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Extraits de l'œuvre |
Édition |
Chapitre |
De loin, à cause de sa taille mince, il pouvait sembler jeune encore. Mais ses rares cheveux blancs, ses membres débiles et surtout la pâleur extraordinaire de son visage, accusaient un tempérament délabré. Une énergie impitoyable reposait dans ses yeux glauques, plus froids que des yeux de verre. Il avait les pommettes saillantes, et des mains à articulations noueuses. |
55 |
I, 3 |
L’étonnement redoubla quand on sut qu’il sortait de chez M. Dambreuse. En effet, le banquier Dambreuse venait d’acheter au père Martinon une partie de bois considérable ; le bonhomme lui ayant présenté son fils, il les avait invités à dîner tous les deux. |
91 |
I, 5 |
Il regagnait sa place, quand, au balcon, dans la première loge d’avant-scène, entrèrent une dame et un monsieur. Le mari avait un visage pâle, bordé d’un filet de barbe grise, la rosette d’officier, et cet aspect glacial qu’on attribue aux diplomates. |
120 |
I, 5 |
Sa femme, de vingt ans plus jeune pour le moins, ni grande ni petite, ni laide ni jolie, portait ses cheveux blonds tirebouchonnés à l’anglaise, une robe à corsage plat, et un large éventail de dentelle noire. Pour que des gens d’un pareil monde fussent venus au spectacle dans cette saison, il fallait supposer un hasard, ou l’ennui de passer leur soirée en tête-à-tête. La dame mordillait son éventail, et le monsieur bâillait. Frédéric ne pouvait se rappeler où il avait vu cette figure. |
120 |
I, 5 |
Mme Dambreuse les recevait tous avec grâce. Dès qu’on parlait d’un malade, elle fronçait les sourcils douloureusement, et prenait un air joyeux s’il était question de bals ou de soirées. Elle serait bientôt contrainte de s’en priver, car elle allait faire sortir de pension une nièce de son mari, une orpheline. On exalta son dévouement ; c’était se conduire en véritable mère de famille. |
160 |
II, 2 |
— Rentrons, dit le banquier. Vous soupez avec nous, n’est-ce pas ?
Il était trois heures, on partait. Dans la salle à manger, une table servie attendait les intimes.
M. Dambreuse aperçut Martinon, et, s’approchant de sa femme, d’une voix basse :
— C’est vous qui l’avez invité ?
Elle répliqua sèchement :
— Mais oui !
La nièce n’était pas là. |
190 |
II, 2 |
Seul, Martinon se montra sérieux ; il refusa de boire du vin de Champagne par bon genre, souple d’ailleurs et fort poli, car M. Dambreuse, qui avait la poitrine étroite, se plaignant d’oppression, il s’informa de sa santé à plusieurs reprises ; puis il dirigeait ses yeux bleuâtres du côté de Mme Dambreuse. |
191 |
II, 2 |
Alors passa devant eux, avec des miroitements de cuivre et d’acier, un splendide landau attelé de quatre chevaux, conduits à la Daumont par deux jockeys en veste de velours, à crépines d’or. Mme Dambreuse était près de son mari, Martinon sur l’autre banquette en face ; tous les trois avaient des figures étonnées.
— Ils m’ont reconnu ! se dit Frédéric. |
234-235 |
II, 4 |
M. Dambreuse se présenta chez lui, accompagné de Martinon.
Cette visite n’avait pour but, dit-il, que de le voir un peu et de causer. |
320 |
III, 1 |
Martinon appuyait tous ses mots par des remarques approbatives ; lui aussi pensait qu’il fallait « se rallier franchement à la République », et il parla de son père laboureur, faisait le paysan, l’homme du peuple. |
320 |
III, 1 |
Martinon arriva au même moment. Ils passèrent dans le cabinet ; et Frédéric tirait un papier de sa poche, quand Mlle Cécile, entrant tout à coup, articula d’un air ingénu :
— Ma tante est-elle ici ?
— Tu sais bien que non, répliqua le banquier. N’importe ! faites comme chez vous, mademoiselle.
— Oh ! merci ! je m’en vais.
À peine sortie, Martinon eut l’air de chercher son mouchoir.
— Je l’ai oublié dans mon paletot, excusez-moi !
— Bien ! dit M. Dambreuse.
Évidemment, il n’était pas dupe de cette manœuvre, et même semblait la favoriser. Pourquoi ? |
322-323 |
III, 1 |
Bref, il fallait que M. Dambreuse, lui-même, se présentât dans l’Aube ; et, dès lors, Martinon ne le quitta plus, devint son secrétaire et l’entoura de soins filiaux. |
323 |
III, 1 |
Tout à coup, Frédéric aperçut, à trois pas de distance, M. Dambreuse avec Martinon ; il tourna la tête, car M. Dambreuse s’étant fait nommer représentant, il lui gardait rancune. Mais le capitaliste l’arrêta.
— Un mot, cher monsieur ! J’ai des explications à vous fournir.
— Je n’en demande pas.
— De grâce ! écoutez-moi.
Ce n’était nullement sa faute. On l’avait prié, contraint en quelque sorte. Martinon, tout de suite, appuya ses paroles : des Nogentais en députation s’étaient présentés chez lui. |
339-340 |
III, 1 |
De petits drapeaux rouges, çà et là, semblaient des flammes ; les cochers, du haut de leur siège, faisaient de grands gestes, puis s’en retournaient. C’était un mouvement, un spectacle des plus drôles.
— Comme tout cela, dit Martinon, aurait amusé Mlle Cécile !
— Ma femme, vous savez bien, n’aime pas que ma nièce vienne avec nous, reprit en souriant M. Dambreuse. |
340 |
III, 1 |
Il se montrait furieux jusqu’à porter un casse-tête dans sa poche.
Martinon, aussi, en avait un. La magistrature n’étant plus inamovible, il s’était retiré du Parquet, si bien qu’il dépassait en violences M. Dambreuse. |
340 |
III, 1 |
Or Martinon soupçonnait Cécile d’être la fille naturelle de M. Dambreuse ; et il eût été, probablement, très fort de demander sa main à tout hasard. Cette audace offrait des dangers ; aussi Martinon, jusqu’à présent, s’était conduit de manière à ne pas se compromettre ; d’ailleurs, il ne savait comment se débarrasser de la tante. Le mot de Cisy le détermina ; et il avait fait sa requête au banquier, lequel, n’y voyant pas d’obstacle, venait d’en prévenir Mme Dambreuse. |
361 |
III, 2 |
Pour en finir avec l’amoureux de sa nièce, elle l’accusa de viser à l’argent, et pria même son mari d’en faire l’épreuve. M. Dambreuse déclara donc au jeune homme que Cécile, étant l’orpheline de parents pauvres, n’avait aucune « espérance » ni dot.
Martinon, ne croyant pas que cela fût vrai, ou trop avancé pour se dédire, ou par un de ces entêtements d’idiot qui sont des actes de génie, répondit que son patrimoine, quinze mille livres de rente, leur suffirait. Ce désintéressement imprévu toucha le banquier. Il lui promit un cautionnement de receveur, en s’engageant à obtenir la place ; et, au mois de mai 1850, Martinon épousa Mlle Cécile. Il n’y eut pas de bal. Les jeunes gens partirent le soir même pour l’Italie. |
385 |
III, 3 |
Mais M. Dambreuse était malade. Frédéric le voyait tous les jours, sa qualité d’intime le faisait admettre près de lui.
La révocation du général Changarnier avait ému extrêmement le capitaliste. Le soir même, il fut pris d’une grande chaleur dans la poitrine, avec une oppression à ne pouvoir se tenir couché. Des sangsues amenèrent un soulagement immédiat. |
395 |
III, 4 |
La toux sèche disparut, la respiration devint plus calme ; et, huit jours après, il dit en avalant un bouillon :
— Ah ! ça va mieux ! Mais j’ai manqué faire le grand voyage !
— Pas sans moi ! s’écria Mme Dambreuse, notifiant par ce mot qu’elle n’aurait pu lui survivre.
Au lieu de répondre, il étala sur elle et sur son amant un singulier sourire, où il y avait à la fois de la résignation, de l’indulgence, de l’ironie, et même comme une pointe, un sous-entendu presque gai. |
395 |
III, 4 |
Tout à coup, M. Dambreuse cracha le sang abondamment. « Les princes de la science », consultés, n’avisèrent à rien de nouveau. Ses jambes enflaient, et la faiblesse augmentait. Il avait témoigné plusieurs fois le désir de voir Cécile, qui était à l’autre bout de la France, avec son mari, nommé receveur depuis un mois. Il ordonna expressément qu’on la fît venir. Mme Dambreuse écrivit trois lettres, et les lui montra. |
395 |
III, 4 |
Le 12 février, à cinq heures, une hémoptysie effrayante se déclara. Le médecin de garde dit le danger. On courut vite chez un prêtre.
Pendant la confession de M. Dambreuse, Madame le regardait de loin, curieusement. Après quoi, le jeune docteur posa un vésicatoire, et attendit. |
395-396 |
III, 4 |
Enfin, un râle s’éleva. Les mains se refroidissaient, la face commençait à pâlir. Quelquefois, il tirait tout à coup une aspiration énorme ; elles devinrent de plus en plus rares ; deux ou trois paroles confuses lui échappèrent ; il exhala un petit souffle en même temps qu’il tournait ses yeux, et la tête retomba de côté sur l’oreiller.
Tous, pendant une minute, restèrent immobiles.
Mme Dambreuse s’approcha ; et, sans effort, avec la simplicité du devoir, elle lui ferma les paupières. |
396 |
III, 4 |
Mme Dambreuse était au coin de la cheminée, debout. Sans lui supposer de violents regrets, il la croyait un peu triste ; et, d’une voix dolente :
— Tu souffres ?
— Moi ? Non, pas du tout.
Comme elle se retournait, elle aperçut la robe, l’examina ; puis elle lui dit de ne pas se gêner.
— Fume si tu veux ! Tu es chez moi !
Et, avec un grand soupir :
— Ah ! sainte Vierge ! quel débarras ! |
396 |
III, 4 |
Cette allusion à l’aisance de leurs amours parut blesser Mme Dambreuse.
— Eh ! tu ne sais pas les services que je lui rendais, ni dans quelles angoisses j’ai vécu !
— Comment ?
— Mais oui ! Était-ce une sécurité que d’avoir toujours près de soi cette bâtarde, une enfant introduite dans la maison au bout de cinq ans de ménage, et qui, sans moi, bien sûr, l’aurait amené à quelque sottise ? |
396-397 |
III, 4 |
Et elle s’en voulait d’avoir trop bien traité cette pécore-là, qui était jalouse, intéressée, hypocrite. « Tous les défauts de son père ! » Elle le dénigrait de plus en plus. Personne d’une fausseté aussi profonde, impitoyable d’ailleurs, dur comme un caillou, « un mauvais homme ! un mauvais homme ! »
Il échappe des fautes, même aux plus sages. Mme Dambreuse venait d’en faire une, par ce débordement de haine. |
397 |
III, 4 |
Mais, peu de temps après, il avait fait un testament où il lui donnait toute sa fortune ; et elle l’évaluait, autant qu’il était possible de le savoir maintenant, à plus de trois millions.
Frédéric ouvrit de grands yeux.
— Ça en valait la peine, n’est-ce pas ? J’y ai contribué, du reste ! C’était mon bien que je défendais ; Cécile m’aurait dépouillée, injustement.
— Pourquoi n’est-elle pas venue voir son père ? dit Frédéric.
À cette question, Mme Dambreuse le considéra ; puis, d’un ton sec :
— Je n’en sais rien ! Faute de cœur, sans doute ! Oh ! je la connais ! Aussi elle n’aura pas de moi une obole ! |
397 |
III, 4 |
C’était jour de marché aux fleurs sur la place de la Madeleine. Il faisait un temps clair et doux ; et la brise, qui secouait un peu les baraques de toile, gonflait, par les bords, l’immense drap noir accroché sur le portail. L’écusson de M. Dambreuse, occupant un carré de velours, s’y répétait trois fois. Il était de sable au senestrochère d’or, à poing fermé, ganté d’argent, avec couronne de comte, et cette devise : Par toutes voies. |
400 |
III, 4 |
— Ce qu’il y a ? Je suis ruinée, ruinée ! entends-tu ?
M. Adolphe Langlois, le notaire, l’avait fait venir en son étude, et lui avait communiqué un testament écrit par son mari, avant leur mariage. Il léguait tout à Cécile ; et l’autre testament était perdu. Frédéric devint très pâle. Sans doute elle avait mal cherché ?
— Mais regarde donc ! dit Mme Dambreuse, en lui montrant l’appartement.
Les deux coffres-forts bâillaient, défoncés à coups de merlin, et elle avait retourné le pupitre, fouillé les placards, secoué les paillassons, quand tout à coup, poussant un cri aigu, elle se précipita dans un angle où elle venait d’apercevoir une petite boîte à serrure de cuivre ; elle l’ouvrit, rien !
— Ah ! le misérable ! Moi qui l’ai soigné avec tant de dévouement ! |
403 |
III, 4 |
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Danielle Girard et Bernadette Goarant
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