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JEAN
GIRAUDOUX
ONDINE
(1939)
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ACTE
I
ACTE
II
ACTE
III
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C'est un conte du romantique allemand La
Motte-Fouqué (1777-1843) qui inspira Ondine
à Jean Giraudoux. Le thème de la nixe
qui cherche à s'incarner dans l'humain est un
topos du conte merveilleux (on le
retrouve dans le mythe celtique de Mélusine).
Mais
alors que, dans ces traditions, l'ondine
souhaite gagner dans cette forme humaine un
supplément d'âme ou assume une vieille
malédiction, l'héroïne de Giraudoux y perd par
amour ses attributs surnaturels. Le dramaturge
a trouvé là une occasion de représenter les
rapports impossibles de l'homme et de la
femme, dans une féerie théâtrale où la
fantaisie se mêle à la rigueur de la tragédie
classique.
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Synopsis
:
[Une cabane de pêcheurs. Orage au dehors.]
Alors que le vieux pêcheur Auguste et sa femme
Eugénie s'inquiètent de ce qu'Ondine ne soit
pas de retour dans leur cabane (scène 1),
survient Hans von Wittenstein zu Wittenstein
qui, bavard, évoque son métier de
chevalier errant et son futur mariage avec
Bertha (scène 2). Ondine apparaît
alors, jette par la fenêtre la
truite au bleu dont il s'apprêtait à se
régaler et s'enfuit (scène 3).
Auguste et Eugénie se confondent en excuses et
vont quérir du jambon (scène 4).
Réapparue, Ondine déclare son amour à Hans et
vainc magiquement sa résistance (scène 5).
De retour, les parents mettent la conversation
sur Bertha, ce qui provoque la fureur d'Ondine
qui, une nouvelle fois, quitte la scène en
maudissant les mensonges humains (scène 6).
Les parents révèlent alors au chevalier la
vraie nature d'Ondine et les grandes forces
qui sont autour d'elle. Malgré les
avertissements d'Auguste, Hans affirme son
intention de l'épouser (scène 7).
Resté seul, le chevalier est charmé par les
chants de plusieurs nixes, qu'Ondine a bien du
mal à faire taire (scène 8). A
l'issue d'une scène où Hans et Ondine
échangent leurs promesses, le Roi des Ondins
prévient celle-ci : "Tu acceptes le pacte s'il
te trompe, honte du lac !" (scène 9).
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MERVEILLEUX
ET PROSAÏSME :
Dans la tradition du conte
de fées, Giraudoux nous entraîne dans un univers qui a sa
cohérence interne, où nulle rupture ne vient contrarier les
modes de comportements des personnages. Auguste et Eugénie ont
beau se plaire à rappeler les manifestations de la magie
d'Ondine en les distanciant de leur mode de connaissance, ils
les ont néanmoins intégrées à des pratiques devenues
courantes. Le chevalier lui-même, tout ordinaire et prosaïque
qu'il soit, accepte dans ses représentations la magie qui
l'ensorcelle. La pièce de Giraudoux s'inscrit donc dans un
genre théâtral particulier, peu courant au XX° siècle, mais
évidemment attaché à ces féeries dont était, par exemple,
friand le XVII°.
La féerie tient d'abord à ce qu'on nous dit
d'Ondine, de son origine obscure et de la souveraineté qu'elle
manifeste parmi les eaux. Elle est aussi directement présente
sur la scène par les voix mystérieuses qui viennent du royaume
des Ondins et qui jouent un rôle fondamental dans l'enjeu
dramatique. Giraudoux ne cherche pas à rajeunir les
stéréotypes qui font la loi du genre (ainsi du mystère qui
plane sur la naissance d'Ondine) : ils permettent au
spectateur d'entrer lui-même de plain-pied dans un univers
familier malgré son étrangeté.
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L'originalité de
Giraudoux tiendrait plutôt à ce mélange constant
qu'il crée entre la féerie et le prosaïsme. Ainsi
Auguste et Eugénie sont d'humbles pêcheurs, mais
on peut être attentif au prénom d'Auguste qui
signale une véritable royauté («Auguste est un
grand roi dans un grand royaume. Quand Auguste
fronce les sourcils, des milliards de truites
frissonnent», dira Ondine) : de fait, le
personnage prend une dimension plus poétique par
sa curiosité pour la paillette dans l'œil de
Violante, sa capacité à comprendre les véritables
enjeux et son registre de langue. La figure la
plus prosaïque est bien, au contraire, celle de
Hans : sa lourdeur quotidienne est même soulignée
par Ondine ("Tiens, il sort de son
jambon, celui-là!"). Il semble en effet
plus à son aise dans l'odeur des cuisines (la
truite au bleu, le jambon) que parmi les murmures
de la forêt.
Ainsi de cette
confrontation entre la féerie attendue et le
prosaïsme, le sublime et le grotesque, naît un
humour où se reconnaît le ton bien particulier de
Giraudoux : au chevalier qui décline
pompeusement son nom (Hans von Wittenstein zu
Wittenstein !), le pêcheur peut rétorquer,
impassible : "On m'appelle Auguste"; la puce que
Hans présente comme le véritable ennemi du
chevalier errant, et le nom de Bertha, préféré par
Giraudoux à la Bertalda de La
Motte-Fouqué, ne peuvent manquer aussi de
provoquer le rire. Le spectateur est familier
depuis le drame romantique de ce mélange. Mais
alors que, dans ce dernier, c'est au nom de la
vraisemblance et de la fidélité au vivant qu'on
souhaite faire à la fois rire et pleurer, il
semble qu'il s'agisse ici d'un premier signe de
discordance entre deux mondes incompatibles.
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HANS
: L'HUMAIN TENTÉ PAR L'ABSOLU :
Le personnage
est marqué par la lourdeur, l'immanence : cette pâte
humaine apparaît d'autant plus rustre et
limitée que Hans est un chevalier errant dont on
attendrait plus de mystère (deux références sont
faites à cette tradition : Siegfried et le Parsifal
d'Eschenbach). Garçon d'écurie, ravi de retrouver
enfin le réel, Hans se présente comme un guerrier
bavard, sourd aux murmures de la forêt, un
maquignon avec les femmes, vaniteux comme une
pintade. Pour lui, l'aventure n'est jamais qu'un «
stage dans la cavalerie ».
Touché
par Ondine, véritablement ensorcelé par elle (voir
le symbole de l'armure qui se défait), il avoue
soudain que « tout a changé ». Tenté par l'absolu
d'Ondine, par le rêve qu'elle représente dans son
univers, il y met néanmoins une dévotion pataude
et mesurée : il refuse la ceinture de chair que
lui propose Ondine, s'efforce maladroitement de
parler comme elle. Le dramaturge représente
nettement dans la scène 6 cette différence
radicale des comportements et des modes de pensée.
Il faudra toute la volonté d'Ondine pour que
l'acte s'achève sur une réconciliation, qu'au
terme des propos échangés le spectateur ne peut
que ressentir comme bien fragile. Plus tard (II,
11), la reine Yseult saura pointer la vraie nature
de ce divorce inéluctable :
Ondine : Si les hommes ne
savent pas supporter la vérité, je mentirai !
Yseult : Tu offriras aux hommes ce qu’ils
détestent le plus.
Ondine : La fidélité ?
Yseult : Non. La transparence. Ils en ont
peur.
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ONDINE : LA PERFECTION TENTÉE PAR
L'HUMAIN :
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Ondine est en
effet tout au contraire un être immatériel :
Auguste, qui la définit comme « ce que le monde a
de plus parfait », voit bien que cette perfection
réside en ce que sa nature est « la nature même ».
« C'est un rêve, Ondine », confirme-t-il, et il
semble que ce rêve nous paraisse si pur parce que,
au contraire du chevalier, Ondine est entière. Son
exigence se signale d'entrée par la spontanéité de
ses réactions et son goût des limites (elle est
prête à mourir pour le chevalier dès la scène 5).
Son évocation touchante des mœurs conjugales des
chiens de mer participe de cette même soif
d'absolu et de sacrifice. Cet aspect du personnage
apparaît d'autant plus qu'il se heurte à cette
gangue d'immanence dont est prisonnier le
chevalier.
Pourtant
Ondine est tentée par le monde humain : elle ne
rêve que d'être la servante de Hans et, aux autres
ondines, affirme son authentique féminité ("moi,
je suis une femme"). Ici, Ondine semble
beaucoup plus proche du mythe celtique de Mélusine
que de l'héroïne du conte de La Motte-Fouqué.
Non qu'il s'agisse de cette malédiction qui pousse
la serpente poitevine à épouser un humain :
l'amour d'Ondine pour Hans est au contraire un
élan libre que tout son entourage réprouve. Mais,
comme Mélusine, Ondine est décidée à gagner dans
ces noces humaines un supplément d'âme et assouvit
un besoin de sacrifice. Nul doute que dans sa
décision s'affirme le rêve panthéiste d'une
réconciliation de l'homme et de la Nature, qui est
le véritable enjeu posé par ce premier acte.
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L'ENJEU
DRAMATIQUE :
Les mondes d'Ondine et Hans sont
présentés de manière constamment antagoniste. Malgré son
attirance pour le monde humain, Ondine en perçoit les limites,
voire les mensonges, et c'est ce qui noue l'intrigue et lui
donne sa tension dramatique. Ce rôle est assuré par les
avertissements qui jalonnent l'acte :
Ainsi
"je hais les hommes" est le premier mot d'Ondine. Déjà
l'humanité se signale pour elle par le mensonge ("les bras
des hommes leur servent surtout à se dégager") et le
personnage de Bertha semble être le catalyseur de la
découverte ("tout le monde ment"). Du
chevalier, elle sait déjà l'inconstance et la légèreté des
promesses ("c'est bien au cœur, n'est-ce pas ?") et
ces doutes ("je suis sûre que tu attends mon sommeil pour
aller voir ton cheval") nous la rendent pathétique.
Les
avertissements qu'elle reçoit ou qui sont adressés au
chevalier donnent, eux aussi, à l'intrigue sa tension
dramatique. Auguste place d'emblée le problème sur son vrai
terrain en opposant la nature à l'homme, évoquant l'entente
fragile qui est la leur ("Méfiez-vous... si [l'homme]
a déplu une fois à la nature, il est perdu !"). L'enjeu
de la pièce tourne autour d'un véritable pari : le mariage
entre l'humain et l'absolu de la nature est-il possible ? Cet
enjeu se présente aussi sous la forme des avertissements
lancés par les ondins ("il te trompera"), du pacte
qu'Ondine sait fragile mais qu'elle tient pourtant ("tu
acceptes le pacte s'il te trompe").
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