le plan thématique
Le
plan thématique (ou plan « par catégories ») convient à des dossiers où
un problème est envisagé dans plusieurs domaines : ceux-ci correspondent
aux diverses disciplines qu appartiennent aux sciences humaines. Ainsi on pourra
classer les arguments, selon les perspectives qu'ils exploitent, autour d'un domaine psychologique,
social,
culturel, économique,
politique... Liste non exhaustive, puisque chaque dossier peut
présenter sur ce plan des spécificités (on trouvera un domaine professionnel,
socioculturel, religieux...).
On en trouvera deux exemples ci-dessous à partir de corpus complets organisés autour du thème du rire, puis un troisième relatif à la communication.
En dépit de son caractère mécanique, de ses manifestations biologiques
invariables, le rire est pluriel. Son intensité d'abord varie selon les
contextes, la nature des effets comiques. Ainsi poser la question de la
finalité du rire ne va pas sans mal : on peut
certes savoir de quoi l'on rit, mais pourquoi, dans quelle intention ?
Il convient de s'interroger sur la nature de ce phénomène
spécifiquement humain avant de répondre. Nous commencerons par recenser un certain nombre de
fonctions qu'on peut attribuer au rire : ce classement est typique en effet du plan thématique qui a besoin d'un englobement des arguments autour de catégories. La synthèse qui suit devrait en être facilitée.
1.
LES FONCTIONS DU RIRE :
-
Fonction
physiologique :
la vertu du rire est de plus en plus reconnue. L'énergie qu'il
mobilise, sa brusque décharge émotive font de lui un facteur de détente
qui justifie le succès des spectacles comiques en tous genres, mais
explique aussi qu'il soit boudé par les "gens sérieux". Lié à la fête,
le rire alors ne s'embarrasse pas des moyens : rire gras, gros rire,
cette jubilation est moins celle de l'individu que du groupe. Les
thérapies modernes n'ignorent pourtant pas les vertus de ce rire
capable de chasser les stress et de faire travailler une bonne
vingtaine de muscles. Ces pratiques ont aujourd'hui leur nom : c'est la
gélothérapie.
-
Fonction
défensive : on sait bien que les circonstances les plus tragiques, les événements
les plus chargés d'émotion, sont favorables au rire, et plus
souvent encore au fou rire. Il faut y voir sans doute une volonté
de dédramatisation, privilège de la liberté humaine qui refuse de
s'incliner devant le respect que telle ou telle circonstance prétend
imposer. Ce rire ne signifie nullement l'insensibilité ou la dureté du
cœur : bien au contraire, les plus grands chagrins sont susceptibles
de s'allier à ce rire crispé. L'humour noir entre, bien sûr, dans cette
catégorie, mais nous prétendons que c'est aussi le cas des histoires
sexuelles, où l'homme manifeste un recul amusé devant ses propres
pulsions, comme s'il voulait prouver qu'il en est le maître. En bref,
ce "rire noir" tourne en dérision les deux lois fondamentales de
l'espèce : le sexe et la mort.
-
Fonction
agressive : rire, c'est se moquer.
Les religieux de tout poil le
savent bien qui continuent à traquer ce signe évident de désobéissance.
Par le rire, l'homme entre en effet en dissidence, et aucune valeur
n'est susceptible d'échapper à son pouvoir décapant. Les textes
satiriques - chansons, pamphlets -, les caricatures ou les comédies
sociales ont toujours accompagné la subversion politique, et fait
souffler cet esprit frondeur qui, là encore, est un gage de liberté.
L'émotion, la pitié ne sont pas compatibles avec l'exercice de ce rire
: si nous sommes capables de rire de nos proches, c'est que nous avons
quelque temps oublié ou mis en veilleuse nos sentiments.
-
Fonction
sociale : on le constate souvent
aujourd'hui : les groupes, les
réseaux sont soudés par le rire. On aura observé comment le succès
d'une comédie est d'autant plus marqué que le public est nombreux. Le
rire est en effet contagieux, il crée une communion, une complicité
précieuses dans la dynamique de groupe. Rire des mêmes choses est aussi
le signe le plus évident d'une connivence qui engage la cohérence d'un
milieu ou d'une association. Ce peut être, bien sûr, éphémère et
artificiel, mais ce liant est absolument nécessaire à la vie sociale.
-
Fonction
ironique : véritable stratégie dans
l'argumentation, l'ironie
manie l'antiphrase, ou ce que
l'on appelle "le second degré". On connaît par exemple l'ironie
voltairienne, capable de camoufler les plus violentes dénonciations
derrière un discours faussement élogieux. Il s'agit donc, ici encore,
d'un rire fin par lequel les auditeurs se confortent mutuellement dans
le privilège d'avoir compris l'intention du rieur. L'ironie peut être
cruelle, mais elle peut aussi se contenter d'aimables parodies, lorsque
par exemple une situation très banale est décrite en termes nobles.
-
Fonction
intellectuelle : le rire est une
manifestation incontestable de
l'intelligence. Il suppose en effet un recul pris par rapport aux
choses et aux personnes, recul dont l'animal est évidemment incapable.
Le rire peut ainsi exiger une certaine culture, requérir la subtilité
nécessaire pour percevoir une allusion, saisir un jeu de mots ou un
calembour. Dans ce cas précis, bien sûr, le rire cède souvent sa place
au
sourire, puisque ce plaisir du déchiffrement est une activité qui peut
rester solitaire.
2.
EXERCICE :
Voici, en vrac, des histoires drôles, fragments de récits, anecdotes. A
quelle(s) fonction(s) du rire précédemment énoncée(s) correspond chacun
de ces
extraits ?
1. Un
président d’une
république africaine se promène sur une plage. Il aperçoit une
bouteille vide qui traîne et lui donne un coup de pied négligent.
Aussitôt, un esprit sort de ce récipient et lui promet de réaliser
instantanément tous ses désirs. Le président souhaite alors une
autoroute entre l’Afrique et l’Amérique. Le bon génie regrette que cela
soit impossible, vu les difficultés technologiques, et demande un autre
vœu. Le président, accablé par les vicissitudes de sa charge, lui
enjoint alors de mettre fin à la corruption de son entourage. L’esprit
lui répond :
- Votre autoroute, vous la voulez à deux ou à quatre voies ?
________________
2. Le roi
Louis XV avise un
jour le marquis de Bièvre :
- Marquis, vous qui faites des calembours sur toutes sortes de sujets,
faites-en donc un sur moi.
- Oh ! Sire, votre Majesté n’est pas un sujet, répond aussitôt le
marquis.
________________
3.
Greg, Les petits
desseins d'Achille Talon, © Dargaud, 1974
________________
4. Un type
arrive aux urgences
après un accident de voiture. Quand il se réveille, le chirurgien est à
son chevet et lui dit :
- J'ai deux nouvelles à vous annoncer. Je commence par la mauvaise :
j'ai dû vous amputer des deux jambes.
- Et la bonne ?
- J'aime beaucoup vos chaussures, je vous en offre 800 Euros.
________________
5. Rome. Sous Néron. Des chrétiens sont jetés dans l'arène, livrés aux
lions. Ils courent côte à côte pour échapper aux félins quand l'un
d'eux ralentit, semble renoncer.
Le public l'encourage : Mais cours donc ! Les lions te
rattrapent !
Et l'homme répond, impassible : Pas de souci, j'ai un tour
d'avance !
________________
6.
Comment répondre à la question "Comment ça va ?" quand on s'appelle :
- Benjamin Franklin : Du tonnerre !
- Sisyphe : Ça roule !
- Schubert : Comme un poisson dans l'eau.
- Volta : Plus ou moins.
- Galilée : Ça tourne pas rond.
- Marat : Ça baigne !
- Einstein : Relativement bien.
etc.
|
3. CORPUS :
Vous présenterez une synthèse concise,
objective et ordonnée des documents suivants :
François
RABELAIS : Gargantua
(1534)
Henri BERGSON : Le Rire, Essai sur la signification du
comique (1900)
Affiche du film de Charlie
CHAPLIN Le Dictateur (The Great
Dictator), 1940
Marcel PAGNOL : Le Schpountz (1938).
DOCUMENT 1.
AUX LECTEURS
Amis
lecteurs qui lisez ce livre,
Dépouillez-vous
de tout tourment;
Et, le
lisant, ne soyez pas scandalisés ;
Il ne
contient ni mal ni infection.
Il est
vrai qu’ici vous apprendrez
Peu de
perfection, sinon en matière de rire;
Mon cœur
ne peut élire d’autre argument,
Voyant la
douleur qui vous mine et vous consume.
Mieux vaut
traiter du rire que des larmes,
Parce que
rire est le propre de l’homme.
VIVEZ JOYEUX
Buveurs très illustres, et vous Vérolés très précieux (c’est à vous, à
personne d’autre que sont dédiés mes écrits), dans le dialogue de
Platon intitulé Le Banquet,
Alcibiade faisant l’éloge de son précepteur Socrate, sans conteste
prince des philosophes, le déclare, entre autres propos, semblable aux
Silènes. Les Silènes étaient jadis de petites boîtes comme on en voit à
présent dans les boutiques des apothicaires ; au-dessus étaient peintes
des figures amusantes et frivoles : harpies, satyres, oisons bridés,
lièvres cornus, canes bâtées, boucs volants, cerfs attelés et autres
semblables figures imaginaires, arbitrairement inventées pour inciter
les gens à rire, à l’instar de Silène, maître du bon Bacchus. Mais à
l’intérieur, on conservait les fines drogues comme le baume, l’ambre
gris, l’amome, le musc, la civette, les pierreries et autres produits
de grande valeur. Alcibiade disait que tel était Socrate, parce que, ne
voyant que son physique et le jugeant sur son aspect extérieur, vous
n’en auriez pas donné une pelure d’oignon tant il était laid de corps
et ridicule en son maintien : le nez pointu, le regard d’un taureau, le
visage d’un fol, ingénu dans ses mœurs, rustique en son vêtement,
infortuné au regard de l’argent, malheureux en amour, inapte à tous les
offices de la vie publique ; toujours riant, toujours prêt à trinquer
avec chacun, toujours se moquant, toujours dissimulant son divin
savoir. Mais en ouvrant une telle boîte, vous auriez trouvé au-dedans
un céleste et inappréciable ingrédient : une intelligence plus
qu’humaine, une force d’âme prodigieuse, un invincible courage, une
sobriété sans égale, une incontestable sérénité, une parfaite fermeté,
un incroyable détachement envers tout ce pour quoi les humains
s’appliquent tant à veiller, courir, travailler, naviguer et guerroyer.
A quoi tend, à votre avis, ce prélude et coup d’essai ? C’est
que vous, mes bons disciples, et quelques autres fous oisifs, en lisant
les joyeux titres de quelques livres de notre invention, comme Gargantua, Pantagruel, Fesse pinte, La
Dignité des braguettes, Des pois au lard avec commentaire,
etc., vous pensez trop facilement qu’on n’y traite que de moqueries,
folâtreries et joyeux mensonges, puisque l’enseigne extérieure (c’est
le titre) est sans chercher plus loin, habituellement reçue comme
moquerie et plaisanterie. Mais il ne faut pas considérer si légèrement
les œuvres des hommes. Car vous-mêmes vous dites que l’habit ne fait
pas le moine, et tel est vêtu d’un froc qui au-dedans n’est rien moins
que moine, et tel est vêtu d’une cape espagnole qui, dans son courage,
n’a rien à voir avec l’Espagne. C’est pourquoi il faut ouvrir le livre
et soigneusement peser ce qui y est traité. Alors vous reconnaîtrez que
la drogue qui y est contenue est d’une tout autre valeur que ne le
promettait la boite : c’est-à-dire que les matières ici traitées ne
sont pas si folâtres que le titre le prétendait.
Et en admettant que le sens littéral vous procure des matières
assez joyeuses et correspondant bien au titre, il ne faut pourtant pas
s’y arrêter, comme au chant des sirènes, mais interpréter à plus haut
sens ce que par hasard vous croyiez dit de gaieté de cœur.
Avez-vous jamais crocheté une bouteille ? Canaille !
Souvenez-vous de la contenance que vous aviez. Mais n’avez-vous jamais
vu un chien rencontrant quelque os à moelle ? C’est, comme dit Platon
au livre II de la République,
la bête la plus philosophe du monde. Si
vous l’avez vu, vous avez pu noter avec quelle dévotion il guette son
os, avec quel soin il le garde, avec quelle ferveur il le tient, avec
quelle prudence il entame, avec quelle passion il le brise, avec quel
zèle il le suce. Qui le pousse à faire cela ? Quel est l’espoir de sa
recherche ? Quel bien en attend-il ? Rien de plus qu’un peu de moelle.
Il est vrai que ce peu est plus délicieux que beaucoup d’autres
produits, parce que la moelle est un aliment élaboré selon ce que la
nature a de plus parfait, comme le dit Galien au livre 3 Des Facultés naturelles et au IIe
de L’Usage des parties du corps.
À son exemple, il vous faut être sages pour humer, sentir et
estimer ces beaux livres de haute graisse, légers à la poursuite et
hardis à l’attaque. Puis, par une lecture attentive et une méditation
assidue, rompre l’os et sucer la substantifique moelle, c’est-à-dire
- ce que je signifie par ces symboles pythagoriciens - avec l’espoir
assuré de devenir avisés et vaillants à cette lecture. Car vous y
trouverez une bien autre saveur et une doctrine plus profonde, qui vous
révélera de très hauts sacrements et mystères horrifiques, tant sur
notre religion que sur l’état de la cité et la gestion des affaires.
François RABELAIS, Gargantua,
1534 (orthographe modernisée).
|
DOCUMENT 2.
[…]
Nous allons présenter d’abord trois observations que nous tenons
pour fondamentales. Elles portent moins sur le comique lui-même que sur
la place où il faut le chercher.
Voici le premier point sur lequel nous appellerons l’attention.
Il n’y a pas de comique en dehors de ce qui est proprement humain. Un
paysage pourra être beau, gracieux, sublime, insignifiant ou laid ; il
ne sera jamais risible. On rira d’un animal, mais parce qu’on aura
surpris chez lui une attitude d’homme ou une expression humaine. On
rira d’un chapeau ; mais ce qu’on raille alors, ce n’est pas le morceau
de feutre ou de paille, c’est la forme que des hommes lui ont donnée,
c’est le caprice humain dont il a pris le moule. Comment un fait aussi
important, dans sa simplicité, n’a-t-il pas fixé davantage l’attention
des philosophes ? Plusieurs ont défini l’homme « un animal qui sait
rire ». Ils auraient aussi bien pu le définir un animal qui fait rire,
car si quelque autre animal y parvient, ou quelque objet inanimé, c’est
par une ressemblance avec l’homme, par la marque que l’homme y imprime
ou par l’usage que l’homme en fait.
Signalons maintenant, comme un symptôme non moins digne de
remarque, l’insensibilité qui accompagne d’ordinaire le rire. Il semble
que le comique ne puisse produire son ébranlement qu’à la condition de
tomber sur une surface d’âme bien calme, bien unie. L’indifférence est
son milieu naturel. Le rire n’a pas de plus grand ennemi que l’émotion.
Je ne veux pas dire que nous ne puissions rire d’une personne qui nous
inspire de la pitié, par exemple, ou même de l’affection : seulement
alors, pour quelques instants, il faudra oublier cette affection, faire
taire cette pitié. Dans une société de pures intelligences on ne
pleurerait probablement plus, mais on rirait peut-être encore ; tandis
que des âmes invariablement sensibles, accordées à l’unisson de la vie,
où tout événement se prolongerait en résonance sentimentale, ne
connaîtraient ni ne comprendraient le rire. Essayez, un moment, de vous
intéresser à tout ce qui se dit et à tout ce qui se fait, agissez, en
imagination, avec ceux qui agissent, sentez avec ceux qui sentent,
donnez enfin à votre sympathie son plus large épanouissement : comme
sous un coup de baguette magique vous verrez les objets les plus légers
prendre du poids, et une coloration sévère passer sur toutes choses.
Détachez-vous maintenant, assistez à la vie en spectateur indifférent :
bien des drames tourneront à la comédie. Il suffit que nous bouchions
nos oreilles au son de la musique, dans un salon où l’on danse, pour
que les danseurs nous paraissent aussitôt ridicules. Combien d’actions
humaines résisteraient à une épreuve de ce genre ? et ne verrions-nous
pas beaucoup d’entre elles passer tout à coup du grave au plaisant, si
nous les isolions de la musique de sentiment qui les accompagne ? Le
comique exige donc enfin, pour produire tout son effet, quelque chose
comme une anesthésie momentanée du cœur. Il s’adresse à l’intelligence
pure.
Seulement, cette intelligence doit rester en contact avec
d’autres intelligences. Voilà le troisième fait sur lequel nous
désirions attirer l’attention. On ne goûterait pas le comique si l’on
se sentait isolé. Il semble que le rire ait besoin d’un écho.
Écoutez-le bien : ce n’est pas un son articulé, net, terminé ; c’est
quelque chose qui voudrait se prolonger en se répercutant de proche en
proche, quelque chose qui commence par un éclat pour se continuer par
des roulements, ainsi que le tonnerre dans la montagne. Et pourtant
cette répercussion ne doit pas aller à l’infini. Elle peut cheminer à
l’intérieur d’un cercle aussi large qu’on voudra ; le cercle n’en reste
pas moins fermé. Notre rire est toujours le rire d’un groupe. Il vous
est peut-être arrivé, en wagon ou à une table d’hôte, d’entendre des
voyageurs se raconter des histoires qui devaient être comiques pour eux
puisqu’ils en riaient de bon cœur. Vous auriez ri comme eux si vous
eussiez été de leur société. Mais n’en étant pas, vous n’aviez aucune
envie de rire. Un homme, à qui l’on demandait pourquoi il ne pleurait
pas à un sermon où tout le monde versait des larmes, répondit : « je ne
suis pas de la paroisse. » Ce que cet homme pensait des larmes serait
bien plus vrai du rire. Si franc qu’on le suppose, le rire cache une
arrière-pensée d’entente, je dirais presque de complicité, avec
d’autres rieurs, réels ou imaginaires. Combien de fois n’a-t-on pas
dit que le rire du spectateur, au théâtre, est d’autant plus large que
la salle est plus pleine ; Combien de fois n’a-t-on pas fait remarquer,
d’autre part, que beaucoup d’effets comiques sont intraduisibles d’une
langue dans une autre, relatifs par conséquent aux mœurs et aux idées
d’une société particulière ? Mais c’est pour n’avoir pas compris
l’importance de ce double fait qu’on a vu dans le comique une simple
curiosité où l’esprit s’amuse, et dans le rire lui-même un phénomène
étrange, isolé, sans rapport avec le reste de l’activité humaine. De là
ces définitions qui tendent à faire du comique une relation abstraite
aperçue par l’esprit entre des idées, « contraste intellectuel », «
absurdité sensible », etc., définitions qui, même si elles convenaient
réellement à toutes les formes du comique, n’expliqueraient pas le
moins du monde pourquoi le comique nous fait rire. D’où viendrait, en
effet, que cette relation logique particulière, aussitôt aperçue, nous
contracte, nous dilate, nous secoue, alors que toutes les autres
laissent notre corps indifférent ? Ce n’est pas par ce côté que nous
aborderons le problème. Pour comprendre le rire, il faut le replacer
dans son milieu naturel, qui est la société ; il faut surtout en
déterminer la fonction utile, qui est une fonction sociale. Telle sera,
disons-le dès maintenant, l’idée directrice de toutes nos recherches.
Le rire doit répondre à certaines exigences de la vie en commun. Le
rire doit avoir une signification sociale.
Marquons nettement le point où viennent converger nos trois
observations préliminaires. Le comique naîtra, semble-t-il, quand des
hommes réunis en groupe dirigeront tous leur attention sur un d’entre
eux, faisant taire leur sensibilité et exerçant leur seule
intelligence. [...]
Henri BERGSON, Le
Rire, Essai sur la signification du comique (1900).
|
DOCUMENT 3.
Affiche
du film de Charlie CHAPLIN Le
Dictateur (The Great Dictator), 1940.
|
DOCUMENT 4.
Irénée,
un provincial naïf qui rêve de devenir acteur tragique, a été engagé
pour tourner dans un film. Le jour de la sortie du film, à laquelle il
n'assiste pas, son amie Françoise lui rend compte des réactions du
public et lui apprend qu'il fait rire, en particulier dans la grande
scène d'amour.
IRÉNÉE – Écoutez – supposez qu'un ingénieur ait inventé un nouveau
canon, qui tire plus loin que les autres. Et au premier essai, ce canon
tire par derrière, et l'inventeur qui surveillait le tir tout plein
d'espoir et de fierté, reçoit l'obus dans l'estomac. Il tombe et il
meurt. Eh bien, moi, mon canon tire à l'envers, je me sens plus triste
que si j'étais mort !
FRANÇOISE – Votre succès va vous ressusciter.
IRÉNÉE – Et vous croyez que je vais accepter un succès de comique ! Ah
non. Pouah !
FRANÇOISE – Mais pourquoi ?
IRÉNÉE – Faire rire ! Devenir un roi du rire ! C'est moins effrayant
que d'être guillotiné, mais c'est aussi infamant.
FRANÇOISE – Pourquoi ?
IRÉNÉE – Des gens vont dîner, avec leur femme ou leur maîtresse. Et
vers neuf heures du soir, ils se disent : "Ah, maintenant qu'on est
repu, et qu'on a fait les choses sérieuses de la journée, où
allons-nous trouver un spectacle qui ne nous fera pas penser, qui ne
nous posera aucun problème et qui secouera un peu les boyaux, afin de
nous faciliter la digestion ? "
FRANÇOISE – Allons donc ! Vous exagérez tout...
IRÉNÉE – Oh non, car c'est même encore pire: ce qu'ils viennent
chercher, quand ils vont voir un comique, c'est un homme qui leur
permette de s'estimer davantage. Alors pour faire un comique, le
maquilleur approfondit une ride, il augmente un petit défaut. Au lieu
de corriger mon visage, au lieu d'essayer d'en faire un type d'homme
supérieur, il le dégradera de son mieux, avec tout son art. Et si alors
j'ai un grand succès de comique, cela voudra dire que dans toutes les
salles de France, il ne se trouvera pas un homme, si bête et si laid
qu'il soit, qui ne puisse pas se dire : "ce soir je suis content, parce
que j'ai vu – et j'ai montré à ma femme – quelqu'un de plus bête et de
plus laid que moi." (Un temps, il
réfléchit.) Il
y a cependant une espèce de gens auprès de qui je n'aurai aucun succès
: les gens instruits, les professeurs, les médecins, les prêtres.
Ceux-là, je ne les ferai pas rire, parce qu'ils ont l'âme assez haute
pour être émus de pitié. Allez, Françoise, celui qui rit d'un autre
homme, c'est qu'il se sent supérieur à lui. Celui qui fait rire tout le
monde, c'est qu'il se montre inférieur à tous.
FRANÇOISE – Il se montre, peut-être, mais il ne l'est pas.
IRÉNÉE – Pourquoi ?
FRANÇOISE – Parce que l'acteur n'est pas l'homme. Vous avez vu Charlot
sur l'écran qui recevait de grands coups de pied au derrière.
Croyez-vous que dans la vie, M. Charlie Chaplin accepterait seulement
une gifle ? Oh non ! Il en donnerait plutôt... C'est un grand chef dans
la vie, M. Chaplin.
IRÉNÉE – Alors, pourquoi s'abaisse-t-il à faire rire ?
FRANÇOISE – Quand on fait rire sur la scène ou sur l'écran, on ne
s'abaisse pas, bien au contraire. Faire rire ceux qui rentrent des
champs, avec leurs grandes mains tellement dures qu'ils ne peuvent plus
les fermer; ceux qui sortent des bureaux avec leurs petites poitrines
qui ne savent plus le goût de l'air. Ceux qui reviennent de l'usine, la
tête basse, les ongles cassés, avec de l'huile noire dans les coupures
de leurs doigts... Faire rire tous ceux qui mourront, faire rire tous
ceux qui ont perdu leur mère, ou qui la perdront...
IRÉNÉE – Mais qui c'est ceux-là ?
FRANÇOISE – Tous... Ceux qui n'ont pas encore perdu la Mère, la
perdront un jour... Celui qui leur fait oublier un instant les petites
misères... la fatigue, l'inquiétude et la mort; celui qui fait rire des
êtres qui ont tant des raisons de pleurer, celui-là leur donne la force
de vivre, et on l'aime comme un bienfaiteur...
IRÉNÉE – Même si pour les faire rire il s'avilit devant leurs yeux ?
FRANÇOISE – S'il faut qu'il s'avilisse, et s'il y consent, le mérite
est encore plus grand, puisqu'il sacrifie son orgueil pour alléger
notre misère... On devrait dire saint Molière, on pourrait dire saint
Charlot...
IRÉNÉE – Mais le rire, le rire... C'est une espèce de convulsion
absurde et vulgaire...
FRANÇOISE – Non, non, ne dites pas de mal du rire. Il n'existe pas dans
la nature; les arbres ne rient pas et les bêtes ne savent pas rire...
les montagnes n'ont jamais ri... Il n'y a que les hommes qui rient...
Les hommes et même les tout petits enfants, ceux qui ne parlent pas
encore... Le rire, c'est une chose humaine, une vertu qui n'appartient
qu'aux hommes et que Dieu peut-être leur a donnée pour les consoler
d'être intelligents...
Marcel PAGNOL, Le
Schpountz (1938).
|
Tableau de
confrontation :
(L'ordre choisi pour remplir le tableau
est l'ordre inverse des documents.)
Document 1 |
Document 2 |
Document 3 |
Document 4 |
PISTES |
|
le rire veut
l'insensibilité, une anesthésie momentanée du cœur |
le coiffeur coupe la
mèche et tourne Hitler en dérision (satire, critique politique) |
je ne les ferai pas
rire, parce qu'ils ont l'âme assez haute pour être émus de pitié. Celui
qui rit d'un autre homme, c'est qu'il se sent
supérieur à lui |
fonction défensive |
le conseil hédoniste du
narrateur : Vivez joyeux |
le rire a besoin d'un
écho, le milieu naturel du rire est la société |
le film de Chaplin
correspond à l'engagement humaniste du cinéaste |
celui qui fait rire des
êtres qui ont tant des raisons de
pleurer, celui-là leur donne la force de vivre, et on l'aime comme un
bienfaiteur. |
fonction sociale |
rire est le propre de
l'homme |
il n'y a pas de rire en
dehors de ce qui est proprement humain |
|
le rire, c'est une chose
humaine, une vertu qui n'appartient qu'aux hommes |
humanité du rire |
le thème du Silène : une
enveloppe grossière peut cacher une intention plus fine |
|
le dessin suggère en
quelques traits simplifiés et symboliques le visage d'Hitler |
pour faire un comique, le
maquilleur approfondit une ride, il augmente un petit défaut |
fonction intellectuelle |
PROBLÉMATIQUE :
quelles sont les formes du rire recensées dans ce corpus ?
► CONSTRUCTION
DU PLAN.
|
1ère partie : fonction intellectuelle :
le rire
répond à une stratégie, cache une intention
qu’il faut décrypter (doc 1)
la
caricature suggère en quelques traits des caractères essentiels (doc 2
et 3)
le rire
s’adresse à l’intelligence pure (doc 2).
2ème partie : fonction sociale :
le
rire s’épanouit naturellement en société, il
a besoin d’un écho
(doc 2)
le rire répond à
une quête affective : faire rire apporte la joie
nécessaire à la vie (doc
1), console et
apaise les douleurs de
l’existence (doc 4)
la cohésion du groupe est assurée par la critique
des ridicules, la
visée satirique : le rire a, à ce titre, un fort pouvoir mobilisateur
(doc 3).
3ème partie : fonction défensive :
le rire suppose l’insensibilité, une anesthésie
momentanée du cœur, qui domine la pitié et la souffrance (doc 2)
l’homme se libère
par le rire de ce qui le menace :
rire de ce qui fait peur (doc 3)
à ce titre le
rire est spécifiquement humain (doc
1, 2, 4).
|
.
|
Dossier 2 : Rire et subversion. |
|
J'habite
ma propre demeure,
Jamais je n'ai imité personne,
Et je me ris de tous les maîtres
Qui ne se moquent pas d'eux-mêmes.
Nietzsche, Le Gai savoir
D'où qu'il vienne, le rire manifeste une distance prise par rapport aux
choses : le rieur s'abstrait des situations où les autres se
ridiculisent; il manifeste surtout, par le recul qu'il sait prendre, le
pouvoir supérieur de l'homme face à tout ce qui menace de le
déterminer. La comédie, la farce, la satire ont toujours été des armes
redoutables dirigées contre l'oppression, hier comme aujourd'hui où
fusent les concetti et les brocards de médias volontiers iconoclastes.
De fait, on ne sait trop quoi faire contre le rieur. Le rire est la
résistance suprême (la mort elle-même y émousse sa faux), d'autant
qu'il apparaît comme un antidote souverain contre la certitude et les
principes. « Le devoir de qui aime les hommes, écrit Umberto
Eco, est peut-être de faire rire de la vérité, faire rire la vérité, car l'unique vérité est
d'apprendre à nous libérer de la passion insensée pour la vérité.» (Le nom de la Rose).
E.M. Cioran nous en convainc pareillement : « On se méfie
des finauds, des fripons, des farceurs; pourtant on ne saurait leur
imputer aucune des grandes convulsions de l'Histoire; ne croyant en
rien, ils ne fouillent pas vos cœurs, ni vos arrière-pensées : ils vous
abandonnent à votre nonchalance, à votre désespoir ou à votre
inutilité; l'humanité leur doit le peu de moments de prospérité qu'elle
connut. Ce sont eux qui sauvent les peuples que les fanatiques
torturent et que les "idéalistes" ruinent. Sans doctrine, ils n'ont que
des caprices et des intérêts, des vices accommodants, mille fois plus
supportables que les ravages provoqués par le despotisme à principes.»
(Précis de décomposition).
TEXTE 1.
La gélotologie est la science du rire. Une chose des
plus sérieuses qui examine tous les aspects de la
psychoneuroimmunologie, les cellules T, l'interféron gamma, la pression
sanguine, les hormones du bonheur, la tension musculaire et les
interactions sociales. Des études sont là pour le prouver : le stress
et la douleur s'en vont, trois minutes de rire à pleine gorge
compensent quinze minutes de jogging. Dans ce cas, l'origine du rire
n'a pas d'importance : une plaisanterie, un show débile où les rires
sont enregistrés ou bien le rire narquois, tout est bon. Le rire est un
lien social qui renforce le métabolisme, l'esprit d'équipe et la force
de concentration. Des entreprises comme le Crédit Suisse, la compagnie
d'assurances Zurich ou la Poste engagent des entraîneurs du rire. A la
cravate à la mode, il convient d'allier la gaieté selon les codes de
bonne conduite enseignés par la baronne de Rothschild aux hommes
d'affaires. Rire est le soutien de la carrière.
Il est bien entendu qu'il s'agit là d'un rire contrôlé de geisha et non
des secousses homériques d'un rire à gorge déployée, fait de spasmes
cloniques du diaphragme, d'un ballonnement pulmonaire, d'une explosion
d'air et du staccato bien connu du larynx dans toutes les gammes de
sons gras de plaisir. Non, le rire médical est grave et non anarchique,
il appartient aux rituels des bonnes mœurs, de l'ordre et de la
discipline.
Les théologiens et les philosophes ont longtemps glosé sur le
fait de savoir si Dieu ou Jésus avaient su rire. Dans certains
couvents, le rire de stentor était interdit. Umberto Eco termine son
fameux roman Le Nom de la rose par un débat dans la
bibliothèque mystérieuse d'une abbaye bénédictine. Il s'agit de la
partie perdue d'un cours magistral d'Aristote sur la poésie, sur le
comique, l'ironie et la plaisanterie dont les pages ont été
empoisonnées par Jorge, le bibliothécaire. Il n'est pas séminariste.
Pour lui, toute œuvre des philosophes anciens a détruit une partie de
la sagesse chrétienne. Il se voit en gardien de la dernière limite, que
le rire permet de franchir. La délivrance de la peur du diable serait
devenue une science grâce à ce texte. « Ce livre pourrait apprendre aux
savants avec quel artifice, avec quels arguments et quels traits
d'esprit ils pourraient justifier un tel renversement.» Étant donné que
chaque loi s'impose par la peur, voire la piété, la suppression de la
peur mettrait le monde entier à feu et à sang. Jorge en est convaincu:
la peur est la conséquence du péché originel. Celui qui
rit ne croit pas, car le rire, dans son satanisme, est lié à la chute.
Il en a fallu du temps pour qu'on n'ait plus honte de rire dans les
cercles philosophiques ! Les uns recommandèrent, en tant que
philosophie bien pensée, un « test de risibilité » pour chaque théorie
sérieusement présentée, le rire délivrant de la fausse autorité. Les
caricatures de Daumier et les pièces de Molière se moquent des fats,
des juristes, des médecins et des hypocondres. Freud découvrit dans le
« witz » une compensation pour le travail de refoulement qu'induit la
culture. Pour Emmanuel Kant, trois choses pouvaient neutraliser les
difficultés de la vie : l'espoir, le sommeil et le rire. Espérer,
malgré le peu de perspectives de recevoir des réponses absolues;
dormir, même si le renoncement est tout ce qui reste à la fin; rire sur
la vanité des efforts philosophiques. Avec les modernes, le rire
devient plus impénétrable. Le corps rit lorsque la raison atteint ses
limites. On se doit d'imaginer que Sisyphe, roulant la pierre, éreinté,
est heureux car son destin lui appartient. « Son rocher est son domaine
», écrit Albert Camus. Pour un récent groupe de philosophes et
d'auteurs de théâtre, le rire libérateur et rebelle est devenu un
manifeste contre l'absurdité de notre existence. Seul l'homme en tant
qu'être qui se méfie de lui-même est capable de rire. Il joue sa
dernière carte avec le rire. Certains autres pensent que le rire est un
complément nécessaire de la pensée. Schopenhauer l'a formulé de manière
conciliante : « Plus un homme est capable de saisir le sérieux des
choses, plus chaleureusement peut-il rire.» « Se meurtrir en cherchant
à penser », note Ludwig Wittgenstein, analyste du langage.
C'est l'antagoniste de Jorge, Guillaume de Baskerville, qui trouve,
dans le livre de Umberto Eco, le mot de la fin : « Peut-être
existe-t-il finalement seulement une chose à faire si l'on aime les
êtres humains : les faire rire de la vérité, et faire rire la vérité
elle-même, car la seule vérité est d'apprendre à se libérer de la
passion maladive que l'on éprouve pour la vérité.»
Le pouvoir du rire, dépassant les frontières, fait aussi céder
les liens de la raison. Il ne manifeste aucun égard. Il peut rire de
tout, de la morale et des mœurs. Il joue un jeu avec le bas et le haut,
le bien et le mal, la personne malade et en bonne santé, le beau et le
laid, l'homme et la femme. C'est ainsi que rient les fous et les sages.
Erhard TAVERNA, Du rire, Schweizerische
Ärztezeitung, 2007.
|
TEXTE 2
[L'action
se déroule dans une abbaye médiévale où ont lieu des meurtres
mystérieux. Guillaume de Baskerville mène l'enquête et finit
par comprendre que le bibliothécaire, Jorge de Burgos, a empoisonné les
pages d'un livre d'Aristote consacré au rire. Dans une confrontation
finale, Jorge s'explique.] |
|
« — Mais qu'est-ce qui t'a fait peur dans ce discours
sur le rire ? Tu n'élimines pas le rire en éliminant ce livre.
— Non, certes. Le rire est la faiblesse, la corruption, la fadeur de
notre chair. C'est l'amusette pour le paysan, la licence pour
l'ivrogne, même l'Église dans sa sagesse a accordé le moment de la
fête, du carnaval, de la foire, cette pollution diurne qui décharge les
humeurs et entrave d'autres désirs et d'autres ambitions... Mais ainsi
le rire reste vile chose, défense pour les simples, mystère déconsacré
pour la plèbe. L'apôtre même le disait, plutôt que de brûler,
mariez-vous. Plutôt que de vous rebeller contre l'ordre voulu par Dieu,
riez et amusez-vous de vos immondes parodies de l'ordre, à la fin du
repas, après avoir vidé les cruches et les fiasques. Elisez le roi des
fols, perdez-vous dans la liturgie de l'âne et du cochon, jouez à
représenter vos saturnales la tête en bas... Mais ici, ici... »
A présent Jorge frappait du doigt sur la table, près du livre
que Guillaume tenait devant lui.
« Ici on renverse la fonction du rire, on l'élève à un art, on
lui ouvre les portes du monde des savants, on en fait un objet de
philosophie, et de perfide théologie... [...] Le rire libère le vilain
de la peur du diable, parce que, à la fête des fols, le diable même
apparaît comme pauvre et fol, donc contrôlable. Mais ce livre pourrait
enseigner que se libérer de la peur du diable est sapience. Quand il
rit, tandis que le vin gargouille dans sa gorge, le vilain se sent le
maître, car il a renversé les rapports de domination : mais ce livre
pourrait enseigner aux doctes les artifices subtils, et à partir de ce
moment-là illustres, par lesquels légitimer le bouleversement. Alors,
ce qui, dans le geste irréfléchi du vilain, est encore et heureusement
opération du ventre se changerait en opération de l'intellect Que le
rire soit le propre de l'homme est le signe de nos limites de pécheurs.
Mais combien d'esprits corrompus comme le tien tireraient de ce livre
l'extrême syllogisme, selon quoi le rire est le but de l'homme ! Le
rire distrait, quelques instants, le vilain de la peur. Mais la loi
s'impose à travers la peur, dont le vrai nom est crainte de Dieu. Et de
ce livre pourrait partir l'étincelle luciférienne qui allumerait dans
le monde entier un nouvel incendie : et on désignerait le rire comme
l'art nouveau, inconnu même de Prométhée, qui anéantit la peur. Au
moment où il rit, peu importe au vilain de mourir ; mais après, quand
prend fin la licence, la liturgie lui impose de nouveau, suivant le
dessein divin, la peur de la mort. Et de ce livre pourrait naître la
nouvelle et destructive aspiration à détruire la mort à travers
l'affranchissement de la peur. Et que serions-nous, nous créatures
pécheresses, sans la peur, peut-être le plus sage et le plus affectueux
des dons divins ? Pendant des siècles, les docteurs et les Pères ont
sécrété d'embaumantes essences de saint savoir pour racheter, à travers
la pensée de ce qui est élevé, la misère et la tentation de ce qui est
bas. Et ce livre, en justifiant la comédie comme miraculeuse médecine,
et la satire et le mime, qui produiraient la purification des passions
à travers la représentation du défaut, du vice, de la faiblesse,
induirait les faux savants à tenter de racheter (dans un diabolique
renversement) le haut à travers l'acceptation du bas. De ce livre
découlerait la pensée que l'homme peut vouloir sur la terre (comme
suggérait ton Bacon à propos de la magie naturelle) l'abondance même du
pays de Cocagne. Mais c'est justement cela que nous ne devons ni ne
pouvons avoir. Regarde les moinillons qui se dévergondent dans la
parodie bouffonne de la Coena Cypriani1. Quelle
diabolique transfiguration de l'Écriture sainte ! Et pourtant, tout en
le faisant, ils savent que cela est mal. Mais le jour où la parole du
Philosophe2 justifierait les jeux marginaux de l'imagination
déréglée, oh ! alors vraiment ce qui se trouvait en marge sauterait au
centre, et du centre on perdrait toute trace. [...] Les serviteurs
dicteront la loi, nous (mais toi aussi, à ce compte), nous obéirons à
la vacance de toute loi. Un philosophe grec (que ton Aristote cite ici,
complice et immonde auctoritas) dit qu'on doit démanteler le
sérieux de ses adversaires avec le rire, et le rire adverse avec le
sérieux. La prudence de nos pères a fait son choix : si le rire est le
plaisir de la plèbe, que la licence de la plèbe soit tenue en bride et
humiliée, et sévèrement menacée. Et la plèbe n'a pas d'armes pour
affiner son rire jusqu'à le faire devenir instrument contre le sérieux
des pasteurs qui doivent la conduire à la vie éternelle et la
soustraire aux séductions du ventre, des pudenda3, de la
nourriture, de ses sordides désirs. Mais si un jour quelqu'un, agitant
les paroles du Philosophe, et donc parlant en philosophe, amenait l'art
du rire à une forme d'arme subtile, si la rhétorique de la conviction
se voyait remplacée par la rhétorique de la dérision, si la topique de
la patiente et salvatrice construction des images de la rédemption se
voyait remplacée par la topique de l'impatiente démolition et du
bouleversement de toutes les images les plus saintes et vénérables — oh
! ce jour-là, toi aussi et toute ta science, Guillaume, vous serez mis
en déroute !
1. Le Dîner de Cyprien,
parodie de la Cène (V ou VIème siècle ap.J.-C.).
2. Aristote.
3. Parties sexuelles.
Umberto
ECO, Le Nom de la Rose (1982), Septième
jour.
|
TEXTE 3.
Certes, les stéréotypes, les lieux communs, une
culture commune sont nécessaires au rire, mais ce dernier est aussi une
arme précieuse pour les remettre en question. Rire de quelqu’un dans la
vie et rire d’un comédien sur scène sont deux expériences radicalement
différentes. Dans un spectacle comique, on ne rit pas d’une personne,
mais d’un personnage. Le rapport éthique en est profondément modifié.
Souvenons-nous de l’ambition de Molière dans la préface de Tartuffe
: « corriger les vices des hommes ». Le personnage comique représente
une incarnation d’un ou de plusieurs défauts de l’humaine condition. Le
rire garde alors sa fonction de mise à distance, du moins en partie.
L’art de l’auteur comique est en effet de jouer de cette sécurité que
se donne le spectateur en refusant l’identification, pour mieux lui
retourner le défaut qu’il ne veut pas partager avec le personnage. Le
comique algérien Fellag formule une analyse très juste de son travail :
« Tout le temps du spectacle que je donne, je vais jouer du
marteau-piqueur, si je puis utiliser cette image. Je vais lancer une
bombe. L’important est de faire passer cela de façon à me faufiler
entre les mécanismes de résistance des spectateurs pour atteindre
l’endroit, le nœud des nerfs qui déclenchent le rire. Car le rire n’est
qu’un mécanisme nerveux qui acquiesce, qui dit : “Oui, bravo, je suis
d’accord !” C’est une réaction qui se déclenche quand le spectateur se
sent percé à jour et se dit : “Merde, je suis découvert, il a deviné
que moi aussi je suis lâche, que moi aussi j’ai des préjugés, j’ai mes
cachotteries, etc.”1 » Le rieur n’est pas celui qui corrige,
c’est lui qui est corrigé dès qu’il prend conscience que la frontière
qu’il établit entre lui et le personnage est intenable. Il rit toujours
de lui-même, en définitive. Le plaisir de rire devient alors un moyen
plaisant de se remettre en cause, ou tout du moins, une première étape
joyeuse vers un examen de ses préjugés.
Le rire, sans faire plus de bruit que lui-même, peut conduire
alors sur la voie de la philosophie. Bien avant les Lumières,
l’Antiquité avait bien compris que l’on pouvait instruire tout en
divertissant. Les anecdotes sur Diogène et Aristippe marient ludique et
didactique au service de l’éthique. Elles n’ont, en vérité, rien
d’anecdotique, de superficiel, de superflu, d’accessoire, du moins pour
celui qui outrepasse le premier degré. Car à vouloir cacher le sérieux
sous le comique, on court toujours le risque que personne ne le trouve
et les petits apologues du cynique de Sinope et de l’hédoniste de
Cyrène passeront aisément pour des bons mots à ressortir en fin de
banquet. Pourtant, c’est une véritable propédeutique à la philosophie
qui se déploie dans ces petites histoires. Pensons à un de ces coups
d’éclat dont étaient coutumiers Aristippe et Diogène :
« Un jour que Simos, intendant de Denys, lui montrait des maisons
luxueuses et pavées de mosaïque — c’était un Phrygien et un homme
funeste — Aristippe, expectorant, lui cracha au visage ; puisque
l’autre s’emportait, il dit : “Je n’avais pas d’endroit plus
convenable.”2» Le comique ici, à première vue, n’a rien
d’intellectuel. On rit du crachat comme de la bonne vieille tarte à la
crème, en imaginant la tête déconfite de Simos. On rit aussi de voir le
puissant, le riche, le vaniteux remis à sa place. La vis comica
est banale. Elle s’appuie sur des thèmes comiques populaires pour créer
une complicité entre le lecteur et Aristippe, qui met ainsi les rieurs
de son côté. La connivence se met en place, propice à l’acceptation
d’une critique plus radicale. Car se moquer ponctuellement de la vanité
et du goût pour la richesse est une chose, en faire des valeurs que
l’on est prêt à mettre en pratique dans sa vie quotidienne en est une
autre. Ne nous arrive-t-il jamais d’être vaniteux ? Ne sommes-nous
jamais fiers d’une nouvelle acquisition ? L’anecdote n’est que le
déclencheur d’une prise de conscience. Pour Aristippe ou Diogène,
cracher à la face du Phrygien manifeste une critique de l’attachement
aux biens personnels, à une époque où l’idée selon laquelle la pauvreté
favorisait le bonheur était totalement absurde. Le message éthique se
fait implicite, se laisse déduire, ne s’impose pas avec la froideur
d’une leçon de morale. Libre au rieur de suivre Aristippe ou Diogène,
de s’engager dans une réflexion philosophique sur les principes qui
régissent sa vie.
Bergson concluait son ouvrage par une très belle métaphore
maritime3 où l’amertume du rire se voyait soulignée. De l’amertume, il y
en a sûrement pour celui qui se trouve incapable de dépasser la remise
en cause des valeurs et de leur en substituer de nouvelles. Prisonnier
d’une lucidité stérile, il arbore ce cynisme (au sens moderne) cher à
Cioran. Politesse du désespoir, le rire se déploie alors dans toute sa
négativité : toute situation, toute valeur sont sujettes au sarcasme,
ostensiblement rejetées comme autant d’illusions moribondes auxquelles
le rieur ne veut et ne peut plus croire. L’amour, la mort, les mœurs,
la religion, l’hypocrisie représentent autant de cibles de choix pour
un Karl Kraus, un Roland Jaccard ou un Guido Ceronetti4. En
faisant de la société entière la scène de la comédie humaine, en se
voulant le spectateur solitaire de la bêtise ordinaire, le rieur
nihiliste s’isole et expérimente ainsi le pouvoir d’exclusion du rire
poussé à son paroxysme : ce n’est plus un homme ou un groupe qu’il met
à distance, c’est le monde entier ! Le plaisir de rire se montre dès
lors profondément antisocial.
Le rire prend donc de multiples visages. Répressif, comme chez
Bergson, il se met au service de la société contre l’individu. Révolté,
il se met au service de l’individu contre la société. Les dictatures
ont depuis longtemps compris que le plaisir de rire n’a rien d’innocent
et que la censure se doit de couper court à toute velléité satirique.
Comme l’écrivait Wittgenstein, « l’humour n’est pas une humeur, c’est
une vision du monde. Et c’est pourquoi, si l’on a raison de dire que
l’humour fut banni de l’Allemagne nazie, cela ne signifie pas
simplement que l’on n’y était pas de bonne humeur, mais quelque chose
de beaucoup plus profond et beaucoup plus important5 ».
Régis Tomàs « Le plaisir de rire »,
Multitudes, mars 2007 (n° 30), p. 201-208.
1. Philosophie Magazine, novembre 2006, n° 5, p. 29
2. Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes
illustres.
3. " Les vagues s’entrechoquent, se contrarient, cherchent leur équilibre. Une écume blanche, légère et gaie, en suit les contours changeants. Parfois le flot qui fuit abandonne un peu de cette écume sur le sable de la grève. L’enfant qui joue près de là vient en ramasser une poignée, et s’étonne, l’instant d’après, de n’avoir plus dans le creux de la main que quelques gouttes d’eau, mais d’une eau bien plus salée, bien plus amère encore que celle de la vague qui l’apporta. Le rire naît ainsi que cette écume. Il signale, à l’extérieur de la vie sociale, les révoltes superficielles. Il dessine instantanément la forme mobile de ces ébranlements. Il est, lui aussi, une mousse à base de sel. Comme la mousse, il pétille. C’est de la gaîté. Le philosophe qui en ramasse pour en goûter y trouvera d’ailleurs quelquefois, pour une petite quantité de matière, une certaine dose d’amertume." (Henri Bergson, Le Rire).
4.
Humoristes contemporains.
5. Ludwig Wittgenstein, Remarques mêlées.
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Tableau de confrontation :
Document 1 |
Document 2 |
Document
3 |
PISTES |
Le rire est un lien social qui renforce le métabolisme, l'esprit d'équipe et la force de concentration. |
|
Le rieur nihiliste
s’isole et expérimente le pouvoir d’exclusion du rire poussé à son
paroxysme : ce n’est plus un homme ou un groupe qu’il met à distance,
c’est le monde entier ! Le plaisir de rire se montre dés lors profondément
antisocial. |
Le rire a la fonction d’un liant social : il renforce une communauté et sanctionne ceux qui s’en excluent. |
La
suppression de la peur par le rire mettrait le monde entier à feu et à
sang. Celui qui rit ne croit pas, car le rire, dans son satanisme, est
lié à la chute. […]
Faire rire de la vérité, et faire rire la
vérité elle-même, car la seule vérité est d'apprendre à se libérer de
la passion maladive que l'on éprouve pour la vérité. |
Le
rire libère le vilain de la peur du diable, parce que, à la fête des
fols, le diable même apparaît comme pauvre et fol, donc contrôlable.
Mais ce livre pourrait enseigner que se libérer de la peur du diable
est sapience. |
Le plaisir de rire devient un moyen plaisant de se remettre en cause. […]
toute situation, toute valeur sont rejetées comme autant d’illusions
auxquelles le rieur ne veut et ne peut plus croire. L’amour, la mort,
les mœurs, la religion, l’hypocrisie représentent autant de cibles de
choix. |
Le rieur affirme toujours son indépendance par rapport aux vérités doctrinales imposées. |
Le rire libérateur et
rebelle est devenu un manifeste contre l'absurdité de notre existence. |
Et de ce livre pourrait naître la nouvelle et destructive aspiration à détruire la mort à travers l'affranchissement de la peur. |
|
Par le rire, l’homme se libère de ses peurs fondamentales (châtiment, angoisse existentielle). |
Le
pouvoir du rire, dépassant les frontières, fait aussi céder les liens
de la raison. Il ne manifeste aucun égard. Il peut rire de tout, de la
morale et des mœurs. |
Et de ce livre pourrait partir l'étincelle luciférienne qui allumerait dans le monde entier un nouvel incendie. |
Certes,
les stéréotypes, les lieux communs, une culture commune sont
nécessaires au rire, mais ce dernier est aussi une arme précieuse pour
les remettre en question. |
Le rire franchit toutes les normes sociales. |
Construction du plan :
Quels sont les pouvoirs de subversion manifestés par le rire ?
— Domaine psychologique :
- le rire est un moyen plaisant de se remettre en cause et de manifester sa différence (doc. 3)
- par le rire, l'individu se libère de ses peurs et acquiert une suprême liberté (doc. 1 et 2) .
— Domaine social :
- toutes les normes sociales, toutes les tutelles politiques sont bousculées par le rire (doc 1, 2 et 3)
- mais le rire est aussi un puissant liant social, renforçant le groupe par l'exclusion des déviances (doc. 1).
— Domaine métaphysique :
- le rire dissipe la soumission aux vérités imposées (doc. 2 et 3)
- par lui, le rieur s'affranchit de l'angoisse, triomphe de la mort même (doc. 1 et 2).
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Dossier 3 : Des réseaux de solitude ? |
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On s'assure aujourd'hui par le développement des techniques de communication qu'une ère nouvelle est née où l'homme va enfin sortir de son isolement et, dit-on, triompher des obstacles qui jugulaient sa parole : courrier électronique, "chat" (prononcez Tchat !) sur Internet, réseaux sociaux, prolifération des chaînes de télévision, que de moyens offerts aujourd'hui à notre désir légitime d'ouverture à l'autre ! Si l'on en croit les nouveaux apôtres de ce nouvel Évangile, nous n'aurions qu'à nous féliciter de cet élargissement des frontières ancestrales dans lesquelles l'humanité croupissait : disparu le village où chacun restait confiné toute sa vie dans l'ignorance, révolue cette époque où l'information arrivait à ses destinataires déjà périmée ! Voici les temps nouveaux où des citoyens éclairés vont exercer leur sollicitude sur les misères du prochain et participer également à la vie publique.
Ne rêvons pas trop : cette ère nouvelle, si elle bouscule en effet notre univers, ne réussit guère qu'à substituer une communication indirecte et désincarnée aux vrais rapports humains qui, à l'évidence, ne peuvent se passer de la présence charnelle de l'autre. Car on ne communique bien qu'avec des mots. Si la plupart des grands médias s'adressent à nous, c'est dans une masse d'images confuses et de slogans publicitaires qui ne peuvent que nous guider à notre insu vers des buts plus ou moins douteux. Et que penser d'une apothéose de la communication qui permet aux gens de dialoguer jusqu'à l'autre bout de la planète alors qu'ils n'ont pas encore adressé un mot à leur voisin de palier ?
Document 1 : Michel Pascal, Faut-il craindre le
monde virtuel ?, Le Point, n° 1156, 12 novembre 1994.
Document 2 : Pierre Lévy et Jean-Pierre Balpe, supplément Le Monde, 20 novembre
1997. Propos recueillis par Michel Alberganti.
Document 3 : Dominique Monet, Le Multimédia, Flammarion, 1997.
Document 4 : Umberto Eco, « Comment ne pas utiliser le téléphone portable » in Comment voyager avec un saumon, Grasset, 1997.
.Document 1 - Faut-il craindre le monde
virtuel ? |
Avec les images de
synthèse, véritables êtres de raison, entièrement calculées sur ordinateur
à partir de modèles mathématiques, on pénètre à cent pour cent dans le
fameux monde virtuel, le cyberespace. Équipé d'une prothèse, un casque
spécial, on s'immerge littéralement dans l'image, on y évolue en
interaction avec des « objets » et des « êtres » tous plus immatériels les
uns que les autres. Ces casques, au départ reliés à de gros systèmes
informatiques, ont été conçus pour équiper des simulateurs de vol pour
avions de combat. Les balbutiements de ces machines remontent au milieu
des années 60. Au Massachusetts Institute of Technology, le docteur Sutherland avait
imaginé un casque qui offrait au pilote, simultanément, le vrai paysage et
des images graphiques superposées, par exemple une mire de tir. Le
prototype, dénommé « Épée de Damoclès » fut finalement réalisé en 1970.
Un dangereux contrôle social
« Au tournant du siècle, lorsque la réalité
virtuelle sera largement diffusée, elle ne sera pas considérée comme une
moyen d'appréhension de la réalité physique, mais plutôt comme une réalité
supplémentaire. La réalité virtuelle nous ouvre un nouveau continent »,
écrivait en 1989 Jaron Lanier, l'un des gourous du cyberespace. Un univers
truqué que le romancier américain Philip K. Dick avait pénétré par le seul
pouvoir de son imagination. Deux de ses nouvelles de science-fiction ont
déjà servi de scénario à Total Recall et à Blade Runner. Des
films où les images virtuelles et images réelles, intimement mélangées, «
matérialisent » les scènes impossibles sorties du cerveau enfiévré de
l'écrivain de science-fiction.
Pour Gérard Barrière, philosophe, historien de l'art, « le virtuel
pourrait bien être la révolution artistique du millénaire, mais il pose
aussi des problèmes vertigineux dont 80 % restent à venir ». Philippe
Quéau va dans le même sens lorsqu'il écrit : « Le risque le plus apparent,
c'est de si bien croire aux simulacres qu'on finit par les prendre pour
réels. » Confusion d'autant plus pernicieuse qu'on mélangera aux images de
synthèse des images de la réalité, juxtaposition que les
spécialistes nomment « hyperimages ».
Dans notre société de loisir et de chômage structurel, ces mondes de
synthèse risquent de devenir des refuges, « des drogues visuelles,
capables d'occuper les esprits et les corps, tout en développant de
nouveaux marchés, et aussi de nouvelles formes de contrôle social »,
poursuit-il. Gare alors au retour vers le réel, à la retombée sur terre. A
ce moment, la confusion du matériel et de l'immatériel risque d'être
périlleuse. Exemple : la première vraie guerre par images de synthèse
interposées, faite durant le conflit du Golfe. Elle coûta la vie à des
soldats britanniques dont les véhicules, devenus images virtuelles sur les
viseurs des avions américains, furent pris pour cible par ces alliés.
Le traumatisme des
adolescents
Aujourd'hui, le coût des visio-casques a
tendance à baisser rapidement. On en trouvera bientôt au prix des jeux
vidéo haut de gamme, ils seront donc à la portée des adolescents. Gageons
qu'alors il se trouvera bien un producteur pour leur proposer un scénario
du type « Massacre à la tronçonneuse » dans lequel le joueur muni de son
casque tiendra le rôle du meurtrier. La victime n'en saignera pas moins et
poussera d'horribles cris sous les assauts de la tronçonneuse, également
virtuelle. Pour les enfants et les adolescents fragiles, cet envahissement
du réel et de l'imaginaire par des créatures et des actions virtuelles
risque d'être traumatisant. Psychologue au CNRS, spécialiste des enfants,
Roger Perron estime que le danger est réel pour des adolescents qui, dans
leur prime jeunesse, ayant eu des difficultés à passer le premier stade
décisif d'individualisation, s'en sont sortis en enkystant leur angoisse
dans ce que les spécialistes nomment un « noyau psychotique ». Que, lors
d'une expérience virtuelle particulièrement éprouvante, les parois de ce «
noyau » viennent à se rompre et l'adolescent sombrera dans une grave
psychose. Un risque beaucoup plus grave que la simple « toxicomanie »
qu'entraîne parfois chez les enfants l'usage du baladeur, des jeux vidéo
ou de l'informatique.
Sous l'avalanche d'images, de sons, de textes numérisés, le problème est
de garder notre libre arbitre dont Pascal prévoyait la perte en ces termes
: « Nos sens n'aperçoivent rien d'extrême. Trop de bruit nous assourdit.
Trop de lumière nous éblouit. Les quantités extrêmes nous sont ennemies.
Nous ne sentons plus, nous souffrons ».
M. Pascal, Le Point, n° 1156,
12 novembre 1994. |
Document 2 - Entretien avec P.
Lévy et J.P. Balpe1. |
− Quels effets sur
les rapports humains peut avoir la prolifération actuelle des moyens de
communication auxquels les technologies sans fil confèrent une puissance
accrue ?
− Pierre Lévy. La première conséquence souvent attribuée à ce
phénomène, c'est la substitution éventuelle de la rencontre physique par
les télécommunications. Je pense qu'il s'agit d'un fantasme exploité par
une idéologie technophobe selon laquelle nous risquons de perdre notre
corps. Le vrai monde serait en train de disparaître. Or, depuis un siècle,
alors que les moyens de communication ont constamment progressé, on
constate que les moyens de transport n'ont cessé de se développer et
d'être de plus en plus utilisés. La corrélation est très forte : plus on
télécommunique, plus on se déplace physiquement. Il n'y a donc pas
substitution mais, au contraire, entraînement mutuel. La véritable
dynamique n'est pas dans le déplacement du réel par le virtuel, mais dans
l'augmentation générale de tous types de contacts, d'interactions, de
connexions... Par ailleurs, des études ont établi que les gens qui
utilisent le plus le téléphone sont ceux qui rencontrent le plus d'autres
personnes physiquement. On trouve d'un côté, l'homme d'affaires ou le
chercheur, qui travaillent de manière coopérative, utilisent Internet et
le téléphone portable et font de multiples rencontres. De l'autre, la
personne âgée, dont le téléphone ne sonne jamais, attend désespérément que
ses petits-enfants l'appellent et ne rencontre que les commerçants du
quartier. Pour moi, le téléphone sans fil illustre parfaitement ce
phénomène. Non seulement on voyage mais, en plus, on télécommunique. C'est
la matérialisation du fait qu'il n'y a pas d'opposition entre les
télécommunications et la communication réelle.
− Jean-Pierre Balpe. Il n'est pas évident que l'instantanéité
favorise l'intelligence. Lorsque les communautés intellectuelles
réagissent en temps réel, elle ne prennent plus aucun recul et se privent
ainsi d'une maturation nécessaire. Avec le courrier électronique, vous
avez à peine le temps de répondre à une question qu'une autre arrive. La
compression du temps réclame une gestion de la réflexion. Elle demande à
l'individu d'être capable de dire : maintenant, je vais réfléchir. Or, les
gens capables d'avoir une telle approche de la pensée font partie de ceux
qui possèdent un haut niveau intellectuel. Le phénomène va donc accentuer
encore la coupure avec ceux qui n'ont pu accéder à ce niveau. Mon gros
souci réside dans le constat qu'une société à deux vitesses est en train
de s'installer très vite.
− La communication n'est-elle pas en train d'envahir chaque instant de la
vie professionnelle et privée ?
− Pierre Lévy. A mon avis, le problème est tout à fait réel dans le
domaine du travail. Les cadres, souvent en déplacement, de moins en moins
au bureau, ne sont plus jamais tranquilles, même dans le TGV. Leur temps
est exploité au maximum. De plus, la distinction entre le travail et la
vie privée devient de plus en plus floue. En revanche, on ne peut éviter
de constater que les gens qui n'ont aucune raison professionnelle
particulière d'utiliser des téléphones portables ou des systèmes de
radiomessagerie, s'en servent justement pour maintenir le contact. On se
demande juste « comment ça va ». On n'échange pas vraiment d'informations.
Mais les gens aiment ça ! Dans les aéroports, on voit des gens qui ont
l'air très occupés avec leur téléphone portable alors qu'ils ne disent que
des banalités. Juste pour rester en contact avec leurs congénères.
− Jean-Pierre Balpe. Moi, je refuse le téléphone portable. Si je
l'avais, je sais que je tomberais dans un piège qui fait qu'à toutes
minutes du jour, je serais pris par l'urgence de régler des petits
problèmes quotidiens et je n'aurais plus le temps de faire autre chose. Je
préfère le filtre du répondeur. Je peux alors mieux gérer mon temps. Je me
suis donné des heures précises pour utiliser Internet. Sans cela, je sais
que je serais dans cette instantanéité de l'urgence.
Beaucoup de problèmes sont filtrés par la distance qui donne à chacun une
zone de respiration qui permet d'avoir une pensée autonome. Or les gens
croient que plus ils sont sollicités par ce flux d'interaction, plus ils
sont importants. Le téléphone portable devient ainsi un signe de
distinction sociale. Les gens passent leur temps à communiquer; ce qu'ils
disent est sans intérêt mais cela leur donne un statut. Je crains
qu'Internet devienne également un statut social. C'est le cas actuellement
avec l'adresse électronique. Je crains que le flux de pensée n'empêche de
penser.
− Faut-il développer un apprentissage particulier pour maîtriser les
nouveaux moyens de télécommunication ?
− Pierre Lévy. La difficulté est souvent plus psychologique que
technique ou financière. Chacun doit pouvoir identifier ce qu'il a envie
de savoir et se sentir autorisé à l'apprendre. Pour cela, il faut des
réflexes intellectuels qui permettent de s'orienter. Cela relève de
l'enseignement primaire. Il faut savoir se servir d'un dictionnaire ou
d'un index. Quelqu'un qui a bien réussi son enseignement primaire n'a pas
besoin de plus. L'enseignement devrait mettre beaucoup plus l'accent sur
ce point. L'autre risque concerne la consommation passive. Internet peut
devenir une grosse télévision. Au contraire, chacun doit se rendre compte
qu'il a quelque chose à enseigner aux autres. La richesse de cet échange
nous met tous en situation de participer à l'intelligence collective.
− Jean-Pierre Balpe. Je ne crois pas que le cerveau humain soit
capable de s'adapter à des technologies qui fonctionnent en temps réel. Le
temps réel de la machine, c'est la vitesse de la lumière. Notre cerveau ne
fonctionne pas comme cela. Il faudrait que nous devenions tous des génies
capables, en une fraction de seconde, d'analyser toutes les implications
de ce qui se passe et de réagir. Le cerveau collectif peut-il, lui, réagir aussi vite que la machine ? Je
crois que non. L'homme n'est intelligent que lorsqu'il prend le temps de
réfléchir. Dans l'urgence, on revient à l'instinct, qui représente le
fonctionnement en temps réel pour l'homme. En voiture, on freine sans
réaliser ce qu'on fait. Cela entraîne des erreurs qui provoquent des
accidents que l'on aurait pu éviter en réfléchissant un peu. Les réflexes
sont primitifs. C'est le cerveau reptilien qui agit. Le cerveau supérieur,
lui, prend son temps.
Pierre Lévy et Jean-Pierre Balpe, supplément Le Monde, 20 novembre
1997.
Propos recueillis par Michel Aberganti.
1. Pierre Lévy et Jean-Pierre Balpe sont philosophes et professeurs au
département hypermédia de l'université Paris VIII. |
. Document 3 :
Le Multimédia |
Parce que
notre civilisation s'organise désormais socialement autour de la
circulation de l'information, le multimédia et les inforoutes vont en
devenir un élément privilégié. D'une part, traitant et véhiculant
l'information sous une forme « naturelle », ils facilitent la
compréhension entre les hommes. D'autre part, par la bidirectionnalité des
messages qui peuvent être non hiérarchisés,
associatifs ou digressifs, ils conduisent à de nouveaux usages médiatiques
qui cassent le modèle vertical des media de masse. L'interactivité permet
le partage des pouvoirs entre le diffuseur et l'utilisateur, l'usage de
l'hypertexte autorise une personnalisation des contenus délivrés. Enfin,
ils engendrent de nouvelles formes de sociabilité, déjà observables chez
les « visiteurs » d'Internet. Cependant, le multimédia et les inforoutes
peuvent aussi créer une société fondée sur l'apparence, une société qui
exclurait toute rigueur intellectuelle et tout esprit d'analyse, et qui
abolirait les notions de patience et de concentration, que ce soit en
matière de loisirs, d'information ou d'enseignement. Par ailleurs, ils
pourraient substituer aux relations humaines directes des perceptions
hyperindividualisées issues d'ordinateurs, eux-mêmes alimentés par
d'énormes systèmes technoscientifiques (électricité, électronique,
télécommunications) et liés à leur croissance. Nous renvoyons ici aux
publications traitant de la dépendance d'individus (nous !) ne pouvant
subsister, voire exister, que s'ils sont connectés à ces « organes
d'échanges » artificiels, et aux meilleurs ouvrages de science-fiction
ainsi qu'aux articles de presse commentant la grande panne d'électricité
survenue à New York au début des années 80, et analysant les conséquences
sociales des défaillances de tels systèmes.
On commence à s'apercevoir que cette idéologie de l'information et de la
communication engendre beaucoup d'anxiété due à une incapacité à trier,
comprendre, digérer puis transformer la masse des informations qui
n'apprennent rien par elles-mêmes, qui ne sont en fait que des données
brutes à analyser et qui nous submergent.
D. Monet, Le Multimédia, © Flammarion, 1997. |
. Document 4 : Comment ne pas
utiliser le téléphone portable. |
Rien de plus facile
que d'ironiser sur les utilisateurs de téléphone portable. Toutefois, il
faut savoir à laquelle de ces cinq catégories ils appartiennent. Au
premier chef, viennent les handicapés, fussent-ils légers, contraints de
rester en liaison constante avec un médecin ou le SAMU. Louée soit la
technologie qui leur offre cet instrument salvateur. Ensuite, on a ceux
que les lourdes charges professionnelles obligent à accourir à la moindre
urgence (capitaines des pompiers, médecins de campagne, etc.). Pour
ceux-là, le portable est une dure nécessité, vécue sans joie.
Tertio, les couples illégitimes. C'est un événement historique : ils
peuvent enfin recevoir un appel de leur partenaire clandestin sans que la
famille, la secrétaire ou les collègues malveillants interceptent la
communication. Il suffit que seuls elle et lui (ou lui et lui, ou elle et
elle, les autres combinaisons éventuelles m'échappent) connaissent le
numéro. Les trois catégories susdites ont droit à tout notre respect :
pour les deux premières nous acceptons d'être dérangés au restau, au ciné
ou à un enterrement; quant aux adultères, ils sont en général très
discrets.
Suivent deux autres catégories à risque (le leur davantage que le nôtre).
D'abord, il y a ceux qui ne conçoivent pas de se déplacer sans avoir la
possibilité d'échanger des frivolités avec des parents ou amis qu'ils
viennent de quitter. Difficile de les condamner : s'ils ne savent pas
échapper à cette compulsion pour jouir de leurs instants de solitude,
s'ils n'arrivent pas à s'intéresser à ce qu'ils font à ce moment-là, s'ils
sont incapables de savourer l'éloignement après le rapprochement, s'ils
veulent afficher leur vacuité et même la brandir comme un étendard, eh
bien, tout cela est du ressort d'un psy. Ils nous cassent les pieds, mais
il faut comprendre leur effarante aridité intérieure, rendre grâces au
ciel d'être différents d'eux et pardonner (sans se laisser gagner par la
joie luciférienne de ne pas leur ressembler, ce serait de l'orgueil et un
manque de charité). Reconnaissons-les comme notre prochain qui souffre, et
tendons l'autre oreille.
Dans la dernière catégorie, on trouve - aux côtés des acheteurs de faux
portables, au bas de l'échelle sociale - ceux qui entendent montrer,
publiquement, qu'ils sont sans cesse sollicités, consultés pour des
affaires urgentissimes d'une éminente complexité : les conversations
qu'ils nous infligent dans les trains, les aéroports ou les restaurants,
concernent de délicates transactions monétaires, des profilés métalliques
jamais arrivés, des demandes de rabais pour un stock de cravates, et tant
d'autres choses encore qui, dans l'esprit du téléphoneur, font très «
Rockefeller ».
Or, la division des classes est une abominable mécanique : le parvenu aura
beau gagner un fric fou, d'ataviques stigmates prolétaires lui feront
ignorer le maniement des couverts à poisson, accrocher un
Kiki à la lunette arrière de sa Ferrari, un saint Christophe au tableau de
bord de son jet privé, et dire qu'il va « au coiffeur » ; aussi n'est-il
jamais reçu par la duchesse de Guermantes (et il rumine, se demandant bien
pourquoi, vu qu'il a un bateau long comme un pont).
Ces gens-là ignorent que Rockefeller n'a aucunement besoin d'un portable,
car il possède un immense secrétariat, si efficace que c'est à peine si
son chauffeur vient lui susurrer deux mot à l'oreille. L'homme de pouvoir
n'est pas obligé de répondre à chaque coup de fil. Voire. Il n'est là pour
personne. Même au plus bas de l'échelle directoriale, les deux symboles de
la réussite sont la clé des toilettes privées et une secrétaire qui répond
« Monsieur le directeur est en réunion ».
Ainsi, celui qui exhibe son portable comme symbole de pouvoir déclare au
contraire à la face du monde sa désespérante condition de sous-fifre,
contraint de se mettre au garde-à-vous au moindre appel du
sous-administrateur délégué, même quand il s'envoie en l'air, condamné,
pour gagner sa croûte, à poursuivre nuit et jour ses débiteurs, persécuté
par sa banque pour un chèque en bois, le jour de la communion de sa fille.
Arborer ce type de téléphone, c'est donc montrer qu'il ne sait rien de
tout cela, et c'est ratifier son implacable marginalisation sociale.
U. Eco, « Comment ne pas utiliser le téléphone portable »,
in Comment
voyager avec un saumon. 1992. © Grasset, 1997 pour la traduction française. |
Problématique : le dossier comporte
des arguments à la fois favorables et défavorables aux nouvelles technologies.
Il paraît pourtant difficile de suivre un plan dialectique pour la synthèse
puisque certains documents sont intégralement défavorables au phénomène et ne
pourraient donc entrer dans chacune des deux parties. Le plan thématique semble
donc souhaitable autour des domaines envisagés par les textes (psychologique et
social). On pourra le construire autour de la problématique suivante :
Comment évaluer les bienfaits et les dangers des nouvelles technologies de la
communication ?
Construction du plan :
I - Dans le domaine psychologique :
a - un envahissement de la vie individuelle :
- la richesse de l'échange nous fait participer à l'intelligence collective
(doc. 2),
- mais les perceptions individualisées dépendent de systèmes
technoscientifiques (doc. 3);
- le flux de pensée empêche de penser (doc. 2), mais l'usage de l'hypertexte
autorise une personnalisation (doc. 3).
b - un risque de confusion entre réel et virtuel
- envahissement traumatique pour l'adolescent, risque de psychose (doc. 1)
- une société fondée sur l'apparence (doc. 3) où posséder un portable semble
illusoirement un signe de distinction (doc. 4).
c - la nécessité du libre arbitre
- ces drogues visuelles (doc. 1) excluent toute rigueur et analyse (doc. 3),
les objets nouveaux marquent une désespérante vacuité intérieure (doc. 4)
- anxiété sur l'incapacité à trier, digérer ces données qui nous submergent
(doc. 3)
- devant ce flux de pensée, garder son libre arbitre (doc. 1).
II - Dans le domaine social :
a - une nouvelle sociabilité
- pas de fantasme technophobe : les moyens de communication ont progressé,
on voyage davantage (doc. 2)
- multimédia et inforoutes facilitent la compréhension entre les hommes (doc.
3), instaurant de nouvelles formes de sociabilité (doc. 3).
b - un risque de dépendance
- le virtuel est une révolution artistique (doc. 1) et l'usage de
l'hypertexte autorise une personnalisation des contenus délivrés, les nouveaux
usages médiatiques cassant le modèle vertical (doc. 3)
- mais la distinction entre vie privée et vie professionnelle disparaît (doc. 2)
et les systèmes technoscientifiques pèsent de plus en plus (doc. 3)
- il convient de mieux gérer son temps (doc. 2).
c - une société à deux vitesses
- le portable manifeste un signe de distinction sociale (doc. 2). Il n'est
une dure nécessité que pour certaines catégories; pour les autres, il trahit une
volonté ridicule de se mettre en valeur (doc. 4)
- la gestion nécessaire de la réflexion n'est permise qu'aux hauts niveaux
intellectuels, et ceci génère une société à deux vitesses (doc. 2).
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