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Extraits de l'œuvre |
Édition |
Chapitre |
Un jeune homme de dix-huit ans, à longs cheveux et qui tenait un album sous son bras, restait auprès du gouvernail, immobile. À travers le brouillard, il contemplait des clochers, des édifices dont il ne savait pas les noms ; puis il embrassa, dans un dernier coup d’œil, l’île Saint-Louis, la Cité, Notre-Dame ; et bientôt, Paris disparaissant, il poussa un grand soupir. |
37 |
I, 1 |
M. Frédéric Moreau, nouvellement reçu bachelier, s’en retournait à Nogent-sur-Seine, où il devait languir pendant deux mois, avant d’aller faire son droit. Sa mère, avec la somme indispensable, l’avait envoyé au Havre voir un oncle, dont elle espérait, pour lui, l’héritage ; il en était revenu la veille seulement ; et il se dédommageait de ne pouvoir séjourner dans la capitale, en regagnant sa province par la route la plus longue. |
37 |
I, 1 |
Frédéric pensait à la chambre qu’il occuperait là-bas, au plan d’un drame, à des sujets de tableaux, à des passions futures. Il trouvait que le bonheur mérité par l’excellence de son âme tardait à venir. Il se déclama des vers mélancoliques ; il marchait sur le pont à pas rapides ; il s’avança jusqu’au bout, du côté de la cloche ; et, dans un cercle de passagers et de matelots, il vit un monsieur qui contait des galanteries à une paysanne, tout en lui maniant la croix d’or qu’elle portait sur la poitrine. |
38 |
I, 1 |
La présence de Frédéric ne le dérangea pas. Il se tourna vers lui plusieurs fois, en l’interpellant par des clins d’œil ; ensuite il offrit des cigares à tous ceux qui l’entouraient. Mais, ennuyé de cette compagnie, sans doute, il alla se mettre plus loin. Frédéric le suivit.
La conversation roula d’abord sur les différentes espèces de tabacs, puis, tout naturellement, sur les femmes. Le monsieur en bottes rouges donna des conseils au jeune homme ; il exposait des théories, narrait des anecdotes, se citait lui-même en exemple, débitant tout cela d’un ton paterne, avec une ingénuité de corruption divertissante. |
38-39 |
I, 1 |
Il était républicain ; il avait voyagé, il connaissait l’intérieur des théâtres, des restaurants, des journaux, et tous les artistes célèbres, qu’il appelait familièrement par leurs prénoms ; Frédéric lui confia bientôt ses projets ; il les encouragea. |
39 |
I, 1 |
Frédéric éprouvait un certain respect pour lui, et ne résista pas à l’envie de savoir son nom. L’inconnu répondit tout d’une haleine :
— Jacques Arnoux propriétaire de l’Art industriel, boulevard Montmartre. |
39 |
I, 1 |
L’Art industriel était un établissement hybride, comprenant un journal de peinture et un magasin de tableaux. Frédéric avait vu ce titre-là, plusieurs fois, à l’étalage du libraire de son pays natal, sur d’immenses prospectus, où le nom de Jacques Arnoux se développait magistralement. |
39 |
I, 1 |
Frédéric, pour rejoindre sa place, poussa la grille des Premières, dérangea deux chasseurs avec leurs chiens.
Ce fut comme une apparition :
Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu’il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda. |
40 |
I, 1 |
Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manœuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d’observer une chaloupe sur la rivière. |
40 |
I, 1 |
Jamais il n’avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu’elle avait portées, les gens qu’elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n’avait pas de limites. |
40-41 |
I, 1 |
Une négresse, coiffée d’un foulard, se présenta, en tenant par la main une petite fille, déjà grande. L’enfant, dont les yeux roulaient des larmes, venait de s’éveiller. Elle la prit sur ses genoux : « Mademoiselle n’était pas sage, quoiqu’elle eût sept ans bientôt ; sa mère ne l’aimerait plus ; on lui pardonnait trop ses caprices. » Et Frédéric se réjouissait d’entendre ces choses, comme s’il eût fait une découverte, une acquisition. |
41 |
I, 1 |
Il la supposait d’origine andalouse, créole peut-être ; elle avait ramené des îles cette négresse avec elle ?
Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s’en couvrir les pieds, dormir dedans ! Mais, entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l’eau ; Frédéric fit un bond et le rattrapa. Elle lui dit :
— Je vous remercie, monsieur.
Leurs yeux se rencontrèrent. |
41 |
I, 1 |
Le harpiste s’approcha d’eux, humblement. Pendant qu’Arnoux cherchait de la monnaie, Frédéric allongea vers la casquette sa main fermée, et, l’ouvrant avec pudeur, il y déposa un louis d’or. Ce n’était pas la vanité qui le poussait à faire cette aumône devant elle, mais une pensée de bénédiction où il l’associait, un mouvement de cœur presque religieux. |
42 |
I, 1 |
Arnoux, en lui montrant le chemin, l’engagea cordialement à descendre. Frédéric affirma qu’il venait de déjeuner ; il se mourait de faim, au contraire ; et il ne possédait plus un centime au fond de sa bourse. |
42 |
I, 1 |
Ensuite il songea qu’il avait bien le droit, comme un autre, de se tenir dans la chambre.
Autour des tables rondes, des bourgeois mangeaient, un garçon de café circulait ; M. et Mme Arnoux étaient dans le fond, à droite ; il s’assit sur la longue banquette de velours, ayant ramassé un journal qui se trouvait là. |
42 |
I, 1 |
Le plafond, bas et tout blanc, rabattait une lumière crue. Frédéric, en face, distinguait l’ombre de ses cils. Elle trempait ses lèvres dans son verre, cassait un peu de croûte entre ses doigts ; le médaillon de lapis-lazuli, attaché par une chaînette d’or à son poignet, de temps à autre sonnait contre son assiette. Ceux qui étaient là, pourtant, n’avaient pas l’air de la remarquer. |
42 |
I, 1 |
Arnoux se plaignait de la cuisine ; il se récria considérablement devant l’addition, et il la fit réduire. Puis il emmena le jeune homme à l’avant du bateau pour boire des grogs. Mais Frédéric s’en retourna bientôt sous la tente, où Mme Arnoux était revenue. Elle lisait un mince volume à couverture grise. Les deux coins de sa bouche se relevaient par moments, et un éclair de plaisir illuminait son front. Il jalousa celui qui avait inventé ces choses dont elle paraissait occupée. Plus il la contemplait, plus il sentait entre elle et lui se creuser des abîmes. Il songeait qu’il faudrait la quitter tout à l’heure, irrévocablement, sans en avoir arraché une parole, sans lui laisser même un souvenir |
42-43 |
I, 1 |
La petite fille jouait autour de lui. Frédéric voulut la baiser. Elle se cacha derrière sa bonne ; sa mère la gronda de n’être pas aimable pour le monsieur qui avait sauvé son châle. Était-ce une ouverture indirecte ?
« Va-t-elle enfin me parler ? » se demandait-il.
Le temps pressait. Comment obtenir une invitation chez Arnoux ? Et il n’imagina rien de mieux que de lui faire remarquer la couleur de l’automne, en ajoutant :
— Voilà bientôt l’hiver, la saison des bals et des dîners ! |
43 |
I, 1 |
Mais Arnoux était tout occupé de ses bagages. La côte de Surville apparut, les deux ponts se rapprochaient, on longea une corderie, ensuite une rangée de maisons basses ; il y avait, en dessous, des marmites de goudron, des éclats de bois ; et des gamins couraient sur le sable, en faisant la roue. Frédéric reconnut un homme avec un gilet à manches, il lui cria :
— Dépêche-toi. |
43 |
I, 1 |
Quand il fut sur le quai, Frédéric se retourna. Elle était près du gouvernail, debout. Il lui envoya un regard où il avait tâché de mettre toute son âme ; comme s’il n’eût rien fait, elle demeura immobile. Puis, sans égard aux salutations de son domestique :
— Pourquoi n’as-tu pas amené la voiture jusqu’ici ?
Le bonhomme s’excusait.
— Quel maladroit ! Donne-moi de l’argent !
Et il alla manger dans une auberge.
Un quart d’heure après, il eut envie d’entrer comme par hasard dans la cour des diligences. Il la verrait encore, peut-être ?
« À quoi bon ? » se dit-il. |
44 |
I, 1 |
Des champs moissonnés se prolongeaient à n’en plus finir. Deux lignes d’arbres bordaient la route, les tas de cailloux se succédaient ; et peu à peu, Villeneuve-Saint-Georges, Ablon, Châtillon, Corbeil et les autres pays, tout son voyage lui revint à la mémoire, d’une façon si nette qu’il distinguait maintenant des détails nouveaux, des particularités plus intimes ; sous le dernier volant de sa robe, son pied passait dans une mince bottine en soie, de couleur marron ; la tente de coutil formait un large dais sur sa tête, et les petits glands rouges de la bordure tremblaient à la brise, perpétuellement. |
44 |
I, 1 |
Elle ressemblait aux femmes des livres romantiques. Il n’aurait voulu rien ajouter, rien retrancher à sa personne. L’univers venait tout à coup de s’élargir. Elle était le point lumineux où l’ensemble des choses convergeait ; — et, bercé par le mouvement de la voiture, les paupières à demi closes, le regard dans les nuages, il s’abandonnait à une joie rêveuse et infinie. |
44 |
I, 1 |
À Bray, il n’attendit pas qu’on eût donné l’avoine, il alla devant, sur la route, tout seul. Arnoux l’avait appelée « Marie ! ». Il cria très haut « Marie ! ». Sa voix se perdit dans l’air.
Un chien se mit à aboyer dans une ferme, au loin. Il frissonna, pris d’une inquiétude sans cause. |
44 |
I, 1 |
Quand Isidore l’eut rejoint, il se plaça sur le siège pour conduire. Sa défaillance était passée. Il était bien résolu à s’introduire, n’importe comment, chez les Arnoux, et à se lier avec eux. Leur maison devait être amusante, Arnoux lui plaisait d’ailleurs ; puis, qui sait ? Alors un flot de sang lui monta au visage ; ses tempes bourdonnaient ; il fit claquer son fouet, secoua les rênes, et il menait les chevaux tel train, que le vieux cocher répétait :
— Doucement ! mais doucement ! vous les rendrez poussifs. |
45 |
I, 1 |
Peu à peu Frédéric se calma, et il écouta parler son domestique.
On attendait Monsieur avec grande impatience. Mlle Louise avait pleuré pour partir dans la voiture.
— Qu’est-ce donc, Mlle Louise ?
— La petite à M. Roque, vous savez ?
— Ah ! j’oubliais ! répliqua Frédéric, négligemment. |
45 |
I, 1 |
Mme Moreau nourrissait une haute ambition pour son fils. Elle n’aimait pas à entendre blâmer le Gouvernement, par une sorte de prudence anticipée. Il aurait besoin de protections d’abord ; puis, grâce à ses moyens, il deviendrait conseiller d’État, ambassadeur, ministre. Ses triomphes au collège de Sens légitimaient cet orgueil ; il avait remporté le prix d’honneur. |
45-46 |
I, 1 |
Quand il entra dans le salon, tous se levèrent à grand bruit, on l’embrassa ; et avec les fauteuils et les chaises on fit un large demi-cercle autour de la cheminée. M. Gamblin lui demanda immédiatement son opinion sur Mme Lafarge. Ce procès, la fureur de l’époque, ne manqua pas d’amener une discussion violente ; Mme Moreau l’arrêta, au regret toutefois de M. Gamblin ; il la jugeait utile pour le jeune homme, en sa qualité de futur jurisconsulte, et il sortit du salon, piqué. |
46 |
I, 1 |
Mais le percepteur avait entraîné Frédéric à l’écart, pour savoir ce qu’il pensait du dernier ouvrage de M. Guizot. Tous désiraient connaître ses affaires ; et Mme Benoît s’y prit adroitement en s’informant de son oncle. Comment allait ce bon parent ? Il ne donnait plus de ses nouvelles. N’avait-il pas un arrière-cousin en Amérique ? |
46 |
I, 1 |
La cuisinière annonça que le potage de Monsieur était servi. On se retira, par discrétion. Puis, dès qu’ils furent seuls, dans la salle, sa mère lui dit, à voix basse :
— Eh bien ?
Le vieillard l’avait reçu très cordialement, mais sans montrer ses intentions.
Mme Moreau soupira.
« Où est-elle, à présent ? » songeait-il.
La diligence roulait, et, enveloppée dans le châle sans doute, elle appuyait contre le drap du coupé sa belle tête endormie. |
46 |
I, 1 |
— Ah ! ton camarade ! fit Mme Moreau avec un ricanement de mépris. L’heure est bien choisie, vraiment !
Frédéric hésitait. Mais l’amitié fut plus forte. Il prit son chapeau.
— Au moins, ne sois pas longtemps ! lui dit sa mère. |
46 |
I, 1 |
En 1833, d’après l’invitation de M. le président, le Capitaine vendit son étude. Sa femme mourut d’un cancer. Il alla vivre à Dijon ; ensuite il s’établit marchand d’hommes à Troyes ; et, ayant obtenu pour Charles une demi-bourse, le mit au collège de Sens, où Frédéric le reconnut. Mais l’un avait 12 ans, l’autre 15 ; d’ailleurs, mille différences de caractère et d’origine les séparaient. |
47 |
I, 2 |
Frédéric possédait dans sa commode toutes sortes de provisions, des choses recherchées, un nécessaire de toilette, par exemple. Il aimait à dormir tard le matin, à regarder les hirondelles, à lire des pièces de théâtre, et, regrettant les douceurs de la maison, il trouvait rude la vie de collège. |
47 |
I, 2 |
Mais un domestique, une fois, l’ayant appelé enfant de gueux, en pleine cour des moyens, il lui sauta à la gorge et l’aurait tué, sans trois maîtres d’études qui intervinrent. Frédéric, emporté d’admiration, le serra dans ses bras. À partir de ce jour, l’intimité fut complète. L’affection d’un grand, sans doute, flatta la vanité du petit, et l’autre accepta comme un bonheur ce dévouement qui s’offrait. |
48 |
I, 2 |
Les distractions de Frédéric étaient moins sérieuses. Il dessina dans la rue des Trois-Rois la généalogie du Christ, sculptée sur un poteau, puis le portail de la cathédrale. Après les drames moyen âge, il entama les mémoires : Froissart, Commines, Pierre de l’Estoile, Brantôme. |
48 |
I, 2 |
Les images que ces lectures amenaient à son esprit l’obsédaient si fort, qu’il éprouvait le besoin de les reproduire. Il ambitionnait d’être un jour le Walter Scott de la France. Deslauriers méditait un vaste système de philosophie, qui aurait les applications les plus lointaines. |
48 |
I, 2 |
Ils parlaient de ce qu’ils feraient plus tard, quand ils seraient sortis du collège. D’abord, ils entreprendraient un grand voyage avec l’argent que Frédéric prélèverait sur sa fortune, à sa majorité. Puis ils reviendraient à Paris, ils travailleraient ensemble, ne se quitteraient pas ; et, comme délassement à leurs travaux, ils auraient des amours de princesses dans des boudoirs de satin, ou de fulgurantes orgies avec des courtisanes illustres. Des doutes succédaient à leurs emportements d’espoir. Après des crises de gaieté verbeuse, ils tombaient dans des silences profonds.
Les soirs d’été, quand ils avaient marché longtemps par les chemins pierreux au bord des vignes, ou sur la grande route en pleine campagne, et que les blés ondulaient au soleil tandis que des senteurs d’angélique passaient dans l’air, une sorte d’étouffement les prenait, et ils s’étendaient sur le dos, étourdis, enivrés. |
48 |
I, 2 |
M. le censeur prétendait qu’ils s’exaltaient mutuellement. Cependant, si Frédéric travailla dans les hautes classes, ce fut par les exhortations de son ami ; et, aux vacances de 1837, il l’emmena chez sa mère. |
49 |
I, 2 |
On surveilla leurs relations. Ils ne s’en aimèrent que davantage ; et les adieux furent pénibles, quand Deslauriers, l’année suivante, partit du collège pour étudier le droit à Paris.
Frédéric comptait bien l’y rejoindre. Ils ne s’étaient pas vus depuis deux ans ; et, leurs embrassades étant finies, ils allèrent sur les ponts afin de causer plus à l’aise. |
49 |
I, 2 |
Il fallait donc abandonner leur vieux projet de vivre ensemble dans la capitale, pour le présent du moins.
Frédéric baissa la tête. C’était le premier de ses rêves qui s’écroulait.
— Console-toi, dit le fils du Capitaine, la vie est longue ; nous sommes jeunes. Je te rejoindrai ! N’y pense plus !
Il le secouait par les mains, et, pour le distraire, lui fit des questions sur son voyage. |
49-50 |
I, 2 |
Frédéric n’eut pas grand’chose à narrer. Mais, au souvenir de Mme Arnoux, son chagrin s’évanouit. Il ne parla pas d’elle, retenu par une pudeur. Il s’étendit en revanche sur Arnoux, rapportant ses discours, ses manières, ses relations ; et Deslauriers l’engagea fortement à cultiver cette connaissance. |
50 |
I, 2 |
Frédéric, dans ces derniers temps, n’avait rien écrit ; ses opinions littéraires étaient changées : il estimait par-dessus tout la passion ; Werther, René, Franck, Lara, Lélia et d’autres plus médiocres l’enthousiasmaient presque également. Quelquefois la musique lui semblait seule capable d’exprimer ses troubles intérieurs ; alors, il rêvait des symphonies ; ou bien la surface des choses l’appréhendait, et il voulait peindre. Il avait composé des vers, pourtant ; Deslauriers les trouva fort beaux, mais sans demander une autre pièce. |
50 |
I, 2 |
Quelle malédiction que d’être le fils d’un cabaretier et de perdre sa jeunesse à la quête de son pain ! »
Il baissa la tête, se mordit les lèvres, et il grelottait sous son vêtement mince.
Frédéric lui jeta la moitié de son manteau sur les épaules. Ils s’en enveloppèrent tous deux ; et, se tenant par la taille, ils marchaient dessous, côte à côte.
— Comment veux-tu que je vive là-bas, sans toi ? disait Frédéric. |
51 |
I, 2 |
— Comment veux-tu que je vive là-bas, sans toi ? disait Frédéric. (L’amertume de son ami avait ramené sa tristesse.) J’aurais fait quelque chose avec une femme qui m’eût aimé… Pourquoi ris-tu ? L’amour est la pâture et comme l’atmosphère du génie. Les émotions extraordinaires produisent les œuvres sublimes. Quant à chercher celle qu’il me faudrait, j’y renonce ! D’ailleurs, si jamais je la trouve, elle me repoussera. Je suis de la race des déshérités, et je m’éteindrai avec un trésor qui était de strass ou de diamant, je n’en sais rien. |
51 |
I, 2 |
Isidore les interrompit encore une fois. Il avait ordre de ramener Frédéric, définitivement. Madame s’inquiétait de son absence.
— Bien, bien ! on y va, dit Deslauriers ; il ne découchera pas. |
52 |
I, 2 |
— Tu devrais prier ce vieux de t’introduire chez les Dambreuse ; rien n’est utile comme de fréquenter une maison riche ! Puisque tu as un habit noir et des gants blancs, profites-en ! Il faut que tu ailles dans ce monde là ! Tu m’y mèneras plus tard. Un homme à millions, pense donc ! Arrange-toi pour lui plaire, et à sa femme aussi. Deviens son amant !
Frédéric se récriait.
— Mais je te dis là des choses classiques, il me semble ? Rappelle-toi Rastignac dans la Comédie humaine ! Tu réussiras, j’en suis sûr !
Frédéric avait tant de confiance en Deslauriers, qu’il se sentit ébranlé, et oubliant Mme Arnoux, ou la comprenant dans la prédiction faite sur l’autre, il ne put s’empêcher de sourire. |
52 |
I, 2 |
Il est temps que je m’en retourne, adieu ! As-tu cent sous pour que je paye mon dîner ?
Frédéric lui donna dix francs, le reste de la somme prise le matin à Isidore. |
52 |
I, 2 |
Cependant à vingt toises des ponts, sur la rive gauche, une lumière brillait dans la lucarne d’une maison basse.
Deslauriers l’aperçut. Alors, il dit emphatiquement, tout en retirant son chapeau :
— Vénus, reine des cieux, serviteur ! Mais la Pénurie est la mère de la Sagesse. Nous a-t-on assez calomniés pour ça, miséricorde !
Cette allusion à une aventure commune les mit en joie. Ils riaient très haut, dans les rues. |
52 |
I, 2 |
Puis, ayant soldé sa dépense à l’auberge, Deslauriers reconduisit Frédéric jusqu’au carrefour de l’Hôtel-Dieu ; et, après une longue étreinte, les deux amis se séparèrent. |
53 |
I, 2 |
Deux mois plus tard, Frédéric, débarqué un matin rue Coq-Héron, songea immédiatement à faire sa grande visite.
Le hasard l’avait servi. Le père Roque était venu lui apporter un rouleau de papiers, en le priant de les remettre lui-même chez M. Dambreuse ; et il accompagnait l’envoi d’un billet décacheté, où il présentait son jeune compatriote.
Mme Moreau parut surprise de cette démarche. Frédéric dissimula le plaisir qu’elle lui causait. |
54 |
I, 3 |
Le jeune homme était troublé en allant chez eux.
— J’aurais mieux fait de prendre mon habit. On m’invitera sans doute au bal pour la semaine prochaine ? Que va-t-on me dire ?
L’aplomb lui revint en songeant que M. Dambreuse n’était qu’un bourgeois, et il sauta gaillar5dement de son cabriolet sur le trottoir de la rue d’Anjou.
Quand il eut poussé une des deux portes cochères, il traversa la cour, gravit le perron et entra dans un vestibule pavé en marbre de couleur. |
54-55 |
I, 3 |
Enfin, s’étant levé, il adressa au jeune homme quelques questions sur des personnes de leur connaissance, sur Nogent, sur ses études ; puis il le congédia en s’inclinant. Frédéric sortit par un autre corridor, et se trouva dans le bas de la cour, auprès des remises.
Un coupé bleu, attelé d’un cheval noir, stationnait devant le perron. La portière s’ouvrit, une dame y monta, et la voiture, avec un bruit sourd, se mit à rouler sur le sable.
Frédéric, en même temps qu’elle, arriva de l’autre côté, sous la porte cochère. L’espace n’étant pas assez large, il fut contraint d’attendre. La jeune femme, penchée en dehors du vasistas, parlait tout bas au concierge. Il n’apercevait que son dos, couvert d’une mante violette. Cependant, il plongeait dans l’intérieur de la voiture, tendue de reps bleu, avec des passementeries et des effilés de soie. Les vêtements de la dame l’emplissaient ; il s’échappait de cette petite boîte capitonnée un parfum d’iris et comme une vague senteur d’élégances féminines. Le cocher lâcha les rênes, le cheval frôla la borne brusquement, et tout disparut.
Frédéric s’en revint à pied, en suivant les boulevards.
Il regrettait de n’avoir pu distinguer Mme Dambreuse. |
55-56 |
I, 3 |
Un peu plus haut que la rue Montmartre, un embarras de voitures lui fit tourner la tête ; et, de l’autre côté, en face, il lut sur une plaque de marbre :
JACQUES ARNOUX.
Comment n’avait-il pas songé à elle, plus tôt ? La faute venait de Deslauriers, et il s’avança vers la boutique ; il n’entra pas, cependant, il attendit qu’elle parût. |
56 |
I, 3 |
Frédéric faisait semblant d’examiner les dessins. Après des hésitations infinies, il entra.
Un employé souleva la portière, et répondit que Monsieur ne serait pas « au magasin » avant cinq heures. Mais si la commission pouvait se transmettre…
— Non ! je reviendrai, répliqua doucement Frédéric. Un employé souleva la portière, et répondit que Monsieur ne serait pas « au magasin » avant cinq heures. Mais si la commission pouvait se transmettre…
— Non ! je reviendrai, répliqua doucement Frédéric. |
56 |
I, 3 |
Les jours suivants furent employés à se chercher un logement ; et il se décida pour une chambre au second étage, dans un hôtel garni, rue Saint-Hyacinthe. |
56 |
I, 3 |
En portant sous son bras un buvard tout neuf, il se rendit à l’ouverture des cours. Trois cents jeunes gens, nu-tête, emplissaient un amphithéâtre où un vieillard en robe rouge dissertait d’une voix monotone ; des plumes grinçaient sur le papier. Il retrouvait dans cette salle l’odeur poussiéreuse des classes, une chaire de forme pareille, le même ennui ! Pendant quinze jours, il y retourna. Mais on n’était pas encore à l’article 3, qu’il avait lâché le Code civil, et il abandonna les Institutes à la Summa divisio personarum. |
56-57 |
I, 3 |
Les joies qu’il s’était promises n’arrivaient pas ; et, quand il eut épuisé un cabinet de lecture, parcouru les collections du Louvre, et plusieurs fois de suite été au spectacle, il tomba dans un désœuvrement sans fond. |
57 |
I, 3 |
Mille choses nouvelles ajoutaient à sa tristesse. Il lui fallait compter son linge et subir le concierge, rustre à tournure d’infirmier, qui venait le matin retaper son lit, en sentant l’alcool et en grommelant. Son appartement, orné d’une pendule d’albâtre, lui déplaisait. Les cloisons étaient minces ; il entendait les étudiants faire du punch, rire, chanter. |
57 |
I, 3 |
Las de cette solitude, il rechercha un de ses anciens camarades nommé Baptiste Martinon ; et il le découvrit dans une pension bourgeoise de la rue Saint-Jacques, bûchant sa procédure, devant un feu de charbon de terre. |
57 |
I, 3 |
Comme les ennuis de Frédéric n’avaient point de cause raisonnable et qu’il ne pouvait arguer d’aucun malheur, Martinon ne comprit rien à ses lamentations sur l’existence. Lui, il allait tous les matins à l’École, se promenait ensuite dans le Luxembourg, prenait le soir sa demi-tasse au café, et, avec quinze cents francs par an et l’amour de cette ouvrière, il se trouvait parfaitement heureux.
« Quel bonheur ! » exclama intérieurement Frédéric. |
57 |
I, 3 |
Il avait fait à l’École une autre connaissance, celle de M. de Cisy, enfant de grande famille et qui semblait une demoiselle, à la gentillesse de ses manières.
M. de Cisy s’occupait de dessin, aimait le gothique. Plusieurs fois ils allèrent ensemble admirer la Sainte-Chapelle et Notre-Dame. Mais la distinction du jeune patricien recouvrait une intelligence des plus pauvres. Tout le surprenait ; il riait beaucoup à la moindre plaisanterie, et montrait une ingénuité si complète, que Frédéric le prit d’abord pour un farceur, et finalement le considéra comme un nigaud |
57 |
I, 3 |
Les épanchements n’étaient donc possiblesavec personne et il attendait toujours l’invitation des Dambreuse.
Au jour de l’an, il leur envoya des cartes de visite, mais il n’en reçut aucune.
Au jour de l’an, il leur envoya des cartes de visite, mais il n’en reçut aucune. |
58 |
I, 3 |
Il était retourné à l’Art industriel.
Il y retourna une troisième fois, et il vit enfin Arnoux qui se disputait au milieu de cinq à six personnes et répondit à peine à son salut ; Frédéric en fut blessé. Il n’en chercha pas moins comment parvenir jusqu’à elle.
Il eut d’abord l’idée de se présenter souvent, pour marchander des tableaux. Puis il songea à glisser dans la boîte du journal quelques articles « très forts », ce qui amènerait des relations. Peut-être valait-il mieux courir droit au but, déclarer son amour ? Alors, il composa une lettre de douze pages, pleine de mouvements lyriques et d’apostrophes ; mais il la déchira, et ne fit rien, ne tenta rien, immobilisé par la peur de l’insuccès. |
58 |
I, 3 |
Au-dessus de la boutique d’Arnoux, il y avait au premier étage trois fenêtres, éclairées chaque soir. Des ombres circulaient par derrière, une surtout, c’était la sienne ; et il se dérangeait de très loin pour regarder ces fenêtres et contempler cette ombre. |
58 |
I, 3 |
Une négresse, qu’il croisa un jour dans les Tuileries tenant une petite fille par la main, lui rappela la négresse de Mme Arnoux. Elle devait y venir comme les autres ; toutes les fois qu’il traversait les Tuileries, son cœur battait, espérant la rencontrer. Les jours de soleil, il continuait sa promenade jusqu’au bout des Champs-Élysées. |
58 |
I, 3 |
Les crinières étaient près des crinières, les lanternes près des lanternes ; les étriers d’acier, les gourmettes d’argent, les boucles de cuivre, jetaient çà et là des points lumineux entre les culottes courtes, les gants blancs, et les fourrures qui retombaient sur le blason des portières. Il se sentait comme perdu dans un monde lointain. Ses yeux erraient sur les têtes féminines ; et de vagues ressemblances amenaient à sa mémoire Mme Arnoux. Il se la figurait, au milieu des autres, dans un de ces petits coupés, pareils au coupé de Mme Dambreuse. |
58 |
I, 3 |
Il allait dîner, moyennant quarante-trois sols le cachet, dans un restaurant, rue de la Harpe.
Il regardait avec dédain le vieux comptoir d’acajou, les serviettes tachées, l’argenterie crasseuse et les chapeaux suspendus contre la muraille. Ceux qui l’entouraient étaient des étudiants comme lui. Ils causaient de leurs professeurs, de leurs maîtresses. Il s’inquiétait bien des professeurs ! Est-ce qu’il avait une maîtresse ! Pour éviter leurs joies, il arrivait le plus tard possible. Des restes de nourriture couvraient toutes les tables. Les deux garçons, fatigués, dormaient dans des coins, et une odeur de cuisine, de quinquet et de tabac emplissait la salle déserte.
Puis il remontait lentement les rues. Les réverbères se balançaient, en faisant trembler sur la boue de longs reflets jaunâtres. Des ombres glissaient au bord des trottoirs, avec des parapluies. Le pavé était gras, la brume tombait, et il lui semblait que les ténèbres humides, l’enveloppant, descendaient indéfiniment dans son cœur. |
59 |
I, 3 |
Un remords le prit. Il retourna aux cours. Mais comme il ne connaissait rien aux matières élucidées, des choses très simples l’embarrassèrent. |
59 |
I, 3 |
Il se mit à écrire un roman intitulé : Sylvio, le fils du pêcheur. La chose se passait à Venise. Le héros, c’était lui-même ; l’héroïne, Mme Arnoux. Elle s’appelait Antonia ; et, pour l’avoir, il assassinait plusieurs gentilshommes, brûlait une partie de la ville et chantait sous son balcon, où palpitaient à la brise les rideaux en damas rouge du boulevard Montmartre. Les réminiscences trop nombreuses dont il s’aperçut le découragèrent ; il n’alla pas plus loin, et son désœuvrement redoubla. |
59 |
I, 3 |
Alors, il supplia Deslauriers de venir partager sa chambre. Ils s’arrangeraient pour vivre avec ses deux mille francs de pension ; tout valait mieux que cette existence intolérable. Deslauriers ne pouvait encore quitter Troyes. Il l’engageait à se distraire, et à fréquenter Sénécal |
59 |
I, 3 |
Sénécal était un répétiteur de mathématiques, homme de forte tête et de convictions républicaines, un futur Saint-Just, disait le clerc. Frédéric avait monté trois fois ses cinq étages sans en recevoir aucune visite. Il n’y retourna plus. |
60 |
I, 3 |
Il voulut s’amuser. Il se rendit aux bals de l’Opéra. Ces gaietés tumultueuses le glaçaient dès la porte. D’ailleurs, il était retenu par la crainte d’un affront pécuniaire, s’imaginant qu’un souper avec un domino entraînait à des frais considérables, était une grosse aventure. |
60 |
I, 3 |
Il lui semblait, cependant, qu’on devait l’aimer. Quelquefois, il se réveillait le cœur plein d’espérance, s’habillait soigneusement comme pour un rendez-vous, et il faisait dans Paris des courses interminables. À chaque femme qui marchait devant lui, ou qui s’avançait à sa rencontre, il se disait : « La voilà ! » C’était chaque fois une déception nouvelle. |
60 |
I, 3 |
L’idée de Mme Arnoux fortifiait ces convoitises. Il la trouverait peut-être sur son chemin ; et il imaginait, pour l’aborder, des complications du hasard, des périls extraordinaires dont il la sauverait. |
60 |
I, 3 |
Ainsi les jours s’écoulaient, dans la répétition des mêmes ennuis et des habitudes contractées. Il feuilletait des brochures sous les arcades de l’Odéon, allait lire la Revue des Deux Mondes au café, entrait dans une salle du Collège de France, écoutait pendant une heure une leçon de chinois ou d’économie politique. Toutes les semaines, il écrivait longuement à Deslauriers, dînait de temps en temps avec Martinon, voyait quelquefois M. de Cisy.
Il loua un piano, et composa des valses allemandes. |
60 |
I, 3 |
Un soir, au théâtre du Palais-Royal, il aperçut, dans une loge d’avant-scène, Arnoux près d’une femme. Était-ce elle ? L’écran de taffetas vert, tiré au bord de la loge, masquait son visage. Enfin la toile se leva ; l’écran s’abattit. C’était une longue personne, de trente ans environ, fanée, et dont les grosses lèvres découvraient, en riant, des dents splendides. Elle causait familièrement avec Arnoux et lui donnait des coups d’éventail sur les doigts. Puis une jeune fille blonde, les paupières un peu rouges comme si elle venait de pleurer, s’assit entre eux. Arnoux resta dès lors à demi penché sur son épaule, en lui tenant des discours qu’elle écoutait sans répondre. Frédéric s’ingéniait à découvrir la condition de ces femmes, modestement habillées de robes sombres, à cols plats rabattus.
À la fin du spectacle, il se précipita dans les couloirs. La foule les remplissait. Arnoux, devant lui, descendait l’escalier, marche à marche, donnant le bras aux deux femmes. |
60-61 |
I, 3 |
Tout à coup, un bec de gaz l’éclaira. Il avait un crêpe à son chapeau. Elle était morte, peut-être ? Cette idée tourmenta Frédéric si fortement, qu’il courut le lendemain à l’Art industriel, et, payant vite une des gravures étalées devant la montre, il demanda au garçon de boutique comment se portait M. Arnoux.
Le garçon répondit :
— Mais très bien !
Frédéric ajouta en pâlissant :
— Et Madame ?
— Madame, aussi !
Frédéric oublia d’emporter sa gravure. |
61 |
I, 3 |
L’hiver se termina. Il fut moins triste au printemps, se mit à préparer son examen, et, l’ayant subi d’une façon médiocre, partit ensuite pour Nogent.
Il n’alla point à Troyes voir son ami, afin d’éviter les observations de sa mère. Puis, à la rentrée, il abandonna son logement et prit, sur le quai Napoléon, deux pièces, qu’il meubla. L’espoir d’une invitation chez les Dambreuse l’avait quitté ; sa grande passion pour Mme Arnoux commençait à s’éteindre. |
61 |
I, 3 |
Un matin du mois de décembre, en se rendant au cours de procédure, il crut remarquer dans la rue Saint-Jacques plus d’animation qu’à l’ordinaire. Les étudiants sortaient précipitamment des cafés, ou, par les fenêtres ouvertes, ils s’appelaient d’une maison à l’autre ; les boutiquiers, au milieu du trottoir, regardaient d’un air inquiet ; les volets se fermaient ; et, quand il arriva dans la rue Soufflot, il aperçut un grand rassemblement autour du Panthéon. |
62 |
I, 4 |
Martinon avait profité de sa place pour disparaître en même temps.
— Quel lâche ! dit Frédéric.
— Il est prudent ! reprit l’autre.
La foule éclata en applaudissements |
64 |
I, 4 |
Il s’apaisa pourtant, et, d’un air stoïque, se laissa conduire vers le poste de la rue Descartes. Un flot de monde le suivit. Frédéric et le jeune homme à moustaches marchaient immédiatement par derrière, pleins d’admiration pour le commis et révoltés contre la violence du Pouvoir. |
65 |
I, 4 |
Frédéric et son camarade réclamèrent, hardiment, celui qu’on venait de mettre en prison. Le factionnaire les menaça, s’ils insistaient, de les y fourrer eux-mêmes. Ils demandèrent le chef du poste, et déclinèrent leur nom avec leur qualité d’élèves en droit, affirmant que le prisonnier était leur condisciple. |
65-66 |
I, 4 |
— Si nous lui donnions des cigares, hein ? dit tout bas Hussonnet, en faisant le geste d’en atteindre.
Frédéric avait déjà posé, au bord du guichet, un porte-cigares rempli.
— Prends donc ! Adieu, bon courage ! |
67 |
I, 4 |
Hussonnet apprit à son compagnon qu’il travaillait dans des journaux de modes et fabriquait des réclames pour l’Art industriel.
— Chez Jacques Arnoux, dit Frédéric.
— Vous le connaissez ?
— Oui ! non !… C’est-à-dire je l’ai vu, je l’ai rencontré.
Il demanda négligemment à Hussonnet s’il voyait quelquefois sa femme.
— De temps à autre, reprit le bohème.
Frédéric n’osa poursuivre ses questions ; cet homme venait de prendre une place démesurée dans sa vie ; il paya la note du déjeuner, sans qu’il y eût de la part de l’autre aucune protestation. |
67 |
I, 4 |
Pourquoi ne pas hasarder, tout de suite, le mot d’où son bonheur dépendait ? Il demanda au garçon de lettres s’il pouvait le présenter chez Arnoux.
La chose était facile, et ils convinrent du jour suivant.
Hussonnet manqua le rendez-vous ; il en manqua trois autres. Un samedi, vers quatre heures, il apparut. |
68 |
I, 4 |
Enfin ils arrivèrent boulevard Montmartre. Frédéric traversa la boutique, monta l’escalier. Arnoux le reconnut dans la glace placée devant son bureau ; et, tout en continuant à écrire, lui tendit la main par-dessus l’épaule. |
68 |
I, 4 |
Cette parole ramena la pensée de Frédéric sur Mme Arnoux. Sans doute, on pénétrait chez elle par le cabinet près du divan ? Arnoux, pour prendre un mouchoir, venait de l’ouvrir ; Frédéric avait aperçu, dans le fond, un lavabo. |
69-70 |
I, 4 |
Arnoux dit à Pellerin de rester, et conduisit Mlle Vatnaz dans le cabinet.
Frédéric n’entendait pas leurs paroles ; ils chuchotaient. Cependant, la voix féminine s’éleva :
— Depuis six mois que l’affaire est faite, j’attends toujours !
Il y eut un long silence, Mlle Vatnaz reparut. |
71 |
I, 4 |
Frédéric accompagna Pellerin jusqu’au haut du faubourg Poissonnière, et lui demanda la permission de venir le voir quelquefois, faveur qui fut accordée gracieusement. |
71 |
I, 4 |
Pellerin expliqua le sujet de ces deux compositions en indiquant avec le pouce les parties qui manquaient. L’une devait représenter la Démence de Nabuchodonosor, l’autre l’Incendie de Rome par Néron. Frédéric les admira. |
72 |
I, 4 |
on voyait une tête de mort sur un prie-Dieu, des yatagans, une robe de moine ; Frédéric l’endossa. |
72 |
I, 4 |
D’après ses manières avec Arnoux, on pouvait, selon Frédéric, la supposer sa maîtresse.
— Ah ! bah ! il en a d’autres !
Alors, le jeune homme, en détournant son visage qui rougissait de honte sous l’infamie de sa pensée, ajouta d’un air crâne :
— Sa femme le lui rend, sans doute ?
— Pas du tout ! elle est honnête !
Frédéric eut un remords, et se montra plus assidu au journal. |
73 |
I, 4 |
Frédéric se montra plus cérémonieux pour Regimbart, jusqu’à lui offrir l’absinthe de temps à autre ; et quoiqu’il le jugeât stupide, souvent il demeurait dans sa compagnie pendant une grande heure, uniquement parce que c’était l’ami de Jacques Arnoux. |
74 |
I, 4 |
Frédéric le considérait à la fois comme millionnaire, comme dilettante, comme homme d’action. Bien des choses pourtant l’étonnaient, car le sieur Arnoux était malicieux dans son commerce. |
74 |
I, 4 |
Une fois, pour vexer un confrère qui inaugurait un autre journal de peinture par un grand festin, il pria Frédéric d’écrire sous ses yeux, un peu avant l’heure du rendez-vous, des billets où l’on désinvitait les convives.
— Cela n’attaque pas l’honneur, vous comprenez ?
Et le jeune homme n’osa lui refuser ce service. |
75 |
I, 4 |
Si j’avais cru qu’il y eût des femmes…
— Oh ! pour celle-là c’est la mienne, reprit Arnoux. Elle montait me faire une petite visite en passant.
— Comment ? dit Frédéric.
— Mais oui ! elle s’en retourne chez elle, à la maison.
Le charme des choses ambiantes se retira tout à coup. Ce qu’il y sentait confusément épandu venait de s’évanouir, ou plutôt n’y avait jamais été. Il éprouvait une surprise infinie et comme la douleur d’une trahison.
Arnoux, en fouillant dans son tiroir, souriait. Se moquait-il de lui ? |
75 |
I, 4 |
Au coin de la rue Montmartre, il se retourna ; il regarda les fenêtres du premier étage ; et il rit intérieurement de pitié sur lui-même, en se rappelant avec quel amour il les avait si souvent contemplées ! Où donc vivait-elle ? Comment la rencontrer maintenant ? La solitude se rouvrait autour de son désir plus immense que jamais ! |
75 |
I, 4 |
Regimbart lui demanda pourquoi on ne le voyait plus à l’Art industriel.
— Que je crève si j’y retourne ! C’est une brute, un bourgeois, un misérable, un drôle !
Ces injures flattaient la colère de Frédéric. Il en était blessé cependant, car il lui semblait qu’elles atteignaient un peu Mme Arnoux. |
76 |
I, 4 |
cependant, si Arnoux trouvait ces deux toiles…
— Mauvaises ! lâchez le mot ! Les connaissez-vous ? Est-ce votre métier ? Or, vous savez, mon petit, moi, je n’admets pas cela, les amateurs !
— Eh ! ce ne sont pas mes affaires ! dit Frédéric.
— Quel intérêt avez-vous donc à le défendre ? reprit froidement Pellerin.
Le jeune homme balbutia :
— Mais… parce que je suis son ami.
— Embrassez-le de ma part ! bonsoir !
Et le peintre sortit furieux, sans parler, bien entendu, de sa consommation. |
76-77 |
I, 4 |
Frédéric s’était convaincu lui-même, en défendant Arnoux. Dans l’échauffement de son éloquence, il fut pris de tendresse pour cet homme intelligent et bon, que ses amis calomniaient et qui maintenant travaillait tout seul, abandonné. Il ne résista pas au singulier besoin de le revoir immédiatement. Dix minutes après, il poussait la porte du magasin. |
77 |
I, 4 |
— Tiens ! qui vous ramène ?
Cette question bien simple embarrassa Frédéric ; et, ne sachant que répondre, il demanda si l’on n’avait point trouvé par hasard son calepin, un petit calepin en cuir bleu.
— Celui où vous mettez vos lettres de femmes ? dit Arnoux.
Frédéric, en rougissant comme une vierge, se défendit d’une telle supposition.
— Vos poésies, alors ? répliqua le marchand. |
77 |
I, 4 |
et Frédéric se sentait de plus en plus irrité par son air de méditation, et surtout par ses mains qui se promenaient sur les affiches, de grosses mains, un peu molles, à ongles plats. Enfin Arnoux se leva, et, en disant : « C’est fait ! » il lui passa la main sous le menton, familièrement. Cette privauté déplut à Frédéric, il se recula ; puis il franchit le seuil du bureau, pour la dernière fois de son existence, croyait-il. Mme Arnoux, elle-même, se trouvait comme diminuée par la vulgarité de son mari. |
77 |
I, 4 |
Il reçut, dans la même semaine, une lettre où Deslauriers annonçait qu’il arriverait à Paris, jeudi prochain. Alors, il se rejeta violemment sur cette affection plus solide et plus haute. Un pareil homme valait toutes les femmes. Il n’aurait plus besoin de Regimbart, de Pellerin, d’Hussonnet, de personne ! Afin de mieux loger son ami, il acheta une couchette de fer, un second fauteuil, dédoubla sa literie ; |
77 |
I, 4 |
Arnoux entra.
« Un mot, seulement ! Hier, on m’a envoyé de Genève une belle truite ; nous comptons sur vous, tantôt, à sept heures juste… C’est rue de Choiseul, 24 bis. N’oubliez pas !
Frédéric fut obligé de s’asseoir. Ses genoux chancelaient. Il se répétait : « Enfin ! enfin ! » Puis il écrivit à son tailleur, à son chapelier, à son bottier ; et il fit porter ces trois billets par trois commissionnaires différents. |
78 |
I, 4 |
Frédéric, en apercevant Deslauriers, se mit à trembler comme une femme adultère sous le regard de son époux.
— Qu’est-ce donc qui te prend ? dit Deslauriers, tu dois cependant avoir reçu de moi une lettre ?
Frédéric n’eut pas la force de mentir.
Il ouvrit les bras et se jeta sur sa poitrine. |
78 |
I, 4 |
Pour aujourd’hui, vacance complète, et tout à toi, mon vieux !
— Oh ! ne te gêne pas ! dit Frédéric. Si tu avais ce soir quelque chose d’important…
— Allons donc ! Je serais un fier misérable…
Cette épithète, lancée au hasard, toucha Frédéric en plein cœur, comme une allusion outrageante. |
78 |
I, 4 |
Le concierge avait disposé sur la table, auprès du feu, des côtelettes, de la galantine, une langouste, un dessert, et deux bouteilles de vin de Bordeaux. Une réception si bonne émut Deslauriers.
— Tu me traites comme un roi, ma parole !
Ils causèrent de leur passé, de l’avenir ; et, de temps à autre, ils se prenaient les mains par-dessus la table, en se regardant une minute avec attendrissement. |
78 |
I, 4 |
Il reculait à faire son aveu. Enfin, il s’écria, comme saisi par une idée :
— Ah ! saprelotte, j’oubliais !
— Quoi donc ?
— Ce soir, je dîne en ville !
— Chez les Dambreuse ? Pourquoi ne m’en parles-tu jamais dans tes lettres ?
Ce n’était pas chez les Dambreuse, mais chez les Arnoux.
— Tu aurais dû m’avertir ! dit Deslauriers. Je serais venu un jour plus tard.
— Impossible ! répliqua brusquement Frédéric. |
79 |
I, 4 |
Et, pour racheter sa faute et en distraire son ami, il dénoua les cordes emmêlées de sa malle, il arrangea dans la commode toutes ses affaires, il voulait lui donner son propre lit, coucher dans le cabinet au bois. |
79 |
I, 4 |
Frédéric s’arrêta plusieurs fois dans l’escalier, tant son cœur battait fort. Un de ses gants trop juste éclata ; et, tandis qu’il enfonçait la déchirure sous la manchette de sa chemise, Arnoux, qui montait par derrière, le saisit au bras et le fit entrer. |
79 |
I, 4 |
Arnoux présenta Frédéric.
— Oh ! je reconnais Monsieur parfaitement, répondit-elle. |
80 |
I, 4 |
Mais la causerie surtout amusait Frédéric. Son goût pour les voyages fut caressé par Dittmer, qui parla de l’Orient ; il assouvit sa curiosité des choses du théâtre en écoutant Rosenwald causer de l’Opéra ; et l’existence atroce de la bohème lui parut drôle, à travers la gaieté d’Hussonnet, lequel narra, d’une manière pittoresque, comment il avait passé tout un hiver, n’ayant pour nourriture que du fromage de Hollande. Puis, une discussion entre Lovarias et Burrieu, sur l’école florentine, lui révéla des chefs-d’œuvre, lui ouvrit des horizons, et il eut du mal à contenir son enthousiasme quand Pellerin s’écria :
— Laissez-moi tranquille avec votre hideuse réalité ! |
81 |
I, 4 |
Frédéric, en écoutant ces choses, regardait Mme Arnoux. Elles tombaient dans son esprit comme des métaux dans une fournaise, s’ajoutaient à sa passion et faisaient de l’amour. |
81-82 |
I, 4 |
Au moment des liqueurs, elle disparut. La conversation devint très libre ; M. Arnoux y brilla, et Frédéric fut étonné du cynisme de ces hommes. Cependant, leur préoccupation de la femme établissait entre eux et lui comme une égalité, qui le haussait dans sa propre estime. |
82 |
I, 4 |
Rentré au salon, il prit, par contenance, un des albums traînant sur la table. Les grands artistes de l’époque l’avaient illustré de dessins, y avaient mis de la prose, des vers, ou simplement leurs signatures ; parmi les noms fameux, il s’en trouvait beaucoup d’inconnus, et les pensées curieuses n’apparaissaient que sous un débordement de sottises. Toutes contenaient un hommage plus ou moins direct à Mme Arnoux. Frédéric aurait eu peur d’écrire une ligne à côté. |
82 |
I, 4 |
Ensuite, tous causèrent çà et là, par groupes ; le bonhomme Meinsius était avec Mme Arnoux, sur une bergère, près du feu ; elle se penchait vers son oreille, leurs têtes se touchaient ; et Frédéric aurait accepté d’être sourd, infirme et laid pour un nom illustre et des cheveux blancs, enfin pour avoir quelque chose qui l’intronisât dans une intimité pareille. Il se rongeait le cœur, furieux contre sa jeunesse. |
82 |
I, 4 |
Mais elle vint dans l’angle du salon où il se tenait, lui demanda s’il connaissait quelques-uns des convives, s’il aimait la peinture, depuis combien de temps il étudiait à Paris. Chaque mot qui sortait de sa bouche semblait à Frédéric être une chose nouvelle, une dépendance exclusive de sa personne. Il regardait attentivement les effilés de sa coiffure, caressant par le bout son épaule nue ; et il n’en détachait pas ses yeux, il enfonçait son âme dans la blancheur de cette chair féminine ; cependant, il n’osait lever ses paupières, pour la voir plus haut, face à face. |
82 |
I, 4 |
Rosenwald les interrompit, en priant Mme Arnoux de chanter quelque chose. Il préluda, elle attendait ; ses lèvres s’entr’ouvrirent, et un son pur, long, filé, monta dans l’air.
Frédéric ne comprit rien aux paroles italiennes.
Cela commençait sur un rythme grave, tel qu’un chant d’église, puis, s’animant crescendo, multipliait les éclats sonores, s’apaisait tout à coup ; et la mélodie revenait amoureusement, avec une oscillation large et paresseuse. |
83 |
I, 4 |
Mme Arnoux s’était avancée dans l’antichambre, Dittmer et Hussonnet la saluaient, elle leur tendit la main ; elle la tendit également à Frédéric ; et il éprouva comme une pénétration à tous les atomes de sa peau. |
83 |
I, 4 |
et il songeait dédaigneusement à tous ces êtres humains couchés derrière ces murs, qui existaient sans la voir, et dont pas un même ne se doutait qu’elle vécût ! Il n’avait plus conscience du milieu, de l’espace, de rien ; et, battant le sol du talon, en frappant avec sa canne les volets des boutiques, il allait toujours devant lui, au hasard, éperdu, entraîné. Un air humide l’enveloppa ; il se reconnut au bord des quais. |
83-84 |
I, 4 |
Il s’était arrêté au milieu du Pont-Neuf, et, tête nue, poitrine ouverte, il aspirait l’air. Cependant, il sentait monter du fond de lui-même quelque chose d’intarissable, un afflux de tendresse qui l’énervait, comme le mouvement des ondes sous ses yeux. À l’horloge d’une église, une heure sonna, lentement, pareille à une voix qui l’eût appelé. |
84 |
I, 4 |
Alors, il fut saisi par un de ces frissons de l’âme où il vous semble qu’on est transporté dans un monde supérieur. Une faculté extraordinaire, dont il ne savait pas l’objet, lui était venue. Il se demanda, sérieusement, s’il serait un grand peintre ou un grand poète ; et il se décida pour la peinture, car les exigences de ce métier le rapprocheraient de Mme Arnoux. Il avait donc trouvé sa vocation ! Le but de son existence était clair maintenant, et l’avenir infaillible. |
84 |
I, 4 |
Quand il eut refermé sa porte, il entendit quelqu’un qui ronflait, dans le cabinet noir, près de la chambre. C’était l’autre. Il n’y pensait plus.
Son visage s’offrait à lui dans la glace. Il se trouva beau, et resta une minute à se regarder. |
84 |
I, 4 |
Le lendemain, avant midi, il s’était acheté une boîte de couleurs, des pinceaux, un chevalet. Pellerin consentit à lui donner des leçons, |
85 |
I, 5 |
Deslauriers était rentré. Un jeune homme occupait le second fauteuil. Le clerc dit en le montrant :
— C’est lui ! le voilà ! Sénécal !
Ce garçon déplut à Frédéric |
85 |
I, 5 |
Deslauriers fit différentes questions sur Arnoux.
— Tu m’y présenteras plus tard, n’est-ce pas, mon vieux ?
— Certainement, dit Frédéric. |
87 |
I, 5 |
et la vie qu’ils avaient tant rêvée commença.
Elle fut charmante, grâce à la beauté de leur jeunesse. Deslauriers n’ayant parlé d’aucune convention pécuniaire, Frédéric n’en parla pas. Il subvenait à toutes les dépenses, rangeait l’armoire, s’occupait du ménage ; mais, s’il fallait donner une mercuriale au concierge, le clerc s’en chargeait, continuant, comme au collège, son rôle de protecteur et d’aîné.
Séparés tout le long du jour, ils se retrouvaient le soir. Chacun prenait sa place au coin du feu et se mettait à la besogne. Ils ne tardaient pas à l’interrompre. C’étaient des épanchements sans fin, des gaietés sans cause, et des disputes quelquefois, à propos de la lampe qui filait ou d’un livre égaré, colères d’une minute, que des rires apaisaient.
La porte du cabinet au bois restant ouverte, ils bavardaient de loin, dans leur lit.
Le matin, ils se promenaient en manches de chemise sur leur terrasse ; le soleil se levait, des brumes légères passaient sur le fleuve, on entendait un glapissement dans le marché aux fleurs à côté ; et les fumées de leurs pipes tourbillonnaient dans l’air pur, qui rafraîchissait leurs yeux encore bouffis ; ils sentaient, en l’aspirant, un vaste espoir épandu.
Quand il ne pleuvait pas, le dimanche, ils sortaient ensemble ; et, bras dessus bras dessous, ils s’en allaient par les rues. Presque toujours la même réflexion leur survenait à la fois, ou bien ils causaient, sans rien voir autour d’eux. |
87 |
I, 5 |
Frédéric se meublait un palais à la moresque, pour vivre couché sur des divans de cachemire, au murmure d’un jet d’eau, servi par des pages nègres ; et ces choses rêvées devenaient à la fin tellement précises, qu’elles le désolaient comme s’il les avait perdues.
— À quoi bon causer de tout cela, disait-il, puisque jamais nous ne l’aurons !
— Qui sait ? reprenait Deslauriers. |
88 |
I, 5 |
Malgré ses opinions démocratiques, il l’engageait à s’introduire chez les Dambreuse. L’autre objectait ses tentatives.
— Bah ! retournes-y ! On t’invitera ! |
88 |
I, 5 |
Ils reçurent, vers le milieu du mois de mars, parmi des notes assez lourdes, celles du restaurateur qui leur apportait à dîner. Frédéric, n’ayant point la somme suffisante, emprunta cent écus à Deslauriers ; quinze jours plus tard, il réitéra la même demande, et le clerc le gronda pour les dépenses auxquelles il se livrait chez Arnoux.
Effectivement, il n’y mettait point de modération. |
88 |
I, 5 |
Il travaillait chez Pellerin. Mais souvent Pellerin était en courses, ayant coutume d’assister à tous les enterrements et événements dont les journaux devaient rendre compte ; et Frédéric passait des heures entièrement seul dans l’atelier. Le calme de cette grande pièce, où l’on n’entendait que le trottinement des souris, la lumière qui tombait du plafond, et jusqu’au ronflement du poêle, tout le plongeait d’abord dans une sorte de bien-être intellectuel. |
88-89 |
I, 5 |
et, tel qu’un voyageur perdu au milieu d’un bois et que tous les chemins ramènent à la même place, continuellement il retrouvait au fond de chaque idée le souvenir de Mme Arnoux.
Il se fixait des jours pour aller chez elle ; arrivé au second étage, devant sa porte, il hésitait à sonner. Des pas se rapprochaient ; on ouvrait, et, à ces mots : « Madame est sortie », c’était une délivrance, et comme un fardeau de moins sur son cœur. |
89 |
I, 5 |
Il la rencontra, pourtant. La première fois, il y avait trois dames avec elle ; une autre après-midi, le maître d’écriture de Mlle Marthe survint. D’ailleurs, les hommes que recevait Mme Arnoux ne lui faisaient point de visites. Il n’y retourna plus, par discrétion. |
89 |
I, 5 |
Mais il ne manquait pas, pour qu’on l’invitât aux dîners du jeudi, de se présenter à l’Art industriel, chaque mercredi, régulièrement ; et il y restait après tous les autres, plus longtemps que Regimbart, jusqu’à la dernière minute, en feignant de regarder une gravure, de parcourir un journal. Enfin Arnoux lui disait : « Êtes-vous libre, demain soir ? » Il acceptait avant que la phrase fût achevée. |
89 |
I, 5 |
Arnoux semblait le prendre en affection. Il lui montra l’art de reconnaître les vins, à brûler le punch, à faire des salmis de bécasses ; Frédéric suivait docilement ses conseils, aimant tout ce qui dépendait de Mme Arnoux, ses meubles, ses domestiques, sa maison, sa rue. |
89 |
I, 5 |
Il ne parlait guère pendant ces dîners ; il la contemplait. Elle avait à droite, contre la tempe, un petit grain de beauté ; ses bandeaux étaient plus noirs que le reste de sa chevelure et toujours comme un peu humides sur les bords ; elle les flattait de temps à autre, avec deux doigts seulement. Il connaissait la forme de chacun de ses ongles ; il se délectait à écouter le sifflement de sa robe de soie quand elle passait auprès des portes, il humait en cachette la senteur de son mouchoir ; son peigne, ses gants, ses bagues étaient pour lui des choses particulières, importantes comme des œuvres d’art, presque animées comme des personnes ; toutes lui prenaient le cœur et augmentaient sa passion. |
89 |
I, 5 |
Il n’avait pas eu la force de la cacher à Deslauriers. Quand il revenait de chez Mme Arnoux, il le réveillait comme par mégarde, afin de pouvoir causer d’elle.
Deslauriers, qui couchait dans le cabinet au bois, près de la fontaine, poussait un long bâillement. Frédéric s’asseyait au pied de son lit. D’abord il parlait du dîner, puis il racontait mille détails insignifiants, où il voyait des marques de mépris ou d’affection. Une fois, par exemple, elle avait refusé son bras, pour prendre celui de Dittmer, et Frédéric se désolait.
— Ah ! quelle bêtise !
Ou bien elle l’avait appelé son « ami ».
— Vas-y gaiement, alors !
— Mais je n’ose pas, disait Frédéric.
— Eh bien, n’y pense plus ! Bonsoir.
Deslauriers se retournait vers la ruelle et s’endormait. Il ne comprenait rien à cet amour, qu’il regardait comme une dernière faiblesse d’adolescence |
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I, 5 |
— Mais je n’ose pas, disait Frédéric.
— Eh bien, n’y pense plus ! Bonsoir.
Deslauriers se retournait vers la ruelle et s’endormait. Il ne comprenait rien à cet amour, qu’il regardait comme une dernière faiblesse d’adolescence |
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I, 5 |
Hussonnet, le matin, l’avait rencontré au coin d’une rue ; et il l’amenait, car Dussardier, par reconnaissance, voulait voir « l’autre ».
Il tendit à Frédéric le porte-cigares encore plein, et qu’il avait gardé religieusement avec l’espoir de le rendre. Les jeunes gens l’invitèrent à revenir. Il n’y manqua pas.
Tous sympathisaient. D’abord, leur haine du Gouvernement avait la hauteur d’un dogme indiscutable. |
90 |
I, 5 |
Alors, la conversation s’engagea sur les femmes. Pellerin n’admettait pas qu’il y eût de belles femmes (il préférait les tigres) ; d’ailleurs, la femelle de l’homme était une créature inférieure dans la hiérarchie esthétique :
— Ce qui vous séduit est particulièrement ce qui la dégrade comme idée ; je veux dire les seins, les cheveux…
— Cependant, objecta Frédéric, de longs cheveux noirs, avec de grands yeux noirs…
— Oh ! connu ! s’écria Hussonnet. Assez d’Andalouses sur la pelouse ! |
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I, 5 |
M. de Cisy avait à leur endroit toute espèce de crainte.
Élevé sous les yeux d’une grand’mère dévote, il trouvait la compagnie de ces jeunes gens alléchante comme un mauvais lieu et instructive comme une Sorbonne. On ne lui ménageait pas les leçons ; et il se montrait plein de zèle, jusqu’à vouloir fumer, en dépit des maux de cœur qui le tourmentaient chaque fois, régulièrement. Frédéric l’entourait de soins. Il admirait la nuance de ses cravates, la fourrure de son paletot et surtout ses bottes, minces comme des gants et qui semblaient insolentes de netteté et de délicatesse ; sa voiture l’attendait en bas dans la rue. |
92 |
I, 5 |
Un soir qu’il venait de partir, et que la neige tombait, Sénécal se mit à plaindre son cocher. Puis il déclama contre les gants jaunes, le Jockey-Club. Il faisait plus de cas d’un ouvrier que de ces messieurs.
— Moi, je travaille, au moins ! je suis pauvre !
— Cela se voit, dit à la fin Frédéric, impatienté.
Le répétiteur lui garda rancune pour cette parole. |
92 |
I, 5 |
S’il avait fallu risquer sa vie pour son ami, Frédéric l’eût fait. Mais comme il tenait à se montrer le plus avantageusement possible, comme il surveillait son langage, ses manières et son costume jusqu’à venir au bureau de l’Art industriel toujours irréprochablement ganté, il avait peur que Deslauriers, avec son vieil habit noir, sa tournure de procureur et ses discours outrecuidants, ne déplût à Mme Arnoux, ce qui pouvait le compromettre, le rabaisser lui-même auprès d’elle. Il admettait bien les autres, mais celui-là, précisément, l’aurait gêné mille fois plus. Le clerc s’apercevait qu’il ne voulait pas tenir sa promesse, et le silence de Frédéric lui semblait une aggravation d’injure. |
93 |
I, 5 |
Enfin, un jour, Frédéric, excédé, lui dit d’une voix lamentable :
— Mais laisse-moi tranquille avec Arnoux !
— Jamais ! répondit le clerc
Toujours lui ! lui partout ! ou brûlante ou glacée !
L’image de l’Arnoux…
— Tais-toi donc ! s’écria Frédéric en levant le poing.
Il reprit doucement :
— C’est un sujet qui m’est pénible, tu sais bien.
— Oh ! pardon, mon bonhomme, répliqua Deslauriers en s’inclinant très bas, on respectera désormais les nerfs de Mademoiselle ! Pardon encore une fois. Mille excuses ! |
93 |
I, 5 |
Mais, trois semaines après, un soir, il lui dit :
— Eh bien, je l’ai vue tantôt, Mme Arnoux !
— Où donc ?
— Au Palais, avec Balandard, avoué ; une femme brune, n’est-ce pas, de taille moyenne ?
Frédéric fit un signe d’assentiment. Il attendait que Deslauriers parlât. Au moindre mot d’admiration, il se serait épanché largement, était tout prêt à le chérir ; l’autre se taisait toujours ; enfin, n’y tenant plus, il lui demanda d’un air indifférent ce qu’il pensait d’elle.
Deslauriers la trouvait « pas mal, sans avoir pourtant rien d’extraordinaire ».
— Ah ! tu trouves, dit Frédéric. |
93-94 |
I, 5 |
Arriva le mois d’août, époque de son deuxième examen. D’après l’opinion courante, quinze jours devaient suffire pour en préparer les matières. Frédéric, ne doutant pas de ses forces, avala d’emblée les quatre premiers livres du Code de procédure, les trois premiers du Code pénal, plusieurs morceaux d’instruction criminelle et une partie du Code civil, avec les annotations de M. Poncelet. La veille, Deslauriers lui fit faire une récapitulation qui se prolongea jusqu’au matin ; et, pour mettre à profit le dernier quart d’heure, il continua à l’interroger sur le trottoir, tout en marchant. |
94 |
I, 5 |
Frédéric endossa la robe noire traditionnelle ; puis il entra, suivi de la foule, avec trois autres étudiants, dans une grande pièce, éclairée par des fenêtres sans rideaux et garnie de banquettes, le long des murs. Au milieu, des chaises de cuir entouraient une table, décorée d’un tapis vert. Elle séparait les candidats de MM. les examinateurs en robe rouge, tous portant des chausses d’hermine sur l’épaule, avec des toques à galons d’or sur le chef.
Frédéric se trouvait l’avant-dernier dans la série, position mauvaise. À la première question sur la différence entre une convention et un contrat, il définit l’une pour l’autre ; et le professeur, un brave homme, lui dit :
— Ne vous troublez pas, monsieur, remettez-vous !
Puis, ayant fait deux demandes faciles, suivies de réponses obscures, il passa enfin au quatrième. Frédéric fut démoralisé par ce piètre commencement. Deslauriers, en face, dans le public, lui faisait signe que tout n’était pas encore perdu ; et à la deuxième interrogation sur le droit criminel, il se montra passable. Mais, après la troisième, relative au testament mystique, l’examinateur étant resté impassible tout le temps, son angoisse redoubla ; car Hussonnet joignait les mains comme pour applaudir, tandis que Deslauriers prodiguait les haussements d’épaules. Enfin, le moment arriva où il fallut répondre sur la Procédure ! Il s’agissait de la tierce opposition. Le professeur, choqué d’avoir entendu des théories contraires aux siennes, lui demanda d’un ton brutal :
— Et vous, monsieur, est-ce votre avis ? Comment conciliez-vous le principe de l’article 1351 du Code civil avec cette voie d’attaque extraordinaire ?
Frédéric se sentait un grand mal de tête pour avoir passé la nuit sans dormir. Un rayon de soleil, entrant par l’intervalle d’une jalousie, le frappait au visage. Debout derrière la chaise, il se dandinait et tirait sa moustache.
— J’attends toujours votre réponse ! reprit l’homme à la toque d’or.
Et, comme le geste de Frédéric l’agaçait sans doute :
— Ce n’est pas dans votre barbe que vous la trouverez !
Ce sarcasme causa un rire dans l’auditoire ; le professeur, flatté, s’amadoua. Il lui fit deux questions encore sur l’ajournement et sur l’affaire sommaire, puis baissa la tête en signe d’approbation ; l’acte public était fini. Frédéric rentra dans le vestibule.
Pendant que l’huissier le dépouillait de sa robe, pour la repasser à un autre immédiatement, ses amis l’entourèrent en achevant de l’ahurir avec leurs opinions contradictoires sur le résultat de l’examen. On le proclama bientôt d’une voix sonore, à l’entrée de la salle : « Le troisième était… ajourné ! » |
94-95 |
I, 5 |
Celui-là t’enfonce tout de même, dit Deslauriers.
Rien n’est humiliant comme de voir les sots réussir dans les entreprises où l’on échoue. Frédéric, vexé, répondit qu’il s’en moquait. Ses prétentions étaient plus hautes ; et, comme Hussonnet faisait mine de s’en aller, il le prit à l’écart pour lui dire :
— Pas un mot de tout cela, chez eux, bien entendu !
Le secret était facile, puisque Arnoux, le lendemain, partait en voyage pour l’Allemagne. |
95 |
I, 5 |
Frédéric déclara qu’il n’irait pas chez sa mère ; il emploierait ses vacances à travailler.
À la nouvelle du départ d’Arnoux, une joie l’avait saisi. Il pouvait se présenter là-bas, tout à son aise, sans crainte d’être interrompu dans ses visites. La conviction d’une sécurité absolue lui donnerait du courage. Enfin il ne serait pas éloigné, ne serait pas séparé d’elle ! Quelque chose de plus fort qu’une chaîne de fer l’attachait à Paris, une voix intérieure lui criait de rester. |
96 |
I, 5 |
Des obstacles s’y opposaient. Il les franchit en écrivant à sa mère ; il confessait d’abord son échec, occasionné par des changements faits dans le programme, un hasard, une injustice ; d’ailleurs, tous les grands avocats (il citait leurs noms) avaient été refusés à leurs examens. Mais il comptait se présenter de nouveau au mois de novembre. Or, n’ayant pas de temps à perdre, il n’irait point à la maison cette année ; et il demandait, outre l’argent d’un trimestre, deux cent cinquante francs, pour des répétitions de droit, fort utiles ; le tout enguirlandé de regrets, condoléances, chatteries et protestations d’amour filial. |
|
|
À la fin de la semaine, néanmoins, il reçut l’argent du trimestre avec la somme destinée aux répétitions, et qui servit à payer un pantalon gris perle, un chapeau de feutre blanc et une badine à pomme d’or.
Quand tout cela fut en sa possession :
« C’est peut-être une idée de coiffeur que j’ai eue ? » songea-t-il.
Et une grande hésitation le prit.
Pour savoir s’il irait chez Mme Arnoux, il jeta par trois fois dans l’air, des pièces de monnaie. Toutes les fois, le présage fut heureux. Donc, la fatalité l’ordonnait. Il se fit conduire en fiacre rue de Choiseul. |
96 |
I, 5 |
— Vous avez quelque chose à me demander, cher ami ?
— Non ! rien ! rien ! balbutia le jeune homme, cherchant un prétexte à sa visite.
Enfin, il dit qu’il était venu savoir de ses nouvelles, car il le croyait en Allemagne, sur le rapport d’Hussonnet.
— Nullement ! reprit Arnoux. Quelle linotte que ce garçon-là, pour entendre tout de travers ! |
97 |
I, 5 |
Afin de dissimuler son trouble, Frédéric marchait de droite et de gauche, dans la salle. En heurtant le pied d’une chaise, il fit tomber une ombrelle posée dessus ; le manche d’ivoire se brisa.
— Mon Dieu ! s’écria-t-il, comme je suis chagrin d’avoir brisé l’ombrelle de Mme Arnoux.
À ce mot, le marchand releva la tête, et eut un singulier sourire. Frédéric, prenant l’occasion qui s’offrait de parler d’elle, ajouta timidement :
— Est-ce que je ne pourrai pas la voir ?
Elle était dans son pays, près de sa mère malade. |
97 |
I, 5 |
Frédéric descendit l’escalier marche à marche. L’insuccès de cette première tentative le décourageait sur le hasard des autres. Alors commencèrent trois mois d’ennui. Comme il n’avait aucun travail, son désœuvrement renforçait sa tristesse.
Il passait des heures à regarder, du haut de son balcon, la rivière qui coulait entre les quais grisâtres, noircis de place en place, par la bavure des égouts, avec un ponton de blanchisseuses amarré contre le bord, où des gamins quelquefois s’amusaient, dans la vase, à faire baigner un caniche. |
98 |
I, 5 |
C’était par derrière, de ce côté-là, que devait être la maison de Mme Arnoux.
Il rentrait dans sa chambre ; puis, couché sur son divan, s’abandonnait à une méditation désordonnée : plans d’ouvrage, projets de conduite, élancements vers l’avenir. Enfin, pour se débarrasser de lui-même, il sortait.
Il remontait, au hasard, le quartier latin, si tumultueux d’habitude, mais désert à cette époque, car les étudiants étaient partis dans leurs familles. |
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I, 5 |
Il allait tous les jours à l’Art industriel ; et pour savoir quand reviendrait Mme Arnoux, il s’informait de sa mère très longuement. La réponse d’Arnoux ne variait pas : « le mieux se continuait », sa femme, avec la petite, serait de retour la semaine prochaine. Plus elle tardait à revenir, plus Frédéric témoignait d’inquiétude, si bien qu’Arnoux, attendri par tant d’affection, l’emmena cinq ou six fois dîner au restaurant. |
99 |
I, 5 |
Frédéric, dans ces longs tête-à-tête, reconnut que le marchand de peinture n’était pas fort spirituel. Arnoux pouvait s’apercevoir de ce refroidissement ; et puis c’était l’occasion de lui rendre, un peu, ses politesses.
Voulant donc faire les choses très bien, il vendit à un brocanteur tous ses habits neufs, moyennant la somme de quatre-vingts francs ; et, l’ayant grossie de cent autres qui lui restaient, il vint chez Arnoux le prendre pour dîner. |
99 |
I, 5 |
Frédéric assista, sur ses jambes, à d’interminables parties de billard, abreuvées d’innombrables chopes ; et il resta là, jusqu’à minuit, sans savoir pourquoi, par lâcheté, par bêtise, dans l’espérance confuse d’un événement quelconque favorable à son amour. |
100 |
I, 5 |
Quand donc la reverrait-il ? Frédéric se désespérait. Mais, un soir, vers la fin de novembre, Arnoux lui dit :
— Ma femme est revenue hier, vous savez !
Le lendemain, à cinq heures, il entrait chez elle.
Il débuta par des félicitations, à propos de sa mère, dont la maladie avait été si grave.
— Mais non ! Qui vous l’a dit ?
— Arnoux !
Elle fit un « ah » léger, puis ajouta qu’elle avait eu d’abord, des craintes sérieuses, maintenant disparues.
Elle se tenait près du feu, dans la bergère de tapisserie. Il était sur le canapé, avec son chapeau entre ses genoux ; et l’entretien fut pénible, elle l’abandonnait à chaque minute ; il ne trouvait pas de joint pour y introduire ses sentiments. Mais, comme il se plaignait d’étudier la chicane, elle répliqua : « Oui…, je conçois…, les affaires… ! » en baissant la figure, absorbée tout à coup par des réflexions.
Il avait soif de les connaître, et même ne songeait pas à autre chose. Le crépuscule amassait de l’ombre autour d’eux.
Elle se leva, ayant une course à faire, puis reparut avec une capote de velours, et une mante noire, bordée de petit-gris. Il osa offrir de l’accompagner. |
100 |
I, 5 |
On n’y voyait plus ; le temps était froid, et un lourd brouillard, estompant la façade des maisons, puait dans l’air. Frédéric le humait avec délices ; car il sentait à travers la ouate du vêtement la forme de son bras ; et sa main, prise dans un gant chamois à deux boutons, sa petite main qu’il aurait voulu couvrir de baisers, s’appuyait sur sa manche. À cause du pavé glissant, ils oscillaient un peu ; il lui semblait qu’ils étaient tous les deux comme bercés par le vent, au milieu d’un nuage. |
101 |
I, 5 |
L’éclat des lumières, sur le boulevard, le remit dans la réalité. L’occasion était bonne, le temps pressait. Il se donna jusqu’à la rue de Richelieu pour déclarer son amour. Mais, presque aussitôt, devant un magasin de porcelaines, elle s’arrêta net, en lui disant :
— Nous y sommes, je vous remercie ! À jeudi, n’est-ce pas, comme d’habitude ? |
101 |
I, 5 |
Les dîners recommencèrent ; et plus il fréquentait Mme Arnoux, plus ses langueurs augmentaient.
La contemplation de cette femme l’énervait, comme l’usage d’un parfum trop fort. Cela descendit dans les profondeurs de son tempérament, et devenait presque une manière générale de sentir, un mode nouveau d’exister.
Les prostituées qu’il rencontrait aux feux du gaz, les cantatrices poussant leurs roulades, les écuyères sur leurs chevaux au galop, les bourgeoises à pied, les grisettes à leur fenêtre, toutes les femmes lui rappelaient celle-là, par des similitudes ou par des contrastes violents. Il regardait, le long des boutiques, les cachemires, les dentelles et les pendeloques de pierreries, en les imaginant drapés autour de ses reins, cousues à son corsage, faisant des feux dans sa chevelure noire. À l’éventaire des marchandes, les fleurs s’épanouissaient pour qu’elle les choisît en passant ; dans la montre des cordonniers, les petites pantoufles de satin à bordure de cygne semblaient attendre son pied ; toutes les rues conduisaient vers sa maison ; les voitures ne stationnaient sur les places que pour y mener plus vite ; Paris se rapportait à sa personne, et la grande ville, avec toutes ses voix, bruissait, comme un immense orchestre, autour d’elle. |
101 |
I, 5 |
Quand il allait au Jardin des Plantes, la vue d’un palmier l’entraînait vers des pays lointains. Ils voyageaient ensemble, au dos des dromadaires, sous le tendelet des éléphants, dans la cabine d’un yacht parmi des archipels bleus, ou côte à côte sur deux mulets à clochettes, qui trébuchent dans les herbes contre des colonnes brisées. Quelquefois, il s’arrêtait au Louvre devant de vieux tableaux ; et son amour l’embrassant jusque dans les siècles disparus, il la substituait aux personnages des peintures. Coiffée d’un hennin, elle priait à deux genoux derrière un vitrage de plomb. Seigneuresse des Castilles ou des Flandres, elle se tenait assise, avec une fraise empesée et un corps de baleines à gros bouillons. Puis elle descendait quelque grand escalier de porphyre, au milieu des sénateurs, sous un dais de plumes d’autruche, dans une robe de brocart. D’autres fois, il la rêvait en pantalon de soie jaune, sur les coussins d’un harem ; et tout ce qui était beau, le scintillement des étoiles, certains airs de musique, l’allure d’une phrase, un contour l’amenaient à sa pensée d’une façon brusque et insensible. |
101-102 |
I, 5 |
Quant à essayer d’en faire sa maîtresse, il était sûr que toute tentative serait vaine. |
102 |
I, 5 |
Un soir, Dittmer, qui arrivait, la baisa sur le front ; Lovarias fit de même, en disant :
— Vous permettez, n’est-ce pas, selon le privilège des amis ?
Frédéric balbutia :
— Il me semble que nous sommes tous des amis ?
— Pas tous des vieux ! reprit-elle.
C’était le repousser d’avance, indirectement.
Que faire, d’ailleurs ? Lui dire qu’il l’aimait ? Elle l’éconduirait sans doute ; ou bien, s’indignant, le chasserait de sa maison ! Or il préférait toutes les douleurs à l’horrible chance de ne plus la voir.
Il enviait le talent des pianistes, les balafres des soldats. Il souhaitait une maladie dangereuse, espérant de cette façon l’intéresser. |
102 |
I, 5 |
Une chose l’étonnait, c’est qu’il n’était pas jaloux d’Arnoux ; et il ne pouvait se la figurer autrement que vêtue, tant sa pudeur semblait naturelle, et reculait son sexe dans une ombre mystérieuse. |
102 |
I, 5 |
Cependant, il songeait au bonheur de vivre avec elle, de la tutoyer, de lui passer la main sur les bandeaux longuement, ou de se tenir par terre, à genoux, les deux bras autour de sa taille, à boire son âme dans ses yeux ! Il aurait fallu, pour cela, subvertir la destinée ; et, incapable d’action, maudissant Dieu et s’accusant d’être lâche, il tournait dans son désir, comme un prisonnier dans son cachot. Une angoisse permanente l’étouffait. Il restait pendant des heures immobile, ou bien il éclatait en larmes ; et, un jour qu’il n’avait pas eu la force de se contenir, Deslauriers lui dit :
— Mais, saprelotte ! qu’est-ce que tu as ?
Frédéric souffrait des nerfs. |
102 |
I, 5 |
Frédéric souffrait des nerfs. Deslauriers n’en crut rien. Devant une pareille douleur, il avait senti se réveiller sa tendresse, et il le réconforta. Un homme comme lui se laisser abattre, quelle sottise ! Passe encore dans la jeunesse, mais plus tard, c’est perdre son temps.
— Tu me gâtes mon Frédéric ! Je redemande l’ancien. Garçon, toujours du même ! Il me plaisait ! Voyons, fume une pipe, animal ! Secoue-toi un peu, tu me désoles !
— C’est vrai, dit Frédéric, je suis fou !
Le Clerc reprit :
— Ah ! vieux troubadour, je sais bien ce qui t’afflige ! Le petit cœur ? Avoue-le ! Bah ! une de perdue, quatre de trouvées ! On se console des femmes vertueuses avec les autres. Veux-tu que je t’en fasse connaître, des femmes ? Tu n’as qu’à venir à l’Alhambra. |
102 |
I, 5 |
— Très bien ! dit Arnoux. Je comprends pourquoi vous êtes ce soir à l’Alhambra ! Delmas vous plaît, ma chère.
Elle ne voulut rien avouer.
— Ah ! quelle pudeur !
Et, montrant Frédéric :
— Est-ce à cause de lui ? Vous auriez tort. Pas de garçon plus discret !
Les autres, qui cherchaient leur ami, entrèrent dans la salle de verdure. Hussonnet les présenta. |
106 |
I, 5 |
Arnoux les regarda s’éloigner, puis, se tournant vers Frédéric :
— Vous plairait-elle, la Vatnaz ? Au reste, vous n’êtes pas franc là-dessus ? Je crois que vous cachez vos amours ?
Frédéric, devenu blême, jura qu’il ne cachait rien.
— C’est qu’on ne vous connaît pas de maîtresse, reprit Arnoux.
Frédéric eut envie de citer un nom, au hasard. Mais l’histoire pouvait lui être racontée. Il répondit qu’effectivement, il n’avait pas de maîtresse.
Le marchand l’en blâma.
— Ce soir, l’occasion était bonne ! Pourquoi n’avez-vous pas fait comme les autres, qui s’en vont tous avec une femme ?
— Eh bien, et vous ? dit Frédéric, impatienté d’une telle persistance.
— Ah ! moi ! mon petit c’est différent ! Je m’en retourne auprès de la mienne !
Il appela un cabriolet, et disparut. |
107-108 |
I, 5 |
Mais, tout à coup, ils traversèrent le pont au Change, le marché aux Fleurs, le quai Napoléon. Frédéric entra derrière eux. Deslauriers lui fit comprendre qu’il les gênerait, et n’avait qu’à suivre son exemple.
— Combien as-tu encore ?
— Deux pièces de cent sous.
— C’est assez ! bonsoir !
Frédéric fut saisi par l’étonnement que l’on éprouve à voir une farce réussir : « Il se moque de moi, pensa-t-il. Si je remontais ? » |
109 |
I, 5 |
Deslauriers croirait, peut-être, qu’il lui enviait cet amour ? Comme si je n’en avais pas un, et cent fois plus rare, plus noble, plus fort ! » Une espèce de colère le poussait. Il arriva devant la porte de Mme Arnoux.
Aucune des fenêtres extérieures ne dépendait de son logement. Cependant, il restait les yeux collés sur la façade, comme s’il avait cru, par cette contemplation, pouvoir fendre les murs. Maintenant, sans doute, elle reposait, tranquille comme une fleur endormie, avec ses beaux cheveux noirs parmi les dentelles de l’oreiller, les lèvres entre-closes, la tête sur un bras. |
109 |
I, 5 |
Alors, il se ressouvint de ce soir de l’autre hiver, où, sortant de chez elle, pour la première fois, il lui avait fallu s’arrêter, tant son cœur battait vite sous l’étreinte de ses espérances. Toutes étaient mortes, maintenant !
Des nues sombres couraient sur la face de la lune. Il la contempla, en rêvant à la grandeur des espaces, à la misère de la vie, au néant de tout. Le jour parut ; ses dents claquaient ; et, à moitié endormi, mouillé par le brouillard et tout plein de larmes, il se demanda pourquoi n’en pas finir ? Rien qu’un mouvement à faire ! Le poids de son front l’entraînait, il voyait son cadavre flottant sur l’eau ; Frédéric se pencha. Le parapet était un peu large, et ce fut par lassitude qu’il n’essaya pas de le franchir. Une épouvante le saisit. Il regagna les boulevards et s’affaissa sur un banc. |
109-110 |
I, 5 |
Grâce à Dussardier, la veille au soir, il s’était abouché avec une dame ; et même il l’avait reconduite en voiture, avec son mari, jusqu’au seuil de sa maison, où elle lui avait donné rendez-vous. Il en sortait. On ne connaissait pas ce nom-là !
— Que voulez-vous que j’y fasse ? dit Frédéric.
Alors le gentilhomme battit la campagne ; il parla de Mlle Vatnaz, de l’Andalouse, et de toutes les autres. Enfin, avec beaucoup de périphrases, il exposa le but de sa visite : se fiant à la discrétion de son ami, il venait pour qu’il l’assistât dans une démarche, après laquelle il se regarderait définitivement comme un homme ; et Frédéric ne le refusa pas. Il conta l’histoire à Deslauriers, sans dire la vérité sur ce qui le concernait personnellement. |
110 |
I, 5 |
Le bohème se mit à l’appeler par des signaux, et, Frédéric ayant descendu ses cinq étages :
— Voici la chose : C’est samedi prochain, 24, la fête de Mme Arnoux.
— Comment, puisqu’elle s’appelle Marie ?
— Angèle aussi, n’importe ! On festoiera dans leur maison de campagne, à Saint-Cloud ; je suis chargé de vous en prévenir. Vous trouverez un véhicule à trois heures, au journal ! Ainsi convenu ! Pardon de vous avoir dérangé. Mais j’ai tant de courses !
Frédéric n’avait pas tourné les talons que son portier lui remit une lettre :
« Monsieur et Madame Dambreuse prient Monsieur F. Moreau de leur faire l’honneur de venir dîner chez eux samedi 24 courant. — R. S. V. P. »
— Trop tard, pensa-t-il.
Néanmoins, il montra la lettre à Deslauriers, lequel s’écria :
— Ah ! enfin ! Mais tu n’as pas l’air content. Pourquoi ?
Frédéric, ayant hésité quelque peu, dit qu’il avait le même jour une autre invitation.
— Fais-moi le plaisir d’envoyer bouler la rue de Choiseul. Pas de bêtises ! Je vais répondre pour toi, si ça te gêne. |
111 |
I, 5 |
Il n’en devait pas moins, puisque c’était la fête de Mme Arnoux, lui offrir un cadeau ; il songea, naturellement, à une ombrelle, afin de réparer sa maladresse. Or il découvrit une marquise en soie gorge-pigeon, à petit manche d’ivoire ciselé, et qui arrivait de la Chine. Mais cela coûtait cent soixante-quinze francs et il n’avait pas un sou, vivant même à crédit sur le trimestre prochain. Cependant, il la voulait, il y tenait, et, malgré sa répugnance, il eut recours à Deslauriers.
Deslauriers lui répondit qu’il n’avait pas d’argent.
— J’en ai besoin, dit Frédéric, grand besoin !
Et, l’autre ayant répété la même excuse, il s’emporta.
— Tu pourrais bien, quelquefois…
— Quoi donc ?
— Rien !
Le clerc avait compris. Il leva sur sa réserve la somme en question, et, quand il l’eut versée pièce à pièce :
— Je ne te réclame pas de quittance, puisque je vis à tes crochets !
Frédéric lui sauta au cou, avec mille protestations affectueuses. Deslauriers resta froid. Puis, le lendemain, apercevant l’ombrelle sur le piano :
— Ah ! c’était pour cela !
— Je l’enverrai peut-être, dit lâchement Frédéric. |
112 |
I, 5 |
Pendant que Frédéric parlait au commis, Mlle Vatnaz survint, et fut désappointée de ne pas voir Arnoux. Il resterait là-bas encore deux jours, peut-être. Le commis lui conseilla « d’y aller » ; elle ne pouvait y aller ; « d’écrire une lettre », elle avait peur que la lettre ne fût perdue. Frédéric s’offrit à la porter lui-même. Elle en fit une rapidement, et le conjura de la remettre sans témoins.
Quarante minutes après, il débarquait à Saint-Cloud. |
112-113 |
I, 5 |
Hussonnet s’était dispensé de tout présent.
Frédéric attendit après les autres, pour offrir le sien.
Elle l’en remercia beaucoup. Alors, il dit :
— Mais… c’est presque une dette ! J’ai été si fâché.
— De quoi donc ? reprit-elle. Je ne comprends pas !
— À table ! fit Arnoux, en le saisissant par le bras.
Puis, dans l’oreille :
— Vous n’êtes guère malin, vous ! |
113 |
I, 5 |
Le marchand ajouta, d’un air simple :
— Comment l’appelez-vous donc, ce grand jeune homme, votre ami ?
— Deslauriers, dit vivement Frédéric.
Et, pour réparer les torts qu’ils se sentait à son endroit, il le vanta comme une intelligence supérieure.
— Ah ! vraiment ? Mais il n’a pas l’air si brave garçon que l’autre, le commis de roulage.
Frédéric maudit Dussardier. Elle allait croire qu’il frayait avec les gens du commun. |
114-115 |
I, 5 |
Mme Arnoux était seule près de la croisée, Frédéric l’aborda.
Ils causèrent de ce que l’on disait. Elle admirait les orateurs ; lui, il préférait la gloire des écrivains. Mais on devait sentir, reprit-elle, une plus forte jouissance à remuer les foules directement, soi-même, à voir que l’on fait passer dans leur âme tous les sentiments de la sienne. Ces triomphes ne tentaient guère Frédéric, qui n’avait point d’ambition.
— Ah ! pourquoi ? dit-elle. Il faut en avoir un peu !
Ils étaient l’un près de l’autre, debout, dans l’embrasure de la croisée. La nuit, devant eux, s’étendait comme un immense voile sombre, piqué d’argent. C’était la première fois qu’ils ne parlaient pas de choses insignifiantes. Il vint même à savoir ses antipathies et ses goûts : certains parfums lui faisaient mal, les livres d’histoire l’intéressaient, elle croyait aux songes.
Il entama le chapitre des aventures sentimentales. Elle plaignait les désastres de la passion, mais était révoltée par les turpitudes hypocrites ; et cette droiture d’esprit se rapportait si bien à la beauté régulière de son visage, qu’elle semblait en dépendre. |
116 |
I, 5 |
Elle souriait quelquefois, arrêtant sur lui ses yeux, une minute. Alors, il sentait ses regards pénétrer son âme, comme ces grands rayons de soleil qui descendent jusqu’au fond de l’eau. Il l’aimait sans arrière-pensée, sans espoir de retour, absolument ; et, dans ces muets transports, pareils à des élans de reconnaissance, il aurait voulu couvrir son front d’une pluie de baisers. Cependant, un souffle intérieur l’enlevait comme hors de lui ; c’était une envie de se sacrifier, un besoin de dévouement immédiat, et d’autant plus fort qu’il ne pouvait l’assouvir. |
116 |
I, 5 |
— Et ton bouquet ? dit Arnoux.
— Non ! non ! ce n’est pas la peine !
Frédéric courait pour l’aller prendre ; elle lui cria :
— Je n’en veux pas !
Mais il l’apporta bientôt, disant qu’il venait de le remettre dans l’enveloppe, car il avait trouvé les fleurs à terre. Elle les enfonça dans le tablier de cuir, contre le siège, et l’on partit.
Frédéric, assis près d’elle, remarqua qu’elle tremblait horriblement. Puis, quand on eut passé le pont, comme Arnoux tournait à gauche :
— Mais non ! tu te trompes ! par là, à droite !
Elle semblait irritée ; tout la gênait. Enfin, Marthe ayant fermé les yeux, elle tira le bouquet et le lança par la portière, puis saisit au bras Frédéric, en lui faisant signe, avec l’autre main, de n’en jamais parler. |
117 |
I, 5 |
Frédéric n’apercevait de Mme Arnoux que ses deux yeux, dans l’ombre ; Marthe s’était allongée sur elle, et il lui soutenait la tête.
— Elle vous fatigue ! dit sa mère.
Il répondit :
— Non ! oh non !
De lents tourbillons de poussière se levaient ; on traversait Auteuil ; toutes les maisons étaient closes ; un réverbère, çà et là, éclairait l’angle d’un mur, puis on rentrait dans les ténèbres ; une fois, il s’aperçut qu’elle pleurait.
Était-ce un remords ? un désir ? quoi donc ? Ce chagrin, qu’il ne savait pas, l’intéressait comme une chose personnelle ; maintenant, il y avait entre eux un lien nouveau, une espèce de complicité ; et il lui dit, de la voix la plus caressante qu’il put :
— Vous souffrez ?
— Oui, un peu, reprit-elle.
La voiture roulait, et les chèvrefeuilles et les seringas débordaient les clôtures des jardins, envoyaient dans la nuit des bouffées d’odeurs amollissantes. Les plis nombreux de sa robe couvraient ses pieds. Il lui semblait communiquer avec toute sa personne par ce corps d’enfant étendu entre eux. Il se pencha vers la petite fille, et, écartant ses jolis cheveux bruns, la baisa au front, doucement.
— Vous êtes bon ! dit Mme Arnoux.
— Pourquoi ?
— Parce que vous aimez les enfants.
— Pas tous !
Il n’ajouta rien, mais il étendit la main gauche de son côté et la laissa toute grande ouverte, s’imaginant qu’elle allait faire comme lui, peut-être, et qu’il rencontrerait la sienne. Puis il eut honte, et la retira. |
117-118 |
I, 5 |
Dès le lendemain, il se mit à travailler de toutes ses forces.
Il se voyait dans une cour d’assises, par un soir d’hiver, à la fin des plaidoiries, quand les jurés sont pâles et que la foule haletante fait craquer les cloisons du prétoire, parlant depuis quatre heures déjà, résumant toutes ses preuves, en découvrant de nouvelles, et sentant à chaque phrase, à chaque mot, à chaque geste, le couperet de la guillotine, suspendu derrière lui, se relever ; puis, à la tribune de la Chambre, orateur qui porte sur ses lèvres le salut de tout un peuple, noyant ses adversaires sous ses prosopopées, les écrasant d’une riposte, avec des foudres et des intonations musicales dans la voix, ironique, pathétique, emporté, sublime. Elle serait là, quelque part, au milieu des autres, cachant sous son voile ses pleurs d’enthousiasme ; ils se retrouveraient ensuite ; et les découragements, les calomnies et les injures ne l’atteindraient pas, si elle disait : « Ah ! cela est beau ! » en lui passant sur le front ses mains légères. |
118 |
I, 5 |
Ces images fulguraient, comme des phares, à l’horizon de sa vie. Son esprit, excité, devint plus leste et plus fort. Jusqu’au mois d’août, il s’enferma, et fut reçu à son dernier examen.
Deslauriers, qui avait eu tant de mal à lui seriner encore une fois le deuxième à la fin de décembre et le troisième en février, s’étonnait de son ardeur. Alors, les vieux espoirs revinrent. Dans dix ans, il fallait que Frédéric fût député ; dans quinze, ministre ; pourquoi pas ? Avec son patrimoine qu’il allait toucher bientôt, il pouvait, d’abord, fonder un journal ; ce serait le début ; ensuite, on verrait. Quant à lui, il ambitionnait toujours une chaire à l’École de droit ; et il soutint sa thèse pour le doctorat d’une façon si remarquable, qu’elle lui valut les compliments des professeurs.
Frédéric passa la sienne trois jours après. Avant de partir en vacances, il eut l’idée d’un pique-nique, pour clore les réunions du samedi.
Il s’y montra gai. |
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I, 5 |
et Frédéric, en faisant ses adieux à Hussonnet, apprit que Mme Arnoux avait dû revenir la veille.
Il alla donc aux Messageries changer sa place pour le lendemain, et, vers six heures du soir, se présenta chez elle. Son retour, lui dit le concierge, était différé d’une semaine. Frédéric dîna seul, puis flâna sur les boulevards.
Des nuages roses, en forme d’écharpe, s’allongeaient au delà des toits ; on commençait à relever les tentes des boutiques ; des tombereaux d’arrosage versaient une pluie sur la poussière, et une fraîcheur inattendue se mêlait aux émanations des cafés, laissant voir par leurs portes ouvertes, entre des argenteries et des dorures, des fleurs en gerbes qui se miraient dans les hautes glaces. La foule marchait lentement. Il y avait des groupes d’hommes causant au milieu du trottoir ; et des femmes passaient, avec une mollesse dans les yeux et ce teint de camélia que donne aux chairs féminines la lassitude des grandes chaleurs. Quelque chose d’énorme s’épanchait, enveloppait les maisons. Jamais Paris ne lui avait semblé si beau. Il n’apercevait, dans l’avenir, qu’une interminable série d’années toutes pleines d’amour. |
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I, 5 |
Mme Dambreuse, appuyée sur son bras, inclinait la tête, légèrement ; et l’aménité spirituelle de son visage contrastait avec son expression chagrine de tout à l’heure.
— On y trouve pourtant de belles distractions ! dit-elle, aux derniers mots de son mari. Comme ce spectacle est bête ! n’est-ce pas, monsieur ?
Et tous trois restèrent debout, à causer théâtres et pièces nouvelles.
Frédéric, habitué aux grimaces des bourgeoises provinciales, n’avait vu chez aucune femme une pareille aisance de manières, cette simplicité, qui est un raffinement, et où les naïfs aperçoivent l’expression d’une sympathie instantanée.
On comptait sur lui, dès son retour ; M. Dambreuse le chargea de ses souvenirs pour le père Roque.
Frédéric ne manqua pas, en rentrant, de conter cet accueil à Deslauriers.
— Fameux ! reprit le clerc, et ne te laisse pas entortiller par ta maman ! Reviens tout de suite ! |
121 |
I, 5 |
Le lendemain de son arrivée, après leur déjeuner, Mme Moreau emmena son fils dans le jardin.
Elle se dit heureuse de lui voir un état, car ils n’étaient pas aussi riches que l’on croyait ; la terre rapportait peu ; les fermiers payaient mal ; elle avait même été contrainte de vendre sa voiture. Enfin, elle lui exposa leur situation.
Dans les premiers embarras de son veuvage, un homme astucieux, M. Roque, lui avait fait des prêts d’argent, renouvelés, prolongés malgré elle. Il était venu les réclamer tout à coup ; et elle avait passé par ses conditions, en lui cédant à un prix dérisoire la ferme de Presles. Dix ans plus tard, son capital disparaissait dans la faillite d’un banquier, à Melun. Par horreur des hypothèques et pour conserver des apparences utiles à l’avenir de son fils, comme le père Roque se présentait de nouveau, elle l’avait écouté encore une fois. Mais elle était quitte, maintenant. Bref, il leur restait environ dix mille francs de rente, dont deux mille trois cents à lui, tout son patrimoine !
— Ce n’est pas possible ! s’écria Frédéric.
Elle eut un mouvement de tête signifiant que cela était très possible. |
121 |
I, 5 |
Mais son oncle lui laisserait quelque chose ?
Rien n’était moins sûr !
Et ils firent un tour de jardin, sans parler. Enfin elle l’attira contre son cœur, et, d’une voix que les larmes étouffaient
— Ah ! mon pauvre garçon ! Il m’a fallu abandonner bien des rêves !
Il s’assit sur le banc, à l’ombre du grand acacia.
Ce qu’elle lui conseillait, c’était de se mettre clerc chez M. Prouharam, avoué, lequel lui céderait son étude ; s’il la faisait bien valoir, il pourrait la revendre, et trouver un bon parti.
Frédéric n’entendait plus. |
122 |
I, 5 |
Ruiné, dépouillé, perdu !
Il était resté sur le banc, comme étourdi par une commotion. Il maudissait le sort, il aurait voulu battre quelqu’un ; et, pour renforcer son désespoir, il sentait peser sur lui une sorte d’outrage, un déshonneur ; car Frédéric s’était imaginé que sa fortune paternelle monterait un jour à quinze mille livres de rente, et il l’avait fait savoir, d’une façon indirecte, aux Arnoux. Il allait donc passer pour un hâbleur, un drôle, un obscur polisson, qui s’était introduit chez eux dans l’espérance d’un profit quelconque ! Et elle, Mme Arnoux, comment la revoir, maintenant ?
Cela, d’ailleurs, était complètement impossible, n’ayant que trois mille francs de rente ! Il ne pouvait loger toujours au quatrième, avoir pour domestique le portier, et se présenter avec de pauvres gants noirs bleuis du bout, un chapeau gras, la même redingote pendant un an ! Non, non ! jamais ! |
123 |
I, 6 |
Cependant, l’existence était intolérable sans elle. Beaucoup vivaient bien qui n’avaient pas de fortune, Deslauriers entre autres ; et il se trouva lâche d’attacher une pareille importance à des choses médiocres. La misère, peut-être, centuplerait ses facultés. Il s’exalta, en pensant aux grands hommes qui travaillent dans les mansardes. Une âme comme celle de Mme Arnoux devait s’émouvoir à ce spectacle, et elle s’attendrirait. Ainsi, cette catastrophe était un bonheur, après tout ; comme ces tremblements de terre qui découvrent des trésors, elle lui avait révélé les secrètes opulences de sa nature. Mais il n’existait au monde qu’un seul endroit pour les faire valoir : Paris ! car, dans ses idées, l’art, la science et l’amour (ces trois faces de Dieu, comme eût dit Pellerin) dépendaient exclusivement de la capitale. |
123 |
I, 6 |
Il déclara le soir, à sa mère, qu’il y retournerait. Mme Moreau fut surprise et indignée. C’était une folie, une absurdité. Il ferait mieux de suivre ses conseils, c’est-à-dire de rester près d’elle, dans une étude. Frédéric haussa les épaules : « Allons donc ! », se trouvant insulté par cette proposition.
Alors, la bonne dame employa une autre méthode. D’une voix tendre et avec de petits sanglots, elle se mit à lui parler de sa solitude, de sa vieillesse, des sacrifices qu’elle avait faits. Maintenant qu’elle était plus malheureuse, il l’abandonnait. Puis, faisant allusion à sa fin prochaine :
— Un peu de patience, mon Dieu ! bientôt tu seras libre ! |
124 |
I, 6 |
Ces lamentations se répétèrent vingt fois par jour, durant trois mois ; et, en même temps, les délicatesses du foyer le corrompaient ; il jouissait d’avoir un lit plus mou, des serviettes sans déchirures ; si bien que, lassé, énervé, vaincu enfin par la terrible force de la douceur, Frédéric se laissa conduire chez maître Prouharam.
Il n’y montra ni science ni aptitude. On l’avait considéré jusqu’alors comme un jeune homme de grands moyens, qui devait être la gloire du département. Ce fut une déception publique. |
124 |
I, 6 |
D’abord il s’était dit : « Il faut avertir Mme Arnoux », et, pendant une semaine, il avait médité des lettres dithyrambiques, et de courts billets, en style lapidaire et sublime. La crainte d’avouer sa situation le retenait. Puis il songea qu’il valait mieux écrire au mari. Arnoux connaissait la vie et saurait le comprendre. Enfin, après quinze jours d’hésitation :
« Bah ! je ne dois plus les revoir ; qu’ils m’oublient ! Au moins, je n’aurai pas déchu dans son souvenir ! Elle me croira mort, et me regrettera… peut-être. »
Comme les résolutions excessives lui coûtaient peu, il s’était juré ne jamais revenir à Paris, et même de ne point s’informer de Mme Arnoux.
Cependant, il regrettait jusqu’à la senteur du gaz et au tapage des omnibus. Il rêvait à toutes les paroles qu’on lui avait dites, au timbre de sa voix, à la lumière de ses yeux, et, se considérant comme un homme mort, il ne faisait plus rien, absolument.
Il se levait très tard, et regardait par sa fenêtre les attelages de rouliers qui passaient. Les six premiers mois, surtout, furent abominables. |
124 |
I, 6 |
En de certains jours, pourtant, une indignation le prenait contre lui-même. Alors, il sortait. Il s’en allait dans les prairies, à moitié couvertes durant l’hiver par les débordements de la Seine. Des lignes de peupliers les divisent. Çà et là, un petit pont s’élève. Il vagabondait jusqu’au soir, roulant les feuilles jaunes sous ses pas, aspirant la brume, sautant les fossés ; à mesure que ses artères battaient plus fort, des désirs d’action furieuse l’emportaient ; il voulait se faire trappeur en Amérique, servir un pacha en Orient, s’embarquer comme matelot ; et il exhalait sa mélancolie dans de longues lettres à Deslauriers. |
125 |
I, 6 |
Frédéric avait donné tous ses meubles à Deslauriers, qui gardait son logement. Sa mère lui en parlait de temps à autre ; un jour enfin, il déclara son cadeau, et elle le grondait, quand il reçut une lettre.
— Qu’est-ce donc ? dit-elle, tu trembles ?
— Je n’ai rien ! répliqua Frédéric.
Deslauriers lui apprenait qu’il avait recueilli Sénécal ; et, depuis quinze jours, ils vivaient ensemble. Donc, Sénécal s’étalait, maintenant, au milieu des choses qui provenaient de chez Arnoux ! Il pouvait les vendre, faire des remarques dessus, des plaisanteries. Frédéric se sentit blessé, jusqu’au fond de l’âme. Il monta dans sa chambre. Il avait envie de mourir. |
125 |
I, 6 |
Il blâma les extravagances de défunt son frère, tandis que, lui, il avait amassé vingt-sept mille livres de rente ! Enfin, il partit au bout de la semaine, et, sur le marchepied de la voiture, lâcha ces mots peu rassurants :
— Je suis toujours bien aise de vous savoir dans une bonne position.
— Tu n’auras rien ! dit Mme Moreau en rentrant dans la salle.
Il n’était venu que sur ses instances ; et, huit jours durant, elle avait sollicité de sa part une ouverture, trop clairement peut-être. Elle se repentait d’avoir agi, et restait dans son fauteuil, la tête basse, les lèvres serrées. Frédéric, en face d’elle, l’observait ; et ils se taisaient tous les deux, comme il y avait cinq ans, au retour de Montereau. |
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C’était le père Roque, seul dans sa tapissière. Il allait passer toute la journée à la Fortelle, chez M. Dambreuse, et proposa cordialement à Frédéric de l’y conduire.
— Vous n’avez pas besoin d’invitation avec moi ; soyez sans crainte !
Frédéric eut envie d’accepter. Mais comment expliquerait-il son séjour définitif à Nogent ? Il n’avait pas un costume d’été convenable ; enfin que dirait sa mère ? Il refusa. |
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I, 6 |
et la liaison se dénoua, au grand plaisir de Mme Moreau, qui redoutait pour l’établissement de son fils la fréquentation de pareilles gens.
Elle rêvait de lui acheter le greffe du tribunal ; Frédéric ne repoussait pas trop cette idée. |
129 |
I, 6 |
Maintenant, il l’accompagnait à la messe, il faisait le soir sa partie d’impériale, il s’accoutumait à la province, s’y enfonçait ; et même son amour avait pris comme une douceur funèbre, un charme assoupissant. À force d’avoir versé sa douleur dans ses lettres, de l’avoir mêlée à ses lectures, promenée dans la campagne et partout épandue, il l’avait presque tarie, si bien que Mme Arnoux était pour lui comme une morte dont il s’étonnait de ne pas connaître le tombeau, tant cette affection était devenue tranquille et résignée. |
129 |
I, 6 |
Un jour, le 12 décembre 1845, vers neuf heures du matin, la cuisinière monta une lettre dans sa chambre. L’adresse, en gros caractères, était d’une écriture inconnue ; et Frédéric, sommeillant, ne se pressa pas de la décacheter. Enfin il lut :
« Justice de paix du Havre. IIIe arrondissement.
« Monsieur,
« M. Moreau, votre oncle, étant mort ab intestat… »
Il héritait ! |
129 |
I, 6 |
Il relut la lettre trois fois de suite ; rien de plus vrai ! toute la fortune de l’oncle ! Vingt-sept mille livres de rente !. |
130 |
I, 6 |
— et une joie frénétique le bouleversa, à l’idée de revoir Mme Arnoux. Avec la netteté d’une hallucination, il s’aperçut auprès d’elle, chez elle, lui apportant quelque cadeau dans du papier de soie, tandis qu’à la porte stationnerait son tilbury, non, un coupé plutôt ! un coupé noir, avec un domestique en livrée brune ; il entendait piaffer son cheval et le bruit de la gourmette se confondant avec le murmure de leurs baisers. Cela se renouvellerait tous les jours, indéfiniment. Il les recevrait chez lui, dans sa maison ; la salle à manger serait en cuir rouge, le boudoir en soie jaune, des divans partout ! et quelles étagères ! quels vases de Chine ! quels tapis ! Ces images arrivaient si tumultueusement, qu’il sentait la tête lui tourner |
130 |
I, 6 |
Mme Moreau tâcha de contenir son émotion et eut une défaillance. Frédéric la prit dans ses bras et la baisa au front.
— Bonne mère, tu peux racheter ta voiture maintenant ; ris donc, ne pleure plus, sois heureuse ! |
130 |
I, 6 |
Le soir, quand ils furent seuls, tous les deux, Mme Moreau dit à son fils qu’elle lui conseillait de s’établir à Troyes, avocat. Étant plus connu dans son pays que dans un autre, il pourrait plus facilement y trouver des partis avantageux.
— Ah ! c’est trop fort ! s’écria Frédéric.
À peine avait-il son bonheur entre les mains qu’on voulait le lui prendre. |
130 |
I, 6 |
Il signifia sa résolution formelle d’habiter Paris.
— Pour quoi y faire ?
— Rien !
Mme Moreau, surprise de ses façons, lui demanda ce qu’il voulait devenir.
— Ministre ! répliqua Frédéric.
Et il affirma qu’il ne plaisantait nullement, qu’il prétendait se lancer dans la diplomatie, que ses études et ses instincts l’y poussaient. Il entrerait d’abord au Conseil d’État, avec la protection de M. Dambreuse. |
130 |
I, 6 |
Ne sachant par quelle phrase l’aborder, il se contenta de lui prendre les mains, en soupirant :
— Ah ! ma pauvre Louise !
Elle ne répondit pas. Elle le regarda profondément, pendant longtemps. Frédéric avait peur de manquer la voiture ; il croyait entendre un roulement tout au loin, et, pour en finir :
— Catherine m’a prévenu que tu avais quelque chose…
— Oui, c’est vrai ! je voulais vous dire…
Ce vous l’étonna ; et, comme elle se taisait encore :
— Eh bien, quoi ?
— Je ne sais plus. J’ai oublié ! Est-ce vrai que vous partez ?
— Oui, tout à l’heure.
Elle répéta :
— Ah ! tout à l’heure ?… tout à fait ?… nous ne nous reverrons plus ?
Des sanglots l’étouffaient.
— Adieu ! adieu ! embrasse-moi donc !
Et elle le serra dans ses bras avec emportement. |
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I, 6 |
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Oleg Hirschmann - Nicole Sibireff - Hisaki Sawasaki - Cécile Supiot
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