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L'Éducation sentimentale
Rosanette et l'argent

Son désir d'être riche – Sa gestion désordonnée de l'argent – Sa situation précaire
Ses contentieux avec Arnoux et avec la Vatnaz
 

     
Extraits de l’œuvre Édition Chapitre
Delphine parut. Elle la gronda pour être sortie sans sa permission. L’autre jura qu’elle « rentrait du marché ».
    — Eh bien, apportez-moi votre livre ! — Vous permettez, n’est-ce pas ?
    Et, lisant à demi-voix le cahier, Rosanette faisait des observations sur chaque article. L’addition était fausse.
    — Rendez-moi quatre sous !
    Delphine les rendit, et, quand elle l’eut congédiée
    — Ah ! Sainte-Vierge ! est-on assez malheureux avec ces gens-là !
    Frédéric fut choqué de cette récrimination. Elle lui rappelait trop les autres, et établissait entre les deux maisons une sorte d’égalité fâcheuse.
162 II, 2
 Tout à coup, elle poussa un cri de joie à la vue de Mlle Vatnaz.
    La femme artiste n’avait pas de temps à perdre, devant, à six heures juste, présider sa table d’hôte ; et elle haletait, n’en pouvant plus. D’abord, elle retira de son cabas une chaîne de montre avec un papier, puis différents objets, des acquisitions.
    — Tu sauras qu’il y a, rue Joubert, des gants de Suède à trente-six sous, magnifiques ! Ton teinturier demande encore huit jours. Pour la guipure, j’ai dit qu’on repasserait. Bugneaux a reçu l’acompte. Voilà tout, il me semble ? C’est cent quatre-vingt-cinq francs que tu me dois !
    Rosanette alla prendre dans un tiroir dix napoléons. Aucune des deux n’avait de monnaie, Frédéric en offrit.
163 II, 2
   Incapable de résister à une envie, elle s’engouait d’un bibelot qu’elle avait vu, n’en dormait pas, courait l’acheter, le troquait contre un autre, et gâchait les étoffes, perdait ses bijoux, gaspillait l’argent, aurait vendu sa chemise pour une loge d’avant-scène. 173 II, 2
    — Je lui demande bien peu de chose, pourtant, et il ne veut pas, l’animal ! Il ne veut pas ! Quant à ses promesses, oh ! c’est différent.
    Il lui avait même promis un quart de ses bénéfices dans les fameuses mines de kaolin ; aucun bénéfice ne se montrait, pas plus que le cachemire dont il la leurrait depuis six mois.
175 II, 2
Il lui représenta tous ses torts à son endroit, conta les vagues menaces de l’autre jour, et même parla du cachemire, sans taire qu’elle l’accusait d’avarice.
    Arnoux, piqué du mot (et, d’ailleurs, concevant des inquiétudes), apporta le cachemire à Rosanette, mais la gronda de s’être plainte à Frédéric ; comme elle disait lui avoir cent fois rappelé sa promesse, il prétendit qu’il ne s’en était pas souvenu, ayant trop d’occupations.
177 II, 2
Quand il eut jeté devant Rosanette une douzaine de gros sous, il lui fit prendre sa pose.
    — Imaginez-vous que ces choses-là sont des richesses, des présents splendides. La tête un peu à droite ! Parfait ! et ne bougez plus ! Cette attitude majestueuse va bien à votre genre de beauté.
    Elle avait une robe écossaise avec un gros manchon et se retenait pour ne pas rire.
180 II, 2
    Ils se remirent en marche ; dans la rue de la Paix, elle s’arrêta, devant la boutique d’un orfèvre, à considérer un bracelet ; Frédéric voulut lui en faire cadeau.
    — Non, dit-elle, garde ton argent.
    Il fut blessé de cette parole.
    — Qu’a donc le mimi ? On est triste ?
    Et, la conversation s’étant renouée, il en vint, comme d’habitude, à des protestations d’amour.
181 II, 2
Les flatteries de Pellerin lui revenant sans doute à la mémoire, elle poussa un soupir.
    — Ah ! il y en a qui sont heureuses ! Je suis faite pour un homme riche, décidément.
    Il répliqua d’un ton brutal :
    — Vous en avez un, cependant ! — car M. Oudry passait pour trois fois millionnaire.
    Elle ne demandait pas mieux que de s’en débarrasser.
    — Qui vous en empêche ?
    Et il exhala d’amères plaisanteries sur ce vieux bourgeois à perruque, lui montrant qu’une pareille liaison était indigne, et qu’elle devait la rompre !
    — Oui, répondit la Maréchale, comme se parlant à elle-même. C’est ce que je finirai par faire, sans doute !
181-182 II, 2
On disait : « Notre Delmar. » Il avait une mission, il devenait Christ.
    Tout cela avait fasciné Rosanette ; et elle s’était débarrassée du père Oudry, sans se soucier de rien, n’étant pas cupide.
203 II, 3
    Arnoux, qui la connaissait, en avait profité pendant longtemps pour l’entretenir à peu de frais ; le bonhomme était venu, et ils avaient eu soin, tous les trois, de ne point s’expliquer franchement. Puis, s’imaginant qu’elle congédiait l’autre pour lui seul, Arnoux avait augmenté sa pension. Mais ses demandes se renouvelaient avec une fréquence inexplicable, car elle menait un train moins dispendieux ; elle avait même vendu jusqu’au cachemire, tenant à s’acquitter de ses vieilles dettes, disait-elle ; et il donnait toujours, elle l’ensorcelait, elle abusait de lui, sans pitié. Aussi les factures, les papiers timbrés pleuvaient dans la maison. 203 II, 3
    — Quels amours de petits doigts ! dit Frédéric, en lui prenant doucement l’autre main, la gauche, ornée d’un bracelet d’or, en forme de gourmette. Tiens, c’est mignon ; d’où cela vient-il ?
    — Oh ! il y a longtemps que je l’ai, dit la Maréchale.
    Le jeune homme n’objecta rien à cette réponse hypocrite.
230 II, 4
Frédéric, pour lui être désagréable, s’entêta à le contredire. Il soutint que Mme Dambreuse s’appelait de Boutron, certifiait sa noblesse.
    — N’importe ! je voudrais bien avoir son équipage ! dit la Maréchale, en se renversant sur le fauteuil.
    Et la manche de sa robe, glissant un peu, découvrit, à son poignet gauche, un bracelet orné de trois opales.
    Frédéric l’aperçut.
    — Tiens ! mais…
    Ils se considérèrent tous les trois, et rougirent.
239 II, 4
Ce qu’il ne disait point, c’est qu’il avait réclamé d’elle mille écus. Or la Maréchale s’était peu souciée de savoir qui payerait, et, préférant tirer d’Arnoux des choses plus urgentes, ne lui en avait même pas parlé.
— Eh bien, et Arnoux ? dit Frédéric.
    Elle l’avait relancé vers lui. L’ancien marchand de tableaux n’avait que faire du portrait.
    — Il soutient que ça appartient à Rosanette.
    — En effet, c’est à elle.
    — Comment ! c’est elle qui m’envoie vers vous ! répliqua Pellerin.
242 II, 4
Frédéric, lorsqu’il revint, trouva chez sa mère trois lettres.
    La première était un billet de M. Dambreuse l’invitant à dîner pour le mardi précédent. À propos de quoi cette politesse ? On lui avait donc pardonné son incartade ?
    La seconde était de Rosanette. Elle le remerciait d’avoir risqué sa vie pour elle ; Frédéric ne comprit pas d’abord ce qu’elle voulait dire ; enfin, après beaucoup d’ambages, elle implorait de lui, en invoquant son amitié, se fiant à sa délicatesse, à deux genoux, disait-elle, vu la nécessité pressante, et comme on demande du pain, un petit secours de cinq cents francs. Il se décida tout de suite à les fournir.
277-278 II, 5
Rosanette parut, habillée d’une veste de satin rose, avec un pantalon de cachemire blanc, un collier de piastres, et une calotte rouge entourée d’une branche de jasmin.
    Frédéric fit un mouvement de surprise ; puis dit qu’il apportait « la chose en question », en lui présentant le billet de banque.
    Elle le regarda fort ébahie ; et, comme il avait toujours le billet à la main, sans savoir où le poser :
    — Prenez-le donc !
    Elle le saisit ; puis, l’ayant jeté sur le divan :
    — Vous êtes bien aimable.
    C’était pour solder un terrain à Bellevue, qu’elle payait ainsi par annuités. Un tel sans-façon blessa Frédéric. Du reste, tant mieux ! cela le vengeait du passé.
282 II, 6
    Elle voulut connaître ses relations, ses amusements ; elle arriva même à s’informer de ses affaires, et à offrir de lui prêter de l’argent, s’il en avait besoin. Frédéric, n’y tenant plus, prit son chapeau.
    — Allons, ma chère, bien du plaisir là-bas ; au revoir !
    Elle écarquilla les yeux ; puis, d’un ton sec :
    — Au revoir !
284 II, 6
 Elle se tenait près du feu, décousant la doublure d’une robe. Un pareil ouvrage le surprit.
    — Tiens ? qu’est-ce que tu fais ?
    — Tu le vois, dit-elle sèchement. Je raccommode mes hardes ! C’est ta République.
    — Pourquoi ma République ?
    — C’est la mienne, peut-être ?
    Et elle se mit à lui reprocher tout ce qui se passait en France depuis deux mois, l’accusant d’avoir fait la révolution, d’être cause qu’on était ruiné, que les gens riches abandonnaient Paris, et qu’elle mourrait plus tard à l’hôpital.
    — Tu en parles à ton aise, toi, avec tes rentes ! Du reste, au train dont ça va, tu ne les auras pas longtemps, tes rentes.
331-332 III, 1
— Et quand cela serait, répliqua la Vatnaz, se redressant intrépidement. C’est un emprunt, ma chère, dette pour dette !
    — Parbleu, je ne nie pas les miennes ! Pour quelques mille francs, belle histoire ! J’emprunte au moins ; je ne vole personne !
    Mlle Vatnaz s’efforça de rire.
    — Oh ! j’en mettrais ma main au feu.
    — Prends garde ! Elle est assez sèche pour brûler.
334 III, 1
    Alors, elle lui fit des assurances de tendresse ; le Prince venait de partir, ils seraient libres. Mais elle se trouvait pour le moment… gênée. « Tu l’as vu toi-même l’autre jour, quand j’utilisais mes vieilles doublures. » Plus d’équipages à présent ! Et ce n’était pas tout ; les tapissiers menaçaient de reprendre les meubles de la chambre et du grand salon. Elle ne savait que faire.
    Frédéric eut envie de répondre : « Ne t’inquiète pas ! je payerai ! » Mais la dame pouvait mentir. L’expérience l’avait instruit. Il se borna simplement à des consolations.
334-335 III, 1
    Les craintes de Rosanette n’étaient pas vaines ; il fallut rendre les meubles et quitter le bel appartement de la rue Drouot. Elle en prit un autre, sur le boulevard Poissonnière, au quatrième. Les curiosités de son ancien boudoir furent suffisantes pour donner aux trois pièces un air coquet. On eut des stores chinois, une tente sur la terrasse, dans le salon un tapis de hasard encore tout neuf, avec des poufs de soie rose. Frédéric avait contribué largement à ces acquisitions ; il éprouvait la joie d’un nouveau marié qui possède enfin une maison à lui, une femme à lui ; et, se plaisant là beaucoup, il venait y coucher presque tous les soirs. 335 III, 1
    Les relations de Frédéric et de la Maréchale ne l’avaient point attristé ; car cette découverte l’autorisa (dans sa conscience) à supprimer la pension qu’il lui refaisait depuis le départ du Prince. Il allégua l’embarras des circonstances, gémit beaucoup, et Rosanette fut généreuse. Alors M. Arnoux se considéra comme l’amant de cœur, ce qui le rehaussait dans son estime, et le rajeunit. Ne doutant pas que Frédéric ne payât la Maréchale, il s’imaginait « faire une bonne farce », arriva même à s’en cacher, et lui laissait le champ libre quand ils se rencontraient. 336 III, 1
 Delphine, exécutant ses ordres, avait pris des informations. Elle aimait donc bien Arnoux, pour s’en occuper si fortement ! Il se contenta de lui répondre :
    — Qu’est-ce que cela te fait ?
    Rosanette eut l’air surprise de cette demande.
    — Mais la canaille me doit de l’argent ! N’est-ce pas abominable de le voir entretenir des gueuses ?
375 III, 3
Comme il ne ressentait, maintenant, aucune colère, il voulut savoir la raison de sa démarche, tout à l’heure.
    C’est que Mlle Vatnaz lui avait envoyé, ce jour-là même, un billet protesté depuis longtemps ; et elle avait couru chez Arnoux pour avoir de l’argent.
    — Je t’en aurais donné ! dit Frédéric.
    — C’était plus simple de prendre là-bas ce qui m’appartient, et de rendre à l’autre ses mille francs.
    — Est-ce au moins tout ce que tu lui dois ?
    Elle répondit :
    — Certainement !
380 III, 3
Il était révolté surtout par ses façons envers sa bonne, dont les gages étaient sans cesse arriérés, et qui même lui prêtait de l’argent. Les jours qu’elles réglaient leurs comptes, elles se chamaillaient comme deux poissardes, puis on se réconciliait en s’embrassant. 381 III, 3
Il y venait tous les soirs, abandonnant Rosanette. Sa maternité future la rendait plus sérieuse, même un peu triste, comme si des inquiétudes l’eussent tourmentée. À toutes les questions, elle répondait :
    — Tu te trompes ! Je me porte bien !
    C’étaient cinq billets qu’elle avait souscrits autrefois ; et, n’osant le dire à Frédéric après le payement du premier, elle était retournée chez Arnoux, lequel lui avait promis, par écrit, le tiers de ses bénéfices dans l’éclairage au gaz des villes du Languedoc (une entreprise merveilleuse !), en lui recommandant de ne pas se servir de cette lettre avant l’assemblée des actionnaires ; l’assemblée était remise de semaine en semaine.
382-383 III, 3
 Cependant, la Maréchale avait besoin d’argent. Elle serait morte plutôt que d’en demander à Frédéric. Elle n’en voulait pas de lui. Cela aurait gâté leur amour. Il subvenait bien aux frais du ménage ; mais une petite voiture louée au mois, et d’autres sacrifices indispensables depuis qu’il fréquentait les Dambreuse, l’empêchaient d’en faire plus pour sa maîtresse. Deux ou trois fois, en rentrant à des heures inaccoutumées, il crut voir des dos masculins disparaître entre les portes ; et elle sortait souvent sans vouloir dire où elle allait. Frédéric n’essaya pas de creuser les choses. Un de ces jours, il prendrait un parti définitif.  383 III, 3
 Vers le milieu du mois de juin, elle reçut un commandement où maître Athanase Gautherot, huissier, lui enjoignait de solder quatre mille francs dus à la demoiselle Clémence Vatnaz ; sinon, qu’il viendrait le lendemain la saisir.
En effet, des quatre billets autrefois souscrits, un seul était payé, l’argent qu’elle avait pu avoir depuis lors ayant passé à d’autres besoins.
    Elle courut chez Arnoux. Il habitait le faubourg Saint-Germain, et le portier ignorait la rue. Elle se transporta chez plusieurs amis, ne trouva personne, et rentra désespérée. Elle ne voulait rien dire à Frédéric, tremblant que cette nouvelle histoire ne fît du tort à son mariage.
411 III, 4
    — Ah ! mon Dieu, que je suis bête ! dit la Maréchale.
Elle fouilla dans un tiroir, prit une lettre, et s’en alla vivement à la Société d’éclairage du Languedoc, afin d’obtenir le transfert de ses actions.
    Elle revint une heure après. Les titres étaient vendus à un autre ! Le commis lui avait répondu en examinant son papier, la promesse écrite par Arnoux :
    — Cet acte ne vous constitue nullement propriétaire. La Compagnie ne connaît pas cela.
    Bref, il l’avait congédiée, elle en suffoquait ; et Frédéric devait se rendre à l’instant même chez Arnoux, pour éclaircir la chose.
412-413 III, 4
Rosanette, tout en marchant dans la chambre, ajouta :
    — Je vais lui flanquer un procès, à ton Arnoux. Oh ! je n’ai pas besoin de toi !
    Et, pinçant les lèvres :
    — Je consulterai.
414 III, 4
— Madame, madame, il y a là un homme avec un pot de colle qui me fait peur.
    Rosanette passa dans la cuisine, et vit un chenapan, la face criblée de petite vérole, paralytique d’un bras, aux trois quarts ivre et bredouillant.
    C’était l’afficheur de maître Gautherot. L’opposition à la saisie ayant été repoussée, la vente, naturellement, s’ensuivait.
    Pour sa peine d’avoir monté l’escalier, il réclama d’abord un petit verre ; puis il implora une autre faveur, à savoir des billets de spectacle, croyant que Madame était une actrice. Il fut ensuite plusieurs minutes à faire des clignements d’yeux incompréhensibles ; enfin, il déclara que, moyennant quarante sous, il déchirerait les coins de l’affiche déjà posée en bas, contre la porte. Rosanette s’y trouvait désignée par son nom, rigueur exceptionnelle qui marquait toute la haine de la Vatnaz.
415 III, 4
Frédéric, que la nécessité contraignait, finit par prendre ses quatre mille francs. Ainsi, du côté de la Vatnaz, ils n’avaient plus d’inquiétude.
    Mais Rosanette perdit bientôt son procès contre Arnoux, et, par entêtement, voulait en appeler.
    Deslauriers s’exténuait à lui faire comprendre que la promesse d’Arnoux ne constituait ni une donation ni une cession régulière ; elle n’écoutait même pas, trouvant la loi injuste ; c’est parce qu’elle était une femme, les hommes se soutenaient entre eux ! À la fin, cependant, elle suivit ses conseils.
418 III, 4
 Il aurait voulu servir Rosanette, cependant. Un jour qu’elle lui montrait douze actions de la Compagnie du kaolin (cette entreprise qui avait fait condamner Arnoux à trente mille francs), il lui dit :
    — Mais c’est véreux ! c’est superbe !
    Elle avait le droit de l’assigner pour le remboursement de ses créances. Elle prouverait d’abord qu’il était tenu solidairement à payer tout le passif de la Compagnie, puis qu’il avait déclaré comme dettes collectives des dettes personnelles, enfin qu’il avait diverti plusieurs effets à la Société.
    — Tout cela le rend coupable de banqueroute frauduleuse, articles 586 et 587 du Code de commerce ; et nous l’emballerons, soyez-en sûre, ma mignonne.
    Rosanette lui sauta au cou.
418 III, 4
    Vers le milieu de l’automne, elle gagna son procès relatif aux actions de kaolin. Frédéric l’apprit en rencontrant à sa porte Sénécal qui sortait de l’audience.
    On avait reconnu M. Arnoux complice de toutes les fraudes ; et l’ex-répétiteur avait un tel air de s’en réjouir, que Frédéric l’empêcha d’aller plus loin, en assurant qu’il se chargeait de sa commission près de Rosanette.
419 III, 4
  — C’est toi qui fais vendre Mme Arnoux ?
    Elle relut l’annonce.
    — Où est son nom ?
    — Eh ! c’est son mobilier ! Tu le sais mieux que moi !
    — Qu’est-ce que ça me fait ? dit Rosanette en haussant les épaules.
    — Ce que ça te fait ? Mais tu te venges, voilà tout ! C’est la suite de tes persécutions ! Est-ce que tu ne l’as pas outragée jusqu’à venir chez elle ! Toi, une fille de rien. La femme la plus sainte, la plus charmante et la meilleure ! Pourquoi t’acharnes-tu à la ruiner ?
    — Tu te trompes, je t’assure !
   — Allons donc ! Comme si tu n’avais pas mis Sénécal en avant !
    — Quelle bêtise !
    Alors, une fureur l’emporta.
    — Tu mens ! tu mens, misérable ! Tu es jalouse d’elle ! Tu possèdes une condamnation contre son mari ! Sénécal s’est déjà mêlé de tes affaires ! Il déteste Arnoux, vos deux haines s’entendent. J’ai vu sa joie quand tu as gagné ton procès pour le kaolin. Le nieras-tu, celui-là ?
    — Je te donne ma parole…
    — Oh ! je la connais, ta parole !
429 III, 4
   Un craquement de soie se fit à son oreille ; Rosanette le touchait.
   Elle avait eu connaissance de cette vente par Frédéric lui-même. Son chagrin passé, l’idée d’en tirer profit lui était venue. Elle arrivait pour la voir, en gilet de satin blanc à boutons de perles, avec une robe à falbalas, étroitement gantée, l’air vainqueur.
    Il pâlit de colère.
432 III, 5
     

Karelle Gautron