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Extraits de l'œuvre |
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Chapitre |
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Delmas,
« chanteur expressif », était trop malin pour le
laisser refroidir. On lui passa vivement une
guitare, et il gémit une romance intitulée le Frère
de l’Albanaise. |
106 |
I, 5 |
— Très bien ! dit
Arnoux. Je comprends pourquoi vous êtes ce soir à
l’Alhambra ! Delmas vous plaît, ma chère.
Elle ne voulut rien avouer.
— Ah ! quelle pudeur ! |
106 |
I, 5 |
Puis
on causa de Delmas, qui pourrait, comme mime,
avoir des succès au théâtre. |
106 |
I, 5 |
Derrière son dos
marchait un grand garçon, dans le costume
classique du Dante, et qui était (elle ne s’en
cachait plus, maintenant) l’ancien chanteur de
l’Alhambra, lequel, s’appelant Auguste Delamare,
s’était fait appeler primitivement Anténor
Dellamarre, puis Delmas, puis Belmar, et enfin
Delmar, modifiant ainsi et perfectionnant son nom,
d’après sa gloire croissante ; car il avait quitté
le bastringue pour le théâtre, et venait même de
débuter bruyamment à l’Ambigu, dans Gaspardo
le Pêcheur. |
152 |
II, 1 |
Hussonnet,
en l’apercevant, se renfrogna. Depuis qu’on avait
refusé sa pièce, il exécrait les comédiens. On
n’imaginait pas la vanité de ces messieurs, de
celui-là surtout !
— Quel poseur, voyez donc !
Après un léger salut à Rosanette, Delmar
s’était adossé à la cheminée ; et il restait
immobile, une main sur le cœur, le pied gauche en
avant, les yeux au ciel, avec sa couronne de
lauriers dorés par-dessus son capuchon, tout en
s’efforçant de mettre dans son regard beaucoup de
poésie, pour fasciner les dames. On faisait, de
loin, un grand cercle autour de lui. |
152 |
II, 1 |
il se porta vers
l’autre coin de la cheminée, où Rosanette et
Delmar causaient ensemble.
Le cabotin avait une mine vulgaire, faite
comme les décors de théâtre pour être contemplée à
distance, des mains épaisses, de grands pieds, une
mâchoire lourde ; et il dénigrait les acteurs les
plus illustres, traitait de haut les poètes,
disait : « mon organe, mon physique, mes moyens »,
en émaillant son discours de mots peu
intelligibles pour lui-même, et qu’il
affectionnait, tels que « morbidezza, analogue et
homogénéité ». |
152-153 |
II, 1 |
Rosanette
l’écoutait avec de petits mouvements de tête
approbatifs. On voyait l’admiration s’épanouir
sous le fard de ses joues, et quelque chose
d’humide passait comme un voile sur ses yeux
clairs, d’une indéfinissable couleur. Comment un
pareil homme pouvait-il la charmer ? |
153 |
II, 1 |
En entrant dans la
serre, il vit, sous les larges feuilles d’un
caladium, près le jet d’eau, Delmar, couché à plat
ventre sur le canapé de toile ; Rosanette, assise
près de lui, avait la main passée dans ses
cheveux ; et ils se regardaient. Au même moment,
Arnoux entra par l’autre côté, celui de la
volière. Delmar se leva d’un bond, puis il sortit
à pas tranquilles sans se retourner ; et même, il
s’arrêta près de la porte, pour cueillir une fleur
d’hibiscus dont il garnit sa boutonnière.
Rosanette pencha le visage ; Frédéric, qui la
voyait de profil, s’aperçut qu’elle pleurait.
— Tiens ! qu’as-tu donc ? dit Arnoux. |
153-154 |
II, 1 |
On se
lançait de loin une orange, un bouchon ; on
quittait sa place pour causer avec quelqu’un.
Souvent Rosanette se tournait vers Delmar,
immobile derrière elle ; |
154 |
II, 1 |
La Vatnaz exhiba un
vieux coupon de soie rose qu’elle avait acheté au
Temple pour faire un pourpoint moyen âge à Delmar.
— Il est venu aujourd’hui, n’est-ce pas ?
— Non !
— C’est singulier |
163 |
II, 2 |
Le
lendemain, Frédéric se présenta chez elle. Bien
qu’il fût deux heures, la Maréchale était encore
couchée ; et, à son chevet, Delmar, installé
devant un guéridon, finissait une tranche de foie
gras. |
177 |
II, 2 |
Dès que Frédéric
entrait, elle montait debout sur un coussin, pour
qu’il l’embrassât mieux, l’appelait un mignon, un
chéri, mettait une fleur à sa boutonnière,
arrangeait sa cravate ; ces gentillesses
redoublaient toujours lorsque Delmar se trouvait
là.
Étaient-ce des avances ? Frédéric le crut. |
177 |
II, 2 |
Elle
l’emmena dans la rue. Elle haletait. Il sentait
son bras maigre trembler sur le sien. Tout à coup
elle éclata.
— Ah ! le misérable !
— Qui donc ?
— Mais c’est lui ! lui ! Delmar !
Cette révélation humilia Frédéric ; il
reprit :
— En êtes-vous bien sûre ?
Mais quand je vous dis que je l’ai suivi ! s’écria
la Vatnaz ; je l’ai vu entrer ! Comprenez-vous
maintenant ? Je devais m’y attendre, d’ailleurs ;
c’est moi, dans ma bêtise, qui l’ai mené chez
elle. Et si vous saviez, mon Dieu ! Je l’ai
recueilli, je l’ai nourri, je l’ai habillé ; et
toutes mes démarches dans les journaux ! Je
l’aimais comme une mère ! |
192 |
II, 2 |
Nous y voilà, dit-elle.
Moi, je ne peux pas monter. Mais vous, rien ne
vous empêche.
— Pour quoi faire ?
— Pour lui dire tout, parbleu ! |
193 |
II, 2 |
Est-ce
que je suis une fille, moi ! Est-ce que je me
vends ! Sans compter qu’elle est bête comme un
chou ! Elle écrit catégorie par un th. Au
reste, ils vont bien ensemble ; ça fait la paire,
quoiqu’il s’intitule artiste et se croie du
génie ! Mais, mon Dieu ! s’il avait seulement de
l’intelligence, il n’aurait pas commis une infamie
pareille ! On ne quitte pas une femme supérieure
pour une coquine ! Je m’en moque, après tout. Il
devient laid ! Je l’exècre ! Si je le rencontrais,
tenez, je lui cracherais à la figure.
Elle cracha.
— Oui, voilà le cas que j’en fais maintenant !
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Delmar se trouvait là.
Un drame, où il avait représenté un manant qui
fait la leçon à Louis XIV et prophétise 89,
l’avait mis en telle évidence, qu’on lui
fabriquait sans cesse le même rôle ; et sa
fonction, maintenant, consistait à bafouer les
monarques de tous les pays. Brasseur anglais, il
invectivait Charles Ier ; étudiant de Salamanque,
maudissait Philippe II ; ou, père sensible,
s’indignait contre la Pompadour, c’était le plus
beau ! Les gamins, pour le voir, l’attendaient à
la porte des coulisses ; et sa biographie, vendue
dans les entr’actes, le
dépeignait comme soignant sa vieille mère, lisant
l’Évangile, assistant les pauvres, enfin sous les
couleurs d’un saint Vincent de Paul mélangé de
Brutus et de Mirabeau. On disait : « Notre
Delmar. » Il avait une mission, il devenait
Christ. |
202-203 |
II, 3 |
Tout cela avait fasciné Rosanette ; et elle
s’était débarrassée du père Oudry, sans se soucier
de rien, n’étant pas cupide. |
203 |
II, 3 |
À propos, voyez-vous
toujours… comment donc l’appelez-vous ?… cet
ancien chanteur… Delmar ?
Elle répliqua, sèchement :
— Non ! c’est fini !
Ainsi, leur rupture était certaine. Frédéric
en conçut de l’espoir. |
230 |
II, 4 |
Elle
lui dit d’une voix onctueuse, en tirant de son
porte-monnaie trois carrés de papier :
— Vous allez me prendre ça !
C’était trois places pour une représentation
au bénéfice de Delmar.
— Comment ! lui ?
— Certainement !
Mlle Vatnaz, sans s’expliquer davantage,
ajouta qu’elle l’adorait plus que jamais. |
280-281 |
II, 6 |
Le comédien, à l’en
croire, se classait définitivement parmi « les
sommités de l’époque ». Et ce n’était pas tel ou
tel personnage qu’il représentait, mais le génie
même de la France, le Peuple ! Il avait « l’âme
humanitaire ; il comprenait le sacerdoce de
l’Art » ! Frédéric, pour se délivrer de ces
éloges, lui donna l’argent des trois places. |
281 |
II, 6 |
Frédéric
arriva fort content de sa personne chez
Rosanette. Delmar y était, et lui apprit que
« définitivement » il se portait comme candidat
aux élections de la Seine. Dans une affiche
adressée « au Peuple » et où il le tutoyait,
l’acteur se vantait de le comprendre, « lui », et
de s’être fait, pour son salut, « crucifier par
l’Art », si bien qu’il était son
incarnation, son idéal ; croyant effectivement
avoir sur les masses une influence énorme, jusqu’à
proposer plus tard dans un bureau de ministère de
réduire une émeute à lui seul ; et, quant aux
moyens qu’il emploierait, il fit cette réponse :
— N’ayez pas peur ! Je leur montrerai ma
tête !
Frédéric, pour le mortifier, lui notifia sa propre
candidature. Le cabotin, du moment que son futur
collègue visait la province, se déclara son
serviteur et offrit de le piloter dans les clubs. |
323-324 |
III, 1 |
Delmar ne ratait pas
les occasions d’empoigner la parole ; et, quand il
ne trouvait plus rien à dire, sa ressource était
de se camper le poing sur la hanche, l’autre bras
dans le gilet, en se tournant de profil,
brusquement, de manière à bien montrer sa tête.
Alors des applaudissements éclataient, ceux
de Mlle Vatnaz au fond de la salle. |
324 |
III, 1 |
Frédéric
eut soin de se mettre entre Dussardier et
Regimbart, qui, à peine assis, posa ses deux mains
sur sa canne, son menton sur ses deux mains et
ferma les paupières, tandis qu’à l’autre extrémité
de la salle, Delmar, debout, dominait l’assemblée. |
325 |
III, 1 |
On tire de nous des
contributions pour solder le libertinage ! Ainsi,
les forts appointements d’acteur…
— À moi ! s’écria Delmar.
Il bondit à la tribune, écarta tout le monde,
prit sa pose ; et, déclarant qu’il méprisait
d’aussi plates accusations, s’étendit sur la
mission civilisatrice du comédien. Puisque le
théâtre était le foyer de l’instruction nationale,
il votait pour la réforme du théâtre ; et,
d’abord, plus de directions, plus de privilèges !
— Oui ! d’aucune sorte !
Le jeu de l’acteur échauffait la multitude, et
des motions subversives se croisaient. |
329 |
III, 1 |
Eh
non ! elle s’en moquait bien ! À tout compter,
l’autre lui devait de l’argent, peut-être ?
C’était le mouton d’or, un cadeau ; et, au milieu
de ses pleurs, le nom de Delmar lui échappa. Donc,
elle aimait le cabotin !
« Alors, pourquoi m’a-t-elle pris ? se demanda
Frédéric. D’où vient qu’il est revenu ? Qui la
force à me garder ? Quel est le sens de tout
cela ? » |
334 |
III, 1 |
Il ouvrit une porte et
tomba au milieu d’un raout. Debout,
devant le piano que touchait une demoiselle en
lunettes, Delmar, sérieux comme un pontife,
déclamait une poésie humanitaire sur la
prostitution et sa voix caverneuse roulait,
soutenue par les accords plaqués. |
381 |
III, 3 |
Dussardier
était à l’autre bout, en face ; il avait l’air un
peu embarrassé de sa position. D’ailleurs, ce
milieu artistique l’intimidait.
La Vatnaz en avait-elle fini avec Delmar ?
non, peut-être. Cependant, elle semblait jalouse
du brave commis. |
381 |
III, 3 |
Elle se jeta dessus
avec un appétit d’ogresse ; et elle en avait
abandonné la littérature, le socialisme, « les
doctrines consolantes et les utopies généreuses »,
le cours qu’elle professait sur la Désubalternisation
de la femme, tout, Delmar lui-même ; enfin,
elle offrit à Dussa
rdier de s’unir par un mariage. |
416 |
III, 4 |
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Danielle Girard
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