l'image
Parmi les documents proposés à l'examen, figure souvent une image (publicité,
dessin humoristique, photographie...). Le temps imparti pour l'analyse de ce
type de document exclut qu'on mobilise pour cela un savoir spécialisé. Il suffit
de disposer de quelques notions simples, que nous rappelons ici, afin d'en
extraire l'essentiel, étant entendu que, prise dans un dossier thématique, la
polysémie de l'image se trouve déjà nettement réduite.
Passez
votre curseur sur l'image pour en observer la composition. |
Vincent Van Gogh, Iris,
Saint-Rémy de Provence, mai 1889 (Getty Center de Los Angeles). |
Commencez par tracer sur votre image les lignes
médianes : elles font apparaître une « zone de tension » qui la dynamise. Par
rapport au milieu idéal que recherche notre œil, l'artiste prend soin en effet
de décaler le motif essentiel. Ici, à l'évidence, le peintre a relégué l'iris
blanc, vers qui tout converge, dans le coin supérieur gauche de la toile. Le
mouvement qu'épouse notre regard est donc bien celui des iris bleus qui, partant
en bas à droite, constituent, vers la gauche et le haut de la toile, de violentes lignes de force.
Les couleurs (mais en disposerez-vous le jour de l'examen !) jouent un
rôle complémentaire : la partie droite de la toile est envahie par la masse
froide des bleus et des verts; la partie gauche, au contraire, est moins massive
et dominée par les tons chauds. Bien sûr, la note blanche de l'iris solitaire
s'en trouve d'autant plus mise en valeur.
Ces observations simples peuvent maintenant déboucher sur une
interprétation. Dans l'image, tout est volontiers métaphorique. Loin d'imiter la
nature, l'artiste l'investit de symboles (« L'art, c'est l'homme ajouté à la
nature », prétendait justement Van Gogh). La ligne de force dont nous avons noté
la violence donne à cette toile un caractère dramatique, surtout si l'on connaît
un peu la vie de Van Gogh et sa place d'artiste dans la société du dix-neuvième
siècle. Cet iris blanc, solitaire, marginal, vers qui s'avance, menaçant, le
troupeau envahissant des iris bleus, ne peut que suggérer chez l'artiste une conscience
pathétique de sa propre différence. L'histoire de la toile ajoute à notre
commentaire : on sait qu'elle fut peinte par Van Gogh dans la maison de santé où
une crise de démence l'avait amené.
Art et publicité
Il n'est pas douteux que l'image publicitaire accède
souvent au statut d'œuvre d'art : lorsqu'elle invente se formes, tire parti de
ses supports, génère de fortes représentations dans l'imaginaire du public, la
publicité s'inscrit dans les techniques et les motivations qui sont celles de
tout artiste. Peu importe alors que l'intention soit essentiellement mercantile
: nul ne songe à nier qu'aujourd'hui la publicité ait promu un nouveau regard
sur les choses et contribué à peupler l'espace public de signes familiers non
toujours dépourvus de richesse ni même de grâce.
Il en va tout autrement lorsque la publicité use de « citations » ou de
pastiches : récupérant sans vergogne des partitions classiques ou des tableaux
célèbres, elle se livre à un détournement des valeurs qui risque fort d'aboutir
à un aplatissement considérable, dommageable à l'une comme aux autres. Nous
profitons de la confrontation ci-dessous pour préciser les étapes d'une analyse
rigoureuse de l'image, au terme de laquelle on pourra peut-être établir la
spécificité du langage artistique, gage d'une richesse irréductible à toute
récupération commerciale.
a - l'image
artistique |
b - l'image
publicitaire |
Petrus
Christus, Portrait de jeune femme, vers 1470.
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Nous soumettons chacune de ces deux images à un questionnaire
destiné à commenter l'inventaire progressif de leurs formes :
1) Approche objective :
Que voyons-nous ? Première étape essentielle de description des éléments
référentiels de l'image, destinée à rassembler un certain nombre de matériaux :
-
image a : un
portrait, qui s'inscrit dans la tradition du genre (pose hiératique d'une jeune
aristocrate : noter le col d'hermine, le hennin, la blancheur du teint).
L'histoire de l'art range Petrus Christus parmi les peintres flamands du XVème
siècle chez qui le portrait est une forme privilégiée. Il s'agit de fixer pour
la postérité tel membre d'un lignage, mais aussi de défendre un certain idéal
moral et esthétique.
-
image b : la
présence d'un texte et d'une marque nous situe clairement dans un message
publicitaire. La copie du tableau est évidente, malgré la maladresse des motifs. Le spectateur un peu
cultivé aura immédiatement en mémoire l'œuvre célèbre de Petrus Christus, ce sur
quoi mise cette publicité : le prestige culturel de la toile est appelé à
rejaillir sur le cristal du verre qui, par un effet d'élargissement du plan,
devient en effet le motif central. Le texte souligne cette intention,
établissant une équation entre la tenue de la jeune femme et la tradition
ancienne - donc noble ! - de la cristallerie.
2) Approche technique :
Comment l'image est-elle composée ? Il ne s'agit
pas ici de faire état de connaissances spécialisées, mais de constater, par les
"lignes de force", le
mouvement de l'œil sur l'image :
-
image a : elle
frappe d'abord par ses contrastes. Le fond sombre de la toile ne peut que
rehausser l'éclat du teint, signe de noblesse mais aussi de pureté. Le col
d'hermine nous mène d'abord, de part et d'autre, sur la courbe des épaules et
sur le visage, nettement grossi dans ses proportions, d'autant que son ovale est
souligné par la jugulaire du hennin. L'arrondi du front, prolongé par la coiffe,
guide ensuite notre œil vers le haut de la toile. L'ensemble y gagne un
mouvement d'ordre spirituel, que confirme l'austère chasteté des yeux aux
paupières épilées, à l'amande quasi asiatique.
-
image b : c'est un
mouvement tout inverse, qui désigne à notre œil les deux revers de fourrure d'où
l'on ne peut manquer de tomber sur le verre. Le regard est donc cette fois
attiré vers le bas, place aussi du texte et de la marque commerciale. Les
contrastes ont disparu, et si le hennin continue à souligner la courbe du
visage, celui-ci est plus fidèle à nos codes d'après lesquels il convient d'être
halé. Le regard de la jeune femme fuit désormais le nôtre, guettant par son œil
aguicheur quelque complicité (masculine ? Le cristal rend « les homme plus
audacieux », affirme le texte !).
3) Approche sémiologique :
On appelle sémiologie l'étude des signes. Pour
l'image, naturellement polysémique, ce type d'analyse est fructueux, puisqu'il
permet d'en exploiter les significations profondes en relation avec les
représentations culturelles et avec notre imaginaire (on pourra en trouver un
exemple dans l'étude
par Roland Barthes d'une image publicitaire). Cette troisième étape
peut maintenant entreprendre d'épuiser le contenu symbolique de l'image par
l'analyse des signes (voir
ce mot) et des connotations (voir
ce mot).
-
image a : on notera
d'abord l'étroitesse des épaules et la chasteté du vêtement. Ceci renvoie à une
civilisation où plane un tabou sur le corps féminin : celui-ci est comme aboli
dans ses caractères sexués (disparition des seins, des cils et des cheveux) et
sert de simple base à une élévation spirituelle. Dans le même ordre, on
retiendra la sobriété du hennin (dans d'autres régions, celui-ci pouvait prendre
des formes et des attributs extravagants), et surtout les proportions du visage
au front bombé, signe de profondeur spirituelle. L'hermine est, on le sait, liée
à la royauté, ce qui renforce ici l'allure souveraine et digne du personnage. Le
bijou, enfin, par ses trois rangs de vieil or sertis de perles, épouse
étroitement la courbe des épaules où il n'ajoute aucun note de luxe ou
d'affectation.
-
image b
: le premier signe qu'elle livre est celui du passé, gage
stéréotypé de tradition et de qualité pour
une certaine publicité. Le personnage est ici, bien sûr,
faussé par l'imitation à laquelle on l'a contraint.
Néanmoins on sera attentif à débusquer ce qui,
manifestement, apparaît artificiel et décalé. On a
déjà noté le teint halé; on pourra
remarquer aussi la bouche sensuelle et le regard coquin. Que dire en
outre du collier "toc", de la fourrure (synthétique, à
l'évidence !) ? On ne s'étonnera pas de voir ce
personnage artificiel flanqué d'un verre, objet utilitaire et
anachronique, malgré ses allures de hanap. Tout ceci renvoie
à une société confinée dans les valeurs
matérialistes où la femme n'est plus qu'un support
aliéné dans la destination commerciale.
De cette rapide étude, on pourra conclure que l'image
artistique tire sa richesse de sa gratuité même, c'est-à-dire d'un réseau
de significations laissées à la pertinence et à la sensibilité de chacun. De ce
qu'elle exprime, nul n'est habilité vraiment à établir le sens, puisqu'elle
touche au temporel comme à l'universel. L'image publicitaire, au contraire, est
tout absorbée par le sens étroit auquel sa destination commerciale et massive la
réduit. Ce n'est certes pas en plagiant l'image artistique qu'elle peut trouver
quelque richesse, mais en cultivant ses propres formes, seules aptes à
promouvoir une authentique symbolique de l'objet (cf.
Les mécanismes de la
publicité).
pour lire l'image :
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