Problématique :
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Ne fait-on que s’alimenter quand on prend un repas ? Si se nourrir est une nécessité pour survivre, se mettre à table dépasse la satisfaction d’un besoin vital : par le rapport au temps qu’il engage, son anticipation ou son improvisation, le repas traduit quelque chose de notre humanité et des coutumes anthropologiques dans lesquelles elle s’inscrit. Dépassant le besoin naturel auquel elle répond, cette pratique, universelle, régulière, parfois itérative à l’occasion de célébrations, se réalise selon des formes et des organisations variées. Solitaire ou collectif, en famille ou entre amis, expéditif ou festif, frugal ou pantagruélique, sinistre ou dionysiaque, le repas est un rituel social, culturel, voire symbolique, dont la portée, les formes ou les enjeux expriment une part de notre rapport au monde, à l’autre, ou à une certaine conception de la civilité, voire de la civilisation.
Ce qui nous semble aller de soi, sous telle latitude – utiliser des couverts ou des baguettes, disposer ou non chez soi d’un espace dédié au repas, déjeuner à la maison ou à l’extérieur, dîner à 17 heures ou à 22 heures –, apparaît comme le fruit d’une lente évolution historique et obéit à des logiques souvent contingentes. Les formes du repas sont ainsi constitutives de notre sociabilité et de notre héritage culturel. De quelle maîtrise de soi et d’intégration au groupe fait-on preuve en respectant des manières de table ? Qu’échange-t-on, que partage-t-on au-delà de la nourriture ? Que se joue-t-il dans le rituel de la table, lieu de mise en scène par excellence, qui peut tour à tour tourner à la fête, au drame, à la scène de séduction, de révélation, à l’humiliation ou à la dérision ? |
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Le repas est en effet un moment où se font et se défont des relations sociales, où se cristallisent des affects et des tensions, où se manifestent des rapports de pouvoir et des inégalités. C’est ainsi autant un objet d’étude privilégié des sociologues, qu’une préoccupation récurrente de la presse et des publicitaires. Car passer à table n’est jamais neutre : il s’y joue, s’y déjoue, s’y renoue ou s’y réinvente toujours plus ou moins un modèle, qu’il s’agisse de la Cène, des ripailles de Gargantua, du Festin de pierre ou des repas de noces dans les romans du XIXe siècle.
Motif infiniment feuilleté, tant littéraire que pictural, théâtral ou cinématographique, il traverse toute l’histoire des arts et des idées, du Banquet de Platon au Charme discret de la bourgeoisie de Luis Buñuel (où tout repas est empêché), alimentant à satiété l’appétit des créateurs comme la fascination des lecteurs et des spectateurs.
Et de nos jours ? Que deviennent ces arts de la table par-delà la généralisation de la malbouffe et l’engouement pour les fast-foods ? Qu’exprime et signifie la surexposition de la gastronomie au travers des émissions de téléréalité et des réseaux sociaux ? Ne mangerait-on désormais qu’à travers un écran ? N’y risque-t-on pas une uniformisation des traditions qui ont fait de la table le foyer vivant de la société, là où se fait ou se défait par essence le lien social ? Ou, au contraire, les cuisiniers, artistes et metteurs en scène contemporains n’inventent-ils pas une scénographie propre à interroger les mutations de notre sociabilité ?
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Indications
bibliographiques :
Ces
indications ne constituent en aucun cas un
programme de lectures. Elles proposent des
pistes et des suggestions pour permettre à
chaque enseignant de s'orienter dans la
réflexion sur le thème et d'élaborer son projet
pédagogique. Tous les titres ci-dessous
sont cliquables et envoient vers une
documentation ou un magasin.
Littérature :
— Monica Ali, En cuisine
— Guillaume Apollinaire, « Le repas » dans Alcools
— Honoré de Balzac, La Peau de chagrin
— Muriel Barbery, Une gourmandise
— Julian Barnes, Un homme dans sa cuisine
— Gautier Battistella, Chef
— Karen Blixen, Le Dîner de Babette
— Bertolt Brecht, La Noce chez les petits bourgeois
— Noëlle Châtelet, Histoires de bouches
— Agnès Desarthe, Mangez-moi
— Laura Esquivel, Chocolat amer
— Gustave Flaubert, les repas de noces dans Madame Bovary et Salammbô
— Laurent Gaudé, scène du banquet dans Le Soleil des Scorta
— Jim Harrison, Un sacré gueuleton
— Homère, L’Odyssée
— Horace, Satires, II, 8
— Victor Hugo, Ruy Blas, Lucrèce Borgia
— James Joyce, « Les Morts » dans Gens de Dublin
— Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, Cuisine et Dépendances (pièce de théâtre)
— Juvénal, Satires, II, 5
— Maylis de Kerangal, Un chemin de tables
— Herman Koch, Le dîner
— Jean-Luc Lagarce, Noce — Juste la fin du monde (partie 1, scène 9)
— Roy Lewis, Pourquoi j’ai mangé mon père
— Guy de Maupassant, Boule de suif
— Marsha Mehran, Une soupe à la grenade
— Molière, L’Avare (III, 1), Le Bourgeois gentilhomme, Dom Juan ou le Festin de pierre
— Marie NDiaye, La Cheffe, roman d’une cuisinière
— Ito Ogawa, Le Restaurant de l’amour retrouvé
— Pétrone, « Le Festin chez Trimalcion » dans le Satyricon
— Francis Ponge, « Le Pain », « L’Huître », « L’Orange », « La Crevette » dans Le Parti pris des choses
— Jacques Prévert, « Tentative de description d'un dîner de têtes à Paris-France », « Déjeuner du matin » dans Paroles
— Rabelais, Gargantua
— Edmond Rostand, « La Rôtisserie des poètes » dans Cyrano de Bergerac
— Madame de Sévigné, lettre du 26 avril 1671, « L’honneur d’un chef » dans Lettres
— William Shakespeare, Titus Andronicus
— Martin Suter, Le Cuisinier
— Anton Tchekhov, Une Noce
— Michel Tournier, « Les deux banquets ou la commémoration » dans Le Médianoche amoureux
— Boris Vian, L'Écume des jours
— Émile Zola, « Le festin de Gervaise » dans L’Assommoir — La Curée - Le Ventre de Paris (début).
Essais :
— Paul Ariès, La fin des mangeurs. Les métamorphoses de la table à l’âge de la modernisation alimentaire
— Jean-Baptiste Baronian, Dictionnaire des écrivains gastronomes
— Roland Barthes, « Le bifteck et les frites » dans Mythologies
— Marie-Claire Bataille-Benguigui et Françoise Cousin, Cuisines, reflets des sociétés
— Alain Bauer, Confessions gastronomiques
— Pierre Bourdieu, La Distinction, critique sociale du jugement, chapitre III
— Jean-Jacques Boutaud (dir.), L’Imaginaire de la table. Convivialité, commensalité et communication
— Jean Anthelme Brillat-Savarin, Physiologie du goût
— Elsa Delachair, Johan Faerber, La Cuisine des écrivains
— Jacky Durand, Les Recettes de la vie
— Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, chapitre IV
— Érasme, Traité de civilité puérile, chapitre IV : Des repas
— Michel Faucheux, Fêtes de table
— Claude Fischler, L’Homnivore : le goût, la cuisine et le corps — Les Alimentations particulières
— Michel Guérard, Mémoire de la cuisine française
— Jean-Claude Kaufmann, Casseroles, amour et crises : ce que cuisiner veut dire
— Pascal Lardellier, Risques, rites et plaisirs alimentaires
— David Michon, 24 heures de la vie d’un restaurant
— Christian Millau, Dictionnaire amoureux de la gastronomie
— Michel Onfray, Le Ventre des philosophes
— Faustine Régnier, Anne Lhuissier, Séverine Gojard, Sociologie de l’alimentation
— Ryoko Sekiguchi, 961 heures à Beyrouth
— Jean Vitaux, Le Bouquin de la gastronomie
— Henriette Walter, Les petits plats dans les grands : la savoureuse histoire des mots de la cuisine et de la table.
Films :
— Jon Avnet, Beignets de tomates vertes
— Gabriel Axel, Le Festin de Babette
— Ritesh Batra, The Lunchbox
— Éric Besnard, Délicieux
— Jacques Besnard, Le Grand restaurant
— Brad Bird, Ratatouille
— Luis Buñuel, Le Charme discret de la bourgeoisie
— Claude Chabrol, Que la bête meure
— Charlie Chaplin, La Ruée vers l’or
— Marco Ferreri, La Grande Bouffe
— Gilles Grangier, La Cuisine au beurre
— Peter Greenaway, Le Cuisinier, le Voleur, sa Femme et son Amant
— Roland Joffé, Vatel
— Cédric Klapisch, Un air de famille
— Richard Linklater, Fast Food Nation
— Philippe Muyl, Cuisine et Dépendances
— Alexander Payne, Sideways
— Maurice Pialat, Loulou, À nos amours
— Claude Sautet, Garçon !
— Morgan Spurlock, Super Size Me
— Danièle Thompson, La Bûche
— Éric Toledano et Olivier Nakache, Le Sens de la fête
— Tràn Anh Hùng, La Passion de Dodin-Bouffant
— Christian Vincent, Les Saveurs du palais
— Thomas Vinterberg, Festen
— Luchino Visconti, Le Guépard, Les Damnés
— Claude Zidi, L’Aile ou la Cuisse.
Bandes dessinées, mangas :
— Yarô Abe, La Cantine de minuit
— Alfonso Aitor et Jul, La Faim de l’histoire
— Franckie Alarcon, L’Art du sushi
— Aurélia Aurita, La Vie gourmande
— Christophe Blain, En cuisine avec Alain Passard
— Mathieu Burniat, La Passion de Dodin-Bouffant
— Jacques Ferrandez et Yves Camdeborde, Frères de terroirs
— Etienne Gendrin, Comment nourrir un régiment
— René Goscinny et Albert Uderzo, Astérix chez les Helvètes
— Jirô Taniguchi et Masayuki Kusumi, Le Gourmet solitaire.
Arts plastiques :
— Motif du « sol non balayé » dans les mosaïques grecques et romaines
— 15 chefs-d'oeuvre de repas de famille
— Le repas dans l'art
— Œuvres de Brueghel l’Ancien, Léonard de Vinci, Le Tintoret, Véronèse, Le Caravage, Rembrandt, Nicolas Lancret, , Jean-François de Troy, Jean-François Millet, Gustave Courbet, Édouard Manet, James Tissot, Gustave Caillebotte, Léon Frédéric,
Auguste Renoir, Claude Monet, Vincent Van Gogh, Erro, Wim Delvoye, Daniel Spoerri etc.
Ressources en ligne :
— Exposition Banquet, cité des Sciences
— Podcast « Les Bonnes choses »
— Podcast « On va déguster »
— Podcast « Pas la peine de crier » (semaine du 26 mai 2014 consacrée au repas)
— Martine Gasparov, La Philosophie du repas, 22 septembre 2021 (BnF, La Philosophie du quotidien, cycle de conférences)
— Podcast « Le Cours de l’histoire sur les menus de la Rome antique »
— Podcast « Avec philosophie : Comment survivre aux fêtes de fin d’année ? »
— Denis Fleurdorge, « Manger dans la rue. Approche anthropologique d’une pratique sociale impossible », in « Alimentation, intervention sociale et société », Sciences & Actions sociales, 2021/1 (n° 14).
Expressions :
— Repas d’affaire, repas de famille, repas de fête, dîner galant, dîner mondain, table familiale, banquet républicain, plaisirs de la table, bon petit plat, recettes de grand-mère, cuisine bourgeoise, cuisine gastronomique, cuisine au beurre, cordon bleu, gâte-sauce, malbouffe ;
— Avoir une faim de loup, avoir un joli coup de fourchette, avoir un appétit de moineau, en avoir l’eau à la bouche, manger comme un cochon, manger avec un lance-pierre, manger sur le pouce, faire bonne chère, faire bombance, faire ripaille, faire gras, faire maigre, mettre les petits plats dans les grands, mettre les pieds sous la table, mettre les pieds dans le plat, casser la croûte, s’en lécher les babines ;
— À table !, bon appétit !, qui dort dîne ;
— À la bonne franquette, à la fortune du pot, entre la poire et le fromage, etc.
Mots clés :
— Cérémonie, rite, fête, réveillon, noces, banquet, agapes, buffet, festin, gueuleton, bringue, ripaille, quotidien, répétition ;
— Convivialité, hospitalité, compagnie, copain, partage, joie, régal, invitation, plan de table, hiérarchie, ennui, malaise, dégoût, dispute, solitude ;
— Manger, s’alimenter, se nourrir, se restaurer, se sustenter, se rassasier, absorber, bouffer, bâfrer, dévorer, ripailler, déguster, se régaler ;
— Gourmet, fin palais, gros mangeur, anthropophage, ascète ;
— Restaurant, brasserie, auberge, estaminet, taverne, gargote, cantine, rôtisserie, fast-food, kebab ;
— Recette, menu, saveur, goût, consistance, texture, fumet, odeur, cru, cuit, froid, chaud, sucré-salé, gourmandise ;
— Petit déjeuner, brunch, déjeuner, lunch, pique-nique, casse-croûte, goûter, collation, thé, apéritif, dîner, souper, médianoche ;
— Chef/cheffe, cuisinier/cuisinière, critique gastronomique, étiquette, guide, toque, étoiles, menu, entrée, plat principal, plat signature, dessert, service ;
— Table, tablée, attablement, s’attabler, tablier, commensal, commensalité.
(BO
n° 14 du 4 avril 2024).
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