 |
II, 2 |
Mme Dambreuse les
recevait tous avec grâce. Dès qu’on parlait d’un
malade, elle fronçait les sourcils
douloureusement, et prenait un air joyeux s’il
était question de bals ou de soirées. Elle serait
bientôt contrainte de s’en priver, car elle allait
faire sortir de pension une nièce de son mari, une
orpheline. On exalta son dévouement ; c’était se
conduire en véritable mère de famille. |
160 |
II, 2 |
Frédéric l’observait. La peau mate
de son visage paraissait tendue, et d’une
fraîcheur sans éclat, comme celle d’un fruit
conservé. Mais ses cheveux, tirebouchonnés à
l’anglaise, étaient plus fins que de la soie, ses
yeux d’un azur brillant, tous ses gestes délicats.
Assise au fond, sur la causeuse, elle caressait
les floches rouges d’un écran japonais, pour faire
valoir ses mains, sans doute, de longues mains
étroites, un peu maigres, avec des doigts
retroussés par le bout. Elle portait une robe de
moire grise, à corsage montant, comme une
puritaine. |
160 |
II, 2 |
Frédéric lui
demanda si elle ne viendrait pas cette année à la
Fortelle. Mme Dambreuse n’en savait rien. Il
concevait cela, du reste : Nogent devait
l’ennuyer. |
161 |
II, 2 |
Bientôt, la conversation fut
impossible à suivre, et Frédéric se retirait quand
Mme Dambreuse lui dit :
— Tous les mercredis, n’est-ce pas, monsieur
Moreau ? rachetant par cette seule phrase ce
qu’elle avait montré d’indifférence. |
161 |
II, 2 |
Frédéric entrevit
dans un éclair, un flot d’hommes aux bras nus
envahissant le grand salon de Mme Dambreuse,
cassant les glaces à coups de pique. |
168 |
II, 2 |
Frédéric monta les marches
allègrement. Un huissier lança son nom : M.
Dambreuse lui tendit la main ; presque aussitôt,
Mme Dambreuse parut.
Elle avait une robe mauve garnie de dentelles,
les boucles de sa coiffure plus abondantes qu’à
l’ordinaire, et pas un seul bijou.
Elle se plaignit de ses rares visites, trouva
moyen de dire quelque chose. |
185 |
II, 2 |
Sous l’abat-jour
vert des bougies, des rangées de cartes et de
pièces d’or couvraient la table. Frédéric s’arrêta
devant une d’elles, perdit les quinze napoléons
qu’il avait dans sa poche, fit une pirouette, et
se trouva au seuil du boudoir où était alors
Mme Dambreuse. |
188 |
II, 2 |
Il regardait cependant
Mme Dambreuse, et il la trouvait charmante, malgré
sa bouche un peu longue et ses narines trop
ouvertes. Mais sa grâce était particulière. Les
boucles de sa chevelure avaient comme une langueur
passionnée, et son front couleur d’agate semblait
contenir beaucoup de choses et dénotait un maître.
Elle avait mis près d’elle la nièce de son mari,
jeune personne assez laide. De temps à autre, elle
se dérangeait pour recevoir celles qui entraient ;
et le murmure des voix féminines, augmentant,
faisait comme un caquetage d’oiseaux. |
189 |
II, 2 |
Une autre parla
du Don Juan de Molière, représenté
nouvellement aux Français. Mais, désignant sa
nièce d’un coup d’œil, Mme Dambreuse posa un doigt
contre sa bouche, et un sourire qui lui échappa
démentait cette austérité. |
189 |
II, 2 |
Elle se leva. Il lui offrit son
bras. Frédéric, pour le voir continuer ses
galanteries, traversa les tables de jeu et les
rejoignit dans le grand salon ; Mme Dambreuse
quitta aussitôt son cavalier, et l’entretint
familièrement.
Elle comprenait qu’il ne jouât pas, ne dansât pas.
— Dans la jeunesse on est triste !
Puis, enveloppant le bal d’un seul regard :
— D’ailleurs, tout cela n’est pas drôle ! pour
certaines natures du moins !
Et elle s’arrêtait devant la rangée des fauteuils,
distribuant çà et là des mots aimables, tandis que
des vieux, qui avaient des binocles à deux
branches, venaient lui faire la cour. |
190 |
II, 2 |
M. Dambreuse
aperçut Martinon, et, s’approchant de sa femme,
d’une voix basse :
— C’est vous qui l’avez invité ?
Elle répliqua sèchement :
— Mais oui !
La nièce n’était pas là. On but très bien, on rit
très haut ;
Seul, Martinon se montra sérieux ; il refusa de
boire du vin de Champagne par bon genre, souple
d’ailleurs et fort poli, car M. Dambreuse, qui
avait la poitrine étroite, se plaignant
d’oppression, il s’informa de sa santé à plusieurs
reprises ; puis il dirigeait ses yeux bleuâtres du
côté de Mme Dambreuse. |
191 |
II, 2 |
Frédéric, en se couchant, résuma la
soirée. D’abord, sa toilette (il s’était observé
dans les glaces plusieurs fois), depuis la coupe
de l’habit jusqu’au nœud des escarpins, ne
laissait rien à reprendre ; il avait parlé à des
hommes considérables, avait vu de près des femmes
riches, M. Dambreuse s’était montré excellent et
Mme Dambreuse presque engageante. Il pesa un à un
ses moindres mots, ses regards, mille choses
inanalysables et cependant expressives. Ce serait
crânement beau d’avoir une pareille maîtresse !
Pourquoi non, après tout ? |
191 |
II, 2 |
Il n’osait
interrompre M. Dambreuse.
Madame remarqua son embarras.
— Voyez-vous quelquefois notre ami Martinon ?
— Il viendra ce soir, dit vivement la jeune fille.
— Ah ! tu le sais ? répliqua sa tante, en arrêtant
sur elle un regard froid. |
216 |
II, 3 |
Frédéric aborda enfin la question ;
Arnoux méritait de l’intérêt ; il allait même,
dans le seul but de remplir ses engagements,
vendre une maison à sa femme.
— Elle passe pour très jolie, dit Mme Dambreuse.
Le banquier ajouta d’un air bonhomme :
— Êtes-vous leur ami… intime ?
Frédéric, sans répondre nettement, dit qu’il lui
serait fort obligé de prendre en considération…
— Eh bien, puisque cela vous fait plaisir, soit !
on attendra ! J’ai du temps encore. Si nous
descendions dans mon bureau, voulez-vous ?
Le déjeuner était fini ; Mme Dambreuse s’inclina
légèrement, tout en souriant d’un rire singulier,
plein à la fois de politesse et d’ironie. |
216 |
II, 3 |
Alors passa devant
eux, avec des miroitements de cuivre et d’acier,
un splendide landau attelé de quatre chevaux,
conduits à la Daumont par deux jockeys en veste
de velours, à crépines d’or. Mme Dambreuse était
près de son mari, Martinon sur l’autre banquette
en face ; tous les trois avaient des figures
étonnées.
— Ils m’ont reconnu ! se dit Frédéric. |
234 |
II, 4 |
Puis elle demanda, d’une voix
calme, à qui appartenait ce grand landau avec une
livrée marron.
— À la comtesse Dambreuse, répliqua Cisy.
— Ils sont très riches, n’est-ce pas ?
— Oh ! très riches ! bien que Mme Dambreuse, qui
est, tout simplement, une demoiselle Boutron, la
fille d’un préfet, ait une fortune médiocre.
Son mari, au contraire, devait recueillir
plusieurs héritages, Cisy les énuméra ;
fréquentant les Dambreuse, il savait leur
histoire.
Frédéric, pour lui être désagréable, s’entêta à le
contredire. Il soutint que Mme Dambreuse
s’appelait de Boutron, certifiait sa noblesse. |
239 |
II, 4 |
Il aurait dû
commencer avec la Maréchale brutalement, refuser
Hussonnet dès le premier jour, ne pas se
compromettre avec Pellerin ; et, pour montrer que
rien ne le gênait, il se rendit chez
Mme Dambreuse, à une de ses soirées ordinaires. |
260 |
II, 4 |
Il distingua des habits noirs, puis
une table ronde éclairée par un grand abat-jour,
sept ou huit femmes en toilettes d’été, et, un peu
plus loin, Mme Dambreuse dans un fauteuil à
bascule. Sa robe de taffetas lilas avait des
manches à crevés, d’où s’échappaient des bouillons
de mousseline, le ton doux de l’étoffe se mariant
à la nuance de ses cheveux ; et elle se tenait
quelque peu renversée en arrière, avec le bout de
son pied sur un coussin, tranquille comme une
œuvre d’art pleine de délicatesse, une fleur de
haute culture. |
261 |
II, 4 |
et miss John,
l’institutrice à nez camus, en avait lâché sa
tapisserie ; toutes deux paraissaient s’écrier
intérieurement : « Qu’il est beau ! »
Mme Dambreuse se tourna vers lui.
— Donnez-moi donc mon éventail, qui est sur cette
console, là-bas. Vous vous trompez ! l’autre !
Elle se leva ; et, comme il revenait, ils se
rencontrèrent au milieu du salon, face à face ;
elle lui adressa quelques mots, vivement, des
reproches sans doute, à en juger par l’expression
altière de sa figure ; Martinon tâchait de
sourire ; puis il alla se mêler au conciliabule
des hommes sérieux. Mme Dambreuse reprit sa place,
et, se penchant sur le bras de son fauteuil, elle
dit à Frédéric :
— J’ai vu quelqu’un, avant-hier, qui m’a parlé de
vous, M. de Cisy ; vous le connaissez, n’est-ce
pas ?
— Oui… un peu.
Tout à coup Mme Dambreuse s’écria :
— Duchesse, ah ! quel bonheur ! |
262 |
II, 4 |
Frédéric allégua une maladie ;
mais, sentant que l’excuse était trop bête :
— D’ailleurs, j’ai eu besoin de mes fonds.
— Pour acheter une voiture ? reprit Mme Dambreuse,
qui passait près de lui, une tasse de thé à la
main, et elle le considéra pendant une minute, la
tête un peu tournée sur son épaule.
Elle le croyait l’amant de Rosanette ; l’allusion
était claire. Il sembla même à Frédéric que toutes
les dames le regardaient de loin, en chuchotant.
|
263 |
II, 4 |
— Jacques Arnoux,
éditeur… Un de tes amis, hein ?
— C’est vrai, dit Frédéric, blessé par son air.
Mme Dambreuse reprit :
— En effet, vous êtes venu, un matin… pour… une
maison, je crois ? oui, une maison appartenant à
sa femme.
Cela signifiait : « C’est votre maîtresse. » |
263 |
II, 4 |
Il avait envie de partir. La peur
le retint de sembler lâche. Un domestique enlevait
les tasses de thé ; Mme Dambreuse causait avec un
diplomate en habit bleu ; deux jeunes filles,
rapprochant leurs fronts, se faisaient voir une
bague ; les autres, assises en demi-cercle sur des
fauteuils, remuaient doucement leurs blancs
visages, bordés de chevelures noires ou blondes ;
personne enfin ne s’occupait de lui. |
263 |
II, 4 |
— D’ailleurs,
quand le souverain manque au contrat, la justice
veut qu’on le renverse.
— Mais c’est abominable ! exclama la femme d’un
préfet.
Toutes les autres se taisaient, vaguement
épouvantées, comme si elles eussent entendu le
bruit des balles. Mme Dambreuse se balançait dans
son fauteuil, et l’écoutait parler en souriant. |
265 |
II, 4 |
Enfin, il jugea convenable de se
retirer ; et, comme il s’en allait, M. Dambreuse
lui dit, faisant allusion à la place de
secrétaire :
— Rien n’est terminé encore ! Mais dépêchez-vous !
Et Mme Dambreuse :
— À bientôt, n’est-ce pas ? |
265 |
II, 4 |
Quant à
Mme Dambreuse, il lui trouvait quelque chose à la
fois de langoureux et de sec, qui empêchait de la
définir par une formule. Avait-elle un amant ?
Quel amant ? Était-ce le diplomate ou un autre ?
Martinon, peut-être ? Impossible ! Cependant, il
éprouvait une espèce de jalousie contre lui, et
envers elle une malveillance inexplicable. |
265 |
II, 4 |
Madame Dambreuse, dans son boudoir,
entre sa nièce et miss John, écoutait parler M.
Roque, contant ses fatigues militaires.
Elle se mordait les lèvres, semblait souffrir. |
361 |
III, 2 |
Mme Dambreuse
mentait moins qu’elle ne croyait ; le vicomte
rêvait le mariage. Il l’avait dit à Martinon,
ajoutant qu’il était sûr de plaire à Mlle Cécile
et que ses parents l’accepteraient. |
361 |
III, 2 |
Le mot de Cisy le détermina ; et il
avait fait sa requête au banquier, lequel, n’y
voyant pas d’obstacle, venait d’en prévenir
Mme Dambreuse.
Cisy parut. Elle se leva, dit :
— Vous nous oubliez… Cécile, shake hands !
Au même moment, Frédéric entrait. |
361 |
III, 2 |
On ne doutait
nullement des vivres empoisonnés, des mobiles
sciés entre deux planches, et des inscriptions des
drapeaux qui réclamaient le pillage, l’incendie.
— Et quelque chose de plus ! ajouta l’ex-préfète.
— Ah ! chère ! dit par pudeur Mme Dambreuse, en
désignant d’un coup d’œil les trois jeunes filles. |
362 |
III, 2 |
Le maître d’hôtel vint annoncer que
Madame était servie. D’un regard, elle ordonna au
vicomte de prendre le bras de Cécile, dit tout bas
à Martinon : « Misérable ! », et on passa dans la
salle à manger. |
363 |
III, 2 |
— Il doit vingt
mille francs à un orfèvre ! ajouta Cisy ; et même
on prétend…
Mme Dambreuse l’arrêta.
— Ah ! que c’est vilain de s’échauffer pour la
politique ! Un jeune homme, fi donc ! Occupez-vous
plutôt de votre voisine ! |
364 |
III, 2 |
— Vous savez quelque chose,
mademoiselle ? demanda aussitôt Nonancourt.
Et il dit sa réponse à Mme Dambreuse, qui, se
penchant un peu, se mit à regarder Frédéric. |
365 |
III, 2 |
À peine dans le
jardin, Mme Dambreuse, prenant Cisy, l’avait
gourmandé de sa maladresse ; à la vue de Martinon,
elle le congédia, puis voulut savoir de son futur
neveu la cause de ses plaisanteries sur le
vicomte.
— Il n’y en a pas.
— Et tout cela comme pour la gloire de M. Moreau !
Dans quel but ?
— Dans aucun. Frédéric est un charmant garçon. Je
l’aime beaucoup.
— Et moi aussi ! Qu’il vienne ! Allez le
chercher ! |
368 |
III, 3 |
Mais elle le quittait de temps en
temps, c’était soir de réception, des dames
arrivaient ; puis elle revenait à sa place, et la
disposition toute fortuite des sièges leur
permettait de n’être pas entendus.
Elle se montra enjouée, sérieuse, mélancolique et
raisonnable. Les préoccupations du jour
l’intéressaient médiocrement ; il y avait tout un
ordre de sentiments moins transitoires. Elle se
plaignit des poètes qui dénaturent la vérité, puis
elle leva les yeux vers le ciel, en lui demandant
le nom d’une étoile. |
268 |
III, 3 |
On avait mis dans
les arbres deux ou trois lanternes chinoises ; le
vent les agitait, des rayons colorés tremblaient
sur sa robe blanche. Elle se tenait, comme
d’habitude, un peu en arrière dans son fauteuil,
avec un tabouret devant elle ; on apercevait la
pointe d’un soulier de satin noir ; et
Mme Dambreuse, par intervalles, lançait une parole
plus haute, quelquefois même un rire.
Ces coquetteries n’atteignaient pas Martinon,
occupé de Cécile |
368 |
III, 2 |
Comme Frédéric se trouvait en face,
sur un pliant, elles le considéraient, l’une avec
décence, du coin des paupières, l’autre
franchement, la bouche ouverte, si bien que
Mme Dambreuse lui dit :
— Tournez-vous donc, pour qu’elle vous voie !
— Qui cela ?
— Mais la fille de M. Roque ! |
369 |
III, 2 |
D’ailleurs, Mlle Roque
lui semblait une petite personne assez ridicule.
Quelle différence avec une femme comme
Mme Dambreuse ! |
371 |
III, 2 |
Le tête-à-tête devenait triste. Ce
fut un soulagement pour lui, quand les soirées de
Mme Dambreuse recommencèrent. |
382 |
III, 3 |
Il [Martinon] fit
plus : il le renseigna sur les moyens de plaire à
Mme Dambreuse, laissant même entrevoir qu’il
connaissait, par la nièce, les sentiments de la
tante. |
382 |
III, 3 |
Le verbiage politique et la bonne
chère engourdissaient sa moralité. Si médiocres
que lui parussent ces personnages, il était fier
de les connaître et intérieurement souhaitait la
considération bourgeoise. Une maîtresse comme
Mme Dambreuse le poserait.
Il se mit à faire tout ce qu’il faut. |
384 |
III, 3 |
Elle était
presque toujours sur une petite causeuse, près de
la jardinière garnissant l’embrasure de la
fenêtre. Assis au bord d’un gros pouf à roulettes,
il lui adressait les compliments les plus justes
possible ; et elle le regardait, la tête un peu de
côté, la bouche souriante.
Il lui lisait des pages de poésie, en y mettant
toute son âme, afin de l’émouvoir, et pour se
faire admirer. Elle l’arrêtait par une remarque
dénigrante ou une observation pratique ; et leur
causerie retombait sans cesse dans l’éternelle
question de l’Amour ! |
385 |
III, 3 |
Pour en finir avec l’amoureux de sa
nièce, elle l’accusa de viser à l’argent, et pria
même son mari d’en faire l’épreuve. M. Dambreuse
déclara donc au jeune homme que Cécile, étant
l’orpheline de parents pauvres, n’avait aucune
« espérance » ni dot. |
385 |
III, 3 |
Frédéric, le
lendemain, vint faire une visite à Mme Dambreuse.
Elle lui parut plus pâle que d’habitude. Elle le
contredit avec aigreur sur deux ou trois sujets
sans importance. Du reste, tous les hommes étaient
des égoïstes.
Il y en avait pourtant de dévoués, quand ce ne
serait que lui.
— Ah bah ! comme les autres !
Ses paupières étaient rouges ; elle pleurait.
Puis, en s’efforçant de sourire :
— Excusez-moi ! J’ai tort ! C’est une idée triste
qui m’est venue |
385 |
III, 3 |
— Vous êtes gai, dit Mme Dambreuse.
N’était-ce pas une folie, reprit-il, de considérer
tout sérieusement ? Il y avait bien assez de
misères sans s’en forger. Rien ne méritait la
peine d’une douleur. Mme Dambreuse leva les
sourcils, d’une manière de vague approbation. |
386 |
III, 3 |
— Oui ! vous me
faites peur ! Je vous offense, peut-être ?…
Pardon !… Je ne voulais pas dire tout cela ! Ce
n’est pas ma faute ! Vous êtes si belle !
Mme Dambreuse ferma les yeux, et il fut surpris
par la facilité de sa victoire. |
387 |
III, 3 |
— Ah ! très bien, reprit l’avocat,
en riant. Où dînes-tu donc ?
— Chez Mme Dambreuse.
— Est-ce que… par hasard… ce serait… ? |
388 |
III, 3 |
Frédéric promit
de le conduire chez le banquier avant trois jours.
Son repas en tête-à-tête avec Mme Dambreuse fut
une chose exquise. Elle souriait en face de lui,
de l’autre côté de la table, par-dessus des fleurs
dans une corbeille, à la lumière de la lampe
suspendue ; et, comme la fenêtre était ouverte, on
apercevait des étoiles. Ils causèrent fort peu, se
méfiant d’eux-mêmes, sans doute ; mais, dès que
les domestiques tournaient le dos, ils
s’envoyaient un baiser, du bout des lèvres. |
390 |
III, 3 |
Il dit son idée de candidature. Elle
l’approuva, s’engageant même à y faire travailler
M. Dambreuse. |
390 |
III, 3 |
Le diplomate ne
voulait pas s’en aller. Enfin, à minuit, il se
leva. Mme Dambreuse fit signe à Frédéric de partir
avec lui, et le remercia de cette obéissance par
une pression de main, plus suave que tout le
reste. |
390 |
III, 3 |
Deslauriers s’en revint chez
Frédéric et lui rapporta la conférence. De plus,
il avait vu Mme Dambreuse au bas de l’escalier,
comme il sortait.
— Je t’en fais mes compliments, saprelotte ! |
392 |
III, 4 |
L’avocat, sans le
moindre embarras, de lui-même, avait été la
montrer à Mme Dambreuse, qui, la trouvant fort
bien, s’était chargée du reste.
Cette démarche surprit Frédéric. Il l’approuva
cependant ; |
392 |
III, 4 |
Sa vie, maintenant, avait des
douceurs partout.
La plus exquise, peut-être, était de contempler
Mme Dambreuse, entre plusieurs personnes, dans son
salon. La convenance de ses manières le faisait
rêver à d’autres attitudes ; pendant qu’elle
causait d’un ton froid, il se rappelait ses
mots d’amour balbutiés ; tous les respects pour sa
vertu le délectaient comme un hommage retournant
vers lui ; et il avait parfois des envies de
s’écrier : « Mais je la connais mieux que vous !
Elle est à moi ! » |
393 |
III, 4 |
Leur liaison ne
tarda pas à être une chose convenue, acceptée.
Mme Dambreuse, durant tout l’hiver, traîna
Frédéric dans le monde.
Il arrivait presque toujours avant elle ; et il la
voyait entrer, les bras nus, l’éventail à la main,
des perles dans les cheveux. Elle s’arrêtait sur
le seuil, le linteau de la porte l’entourait comme
un cadre, et elle avait un léger mouvement
d’indécision, en clignant les paupières, pour
découvrir s’il était là. Elle le ramenait dans sa
voiture ; |
393 |
III, 4 |
C’était par ennui, surtout, que
Mme Dambreuse avait cédé. Mais cette dernière
épreuve ne devait pas être perdue. Elle voulait un
grand amour, et elle se mit à le combler
d’adulations et de caresses. |
393 |
III, 4 |
— Ah ! ça va
mieux ! Mais j’ai manqué faire le grand voyage !
— Pas sans moi ! s’écria Mme Dambreuse, notifiant
par ce mot qu’elle n’aurait pu lui survivre. |
395 |
III, 4 |
Frédéric voulut partir pour Nogent,
Mme Dambreuse s’y opposa ; et il défaisait et
refaisait tour à tour ses paquets, selon les
alternatives de la maladie. |
395 |
III, 4 |
Tout à coup, M.
Dambreuse cracha le sang abondamment. « Les
princes de la science », consultés, n’avisèrent à
rien de nouveau. Ses jambes enflaient, et la
faiblesse augmentait. Il avait témoigné plusieurs
fois le désir de voir Cécile, qui était à l’autre
bout de la France, avec son mari, nommé receveur
depuis un mois. Il ordonna expressément qu’on la
fît venir. Mme Dambreuse écrivit trois lettres, et
les lui montra. |
395 |
III, 4 |
La lumière des lampes, masquée par
des meubles, éclairait la chambre inégalement.
Frédéric et Mme Dambreuse, au pied de la couche,
observaient le moribond. Dans l’embrasure d’une
croisée, le prêtre et le médecin causaient à
demi-voix ; la bonne sœur, à genoux, marmottait
des prières. |
396 |
III, 4 |
Tous, pendant une
minute, restèrent immobiles.
Mme Dambreuse s’approcha ; et, sans effort, avec
la simplicité du devoir, elle lui ferma les
paupières.
Puis elle écarta les deux bras, en se tordant la
taille comme dans le spasme d’un désespoir
contenu, et sortit de l’appartement, appuyée sur
le médecin et la religieuse. |
396 |
III, 4 |
Mme Dambreuse était au coin de la
cheminée, debout. Sans lui supposer de violents
regrets, il la croyait un peu triste ; et, d’une
voix dolente :
— Tu souffres ?
— Moi ? Non, pas du tout. |
396 |
III, 4 |
Cette allusion à
l’aisance de leurs amours parut blesser
Mme Dambreuse.
— Eh ! tu ne sais pas les services que je lui
rendais, ni dans quelles angoisses j’ai vécu ! |
396 |
III, 4 |
— Pourquoi n’est-elle pas venue
voir son père ? dit Frédéric.
À cette question, Mme Dambreuse le considéra ;
puis, d’un ton sec :
— Je n’en sais rien ! Faute de cœur, sans doute !
Oh ! je la connais ! Aussi elle n’aura pas de moi
une obole ! |
397 |
III, 4 |
Elle n’était guère
gênante, du moins depuis son mariage.
— Ah ! son mariage ! fit en ricanant
Mme Dambreuse.
Et elle s’en voulait d’avoir trop bien traité
cette pécore-là, qui était jalouse, intéressée,
hypocrite. « Tous les défauts de son père ! » Elle
le dénigrait de plus en plus. |
397 |
III, 4 |
Il échappe des fautes, même aux
plus sages. Mme Dambreuse venait d’en faire une,
par ce débordement de haine. Frédéric, en face
d’elle, dans une bergère, réfléchissait,
scandalisé. |
397 |
III, 4 |
Voulait-on un
char avec galerie ou un char avec panaches, des
tresses aux chevaux, des aigrettes aux valets, des
initiales ou un blason, des lampes funèbres, un
homme pour porter les honneurs, et combien de
voitures ? Frédéric fut large ; Mme Dambreuse
tenait à ne rien ménager.
Puis il se rendit à l’église. |
399 |
III, 4 |
Les cartons, les tiroirs étaient
ouverts pêle-mêle, les livres de comptes jetés de
droite et de gauche ; un rouleau de paperasses
ayant pour titre : « Recouvrements désespérés »,
traînait par terre ; il manqua tomber dessus et le
ramassa. Mme Dambreuse disparaissait ensevelie
dans le grand fauteuil.
— Eh bien ? Où êtes-vous donc ? qu’y a-t-il ?
Elle se leva d’un bond.
Elle se leva d’un bond.
— Ce qu’il y a ? Je suis ruinée, ruinée !
entends-tu ? |
403 |
III, 4 |
M. Adolphe
Langlois, le notaire, l’avait fait venir en son
étude, et lui avait communiqué un testament écrit
par son mari, avant leur mariage. Il léguait tout
à Cécile ; et l’autre testament était perdu.
Frédéric devint très pâle. Sans doute elle avait
mal cherché ?
— Mais regarde donc ! dit Mme Dambreuse, en lui
montrant l’appartement. |
403 |
III, 4 |
Une mère en deuil n’est pas plus
lamentable près d’un berceau vide que ne l’était
Mme Dambreuse devant les coffres-forts béants.
Enfin, sa douleur, malgré la bassesse du motif,
semblait tellement profonde, qu’il tâcha de la
consoler, en lui disant qu’après tout, elle
n’était pas réduite à la misère. |
404 |
III, 4 |
Bien que ce fût
de l’opulence pour Frédéric, il n’en ressentait
pas moins une déception. Adieu ses rêves, et toute
la grande vie qu’il aurait menée ! L’honneur le
forçait à épouser Mme Dambreuse. Il réfléchit une
minute ; puis, d’un air tendre :
— J’aurai toujours ta personne !
Elle se jeta dans ses bras ; et il la serra contre
sa poitrine, avec un attendrissement où il y avait
un peu d’admiration pour lui-même. Mme Dambreuse,
dont les larmes ne coulaient plus, releva sa
figure, toute rayonnante de bonheur, et, lui
prenant la main :
— Ah ! je n’ai jamais douté de toi ! J’y
comptais ! |
404 |
III, 4 |
Le souvenir de Mme Dambreuse lui
revint. Il se reprocha comme une monstruosité de
trahir ce pauvre être, qui aimait et souffrait
dans toute la franchise de sa nature. Pendant
plusieurs jours, il lui tint compagnie jusqu’au
soir. |
406 |
III, 4 |
Frédéric porta sa
lettre à Mme Dambreuse.
— Tu n’as donc pas été à Nogent ? dit-elle.
— Pourquoi ?
— C’est que j’ai vu Deslauriers il y a trois
jours. |
406 |
III, 4 |
Mme Dambreuse voulut savoir l’emploi
de son temps depuis leur séparation.
— J’ai été malade, répondit-il. |
406 |
III, 4 |
Souvent, ils
manquaient le dernier départ. Alors, Mme Dambreuse
le grondait de son inexactitude. Il lui faisait
une histoire. |
407 |
III, 4 |
Il fit sortir la Maréchale et cacha
Mme Dambreuse, en disant que sa mère allait
arriver. |
407 |
III, 4 |
— Admire ma
confiance ! lui dit un jour Mme Dambreuse, en
dépliant un papier où on la prévenait que M.
Moreau vivait conjugalement avec une certaine Rose
Bron. |
408 |
III, 4 |
La lettre, écrite en caractères
romains, n’était pas signée. Mme Dambreuse, au
début, avait toléré cette maîtresse qui couvrait
leur adultère. |
408 |
III, 4 |
Elle avait une
façon de jouer du piano, correcte et dure. Son
spiritualisme (Mme Dambreuse croyait à la
transmigration des âmes dans les étoiles) ne
l’empêchait pas de tenir sa caisse admirablement.
Elle était hautaine avec ses gens ; ses yeux
restaient secs devant les haillons des pauvres. Un
égoïsme ingénu éclatait dans ses locutions
ordinaires : « Qu’est-ce que cela me fait ? je
serais bien bonne ! est-ce que j’ai besoin ! » et
mille petites actions inanalysables, odieuses.
Elle aurait écouté derrière les portes ; elle
devait mentir à son confesseur. Par esprit de
domination, elle voulut que Frédéric l’accompagnât
le dimanche à l’église. Il obéit, et porta le
livre. |
409 |
III, 4 |
Aux questions qu’on lui faisait sur
Frédéric, elle répondait d’un air narquois :
— Il va bien, très bien.
Elle savait son mariage avec Mme Dambreuse. |
419 |
III, 4 |
Une seule
personne pouvait l’aider, Mme Dambreuse. Elle
gardait toujours dans son secrétaire plusieurs
billets de banque. Il alla chez elle ; et, d’un
ton hardi :
— As-tu douze mille francs à me prêter ? |
423 |
III, 5 |
Et il se jeta à ses genoux, en la
suppliant de n’en rien dire.
— Quelle idée as-tu de moi ? reprit Mme Dambreuse.
On croirait que tu es le coupable. Finis donc tes
airs tragiques ! Tiens, les voilà ! et grand bien
lui fasse ! |
423 |
III, 5 |
Il la serra
contre son cœur, et tous deux sanglotaient en se
tenant embrassés.
Mme Dambreuse aussi pleurait, couchée sur son lit,
à plat ventre, la tête dans ses mains. |
427 |
III, 5 |
Ce ton de persiflage décontenança
Frédéric. Il éprouvait un grand remords de sa
calomnie. Ce qui le rassurait, c’est que
Mme Dambreuse ne pouvait connaître la vérité. |
427 |
III, 5 |
bien que le
capitaliste n’eût pas voulu en
poursuivre le recouvrement, il avait fait
prononcer par le Tribunal de commerce, non
seulement la condamnation d’Arnoux, mais celle de
sa femme, qui l’ignorait, son mari n’ayant pas
jugé convenable de l’en avertir.
C’était une arme, cela ! Mme Dambreuse n’en
doutait pas. Mais son notaire lui conseillerait
peut-être l’abstention ; elle eût préféré
quelqu’un d’obscur ; et elle s’était rappelé ce
grand diable, à mine impudente, qui lui avait
offert ses services. |
428 |
III, 5 |
Deslauriers comprit qu’il y avait
là-dessous un mystère ; il rêvait en considérant
les billets. Le nom de Mme Arnoux, tracé par
elle-même, lui remit devant les yeux toute sa
personne et l’outrage qu’il en avait reçu. Puisque
la vengeance s’offrait, pourquoi ne pas la
saisir ?
Il conseilla donc à Mme Dambreuse de faire vendre
aux enchères les créances désespérées qui
dépendaient de la succession. |
428 |
III, 5 |
Cependant,
Frédéric ne pouvait cacher sa tristesse.
Mme Dambreuse, pour l’en distraire sans doute,
redoublait d’attentions. Toutes les après-midi,
elle le promenait dans sa voiture ; et, une fois
qu’ils passaient sur la place de la Bourse, elle
eut l’idée d’entrer dans l’hôtel des
commissaires-priseurs, par amusement. |
431 |
III, 5 |
Dans la première salle, à droite,
des messieurs, un catalogue à la main, examinaient
des tableaux ; dans une autre, on vendait une
collection d’armes chinoises ; Mme Dambreuse
voulut descendre. Elle regardait les numéros
au-dessus des portes, et elle le mena jusqu’à
l’extrémité du corridor, vers une pièce encombrée
de monde. |
431 |
III, 5 |
L’atmosphère de la
salle, toute chargée d’haleines, l’écœurait.
Mme Dambreuse lui offrit son flacon ; elle se
divertissait beaucoup, disait-elle.
On exhiba les meubles de la chambre à coucher. |
432 |
III, 5 |
Il pâlit de colère. Elle regarda la
femme qui l’accompagnait.
Mme Dambreuse l’avait reconnue ; et, pendant une
minute, elles se considérèrent de haut en bas,
scrupuleusement, afin de découvrir le défaut, la
tare, l’une enviant peut-être la jeunesse de
l’autre, et celle-ci dépitée par l’extrême bon
ton, la simplicité aristocratique de sa rivale.
Enfin, Mme Dambreuse détourna la tête, avec un
sourire d’une insolence inexprimable. |
432 |
III, 5 |
Le crieur avait
ouvert un piano, son piano ! Tout en restant
debout, il fit une gamme de la main droite, et
annonça l’instrument pour douze cents francs, puis
se rabattit à mille, à huit cents, à sept cents.
Mme Dambreuse, d’un ton folâtre, se moquait du
sabot. |
433 |
III, 5 |
On posa devant les brocanteurs un
petit coffret avec des médaillons, des angles et
des fermoirs d’argent, le même qu’il avait vu au
premier dîner dans la rue de Choiseul, qui ensuite
avait été chez Rosanette, était revenu chez
Mme Arnoux ; souvent, pendant leurs conversations,
ses yeux le rencontraient ; il était lié à ses
souvenirs les plus chers, et son âme se fondait
d’attendrissement, quand Mme Dambreuse dit tout à
coup :
— Tiens ! je vais l’acheter. |
433 |
III, 5 |
Le
commissaire-priseur continuait.
— Allons, allons, messieurs, neuf cent
trente ! Y a-t-il marchand à neuf cent trente ?
Mme Dambreuse, qui était arrivée sur le seuil,
s’arrêta ; et, d’une voix haute :
— Mille francs !
Il y eut un frisson dans le public, un
silence. |
434 |
III, 5 |
Frédéric sentit un grand froid lui
traverser le cœur.
Mme Dambreuse n’avait pas quitté son bras ;
et elle n’osa le regarder en face jusque dans la
rue, où l’attendait sa voiture.
Elle s’y jeta comme un voleur qui s’échappe, et,
quand elle fut assise, se retourna vers Frédéric.
Il avait son chapeau à la main.
— Vous ne montez pas ?
— Non, madame !
Et, la saluant froidement, il ferma la
portière, puis fit signe au cocher de partir. |
434 |
III, 5 |
Il écrivit à des
fournisseurs pour décommander plusieurs emplettes
relatives à son mariage, qui lui apparaissait
maintenant comme une spéculation un peu ignoble ;
et il exécrait Mme Dambreuse parce qu’il avait
manqué, à cause d’elle, commettre une bassesse. |
434 |
III, 5 |
Vers le commencement de cet hiver,
Frédéric et Deslauriers causaient au coin du feu,
réconciliés encore une fois, par la fatalité de
leur nature qui les faisait toujours se rejoindre
et s’aimer.
L’un expliqua sommairement sa brouille avec
Mme Dambreuse, laquelle s’était remariée à un
Anglais. |
442 |
III, 7 |
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Nicole Sibireff
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