journalisme et vérité

 

 

 Vous composerez une synthèse concise, objective et ordonnée des six documents suivants :
- document 1 : Jean-Claude Guillebaud, La démarche du journaliste (« Le Nouvel Observateur », 1989)
- document 2 : Jean Lacouture, Rien que la vérité ou toute la vérité ? (Courrier de l'UNESCO, septembre 1990)
- document 3 : Jean Dutourd, L'information est le contraire de ce qu'elle veut signifier (Le Fond et la Forme, 1958)
- document 4 : Alain Rémond, Théâtre de papier («Télérama», 1°' juin 1983)
- document 5 : Affiche et extrait vidéo du film d'Alfred Hitchcock Fenêtre sur cour (Rear window, 1954)
- document 6 : Charte des devoirs professionnels des journalistes français (1918).

 

1 La démarche du journaliste
  Les rapports qu'entretiennent les journalistes avec la vérité, le mensonge - et le tragique en général - ne sont pas simples ! Et l'on aurait tort d'imaginer que le journalisme tout entier puisse se ramener à je ne sais quel commerce courtois, modeste et « scientifique » entre une réalité inoffensive, tenue à distance, et son observateur impartial. Le couple est bien plus infernal, plus passionnel que cela ! Plus tragiquement pressé par le temps, aussi, que ne peut l'être le placide historien commerçant avec ses archives et recoupant ses sources dans la tiédeur de son bureau.
 S'il doit vaincre le temps, le journaliste, terriblement solitaire au plus chaud de l'événement, doit également lutter contre la pression diffuse, amicale mais constante, de sa propre rédaction qui le somme de fournir une interprétation intelligible de l'histoire alors même que celle-ci n'est pas encore jouée. Tous les correspondants en poste à Moscou aujourd'hui confessent les difficultés qu'ils éprouvaient jusqu'à une date récente avec le « desk » de leur journal. A Paris, en effet, habitude bien française, on inclinait à vouloir interpréter idéologiquement - et hâtivement - l'œuvre de Mikhail Gorbatchev. (Est-il sincère ? A-t-il une chance de réussir ? La perestroïka n'est-elle pas une simple ruse ?) Les rédactions n'acceptaient donc pas sans résistance les dépêches beaucoup plus ouvertes et empiriques envoyées de Moscou, dépêches moins soucieuses d'interpréter que de décrire cet événement prodigieux : un dirigeant communiste chevauchant l'imprévisible cyclone qu'il avait lui-même fait naître. Cette pression idéologique des rédactions, de l'entourage, des lecteurs eux-mêmes que doit affronter le journaliste de terrain, était d'autant plus forte hier qu'on tenait le fait brut pour un résidu encombrant et, donc, le reporter pour un gêneur.
 Pis que cela : le personnage du journaliste lui-même n'était pas flatté par la mémoire collective. L'aurait-on oublié ? Dans la littérature française, de Balzac à Nerval en passant par Maupassant, la presse traîne une image peu glorieuse : corrompue, gangrenée, mafieuse, peuplée de ratés...
 Dans notre pays a perduré - jusqu'à une date très récente - une conception dévalorisante du journalisme. Conception dont témoignaient mille habitudes ou petits travers moins subalternes qu'on ne le croit. Un recrutement et une formation inorganisés, une docilité spontanée, une pratique paresseuse de l'information institutionnelle, un penchant irrésistible pour la glose et l'éditorial, une manière spontanément révérencieuse de quêter une respectabilité d'emprunt en s'amalgamant au milieu qu'on est chargé de couvrir (classe politique, institution culturelle, entreprises, etc.). Milieu dont on respectera bien sûr les codes, et surtout les silences. Pour résumer le tout, une façon étrange de pratiquer un métier, théoriquement fondé sur l'insolence, en ne dissimulant jamais sa hâte d'en sortir. Ah, le syndrome funeste du «journaliste-qui-devient-ministre » ou  ambassadeur !
 Sans vouloir simplifier outre mesure l'histoire, observons que tout a notablement changé voici une quinzaine d'années. Déconfiture des idéologies, fin de la « guerre civile froide », triomphe de l'audiovisuel : voilà que tout conspirait soudain à faire du journaliste, ce galeux d'hier, une manière de héros philosophique pour temps incertains.
 C'est ce qu'il advint ces dernières années. On parut disposé, brusquement, à reconnaître la validité d'une démarche journalistique empirique et fureteuse assez comparable, sur le plan de la vérité, à celle des Médecins sans Frontières ou d'Amnesty International sur le plan de la solidarité. Puisque les idées devenaient floues, on pouvait s'intéresser plus naturellement aux faits qui, eux, n'ont que l'inconvénient d'exister. Mieux que cela : on idéalisa si abusivement le journaliste qu'il vit ainsi fondre sur lui un prestige bien lourd à assumer. La presse française redécouvrit en tout cas les vertus du journalisme d'investigation et s'habitua à ce que les reporters ne s'arrêtent plus forcément aux silences d'un ministre. (Au demeurant, l'affaire du Watergate1, lancée en 1974 par deux localiers du Washington Post, fournissait - à tort ou à raison - un modèle.) Les journalistes politiques - y compris à la télévision - renoncèrent parfois à la révérence au profit du devoir d'irrespect.
 La question du mensonge, certes, ne fut pas réglée pour autant. Et si les journalistes français (on dit maintenant le « pouvoir médiatique »), paraissent vivre, intellectuellement, un âge d'or, le journalisme est toujours en quête d'un statut plus clair.
Jean-Claude Guillebaud, «Le Nouvel Observateur», 26 octobre-1er novembre 1989.
1 - affaire d'espionnage politique qui entraîna la démission du président Nixon en 1974.

2  Rien que la vérité ou toute la vérité ?
 
Le débat que le journaliste mène avec sa conscience est âpre, et multiple, d'autant plus que son métier est plus flou, et doté de moins de règles, et pourvu d'une déontologie plus flottante que beaucoup d'autres... [...]
  En apparence, l'objectif est clair, autant que le serment d'Hippocrate : dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité, comme le témoin devant le tribunal. Mais à ce témoin, le président du jury ne demande que la vérité qui lui a été humainement perceptible, celle qu'il a pu appréhender en un certain lieu, à une certaine heure, relativement à certaines personnes. Au journaliste est demandée une vérité plus ample, complexe, démultipliée.
  En rentrant de déportation, Léon Blum, qui avait été longtemps journaliste, déclarait devant ses camarades qu'il savait désormais que la règle d'or de ce métier n'était pas « de ne dire que la vérité, ce qui est simple, mais de dire toute la vérité, ce qui est bien plus difficile ». Bien. Mais qu'est-ce que « toute la vérité », dans la mesure d'ailleurs où il est possible de définir « rien que la vérité »?
  La révolution roumaine de décembre 1989 vient de poser, de crier ce type de problème avec une violence suffocante. On sait à quel point la «vérité» fut, en l'occurrence, malmenée, et sous sa forme apparemment la plus simple, celle des chiffres. L'intoxication qui a fait dérailler une grande partie des médias internationaux a donné lieu aux analyses les plus fines – notamment celle de Jean-Claude Guillebaud qui a su saluer l'admirable retenue d'une journaliste belge, Colette Braekman, osant publier ces mots en apparence infamants : « je n'ai rien vu à Timisoara1.» « Je n'ai rien vu » ne signifie certes pas « il ne s'est rien passé ». Mais c'est à partir de cette formule anathème à tout professionnel de la communication, et qui devrait être enseignée comme un modèle absolu dans toutes les écoles de journalisme, que se définit et s'exerce la conscience journalistique, le rapport entre le vrai et le vu, le véritable et le vérifié – antithèse et synonyme à la fois du « toute la vérité » de Blum : toute cette ration de vérité que vous pouvez appréhender.
  L'interrogation du journaliste ne porte pas seulement sur la part de vérité qui lui est accessible, mais aussi sur les méthodes pour y parvenir, et sur la divulgation qui peut être faite.
  Le journalisme dit « d'investigation » est à l'ordre du jour. Il est entendu aujourd'hui que tous les coups sont permis. Le traitement par deux grands journalistes du Washington Post de l'affaire du Watergate a donné ses lettres de noblesse à un type d'enquête comparable à celle que pratiquent la police et les services spéciaux à l'encontre des terroristes ou des trafiquants de drogue.
 S'insurger contre ce modèle, ou le mettre en question, ne peut être le fait que d'un ancien combattant cacochyme, d'un reporter formé par les Petites sœurs des pauvres. L'idée que je me suis faite de ce métier me détourne d'un certain type de procédures, de certaines interpellations déguisées, et je suis de ceux qui pensent que le journalisme obéit à d'autres règles que la police ou le contre-espionnage. Peut-être ai-je tort.
 Mais c'est la pratique de la rétention de l'information qui défie le plus rudement la conscience de l'informateur professionnel. Pour en avoir usé (et l'avoir reconnu...) à propos des guerres d'Algérie et du Vietnam, pour avoir cru pouvoir tracer une frontière entre le communicable et l'indicible, pour m'être érigé en gardien « d'intérêts supérieurs » à l'information, ceux des causes tenues pour « justes », je me suis attiré de rudes remontrances. Méritées, à coup sûr, surtout si elles émanaient de personnages n'ayant jamais pratiqué, à d'autres usages, de manipulations systématiques, et pudiquement dissimulées.
 La loi est claire: « rien que la vérité, toute la vérité », mais il faut la compléter par la devise que le New York Times arbore en manchette : « All the news that's fit to print », toutes les nouvelles dignes d'être imprimées. Ce qui exclut les indignes – c'est-à-dire toute une espèce de journalisme et, dans le plus noble, ce dont la divulgation porte indûment atteinte à la vie ou l'honorabilité de personnes humaines dont l'indignité n'a pas été établie.
 Connaissant ces règles, le journaliste constatera que son problème majeur n'a pas trait à l'acquisition mais à la diffusion de sa part de vérité, dans ce rapport à établir entre ce qu'il ingurgite de la meilleure foi du monde, où abondent les scories et les faux-semblants, et ce qu'il régurgite. La frontière, entre les deux, est insaisissable, et mouvante. Le filtre, de ceci à cela, est sa conscience, seule.
Jean Lacouture, «Courrier de l'UNESCO», septembre 1990.
1- ville où l'on fit croire à la presse internationale qu'avait eu lieu un massacre.

3 L'information est le contraire de ce qu'elle veut signifier
 L'information est une maladie moderne, qui provient évidemment de la rapidité des moyens de transmission. On sait que les agences de presse du monde se battent pour transmettre une nouvelle trente ou quarante secondes avant leurs concurrentes. On juge d'un bon ou d'un mauvais correspondant sur des différences d'une minute. Dans le fait (c'est-à-dire si l'on considère l'organisation du monde actuel, sa presse, les prétendus besoins d'information du public), un tel esprit de compétition se conçoit. En valeur absolue, cela paraît d'une absurdité complète : c'est le jeu de cache-tampon, il faut trouver le premier.
  Rien de moins naturel que la curiosité, que l'on a inoculée aux hommes, de savoir le plus vite possible ce qu'il advient sur les divers points du globe; les informations, si détaillées qu'elles soient, et si honnêtes, deviennent abstraites dès qu'elles regardent un pays quelque peu éloigné. Une révolution au Paraguay, pour le lecteur de Paris ou de Toulouse, n'a pas plus de réalité que l'intrigue de Bajazet. Racine prétend à juste titre que « l'éloignement des pays répare la trop grande proximité des temps », et que « le peuple ne met guère de différence entre ce qui est à mille ans de lui et ce qui en est à mille lieues ». L'information, telle qu'elle se pratique aujourd'hui, comporte quelque chose d'abstrait et d'inactuel qui est exactement le contraire de ce qu'elle veut signifier. Les événements tragiques ou heureux du monde, les crimes, les larmes, les massacres, les sauvetages, les mariages princiers, les pêches miraculeuses, les prouesses de la médecine, les dévouements surhumains, les héroïsmes désespérés, les cris ou les sourires des peuples, en passant par les télétypes des agences, semblent se vider de leur substance. De ces bonheurs, de ces souffrances, de ces vacarmes, de cette chair, il ne parvient qu'un récit sec et sans couleur, qui ne parle à aucune imagination, et apprend moins que le plus médiocre roman. Les journalistes mettent leur honneur à être vrais. Mais la vérité laisse son âme au bureau du télégraphe.
 La célèbre phrase : « Le public a le droit de savoir », n'est, bien entendu, qu'un slogan publicitaire forgé pour légitimer le journalisme. Quant aux boniments selon lesquels il faut « penser le monde » et ainsi de suite, ils ne signifient rien. Pendant dix mille ans, le public s'est moqué parfaitement de penser le monde. Le seul résultat tangible, c'est que jamais autant qu'à notre époque surpeuplée et surinformée, où le moindre fait divers en Mandchourie, le moindre calembour du dernier Canaque de Nouvelle-Calédonie est porté dans les deux heures à la connaissance du public international, on n'a assisté à la consécration de tant de bêtises.
 On voit le but de l'information : servir la politique des gouvernements, c'est-à-dire modeler l'opinion publique, dans l'infaillibilité de laquelle on feint de croire, tout en sachant qu'elle n'est ni raisonnable, ni morale, ni juste.
 Je me demande souvent quelle peut bien être l'âme d'un journaliste dont la vie se consume à rechercher des informations. Cette myriade d'événements qui se recouvrent d'un jour sur l'autre, cet effort constant et passionné pour saisir ce qu'il y a de plus fugace dans l'existence, ce présent perpétuel et morcelé, cette course incessante après l'événement pour le lâcher dès qu'on l'a attrapé, cela doit faire des êtres tout à fait futiles ou tout à fait désespérés. Quel enseignement métaphysique !
Jean Dutourd, Le Fond et la Forme (1958).

4  Théâtre de papier
 Je ne suis pas sûr que la corporation des journalistes, prise dans son ensemble, ait très bonne presse auprès de son propre public. Certes, il y a le «mythe» : le Grand Journaliste qui démasque l'imposture, révèle les magouilles, dénonce les scandales et fait trembler les pouvoirs, Robin des Bois de la machine à écrire. Le cinéma (américain,  en particulier) en a proposé de multiples spécimens à l'admiration des foules extatiques...
  Mais cette recherche du « scoop » a son revers, parfaitement illustré par la pitoyable aventure des Carnets de Hitler. En réalité, je crains que ce ne soit cette dernière image qui s'impose auprès de l'opinion : celle de journalistes sans scrupules, prêts à tout pour obtenir leur exclusivité et la vendre le mieux possible. Non sans raison : le procès du sensationnalisme, de la révélation, dite aiguë, du  « scoop » faisandé n'est plus à faire.
 Mais il faut aller au-delà de ces généralités, de ces clichés. Comme nous y invitait, l'autre soir, « l'interview », de Thierry Nollin, sur FR3. Point de départ : un journaliste de province est chargé d'enquêter sur la tentative d'enlèvement du vice-président du CNPF par un jeune ouvrier. Seul parmi ses collègues, il réussit à rencontrer le père de l'apprenti rapteur. Comment l'amener à confier ce qu'il sait de son fils ? Ou, plus brutalement : comment le faire parler (c'est l'analogie journaliste-flic, si souvent utilisée) ?
 Tel est le dilemme : les lecteurs ont droit à une information plus complète, plus vivante sur ce fait divers qui, demain, fera la une. Il est le seul en mesure de la fournir. Mais jusqu'où peut-il aller pour l'obtenir ? Que vaut ce droit à l'information face à l'intime tragédie d'un homme ?
 Et pourtant, c'est ainsi que la presse vit. Et c'est ce que réclament les lecteurs. Ces petits détails, ce « vécu » dont ils sont si friands, il faut bien que quelqu'un les débusque, les obtienne...
 La réalité du journaliste, c'est qu'il est celui qui passe, et puis s'en va. Après avoir pris à ceux qui restent le pollen dont il fera son miel. Il n'est pas seulement un voyeur. Il est aussi un voleur. Et il ne peut pas faire autrement : il est là pour ramener l'information. Donc pour la prendre. I1 faut bien alimenter la machine.
 Il est, aussi, truqueur. Pour les besoins de l'histoire, du plaisir des lecteurs à la lire, et du sien propre à l'écrire. La vérité (avec tous les guillemets correctifs qui s'imposent) passe par ses mots. Ce qu'il a entendu, il le recompose, il le réinterprète. Forcément, quelque chose se perd en route. Du réel. Remplacé par le style, la mise en scène. Coups de pouce indispensables de la fiction à la réalité.
 C'est finalement, quelque chose de tout à fait tordu, la presse. Un moyen d'information. Un intermédiaire pour mieux saisir, appréhender la complexité du monde. Mais aussi un univers en soi, un organisme protubérant, envahissant, qui finit par trouver en lui-même sa propre finalité, par imposer ses lois, ses mécanismes.
 On peut (on doit) crier haro sur les margoulins, les escrocs, les marchands de soupe et autres brebis galeuses. Reste qu'ils ne sont que les extrêmes d'un système qui, dans son ensemble, fonctionne selon les  mêmes règles (voler et truquer). Et dont nous ne pouvons plus nous passer. Un auto-vampirisme à l'échelle d'une civilisation.
 Le monde désormais, n'existe plus que mangé, digéré, recraché par la presse. Et si nous n'étions plus que les protagonistes d'une gigantesque fiction, les ombres d'un théâtre de papier, oubliant, peu à peu, ce réel que nous croyons étreindre ?
Alain Rémond, Télérama, 1°' juin 1983.

Affiche du film d'Alfred Hitchcock Fenêtre sur cour (Rear window, 1954).

 Immobilisé chez lui à cause d'une jambe cassée, un reporter, obnubilé par la vie privée de ses voisins d'en face, finit par découvrir un meurtre.

5

Charte des devoirs professionnels des journalistes français (juillet 1918, révisée en 1939)
 Un journaliste, digne de ce nom :
- prend la responsabilité de tous ses écrits, même anonymes ;
- tient la calomnie, les accusations sans preuves, l'altération des documents, la déformation des faits, le mensonge pour les plus graves fautes professionnelles ;
- ne reconnaît que la juridiction de ses pairs, souveraine en matière d'honneur professionnel ;
- n'accepte que des missions compatibles avec la dignité professionnelle ;
- s'interdit d'invoquer un titre ou une qualité imaginaires, d'user de moyens déloyaux pour obtenir une information ou surprendre la bonne foi de quiconque ;
- ne touche pas d'argent dans un service public ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d'être exploitées ;
- ne signe pas de son nom des articles de réclame commerciale ou financière ;
- ne commet aucun plagiat, cite les confrères dont il reproduit un texte quelconque ;
- ne sollicite pas la place d'un confrère, ni ne provoque son renvoi en offrant de travailler à des conditions inférieures ;
- garde le secret professionnel ;
- n'use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée ;
- revendique la liberté de publier honnêtement ses informations ;
- tient le scrupule et le souci de la justice pour des règles premières ;
- ne confond pas son rôle avec celui du policier.

 

 

Plan proposé :

- Problématique : le journaliste entretient avec la vérité des rapports difficiles et ambigus. Quelles en sont les raisons ?
- Plan choisi : l'inventaire de ces raisons nous conduit vers un plan thématique.

I/ Dans le domaine professionnel :

- Il existe bien des chartes plus ou moins récentes (doc.6) qui insistent sur le respect nécessaire de la vérité et de la justice.
- Mais cette déontologie reste flottante voire inexistante (doc.2) : seul le respect de la vérité semble faire l'unanimité (tous les documents emploient le mot).
- Pourtant ce rapport de la profession avec la vérité reste complexe (doc.1), car son maniement risque de menacer la vie privée (doc. 4 et 5).
- Les intérêts financiers viennent compliquer encore le problème : la rivalité des journalistes dans la course au scoop (doc.3) menace le code d'honneur de la profession (doc.6) et notamment le respect de l'intégrité financière (doc.1 et 4).
- Enfin les rédactions jouent parfois un rôle négatif en ordonnant au journaliste de commenter l'information (doc.1) voire de la mettre en scène (doc.4).

II/ Dans le domaine politique :

- Le rapport avec le pouvoir menace aussi les règles morales : la presse peut être tentée d'être révérencieuse à l'égard des gouvernements (doc.1) et parfois elle sert leur politique (doc.3).
- La rétention de l'information croit servir les gouvernants en dissimulant certains faits, mais elle est condamnable (doc.2).
- Le journalisme d'investigation empiète sur les prérogatives de la justice : les chartes rappellent que le rôle du journaliste ne saurait être celui du policier (doc.6). Pourtant ce type de journalisme semble s'imposer (doc.2 et 5), surtout pour des raisons mercantiles (doc.4).
- Le journaliste s'est mis à mener de véritables enquêtes (doc.1, 2 et 5), passant des grands reportages aux rubriques "people" (doc. 5 vidéo), et ces procédures semblent outrepasser ses droits et ses pouvoirs (doc.2, 4 et 5).

III/ Dans le domaine socioculturel :

- Les exigences du lecteur achèvent de compromettre la déontologie journalistique : le lecteur a besoin de comprendre et le journaliste se voit sommé de commenter les faits (doc.2 et 4) ou d'écarter ceux qui, trop lointains, ne contiennent qu'une vérité abstraite (doc.3).
- L'image du journaliste s'est améliorée dans l'esprit du public, mais au prix d'un statut ambigu (doc.1)
- On demande au journaliste une vérité ample et démultipliée qui lui est peu accessible (doc.2) ou qui ne peut que rester abstraite pour l'opinion publique (doc.3).
- Le lecteur est aussi avide de sensations : il pousse le journaliste à être un voyeur (doc.4 et 5) et un truqueur (doc.4), l'empêchant de trier selon sa conscience entre ce qui lui paraît vrai ou mensonger (doc.2).

 

Rédaction du développement :

  Jean Lacouture a beau déplorer qu'aucune instance juridique ne réglemente le rôle du journaliste, il existe bel et bien des chartes qui rappellent la profession à ses devoirs. Mais, dans ce domaine, l'étendue des responsabilités et les impératifs financiers jouent un rôle négatif.
 Ces chartes insistent tout d'abord sur le respect nécessaire de la vérité. Un journaliste, stipulent-elles, ne doit pas user de moyens déloyaux : mensonge, déformation de faits ou de documents, accusations sans preuves. Mais si tous les documents s'accordent pour faire de la vérité un impératif essentiel, certains notent l'imprécision de ses contours. J.C. Guillebaud affirme que le rapport du journaliste avec la vérité n'est pas chose simple, notamment en raison du temps qui lui est imparti pour rendre compte des faits. Ceux-ci, d'ailleurs, affirme J. Dutourd, pour peu qu'ils soient variés et éloignés du public, ne contiennent qu'une vérité abstraite et impalpable. J. Lacouture rappelle, pour sa part, que l'on demande au journaliste une vérité qui pourrait bien ne jamais être à sa portée : celle d'un témoin omniscient capable de rendre compte objectivement d'un réel multiforme.
  Si la conquête de la vérité est difficile, voire impossible, son maniement risque, d'autre part, à tout moment de violer les vies privées. C'est le respect de cette part d'intimité qui doit, selon A. Rémond, limiter le droit à l'information. J. Lacouture confirme cette loi claire mais implicite : le journaliste doit se refuser à publier des nouvelles indignes qui portent atteinte aux personnes privées. Le reporter d'Hitchcock illustre, par l'attention méticuleuse dont son regard témoigne derrière ses jumelles, ce danger d'une intrusion du chercheur d'informations dans la vie des gens.
  Les intérêts financiers viennent compliquer encore le problème. Le journal est une entreprise, et si les chartes rappellent son devoir d'intégrité financière, il ne se refuse pas toujours à des pratiques commerciales. J. Dutourd dénonce la compétition pour le "scoop" et A. Rémond lui fait écho en s' en prenant aux "marchands de soupe" prêts à tout pour vendre leur marchandise. Cette recherche de l'événement sensationnel installe en outre entre confrères une rivalité préjudiciable au code d'honneur de la profession que rappellent les chartes : le journaliste doit observer à l'égard de ses pairs courtoisie et fair-play.
  Enfin l'univers professionnel du journaliste est celui de sa rédaction. Les chartes lui recommandent d'obéir à cette juridiction. Mais ces comités rédactionnels jouent parfois un rôle négatif sur le plan de l'éthique en ordonnant au journaliste de commenter l'information. C'est ce que déplore J.C. Guillebaud qui note la pression idéologique subie par le journaliste : le voici sommé de donner une interprétation intelligible d'une histoire qui n'est pas jouée, ou même de la truquer, pour reprendre l'expression d'A. Rémond.
  Si la déontologie du journalisme trouve ses limites dans le domaine professionnel, que dire de celles qu'il rencontre sur le terrain politique?

  Un journal se définit souvent, en effet, par ses rapports avec le pouvoir. J. Dutourd voit même dans le service qu'elle rend aux gouvernements le but de l'information. Cette inféodation du journaliste aux pouvoirs en place et son empiètement sur les prérogatives de la justice constituent de nouvelles entraves à la déontologie.
  Jean Dutourd conclut, en effet, son article sur le rôle purement servile du journalisme. Il déplore l'intention plus ou moins avouée de modeler l'opinion publique. J. Lacouture avoue avoir, lui aussi, contribué à ce but en pratiquant ce qu'il appelle une rétention de l'information au nom de l'intérêt supérieur de l'État. Mais lui la condamne fermement en y voyant l'atteinte la plus grave à la conscience du journaliste. J.C. Guilllebaud date de ces dernière années une conception également plus libre du journalisme, ayant renoncé à servir le pouvoir pour manifester au contraire son irrespect. Les deux documents se réfèrent d'ailleurs au rôle du Washington Post dans l'affaire du Watergate.
  Mais c'est dans ses rapports avec la justice que le journaliste risque le plus de faire des accrocs à l'éthique. Les chartes rappellent que son rôle ne saurait être celui celui du policier et qu'il doit tenir le scrupule et le souci de la justice comme règles premières. Pourtant le journalisme d'investigation semble s'imposer, comme le remarque J.C. Guillebaud, qui y voit une surestimation du rôle du journaliste. A. Rémond et J. Lacouture sont plus sévères encore : le premier y décèle une intention purement mercantile; l'autre le condamne fermement au nom d'une morale qu'il consent néanmoins à présenter comme candide et vieillotte. En effet l'article de J.C. Guillebaud considère comme un signe des temps cette conception du journaliste : la déroute idéologique et la toute puissance de l'audio-visuel ont fait de lui une sorte de héros, "Robin des bois de la machine à écrire", comme le définit plaisamment A. Rémond, popularisé par le cinéma américain. A ce propos, l'affiche du film Fenêtre sur cour présente en effet le journaliste comme un policier à l'affût ciblant dans ses jumelles une danseuse en petite tenue. A n'en pas douter, le même procès est intenté par le réalisateur à ce reporter voyeur, quoi que son enquête privée lui permette de découvrir.

  C'est enfin sur un plan socioculturel que la déontologie journalistique subit des atteintes : le lecteur a sa part de responsabilité dans le fait que le journaliste outrepasse ses droits et ses pouvoirs.
  Les chartes rappellent qu'il existe un secret professionnel, mais nos documents montrent qu'il est d'autant plus difficile aux journalistes de le respecter que le lecteur a besoin de comprendre. Le journaliste devient ainsi celui qui interprète, qui ordonne et met en scène un véritable "théâtre de papier", selon le mot d'A. Rémond, où la vérité, fatalement, se perd.
  Pour satisfaire les goûts du public, le journaliste est aussi en quête de "scoop" et de sensations fortes, comme le regrettent J. Lacouture et A. Rémond. Ce dernier fait du journaliste un voyeur (on pense à l'importance du regard dans le film d'Hitchcock) dont la finalité n'est que d'imposer sa loi. J. Dutourd ne croit pas non plus à la volonté de satisfaire le droit que le public a de savoir. Il ne s'agit que d'alimenter une machine qui a sa propre logique de profit. Ce que veut le lecteur, selon A. Rémond, c'est le plaisir de lire. Celui-ci passe par celui de voir clair dans la forêt des événements et de pouvoir goûter leur sel. C'est pour répondre à ce besoin  que le journaliste est devenu ce fureteur qu'évoquent J. Dutourd et A. Rémond, occupé à courir après l'information ou le détail vécu dont le lecteur est si friand.
  C'est dans ce dédale de futilités qu'il faut bien rendre signifiantes que la conscience du journaliste pourrait exercer son rôle. Elle est, pour J. Lacouture, le seul filtre capable de trier ce que le journaliste a vu et compris de ce qu'il dispense à ses lecteurs. En dehors de cela, les exigences que le public fait peser sur lui sont trop lourdes : il lui faudrait une vérité totale et donc hors de portée d'une simple subjectivité, ou bien, comme le note J. Dutourd, un  modèle d'opinion sur lequel se conformer.
  Le journaliste est ainsi contraint de trier, mais cette opération est assimilée par A. Rémond à un truquage, une mise en scène indispensable oubliant, sans doute, la morale, mais dispensant le plaisir. On comprend que J.C. Guillebaud conclue, lui, en constatant que le journalisme est toujours en quête d'un statut plus clair. Son article établit sans doute que le journaliste a reconquis l'estime du public, qui boudait jusqu'à ces dernières années son image corrompue. Mais c'est au profit d'une représentation idéale qui ne règle en rien le rapport du journaliste avec la vérité.
  J. Dutourd et A. Rémond prolongent enfin ce rôle social du journaliste en l'intégrant l'un et l'autre au contexte plus général dans lequel il s'inscrit. Si une morale doit être tirée, c'est plutôt, selon J. Dutourd, du côté de la métaphysique qu'il faudrait aller : le capharnaüm des événements donne, à ses yeux, une image assez juste de l'homme perdu dans un monde absurde. A. Rémond, pour sa part, y voit un autre symbole : avalé et recomposé par la presse, notre monde est un "théâtre de papier" dont nous sommes les acteurs ignorants.