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Extraits de l'œuvre |
Édition |
Chapitre |
Mme Dambreuse les
recevait tous avec grâce. Dès qu’on parlait d’un
malade, elle fronçait les sourcils
douloureusement, et prenait un air joyeux s’il
était question de bals ou de soirées. Elle serait
bientôt contrainte de s’en priver, car elle allait
faire sortir de pension une nièce de son mari, une
orpheline. On exalta son dévouement ; c’était se
conduire en véritable mère de famille. |
160 |
II,
2 |
Il regardait
cependant Mme Dambreuse, et il la trouvait
charmante, malgré sa bouche un peu longue et ses
narines trop ouvertes. Mais sa grâce était
particulière. Les boucles de sa chevelure avaient
comme une langueur passionnée, et son front
couleur d’agate semblait contenir beaucoup de
choses et dénotait un maître.
Elle avait mis près d’elle la nièce de son mari,
jeune personne assez laide |
189 |
II,
2 |
Le banquier
déjeunait en face de sa femme. Sa nièce était près
d’elle, et de l’autre côté l’institutrice, une
Anglaise, fortement marquée de petite vérole. |
215 |
II,
3 |
Madame remarqua son embarras.
— Voyez-vous quelquefois notre ami Martinon ?
— Il viendra ce soir, dit vivement la jeune fille.
— Ah ! tu le sais ? répliqua sa tante, en arrêtant
sur elle un regard froid.
Puis, un des valets s’étant penché à son oreille :
— Ta couturière, mon enfant !… miss John !
Et l’institutrice, obéissante, disparut avec son
élève. |
216 |
II,
3 |
Mlle Cécile, la
nièce de M. Dambreuse, qui se brodait une paire de
manchettes, le regardait, en dessous, avec ses
prunelles d’un bleu pâle ; et miss John,
l’institutrice à nez camus, en avait lâché sa
tapisserie ; toutes deux paraissaient s’écrier
intérieurement : « Qu’il est beau ! » |
262 |
II,
4 |
Martinon arriva au même moment. Ils
passèrent dans le cabinet ; et Frédéric tirait un
papier de sa poche, quand Mlle Cécile, entrant
tout à coup, articula d’un air ingénu :
— Ma tante est-elle ici ?
— Tu sais bien que non, répliqua le banquier.
N’importe ! faites comme chez vous, mademoiselle.
— Oh ! merci ! je m’en vais.
À peine sortie, Martinon eut l’air de chercher son
mouchoir.
— Je l’ai oublié dans mon paletot, excusez-moi !
— Bien ! dit M. Dambreuse.
Évidemment, il n’était pas dupe de cette manœuvre,
et même semblait la favoriser. Pourquoi ? Mais
bientôt Martinon reparut, |
322 |
III,
1 |
C’était un
mouvement, un spectacle des plus drôles.
— Comme tout cela, dit Martinon, aurait
amusé Mlle Cécile !
— Ma femme, vous savez bien, n’aime pas que ma
nièce vienne avec nous, reprit en souriant M.
Dambreuse. |
340 |
III,
1 |
Madame Dambreuse, dans son boudoir, entre sa
nièce et miss John, écoutait parler M. Roque,
contant ses fatigues militaires.
Elle se mordait les lèvres, semblait
souffrir.
— Oh ! ce n’est rien ! ça se passera !
Et, d’un air gracieux : |
361 |
III,
2 |
— Nous aurons
à dîner une de vos connaissances, M. Moreau.
Louise tressaillit.
— Puis seulement quelques intimes, Alfred de
Cisy, entre autres.Puis seulement quelques
intimes, Alfred de Cisy, entre autres.
Et elle vanta ses manières, sa figure, et
principalement ses mœurs.
Mme Dambreuse mentait moins qu’elle ne croyait ;
le vicomte rêvait le mariage. Il l’avait dit à
Martinon, ajoutant qu’il était sûr de plaire
à Mlle Cécile et que ses parents l’accepteraient. |
361 |
III,
2 |
Pour risquer une telle confidence, il devait
avoir sur la dot des renseignements avantageux.
Or Martinon soupçonnait Cécile d’être la fille
naturelle de M. Dambreuse ; et il eût été,
probablement, très fort de demander sa main à
tout hasard. Cette audace offrait des dangers ;
aussi Martinon, jusqu’à présent, s’était conduit
de manière à ne pas se compromettre ;
d’ailleurs, il ne savait comment se débarrasser
de la tante. Le mot de Cisy le détermina ; et il
avait fait sa requête au banquier, lequel, n’y
voyant pas d’obstacle, venait d’en
prévenir Mme Dambreuse.
Cisy parut. Elle se leva, dit :
— Vous nous oubliez… Cécile, shake hands ! |
361 |
III,
2 |
Le maître d’hôtel
vint annoncer que Madame était servie. D’un
regard, elle ordonna au vicomte de prendre le bras
de Cécile, dit tout bas à Martinon :
« Misérable ! », et on passa dans la salle à
manger. |
363 |
III,
2 |
Grâce à Martinon, qui lui avait
enlevé sa place pour se mettre auprès de Cécile,
Frédéric se trouvait à côté de Mme Arnoux. |
363 |
III,
2 |
le vicomte se
torturait l’intellect afin de
conquérir Mlle Cécile. D’abord, il étala des goûts
d’artiste, en blâmant la forme des carafons et la
gravure des couteaux. Puis il parla de son écurie,
de son tailleur et de son chemisier ; enfin, il
aborda le chapitre de la religion et trouva moyen
de faire entendre qu’il accomplissait tous ses
devoirs.
Martinon s’y prenait mieux. D’un train monotone,
et en la regardant continuellement, il vantait son
profil d’oiseau, sa fade chevelure blonde, ses
mains trop courtes. La laide jeune fille se
délectait sous cette averse de douceurs. |
364-365 |
III,
2 |
Martinon n’attendit pas les
questions de Cécile. Il lui apprit que cette
affaire concernait une personne inqualifiable. La
jeune fille se recula légèrement sur sa chaise,
comme pour fuir le contact de ce libertin. |
365 |
III,
2 |
comme tout le
monde s’en allait, le vicomte s’inclina très bas
devant Cécile :
— Mademoiselle, j’ai bien l’honneur de vous
souhaiter le bonsoir.
Elle répondit d’un ton sec :
— Bonsoir !
Mais elle envoya un sourire à Martinon. |
370 |
III,
2 |
Mais pourquoi ses manières envers sa
nièce avaient-elles tant de froideur ? Elle lui
lançait même, par moments, de singuliers coups
d’œil.
Dès qu’il fut question de mariage, elle avait
objecté à M. Dambreuse la santé de la « chère
enfant », et l’avait emmenée tout de suite aux
bains de Balaruc. À son retour, des prétextes
nouveaux avaient surgi : le jeune homme manquait
de position, ce grand amour ne paraissait pas
sérieux, on ne risquait rien d’attendre. Martinon
avait répondu qu’il attendrait. Sa conduite fut
sublime. Il prôna Frédéric. Il fit plus : il le
renseigna sur les moyens de plaire
à Mme Dambreuse, laissant même entrevoir qu’il
connaissait, par la nièce, les sentiments de la
tante. |
382 |
III,
3 |
Pour en finir avec
l’amoureux de sa nièce, elle l’accusa de viser à
l’argent, et pria même son mari d’en faire
l’épreuve. M. Dambreuse déclara donc au jeune
homme que Cécile, étant l’orpheline de parents
pauvres, n’avait aucune « espérance » ni dot. |
385 |
III,
3 |
Martinon, ne croyant pas que cela
fût vrai, ou trop avancé pour se dédire, ou par un
de ces entêtements d’idiot qui sont des actes de
génie, répondit que son patrimoine, quinze mille
livres de rente, leur suffirait. Ce
désintéressement imprévu toucha le banquier. Il
lui promit un cautionnement de receveur, en
s’engageant à obtenir la place ; et, au mois de
mai 1850, Martinon épousa Mlle Cécile. Il n’y eut
pas de bal. Les jeunes gens partirent le soir même
pour l’Italie. |
385 |
III,
3 |
Frédéric, le
lendemain, vint faire une visite à Mme Dambreuse.
Elle lui parut plus pâle que d’habitude. Elle le
contredit avec aigreur sur deux ou trois sujets
sans importance. Du reste, tous les hommes étaient
des égoïstes.
Il y en avait pourtant de dévoués, quand ce ne
serait que lui.
— Ah bah ! comme les autres !
Ses paupières étaient rouges ; elle pleurait.
Puis, en s’efforçant de sourire :
— Excusez-moi ! J’ai tort ! C’est une idée triste
qui m’est venue
Il n’y comprenait rien. |
385-386 |
III,
3 |
Le soir, quelques amis se
présentèrent pour la féliciter et pour la
plaindre ; elle devait être si chagrine de n’avoir
plus sa nièce ? C’était fort bien, d’ailleurs, aux
jeunes mariés de s’être mis en voyage ; plus tard,
les embarras, les enfants surviennent ! Mais
l’Italie ne répondait pas à l’idée qu’on s’en
faisait. Après cela, ils étaient dans l’âge des
illusions ! et puis la lune de miel embellissait
tout ! |
390 |
III,
3 |
Tout à coup, M. Dambreuse
cracha le sang abondamment. « Les princes de la
science », consultés, n’avisèrent à rien de
nouveau. Ses jambes enflaient, et la faiblesse
augmentait. Il avait témoigné plusieurs fois le
désir de voir Cécile, qui était à l’autre bout de
la France, avec son mari, nommé receveur depuis un
mois. Il ordonna expressément qu’on la fît
venir. Mme Dambreuse écrivit trois lettres, et les
lui montra. |
394 |
III, 4 |
Cette allusion à l’aisance de leurs amours parut blesser Mme Dambreuse.
— Eh ! tu ne sais pas les services que je lui rendais, ni dans quelles angoisses j’ai vécu !
— Comment ?
— Mais oui ! Était-ce une sécurité que d’avoir toujours près de soi cette bâtarde, une enfant introduite dans la maison au bout de cinq ans de ménage, et qui, sans moi, bien sûr, l’aurait amené à quelque sottise ? |
397 |
III,
4 |
Mais, peu de temps après, il avait fait un
testament où il lui donnait toute sa fortune ;
et elle l’évaluait, autant qu’il était possible
de le savoir maintenant, à plus de trois
millions.
Frédéric ouvrit de grands yeux.
— Ça en valait la peine, n’est-ce pas ? J’y
ai contribué, du reste ! C’était mon bien que je
défendais ; Cécile m’aurait dépouillée,
injustement.
— Pourquoi n’est-elle pas venue voir son père ?
dit Frédéric.
À cette question, Mme Dambreuse le considéra ;
puis, d’un ton sec :
— Je n’en sais rien ! Faute de cœur, sans
doute ! Oh ! je la connais ! Aussi elle n’aura
pas de moi une obole !
Elle n’était guère gênante, du moins depuis son
mariage.
— Ah ! son mariage ! fit en ricanant Mme
Dambreuse.
Et elle s’en voulait d’avoir trop bien traité
cette pécore-là, qui était jalouse, intéressée,
hypocrite. |
397 |
III,
4 |
M. Adolphe
Langlois, le notaire, l’avait fait venir en son
étude, et lui avait communiqué un testament écrit
par son mari, avant leur mariage. Il léguait tout
à Cécile ; et l’autre testament était perdu. |
403 |
III,
4 |
Elle le prévint que la succession
appartenait à sa nièce, motif de plus pour
liquider ces créances qu’elle rembourserait,
tenant à accabler les époux Martinon des meilleurs
procédés.
Deslauriers comprit qu’il y avait là-dessous
un mystère ; il rêvait en considérant les billets.
Le nom de Mme Arnoux, tracé par elle-même, lui
remit devant les yeux toute sa personne et
l’outrage qu’il en avait reçu. Puisque la
vengeance s’offrait, pourquoi ne pas la saisir ? |
428 |
III,
5 |
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Nicole Sibireff
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