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Abbé
Prévost
Manon Lescaut
(suite)
LECTURES
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La
dramatisation du récit : prolepses narratives et
ressources de la focalisation interne.
[Des Grieux a proposé à Manon de l'enlever pour la
soustraire à la vie religieuse à laquelle on la destine.
Première installation et premiers soupçons.]
Nous prîmes un appartement meublé à Paris. Ce fut dans la
rue V... et, pour mon malheur, auprès de la maison de M. de
B..., célèbre fermier général. Trois semaines se passèrent,
pendant lesquelles j'avais été si rempli de ma passion que
j'avais peu songé à ma famille et au chagrin que mon père
avait dû ressentir de mon absence. Cependant, comme la
débauche n'avait nulle part à ma conduite, et que Manon se
comportait aussi avec beaucoup de retenue, la tranquillité
où nous vivions servit à me faire rappeler peu à peu l'idée
de mon devoir. Je résolus de me réconcilier, s'il était
possible, avec mon père. Ma maîtresse était si aimable que
je ne doutai point qu'elle ne pût lui plaire, si je trouvais
moyen de lui faire connaître sa sagesse et son mérite : en
un mot, je me flattai d'obtenir de lui la liberté de
l'épouser, ayant été désabusé de l'espérance de le pouvoir
sans son consentement. Je communiquai ce projet à Manon, et
je lui fis entendre qu'outre les motifs de l'amour et du
devoir, celui de la nécessité pouvait y entrer aussi pour
quelque chose, car nos fonds étaient extrêmement altérés, et
je commençais à revenir de l'opinion qu'ils étaient
inépuisables. Manon reçut froidement cette proposition.
Cependant, les difficultés qu'elle y opposa n'étant prises
que de sa tendresse même et de la crainte de me perdre, si
mon père n'entrait point dans notre dessein après avoir
connu le lieu de notre retraite, je n'eus pas le moindre
soupçon du coup cruel qu'on se préparait à me porter. A
l'objection de la nécessité, elle répondit qu'il nous
restait encore de quoi vivre quelques semaines, et qu'elle
trouverait, après cela, des ressources dans l'affection de
quelques parents à qui elle écrirait en province. Elle
adoucit son refus par des caresses si tendres et si
passionnées, que moi, qui ne vivais que dans elle, et qui
n'avais pas la moindre défiance de son cœur, j'applaudis à
toutes ses réponses et à toutes ses résolutions. Je lui
avais laissé la disposition de notre bourse, et le soin de
payer notre dépense ordinaire. Je m'aperçus, peu après, que
notre table était mieux servie, et qu'elle s'était donné
quelques ajustements d'un prix considérable. Comme je
n'ignorais pas qu'il devait nous rester à peine douze ou
quinze pistoles, je lui marquai mon étonnement de cette
augmentation apparente de notre opulence. Elle me pria, en
riant, d'être sans embarras. Ne vous ai-je pas promis, me
dit-elle, que je trouverais des ressources ? Je l'aimais
avec trop de simplicité pour m'alarmer facilement.
Confession
ou plaidoyer : un narrateur subtil.
[Installés à Chaillot et à Paris, Manon et Des Grieux
mènent grand train jusqu'aux premiers revers de fortune.
On verra dans ce passage comment le narrateur justifie son
intention de profiter des richesses si injustement
dévolues aux autres !]
Nous étions demeurés un jour à Paris, pour y coucher, comme
il nous arrivait fort souvent. La servante, qui restait
seule à Chaillot dans ces occasions, vint m'avertir, le
matin, que le feu avait pris, pendant la nuit, dans ma
maison, et qu'on avait eu beaucoup de difficulté à
l'éteindre. Je lui demandai si nos meubles avaient souffert
quelque dommage ; elle me répondit qu'il y avait eu une si
grande confusion, causée par la multitude d'étrangers qui
étaient venus au secours, qu'elle ne pouvait être assurée de
rien. Je tremblai pour notre argent, qui était renfermé dans
une petite caisse. Je me rendis promptement à Chaillot.
Diligence inutile ; la caisse avait déjà disparu. J'éprouvai
alors qu'on peut aimer l'argent sans être avare. Cette perte
me pénétra d'une si vive douleur que j'en pensai perdre la
raison. Je compris tout d'un coup à quels nouveaux malheurs
j'allais me trouver exposé ; l'indigence était le moindre.
Je connaissais Manon ; je n'avais déjà que trop éprouvé que,
quelque fidèle et quelque attachée qu'elle me fût dans la
bonne fortune, il ne fallait pas compter sur elle dans la
misère. Elle aimait trop l'abondance et les plaisirs pour me
les sacrifier : je la perdrai, m'écriai-je. Malheureux
Chevalier, tu vas donc perdre encore tout ce que tu aimes !
Cette pensée me jeta dans un trouble si affreux, que je
balançai, pendant quelques moments, si je ne ferais pas
mieux de finir tous mes maux par la mort. Cependant, je
conservai assez de présence d'esprit pour vouloir examiner
auparavant s'il ne me restait nulle ressource. Le Ciel me
fit naître une idée, qui arrêta mon désespoir. Je crus qu'il
ne me serait pas impossible de cacher notre perte à Manon,
et que, par industrie ou par quelque faveur du hasard, je
pourrais fournir assez honnêtement à son entretien pour
l'empêcher de sentir la nécessité. J'ai compté, disais-je
pour me consoler, que vingt mille écus nous suffiraient
pendant dix ans. Supposons que les dix ans soient écoulés,
et que nul des changements que j'espérais ne soit arrivé
dans ma famille. Quel parti prendrais-je ? Je ne le sais pas
trop bien, mais, ce que je serais alors, qui m'empêche de le
faire aujourd'hui ? Combien de personnes vivent à Paris qui
n'ont ni mon esprit, ni mes qualités naturelles, et qui
doivent néanmoins leur entretien à leurs talents, tels
qu'ils les ont ! La Providence, ajoutais-je, en
réfléchissant sur les différents états de la vie, n'a-t-elle
pas arrangé les choses fort sagement ? La plupart des grands
et des riches sont des sots : cela est clair à qui connaît
un peu le monde. Or il y a là-dedans une justice admirable :
s'ils joignaient l'esprit aux richesses, ils seraient trop
heureux, et le reste des hommes trop misérable. Les qualités
du corps et de l'âme sont accordées à ceux-ci, comme des
moyens pour se tirer de la misère et de la pauvreté. Les uns
prennent part aux richesses des grands en servant à leurs
plaisirs : ils en font des dupes ; d'autres servent à leur
instruction : ils tâchent d'en faire d'honnêtes gens ; il
est rare, à la vérité, qu'il y réussissent, mais ce n'est
pas là le but de la divine Sagesse : ils tirent toujours un
fruit de leurs besoins, qui est de vivre aux dépens de ceux
qu'ils instruisent ; et de quelque façon qu'on le prenne,
c'est un fond excellent de revenu pour les petits, que la
sottise des riches et des grands.
La
voix de Manon : une morale de l'intention
[Trompée à nouveau par Manon, Des Grieux la retrouve,
furieux, chez M. de G.M. Reproches, larmes. C'est lui qui
demandera pardon. Manon, sans trouble, s'explique.]
Elle fut quelque temps à méditer sa réponse : Mon Chevalier,
me dit-elle, en reprenant un air tranquille, si vous vous
étiez d'abord expliqué si nettement, vous vous seriez
épargné bien du trouble et à moi une scène bien affligeante.
Puisque votre peine ne vient que de votre jalousie, je
l'aurais guérie en m'offrant à vous suivre sur-le-champ au
bout du monde. Mais je me suis figuré que c'était la lettre
que je vous ai écrite sous les yeux de M. de G... M... et la
fille que nous vous avons envoyée qui causaient votre
chagrin. J'ai cru que vous auriez pu regarder ma lettre
comme une raillerie et cette fille, en vous imaginant
qu'elle était allée vous trouver de ma part, comme une
déclaration que je renonçais à vous pour m'attacher à G...
M... C'est cette pensée qui m'a jetée tout d'un coup dans la
consternation, car, quelque innocente que je fusse, je
trouvais, en y pensant, que les apparences ne m'étaient pas
favorables. Cependant, continua-t-elle, je veux que vous
soyez mon juge, après que je vous aurai expliqué la vérité
du fait.
Elle m'apprit alors tout ce qui lui était
arrivé depuis qu'elle avait trouvé G... M..., qui
l'attendait dans le lieu où nous étions. Il l'avait reçue
effectivement comme la première princesse du monde. Il lui
avait montré tous les appartements, qui étaient d'un goût et
d'une propreté admirables. Il lui avait compté dix mille
livres dans son cabinet, et il y avait ajouté quelques
bijoux, parmi lesquels étaient le collier et les bracelets
de perles qu'elle avait déjà eus de son père. Il l'avait
menée de là dans un salon qu'elle n'avait pas encore vu, où
elle avait trouvé une collation exquise. Il l'avait fait
servir par les nouveaux domestiques qu'il avait pris pour
elle, en leur ordonnant de la regarder désormais comme leur
maîtresse. Enfin, il lui avait fait voir le carrosse, les
chevaux et tout le reste de ses présents ; après quoi, il
lui avait proposé une partie de jeu, pour attendre le
souper. Je vous avoue, continua-t-elle, que j'ai été frappée
de cette magnificence. J'ai fait réflexion que ce serait
dommage de nous priver tout d'un coup de tant de biens, en
me contentant d'emporter les dix mille francs et les bijoux,
que c'était une fortune toute faite pour vous et pour moi,
et que nous pourrions vivre agréablement aux dépens de G...
M... Au lieu de lui proposer la Comédie, je me suis mis dans
la tête de le sonder sur votre sujet, pour pressentir
quelles facilités nous aurions à nous voir, en supposant
l'exécution de mon système. Je l'ai trouvé d'un caractère
fort traitable. Il m'a demandé ce que je pensais de vous, et
si je n'avais pas eu quelque regret à vous quitter. Je lui
ai dit que vous étiez si aimable et que vous en aviez
toujours usé si honnêtement avec moi, qu'il n'était pas
naturel que je pusse vous haïr. Il a confessé que vous aviez
du mérite, et qu'il s'était senti porté à désirer votre
amitié. Il a voulu savoir de quelle manière je croyais que
vous prendriez mon départ, surtout lorsque vous viendriez à
savoir que j'étais entre ses mains. Je lui ai répondu que la
date de notre amour était déjà si ancienne qu'il avait eu le
temps de se refroidir un peu, que vous n'étiez pas
d'ailleurs fort à votre aise, et que vous ne regarderiez
peut-être pas ma perte comme un grand malheur, parce qu'elle
vous déchargerait d'un fardeau qui vous pesait sur les bras.
J'ai ajouté qu'étant tout à fait convaincue que vous agiriez
pacifiquement, je n'avais pas fait difficulté de vous dire
que je venais à Paris pour quelques affaires, que vous y
aviez consenti et qu'y étant venu vous-même, vous n'aviez
pas paru extrêmement inquiet, lorsque je vous avais quitté.
Si je croyais, m'a-t-il dit, qu'il fût d'humeur à bien vivre
avec moi, je serais le premier à lui offrir mes services et
mes civilités. Je l'ai assuré que, du caractère dont je vous
connaissais, je ne doutais point que vous n'y répondissiez
honnêtement, surtout, lui ai-je dit, s'il pouvait vous
servir dans vos affaires, qui étaient fort dérangées depuis
que vous étiez mal avec votre famille. Il m'a interrompue,
pour me protester qu'il vous rendrait tous les services qui
dépendraient de lui, et que, si vous vouliez même vous
embarquer dans un autre amour, il vous procurerait une jolie
maîtresse, qu'il avait quittée pour s'attacher à moi. J'ai
applaudi à son idée, ajouta-t-elle, pour prévenir plus
parfaitement tous ses soupçons, et me confirmant de plus en
plus dans mon projet, je ne souhaitais que de pouvoir
trouver le moyen de vous en informer, de peur que vous ne
fussiez trop alarmé lorsque vous me verriez manquer à notre
assignation. C'est dans cette vue que je lui ai proposé de
vous envoyer cette nouvelle maîtresse dès le soir même, afin
d'avoir une occasion de vous écrire ; j'étais obligée
d'avoir recours à cette adresse, parce que je ne pouvais
espérer qu'il me laissât libre un moment. Il a ri de ma
proposition. Il a appelé son laquais, et lui ayant demandé
s'il pourrait retrouver sur-le-champ son ancienne maîtresse,
il l'a envoyé de côté et d'autre pour la chercher. Il
s'imaginait que c'était à Chaillot qu'il fallait qu'elle
allât vous trouver, mais je lui ai appris qu'en vous
quittant je vous avais promis de vous rejoindre à la
Comédie, ou que, si quelque raison m'empêchait d'y aller,
vous vous étiez engagé à m'attendre dans un carrosse au bout
de la rue Saint-André ; qu'il valait mieux, par conséquent,
vous envoyer là votre nouvelle amante, ne fût-ce que pour
vous empêcher de vous y morfondre pendant toute la nuit. Je
lui ai dit encore qu'il était à propos de vous écrire un mot
pour vous avertir de cet échange, que vous auriez peine à
comprendre sans cela. Il y a consenti, mais j'ai été obligée
d'écrire en sa présence, et je me suis bien gardée de
m'expliquer trop ouvertement dans ma lettre. Voilà, ajouta
Manon, de quelle manière les choses se sont passées. Je ne
vous déguise rien, ni de ma conduite, ni de mes desseins. La
jeune fille est venue, je l'ai trouvée jolie, et comme je ne
doutais point que mon absence ne vous causât de la peine,
c'était sincèrement que je souhaitais qu'elle pût servir à
vous désennuyer quelques moments, car la fidélité que je
souhaite de vous est celle du cœur. J'aurais été ravie de
pouvoir vous envoyer Marcel, mais je n'ai pu me procurer un
moment pour l'instruire de ce que j'avais à vous faire
savoir. Elle conclut enfin son récit, en m'apprenant
l'embarras où G... M... s'était trouvé en recevant le billet
de M. de T... Il a balancé, me dit-elle, s'il devait me
quitter, et il m'a assuré que son retour ne tarderait point.
C'est ce qui fait que je ne vous vois point ici sans
inquiétude, et que j'ai marqué de la surprise à votre
arrivée.
Ascèse
et vertu : une dialectique impeccable
[A l'ami Tiberge venu redonner à Saint-Lazare des conseils
de vertu, Des Grieux répond par ce discours audacieux. On
notera la rigueur mise au service d'une morale hédoniste
assez peu orthodoxe!]
Tiberge, repris-je, qu'il vous est aisé de vaincre,
lorsqu'on n'oppose rien à vos armes ! Laissez-moi raisonner
à mon tour. Pouvez-vous prétendre que ce que vous appelez le
bonheur de la vertu soit exempt de peines, de traverses et
d'inquiétudes ? Quel nom donnerez-vous à la prison, aux
croix, aux supplices et aux tortures des tyrans ?
Direz-vous, comme font les mystiques, que ce qui tourmente
le corps est un bonheur pour l'âme ? Vous n'oseriez le dire
; c'est un paradoxe insoutenable. Ce bonheur, que vous
relevez tant, est donc mêlé de mille peines, ou pour parler
plus juste, ce n'est qu'un tissu de malheurs au travers
desquels on tend à la félicité. Or si la force de
l'imagination fait trouver du plaisir dans ces maux mêmes,
parce qu'ils peuvent conduire à un terme heureux qu'on
espère, pourquoi traitez-vous de contradictoire et
d'insensée, dans ma conduite, une disposition toute
semblable ? J'aime Manon ; je tends au travers de mille
douleurs à vivre heureux et tranquille auprès d'elle. La
voie par où je marche est malheureuse ; mais l'espérance
d'arriver à mon terme y répand toujours de la douceur, et je
me croirai trop bien payé, par un moment passé avec elle, de
tous les chagrins que j'essuie pour l'obtenir. Toutes choses
me paraissent donc égales de votre côté et du mien ; ou s'il
y a quelque différence, elle est encore à mon avantage, car
le bonheur que j'espère est proche, et l'autre est éloigné ;
le mien est de la nature des peines, c'est-à-dire sensible
au corps, et l'autre est d'une nature inconnue, qui n'est
certaine que par la foi.
Tiberge parut effrayé de ce raisonnement.
Il recula de deux pas, en me disant, de l'air le plus
sérieux, que, non seulement ce que je venais de dire
blessait le bon sens, mais que c'était un malheureux
sophisme d'impiété et d'irréligion : car cette comparaison,
ajouta-t-il, du terme de vos peines avec celui qui est
proposé par la religion, est une idée des plus libertines et
des plus monstrueuses.
J'avoue, repris-je, qu'elle n'est pas
juste ; mais prenez-y garde, ce n'est pas sur elle que porte
mon raisonnement. J'ai eu dessein d'expliquer ce que vous
regardez comme une contradiction, dans la persévérance d'un
amour malheureux, et je crois avoir fort bien prouvé que, si
c'en est une, vous ne sauriez vous en sauver plus que moi.
C'est à cet égard seulement que j'ai traité les choses
d'égales, et je soutiens encore qu'elles le sont.
Répondrez-vous que le terme de la vertu est infiniment
supérieur à celui de l'amour ? Qui refuse d'en convenir ?
Mais est-ce de quoi il est question ? Ne s'agit-il pas de la
force qu'ils ont, l'un et l'autre, pour faire supporter les
peines ? Jugeons-en par l'effet. Combien trouve-t-on de
déserteurs de la sévère vertu, et combien en trouverez-vous
peu de l'amour ? Répondrez-vous encore que, s'il y a des
peines dans l'exercice du bien, elles ne sont pas
infaillibles et nécessaires ; qu'on ne trouve plus de tyrans
ni de croix, et qu'on voit quantité de personnes vertueuses
mener une vie douce et tranquille ? Je vous dirai de même
qu'il y a des amours paisibles et fortunés, et, ce qui fait
encore une différence qui m'est extrêmement avantageuse,
j'ajouterai que l'amour, quoiqu'il trompe assez souvent, ne
promet du moins que des satisfactions et des joies, au lieu
que la religion veut qu'on s'attende à une pratique triste
et mortifiante. Ne vous alarmez pas, ajoutai-je en voyant
son zèle prêt à se chagriner. L'unique chose que je veux
conclure ici, c'est qu'il n'y a point de plus mauvaise
méthode pour dégoûter un cœur de l'amour, que de lui en
décrier les douceurs et de lui promettre plus de bonheur
dans l'exercice de la vertu. De la manière dont nous sommes
faits, il est certain que notre félicité consiste dans le
plaisir ; je défie qu'on s'en forme une autre idée ; or le
cœur n'a pas besoin de se consulter longtemps pour sentir
que, de tous les plaisirs, les plus doux sont ceux de
l'amour. Il s'aperçoit bientôt qu'on le trompe lorsqu'on lui
en promet ailleurs de plus charmants, et cette tromperie le
dispose à se défier des promesses les plus solides.
Prédicateurs, qui voulez me ramener à la vertu, dites-moi
qu'elle est indispensablement nécessaire, mais ne me
déguisez pas qu'elle est sévère et pénible. Établissez bien
que les délices de l'amour sont passagères, qu'elles sont
défendues, qu'elles seront suivies par d'éternelles peines,
et ce qui fera peut-être encore plus d'impression sur moi,
que, plus elles sont douces et charmantes, plus le Ciel sera
magnifique à récompenser un si grand sacrifice, mais
confessez qu'avec des cœurs tels que nous les avons, elles
sont ici-bas nos plus parfaites félicités.
Après avoir consulté
la méthode, étudiez la stratégie argumentative du
narrateur.
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