le progrès
entre espoirs et désillusions
TEXTE
1
SAINT-EXUPÉRY, Terre
des Hommes (1939), chapitre 3, « L’avion ».
L'usage
d'un instrument savant n'a pas fait de toi1 un technicien
sec. Il me semble qu'ils confondent but et moyen ceux qui s'effraient
par trop de
nos progrès techniques. Quiconque lutte dans l'unique espoir de biens
matériels, en effet, ne récolte rien qui vaille de vivre.
Mais la machine n'est pas un but. L'avion n'est pas un but : c'est un
outil. Un
outil comme
la charrue.
Si nous croyons que la machine abîme l'homme c’est que, peut-être,
nous manquons un peu de recul pour juger les effets de transformations aussi
rapides que celles que nous avons subies. Que sont les cent années
de l'histoire de la machine en regard des deux cent mille années
de l'histoire de l'homme ? C'est à peine si nous nous installons dans
ce paysage de mines et de centrales électriques. C'est à peine
si nous commençons d'habiter cette
maison nouvelle, que nous n'avons même pas achevé de bâtir.
Tout a changé si
vite autour de nous : rapports humains, conditions de travail, coutumes.
Notre psychologie elle-même a été bousculée dans
ses bases les plus intimes. Les notions de séparation, d’absence,
de distance, de retour, si les mots sont demeurés les mêmes,
ne contiennent plus les mêmes réalités. Pour saisir
le monde d’aujourd’hui, nous usons d’un langage qui fut établi
pour le monde d’hier. Et la vie du passé nous semble mieux
répondre à notre nature, pour
la seule raison qu’elle répond mieux à notre langage.
Chaque progrès nous a chassés un peu plus loin hors d’habitudes que nous
avions à peine acquises, et nous sommes véritablement des émigrants qui
n’ont pas fondé encore leur patrie.
Nous sommes tous de jeunes barbares que nos jouets neufs émerveillent encore
[…]
Notre maison se fera sans doute, peu à peu, plus humaine. La machine
elle-même, plus elle se perfectionne, plus elle s'efface derrière son rôle.
Il semble que tout l’effort industriel de l'homme, tous ses calculs, toutes
ses nuits de veille sur les épures2, n'aboutissent, comme
signes visibles, qu'à la seule simplicité, comme s'il fallait l’expérience de
plusieurs générations pour dégager peu à peu la courbe d'une colonne, d'une
carène, ou d'un d'avion, jusqu'à leur rendre la pureté élémentaire de la
courbe d'un sein ou d'une épaule. Il semble que le travail des ingénieurs,
des dessinateurs, des calculateurs du bureau d'études ne soit ainsi, en
apparence, que de polir et d’effacer, d’alléger ce raccord, d’équilibrer
cette aile, jusqu’à ce qu’on ne la remarque plus, jusqu’à ce qu’il n’y ait
plus une aile accrochée à un fuselage, mais une forme parfaitement épanouie,
enfin dégagée de sa gangue, une sorte d’ensemble spontané, mystérieusement
lié, et de la même qualité que celle du poème. Il semble que la perfection
soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a
plus rien à retrancher. Au terme de son évolution, la machine
se dissimule.
1. il s’agit de Guillaumet, ami de Saint-Exupéry et, comme lui, pilote de l'Aéropostale.
2. dessin préparatoire à l’élaboration d’une machine ou d’un édifice.
|
TEXTE 2
Georges FRIEDMANN,
La puissance et la sagesse, 1970.
Le progrès technique peut se définir comme le perfectionnement intrinsèque,
grâce au progrès scientifique, des techniques variées dont se sert l'homme
et qui sont elles-mêmes « des procédés bien définis et transmissibles
destinés à produire certains résultats jugés utiles». Il est donc
étroitement lié au progrès scientifique dont il manifeste une expression,
constitue un attribut au sens philosophique du terme. Entre science et
technique existent des rapports de dépendance interne : la science
fondamentale comprend, dans sa théorie même, les conditions qui déterminent
ses applications. Les frontières (s'il en est) qui séparent techniques et
sciences appliquées sont de plus en plus indécises. […]
Contrairement aux grands espoirs qui ont soulevé nos aïeux, nous savons
désormais qu'aucune acquisition du progrès technique n'est une valeur
irréversible. Toutes les techniques peuvent être, de manière plus ou moins
efficace et dangereuse, retournées contre l'homme.
Le rythme de leurs acquisitions, de plus en plus rapide, pose de
redoutables problèmes d'amortissement matériel et moral. Jadis, l'homme
disposait (et usait) de plusieurs siècles pour s'adapter, économiquement,
socialement, physiquement, aux effets suscités par les grandes inventions,
telles que le moulin à eau ou le collier d'attelage du cheval. Aujourd'hui,
c'est en quelques années (ou quelques mois) qu'il faut « digérer »
d'importants changements techniques : nouveau type d'avion supersonique,
d'ordinateur ou de machine-transfert. A l'échelle des transformations de la
vie quotidienne dans les sociétés industrielles évoluées, depuis le début du
XIXe siècle, celles qui avaient jalonné le précédent millénaire semblent
presque négligeables. « L'ampleur non seulement des espoirs ouverts mais des
certitudes acquises ne laisse aucun doute sur le caractère absolument
exceptionnel » de la phase où se trouve actuellement notre espèce. Je
souscrirais volontiers à ce jugement en soulignant toutefois qu'à côté de
l'ampleur des espoirs, la gravité des menaces est, elle aussi,
exceptionnelle.
Le progrès technique présente, parmi ses traits essentiels, le caractère
cumulatif d'acquisitions se succédant en un processus de durée
indéterminable, puisqu'il est lié au développement des connaissances
scientifiques. Rien ne semble pouvoir arrêter son cours, sinon des
catastrophes, des « nuits » de l'histoire suscitées par l'homme lui-même.
En supposant qu'il échappe à la folie de l'autodestruction, il ne peut
arrêter l'automatisation, l'usage des ordinateurs, l'exploitation de
l'énergie nucléaire, dans leurs progrès, même s'ils sont provisoirement
retardés par des freins économiques ou sociaux. Si l'on considère en son
ensemble l'évolution biologique (et particulièrement celle de l'humanité),
elle s'est poursuivie dans une marche irréversible, sauf pour quelques
espèces parasites : les hommes civilisés n'abandonneront pas plus
volontairement le chauffage central ou la télévision que leur organisation
de mammifères n'abandonnera l'homéothermie1 ou l'usage des yeux.
Aujourd'hui, un courant, non réversible, entraîne toute la population de la
planète vers la multiplication des biens de consommation, le confort
matériel, l'usage des communications de masse (et, au premier rang, de la
télévision). Il est désormais insensé de « condamner » le
progrès technique.
1. température constante chez certains
mammifères.
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TEXTE 3
Edgar MORIN, Pour sortir du
vingtième siècle, 1981.
Désormais, il est clair que le développement technique n’est pas uniquement
ou totalement progressif; il comporte et produit des régressions
spécifiques : la pensée technocratique ne conçoit ce qui est vivant,
anthropologique et social, que selon la logique simplifiante des machines
artificielles; la compétence technocratique est celle de l'expert, dont
l’aveuglement général enveloppe la lucidité spécialisée; l'action
technocrate ne peut être, socialement et politiquement, que mutilée et
mutilante.
De plus, il apparaît de plus en plus évident, non seulement que la
technique, comme la langue d'Ésope, peut servir au meilleur comme au pire,
ce qui est un pauvre truisme1 mais que, en étant contrôlée, administrée,
dirigée, ordonnée par les pouvoirs d'États et d''Empires, elle se met
principalement au service de l'asservissement et de la mort. D'ores et déjà,
elle permet l’anéantissement de l'humanité, alors que ses promesses
bienfaisantes et émancipatrices se diluent ou s'estompent aux horizons.
[…]
Il ne s'agit pas ici de remplacer l'idée de progression par celle de
régression, c'est-à-dire de substituer une simplification mutilante à une
autre. Il s’agit au contraire de considérer enfin en complexité l’idée de
progrès. Pour cela il faut détruire l'idée d'un progrès simple, assuré,
irréversible, et considérer un progrès incertain dans sa nature comportant
du régrès2 dans son principe même, un progrès, aujourd'hui, en crise à
l'échelle de chaque société et, bien sûr, de la planète dans son ensemble.
Il nous faut alors considérer la barbarie, non seulement celle que n’a pas
encore pu chasser le progrès de la civilisation, mais aussi celle qu’a
produite ce même progrès de la civilisation. On peut même dire que les
formes nouvelles de barbarie, issues de notre civilisation, loin de réduire
les formes anciennes de barbarie, les ont réveillées et s'y sont associées.
Ainsi, il s’est développé une forme de barbarie rationalisatrice,
technologique, scientifique, qui a non seulement permis les déferlements
massacreurs de deux guerres mondiales, mais a rationalisé l'enfermement sous
la forme du camp de concentration, rationalisé l’élimination physique, avec
ou sans chambre à gaz, rationalisé la torture, la seule barbarie qui
semblait éliminée au début du XXe siècle. […]
Il n’est pas absolument certain, il n’est que probable, que notre
civilisation aille vers l’autodestruction, et s’il y a autodestruction, le
rôle de la politique, de la science, de la technologie et de l’idéologie
sera capital, alors que la politique, la science, la technologie,
l’idéologie, s’il y avait prise de conscience, pourraient nous sauver du
désastre et transformer les conditions du problème.
1. banalité.
2. régression, recul.
|
TEXTE 4
Albert JACQUARD, Au péril de la
science ? (1982).
Toujours
porteuse d'espoir pour certains, la science est devenue
simultanément source de crainte pour beaucoup. Une attitude de
rejet est apparue, et peu à peu se répand ;
présenté parfois comme la seule voie permettant
d'éviter la catastrophe définitive, ce rejet est
facilement justifié par les excès auxquels a conduit
l'efficacité scientifique. À ceux dont l'imagination est
trop courte pour évoquer les apocalypses nucléaires, il
suffit de regarder la détérioration du paysage qui les
entoure : même les champs de blé, tout vibrants autrefois
des coquelicots et du chant des oiseaux, sont devenus, au nom du
rendement, d'immenses et sinistres « camps de concentration
» (E. Morin).
Ces aboutissements, cadeaux de la science, ne suffisent-ils pas
pour la récuser en bloc, quand il en est, peut-être,
encore temps ?
Quelques scientifiques, sincèrement bouleversés par
les conséquences prévisibles de l'œuvre collective
à laquelle ils participent, donnent eux-mêmes le ton; avec
une apparente désinvolture souvent, une froide ironie parfois,
ils exposent sans réserve leurs angoisses, mais n'en continuent
pas moins leurs recherches. Emportés dans le même train
aveugle que leurs contemporains, ils continuent à charger
à grandes pelletées le foyer de la locomotive, tout en
tirant le signal d'alarme et en attendant que d'autres actionnent le
frein.
On comprend leur hésitation, car le bilan n'est pas que négatif. [...]
L'ancienne malédiction : « Tu travailleras à
la sueur de ton front », commence à être
écartée; de plus en plus nombreux sont les hommes pour
qui la vie n'est plus seulement une quête perpétuelle des
moyens de survivre; grâce au progrès des techniques qui a
suivi le progrès des connaissances, notre capacité
à créer des richesses a atteint un tel niveau que le
privilège du loisir pourrait, facilement sans doute, être
étendu largement.
On pourrait sans fin, et inutilement, prolonger la liste des
bienfaits et des méfaits de la science, en quête d'un
bilan illusoire. Ce thème de réflexion est pourtant
nécessaire : la science n'est pas un arbre autonome, se
développant selon ses lois propres, et dont nous
récolterions passivement les fruits; elle est une entreprise
collective, notre entreprise, et c'est à nous de l'orienter. Les
incantations pro-scientifiques de la fin du XIXe siècle,
anti-scientifiques de la fin du XXème, sont également
inutiles : l'important est de comprendre à quel processus nous
avons affaire, et auquel nous participons. Et d'abord, de s'interroger
sur la nature de cet objet que nous désignons par le mot «
science ».
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Le
tableau de confrontation de ces quatre documents aurait pu dégager la
problématique suivante :
Peut-on considérer le progrès technique comme une barbarie irréversible ?
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¬ PLAN :
Construire
un plan analytique capable d'examiner les données du problème et ses perspectives d'avenir :
|
Les causes du problème :
a) une rupture épistémologique :
- la technique est devenue l'application naturelle de la science (doc. 2)
- nous avons oublié que la technique n'est pas un but mais un outil
(doc. 1).
b) une utilisation intempestive :
- la technique s'est mise au service de notre confort dans des buts parfois futiles (doc. 4)
- le rythme important des acquisitions place espoirs et menaces au même niveau (doc. 2 et 3).
Ses conséquences :
a) des conséquences positives :
- la machine gagne de plus en
plus en harmonie avec le rêve des hommes (doc. 1)
- l'homme a triomphé des déterminismes ancestraux (doc. 4).
b) des conséquences négatives :
- le progrès technique conduit à la barbarie avec l'aide de la raison (doc.3)
- il entraîne une mutilation de l'humain (doc. 3) ou met gravement en danger l'équilibre naturel (doc. 4).
Quelles perspectives d'avenir ? :
a) le progrès est-il irréversible ?
- nous ne renoncerons pas à notre confort
(doc. 2)
- il faut désormais parler d'un progrès incertain, susceptible d'entraîner des régressions (doc.3).
b) paradis ou apocalypse ?
- notre
maison se fera-t-elle plus humaine ou faut-il prévoir la mort de l'homme ?
(doc. 1 et 3)
- une prise de conscience pourrait nous sauver du désastre (doc. 3 et 4).
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SYNTHÈSE RÉDIgÉE :
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Introduction :
. thème du dossier
. problématique
. annonce du plan
Première partie :
présentation
de la partie
a) une rupture dans la définition
b) une utilisation intempestive
c) transition
Deuxième
partie :
présentation de la partie
a)
des conséquences positives
b) des conséquences négatives
c) transition
Troisième partie :
présentation de la partie
a) le progrès est-il irréversible ?
b) paradis ou apocalypse ?
Conclusion :
.
bilan
ouverture
|
Depuis le XIXème siècle, la
science est devenue inséparable des techniques destinées à exploiter dans
la vie courante les acquis de recherches jadis purement spéculatives. Si
les retombées ont été bénéfiques sur le plan du confort et de la liberté
des hommes, on sait qu’elles sont aussi à l’origine de nombreuses
inquiétudes.
Pourquoi le progrès technique se porte-t-il ainsi entre espoirs et
désillusions ?
Par l’examen des quatre documents qui composent notre dossier, nous
tenterons de répondre à cette question en examinant les données du
problème, ses conséquences puis ses perspectives d’avenir.
*
.** **
Dans la responsabilité
que l’on peut imputer aujourd’hui à la technique, on peut d’abord faire
état d’une évolution de nos représentations épistémologiques puis
souligner l’utilisation intempestive que l’on a faite de notre savoir.
Il convient d’abord en effet, comme le fait Georges Friedmann (La
puissance et la sagesse, 1970), de rappeler que la conception de la
technique a évolué : elle est devenue aujourd’hui l’application
naturelle de la science, ce qui n’était pas le cas jusqu’au
XVIIème siècle au moins
: le philosophe peut alors constater que l’expérimentation
des connaissances est devenue automatique, entraînant des applications
discutables au niveau de la vie humaine. Saint-Exupéry nous en avait
pourtant avisés
dans son roman Terre des hommes
(1939) : la technique n’est pas
un but mais un outil. Il est dangereux d’oublier, prévient
le romancier,
que sa finalité est de consolider la maison humaine, et en aucun
cas d’amasser
des biens matériels. C'est dans cette optique qu'Albert Jacquard
peut souhaiter, lui, que nous nous interrogions sur la nature du mot
"science".
La plupart de nos documents font état en effet du rythme
effréné du
progrès des techniques, mais regrettent que cet emballement de la
machine soit autant responsable de dommages que de réelles avancées
: Georges Friedmann s’inquiète ainsi de la disparition des
temps et des conditions d’adaptation dont nous disposions autrefois
; Edgar Morin (Pour sortir du
XXème siècle, 1981) établit que la notion de progrès
est devenue inséparable de celle de régression car, selon
lui, la compétence technique
vise à mutiler l’homme en le privant de ses prérogatives.
Albert Jacquard, dans son essai Au péril de la science ? (1982),
peut, de son côté, dénoncer les buts futiles auxquels
se
voue du même coup le progrès des techniques, au détriment
de la morale et de la nature. Pour toutes ces raisons, nos philosophes manifestent
leurs doutes quant à sa
nature bénéfique, qu’il convient au moins de nuancer
par le caractère redoutable
des dangers qu’il représente.
C’est donc cette ambivalence du progrès qu’il convient maintenant
d’examiner dans les conséquences contrastées dont nos documents se font
l’écho.
*
.** **
On ne s’étonnera pas en
effet que notre dossier se partage entre des vues optimistes et
pessimistes.
D’un côté, notre dossier comporte un document qui n’est pas à l’unisson
des autres Il s’agit du texte de Saint-Exupéry, qui paraît animé plutôt
par une certaine confiance. L’auteur du Petit Prince
estime en effet que nous nous inquiétons parce que nous
n’avons pas assez de recul pour juger avec discernement des
conséquences d’un progrès aussi rapide. Georges
Friedmann souscrit à ce diagnostic en notant
qu’aujourd’hui, c’est en quelques mois qu’il
nous faut « digérer » des découvertes, alors
que cette adaptation se comptait naguère en siècles. Pour
cela, ces documents témoignent d’un optimisme
mesuré. Nos auteurs hésitent à déterminer
ce qui l’emporte des motifs d’espérer ou de craindre
: si Edgar Morin préfère parler de « progrès
incertain », Albert Jacquard reconnaît que la science a
délivré l'homme des déterminismes naturels.
Pourtant, notre dossier semble habité plutôt par
l’inquiétude lorsqu’il évoque les conditions
d’une nouvelle barbarie. C’est le cas d’Edgar Morin,
qui la définit comme une alliance d’horreur et de
rationalité. La collusion de la science avec toutes les
entreprises d’asservissement et de destruction lui paraît
en effet une monstruosité encore inédite, bien
supérieure à l’ancienne barbarie. Georges Friedmann
constate cette marche irréversible du progrès qu’il
est vain selon lui de condamner, même si elle peut mener à
l’autodestruction. Ces dangers, Albert Jacquard
préfère les dénoncer dans les méfaits
exercés par l’homme sur le patrimoine naturel, dont il
donne un exemple sur la flore, et dans l'inconscience de certains
scientifiques incapables de freiner l'élan de leurs
découvertes.
Le constat inquiet, bien que nuancé, de nos auteurs, ne peut manquer
d’entraîner des perspectives d’avenir, où nous retrouverons la nécessité
d’agir.
*
.** **
Face
à ces conséquences pour le moins préoccupantes, nos auteurs sont
partagés quant à la vision de l'avenir.
En effet, deux documents s'interrogent d'abord sur le devenir du
progrès. G. Friedmann estime pour sa part que l'homme ne
reviendra pas sur ses acquis : il n'acceptera pas, selon lui, de
sacrifier son confort à la survie de la planète.
Pourtant, comme le remarque Edgar Morin, il faut cesser de se
représenter le progrès en termes d'évolution :
celui-ci est de nature incertaine et l'on sait désormais qu'il
est susceptible d'induire des régressions. Pour cela, Albert
Jacquard souhaite que les hommes soient capables d'orienter par la
réflexion une entreprise qui les concerne tous.
Cette ambivalence est enfin responsable des avis contrastés dont
notre dossier se fait l'écho. Faut-il partager l'optimisme de Saint-Exupéry
qui affirme sa foi dans un avenir de plus en plus humain ? Cela
reviendrait alors à se représenter une discrétion progressive
de la machine épousant
progressivement les rêves des hommes en matière de beauté et
de fonctionnalité.
Faut-il au contraire envisager la mort de l'homme ? Aucun de nos
auteurs ne cède
vraiment à ce catastrophisme, mais E. Morin et A. Jacquard insistent
sur la nécessité d'une prise de conscience immédiate
si l'on veut enrayer les risques d'autodestruction.
*
* *
Ce dossier est bien représentatif
de nos incertitudes dans le degré d'espoir ou de crainte qu'il
convient de placer dans les avancées spectaculaires du progrès
des techniques.
Il resterait à envisager sous quelles conditions l'optimisme d'un
Saint-Exupéry est encore possible aujourd'hui, s'il convient par
exemple d'admettre que le monde que la science a modelé depuis
quelques décennies est trop neuf encore pour que nous puissions
le penser.
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