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L'ÎLE
DES ESCLAVES
DISSERTATIONS
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Nous
vous proposons ci-dessous deux exemples de sujets à propos
de L'Île
des esclaves de Marivaux qui vous permettront
de vous familiariser avec les deux types de plans les plus
répandus (voyez la page Dissertation).
1)
Un plan analytique :
Réfléchissant
sur la morale de L'Île des esclaves,
Luc Decaunes écrit :
"Cette morale du cœur, pour sincère
qu'elle soit, ne va pas sans naïveté. Marivaux
ne remet pas en cause les structures de la
société, l'inégalité des conditions ; il rêve
seulement d'humaniser les rapports entre les
riches et les pauvres, les dominants et les
dominés. [...] Il faut en somme aménager
l'injustice pour la faire accepter." (programme
du TEP, 1973)
En
quoi votre lecture de L'île des esclaves
vous permet-elle de justifier cette
appréciation ?
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Mise
en place du sujet :
Le jugement de Luc Decaunes porte sur la leçon qu'il
faut tirer de la pièce. L'expression "morale du cœur" formule
nettement la dimension psychologique - et non politique -
qu'il faut donner à L'Île des esclaves. Vous pourrez
relire nos observations sur la portée
de l'apologue. Certains indices laissent à
penser que l'auteur déplore la timidité du propos de Marivaux
sur le plan social : il nous parle de naïveté, de rêve
et sa dernière phrase parodie jusqu'au cynisme le
conformisme de la pièce qui entreprendrait de valider
l'injustice.
Cette appréciation n'est guère sujette à débat : on
pourra néanmoins, en la justifiant, modérer la critique de Luc
Decaunes, qui adopte une perspective très
post-"soixante-huitarde" (voyez la date), en replaçant en son
temps le propos de Marivaux. On pourra s'aider aussi du
jugement de Sainte-Beuve à propos de L'Île des esclaves
: « Ce sont les
saturnales de l'âge d'or. Cette petite pièce de Marivaux est
presque à l'avance une bergerie révolutionnaire de 1792.»
Position de la problématique :
Cette phase est indispensable quel que soit le sujet
posé. La problématique est ce qui tend votre devoir vers une
démonstration et un résultat. Elle commande aussi le plan que
vous suivrez et vous devrez la formuler très nettement dans
l'introduction avant d'annoncer celui-ci. Il est plus commode
et logique de la formuler sous forme de question, ne serait-ce
que pour vous imposer d'y répondre. L'expression-clé est bien
cette "morale du cœur" qu'il faut, selon Luc Decaunes,
préférer - hélas - à quelque morale politique.
La problématique pourrait donc se formuler ainsi :
En quoi la morale sentimentale de L'Île des esclaves
est-elle conservatrice ?
Organisation
du plan :
L'affirmation de Luc Decaunes se décompose en plusieurs
étapes dont on peut profiter pour le plan (c'est souvent ainsi
que se construisent les plans analytiques lorsqu'une citation
est proposée) :
- "Marivaux ne remet pas en cause les structures de la
société" ➔ un
propos conservateur ;
- "il rêve d'humaniser les rapports entre les riches et les
pauvres" ➔
une morale du cœur ;
- "il faut humaniser l'injustice pour la faire accepter"
➔ une invitation à la paix sociale .
Nous vous proposons ci-dessous, dans le désordre, une série de
douze arguments et leurs exemples. Vous pourrez ranger chacun
d'eux dans la partie à laquelle ils vous paraissent devoir
appartenir (quatre arguments/exemples donc dans chacune !
Utilisez par exemple le tableau ci-dessous, où vous pourrez
inscrire les numéros dans la colonne concernée, avant de
consulter la correction proposée).
PARTIES |
ARGUMENTS-EXEMPLES
N°... |
Un
propos conservateur
|
|
Une
morale du cœur
|
|
Une
invitation à la paix sociale
|
|
1 -
L'inégalité sociale est présentée par Trivelin à la fin de la
pièce comme le résultat d'une volonté divine. Il affirme en
effet : "La différence des conditions n'est qu'une épreuve que
les dieux font sur nous."(scène XI).
2 - Les
reproches qui sont faits aux maîtres tiennent plus à
l'arrogance de leur pouvoir qu'au pouvoir lui-même : ainsi
Arlequin ne trouve guère à souligner dans le portrait de son
maître que quelques extravagances (scène V), et Cléanthis ne
sait condamner chez Euphrosine que l'affectation et la
coquetterie (scène III).
3 - Le but
assigné par Trivelin aux épreuves que les maîtres vont subir
est une sorte de rééducation de la générosité, de rappel à la
bonté, et non un renoncement au pouvoir. Il peut ainsi
l'exposer à Euphrosine : "On espérera que, vous étant
reconnue, vous abjurerez un jour toutes ces folies qui font
qu'on n'aime que soi, et qui ont distrait votre bon
cœur d'une infinité d'attentions plus
louables."(scène IV).
4 - L'épreuve
imposée aux maîtres est aussi destinée aux esclaves : Trivelin
félicite ceux-ci à la fin de la pièce d'avoir su pardonner
car, dit-il, "nous aurions puni vos vengeances, comme nous
avons puni leurs duretés" (scène XI). Déjà il avait invité
Cléanthis à se modérer dans ses récriminations (scène III).
5 - L'inversion
des rôles ne vise pas à donner aux esclaves de réels
pouvoirs. Ils n'auront qu'une latitude de parole et Trivelin
sait d'emblée prévenir Arlequin : "Souvenez-vous en
prenant son nom, mon cher ami, qu'on vous le donne bien moins
pour réjouir votre vanité, que pour le corriger de son
orgueil"(scène II).
6 -
Le propos de Marivaux paraît souvent misogyne. Il se fait
l'écho en tout cas de certains stéréotypes concernant la
coquetterie féminine. Ainsi Trivelin justifie que l'épreuve
soit particulièrement appuyée pour Euphrosine en lui
rappelant qu'elle est "d'un sexe naturellement assez
faible, et que par là [elle a] dû céder plus facilement qu'un
homme aux exemples de hauteur, de mépris et de dureté." (scène
III).
7 -
En déplaçant l'époque de son apologue
dans la Grèce antique, Marivaux le dépouille de ses
allusions contemporaines et le situe sur le plan de
l'universel. Ainsi les conditions proprement politiques de
l'oppression des esclaves sont évacuées au profit de
conditions morales et psychologiques.
8
- C'est la
sensibilité qui, dans la pièce, est à l'origine de la
réconciliation générale et non un réel progrès social.
Arlequin a "perdu la parole" à partir du moment où il est
touché par la détresse d'Euphrosine (scène VIII) et il ne
sait pas résister aux accusations d'ingratitude dont
l'accable Iphicrate (scène IX). Avec lui, c'est le cœur qui
triomphe, et le nouveau contrat qui s'établit laisse le
spectateur sceptique quant à sa durabilité.
9 - L'idéal
auquel Marivaux reste fidèle est celui de l'honnête homme du
XVII° siècle : homme de bonne société, il manifeste sa
raison et sa modération en toutes choses. C'est bien à ces
vertus qu'on encourage les maîtres comme les valets.
Cléanthis elle-même, après un réquisitoire assez violent
contre le pouvoir aristocratique, recommande ces qualités
qui ne le mettent jamais en cause : " Il faut avoir
le cœur bon, de la vertu et de
la raison ; voilà ce qu'il nous
faut, voilà ce qui est estimable, ce qui distingue, ce qui
fait qu'un homme est plus qu'un autre."(scène X).
10 - On
peut aller jusqu'à affirmer que l'entreprise de Trivelin est
un échec : la durée prévue pour les épreuves est loin de
correspondre au très vague temps théâtral de la pièce. Il
nous manque un duo Cléanthis-Iphicrate que n'aura pas permis
l'interruption brutale qu'Arlequin fait subir à l'expérience
(scène IX).
11 - Au
fond la paix sociale pourrait être garantie par la vertu.
C'est à cette morale qu'Arlequin invite Cléanthis en vantant
la valeur du repentir : "Allons, m'amie, soyons
bonnes gens sans le reprocher, faisons du bien sans dire
d'injures. Ils sont contrits d'avoir été méchants, cela fait
qu'ils nous valent bien ; car quand on se repent, on est bon ;
et quand on est bon, on est aussi avancé que nous."(scène X).
12 - La pièce
invite chacun à rester à sa place. Arlequin, en effet, est mal
à l'aise dans son rôle de maître. Il se distancie par le rire
de l'entretien galant auquel il joue avec Cléanthis (scène VI)
et dira même à Iphicrate en lui rendant son habit : "Je ne
suis pas digne de le porter." (scène X).
➔
CORRECTION
2)
Un plan dialectique :
"Apologue moral, L'Île des esclaves
mérite-t-elle le nom de comédie ? On peut en
douter, si l'on considère la faible place qu'y
occupent les formes du comique, tant dans les
jeux de scène que dans la confrontation des
caractères." (Dominique Greimats, La scène comique)
A la
lumière de votre lecture de L'Île des
esclaves, vous direz si vous partagez
cette opinion.
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Mise
en place du sujet :
Le sujet porte ici non sur le fond, mais sur la forme.
Il vous faut examiner la nature de la pièce, dont l'auteur de
la citation nie qu'elle soit une comédie. La définition qu'il
en donne d'emblée ("un apologue moral") pose en effet un
problème d'ordre dramaturgique : l'apologue exige une
simplification démonstrative qui pourrait nuire au comique et
à la vérité des caractères. L'introduction pourra en effet
rappeler que la comédie classique s'assigne le but de "châtier
les mœurs en riant" et constater que L'Île des esclaves
reste souvent en deçà de ce que l'on peut attendre sur ce
point d'une comédie. Mais si l'on ne peut nier que la pièce
soit un apologue (nous avons consacré à ce point
l'essentiel de notre
projet de lecture),
il reste à démontrer que celui-ci renonce à une mise en scène
théâtrale propre à la comédie (les jeux de scène) et à un
souci de vérité psychologique dans les rapports
qu'entretiennent les personnages (la confrontation des
caractères). La citation demande donc à être discutée, ce que
le libellé vous invite à faire personnellement.
Position de la problématique :
La question que vous poserez dans l'introduction
pourra, pour plus de netteté, reformuler les termes du sujet :
La mise en œuvre de la leçon morale empêche-t-elle que L'Île
des esclaves reste une comédie ?
Organisation du plan :
Le plan dialectique confronte les thèses (thèse /
antithèse) et doit impérativement déboucher sur une
synthèse. Celle-ci ne consiste pas à
soutenir une position moyenne qui risquerait fort de
ressembler à un "ni oui ni non".
Vous devez dans cette troisième partie, qui reste la plus
délicate, choisir une position parmi les deux que vous avez
confrontées, mais vous demander à quelles conditions elle est
acceptable. Nous vous proposons d'y insister après avoir
confronté les points de vue antagonistes :
Justification
de la thèse :
L'Île des esclaves n'est pas une comédie |
Réfutation
de la thèse :
L'Île des esclaves est bien une comédie |
1. Les
personnages de la commedia dell'arte sont ici bien
loin du mime et de la farce : Marivaux a renoncé
aux arlequinades et les rares didascalies
témoignent de cette sobriété des jeux de scène.
2. Reléguant
son intrigue dans une Grèce antique de
convention, Marivaux prive la pièce des
référents sociaux qui lui auraient donné la
saveur d'une étude de mœurs.
3. Le
rire est bien souvent évincé par les larmes : la
sentimentalité d'Arlequin met vite fin au jeu et
le dénouement consacre ce caractère larmoyant.
Sa confrontation avec Euphrosine dans la scène
VIII met en avant la dimension quasi tragique du
discours de la jeune femme.
4. Le
rire n'est pas ici ce qui châtie le plus les
mœurs : réduits le plus souvent au silence au
profit de leurs valets, les deux maîtres n'ont
pas l'occasion d'être ridicules sous les yeux du
spectateur.
5.
Trivelin reste un personnage inconsistant, pur
et simple porte-parole du dramaturge qui, par
ses interventions, affirme et vérifie une thèse.
|
A. Arlequin
reste bien le zanni de la commedia
dell'arte : l'inversion des rôles est pour lui
une occasion de s'amuser et les didascalies
marquent bien ses mimiques et ses
gesticulations.
B. Le
portrait que donne Cléanthis de sa maîtresse se
réfère bien à la vie mondaine d'une aristocrate
du XVIII° siècle, dont il constitue une
virulente satire.
C. Le
désarroi des maîtres, les larmes que versent les
personnages lors
de leur réconciliation leur donnent une
profondeur et une humanité qui soulignent la
vérité des caractères.
D. C'est par la parodie
que les valets atteignent le plus sûrement leurs
maîtres : les galanteries auxquelles ces
derniers assistent, muets, font de la scène VI
une pure scène de comédie, d'autant qu'Arlequin
ne peut garder son sérieux.
E. Les
dialogues n'ont
pas la lourdeur démonstrative d'une
argumentation : leur alerte brièveté favorise
l'expression des conflits et suffit à la clarté
de la leçon.
|
La confrontation des thèses doit être
maintenant dépassée. Vous devez pour cela choisir une position
personnelle qui répondra à la question posée par la
problématique et saura ne rien annuler de ce que vous avez
affirmé dans l'une et l'autre de vos deux premières parties !
Choisissons de répondre par l'affirmative à la question posée
: L'Île des esclaves est bien une comédie. Mais à
quelles conditions pouvons-nous affirmer ceci ?
Il nous faut pour cela reprendre notre confrontation.
Vous trouverez ci-dessous les numéros et lettres que nous
avons attribués aux arguments, suivis d'une proposition de
dépassement :
1/A :
Nous sommes certes loin de la farce, mais proches de la
comédie classique qui en a épuré les effets au profit d'un
comique plus psychologique : ainsi Iphicrate est bien comique
dans la scène I, lorsque sa colère se heurte à la gaieté
effrontée d'Arlequin.
2/B : L'espace
symbolique qui est celui de la pièce, s'il nous distancie de
l'époque de Marivaux, élargit la portée
de la satire : nous voilà proches à nouveau de l'idéal
classique qui souhaitait mettre en scène des passions et des
ridicules qui touchent l'homme universel.
3/C : La comédie
classique, par la vérité des caractères, ne peut se cantonner
au rire : on a souvent souligné les efforts de Molière pour
"boucler" un dénouement heureux. L'émotion, voire les larmes,
ne sont donc pas étrangères à la vraie comédie. Musset parlait
de cette "mâle gaîté, si triste et si profonde,/ Que lorsqu'on
vient d'en rire on devrait en pleurer."
4/D : L'Île des
esclaves donne tout son sens au mot comédie : comme
souvent chez Marivaux, les personnages jouent sous nos yeux à
être ce qu'ils ne sont pas. C'est par la parodie des valets,
dans la scène VI, que les maîtres peuvent percevoir le mieux
leurs ridicules. Marivaux semble ici livrer sa conception du
théâtre : si le rire n'en est pas banni, il cède néanmoins le
pas à la fonction thérapeutique du jeu.
5/E : Il est de
tradition que la comédie mette en scène des types humains à la
psychologie sommaire. C'est le cas de tous les personnages de
la commedia dell'arte. L'apport de Marivaux à ce type de
théâtre est justement d'avoir étoffé les caractères et déplacé
sur le plan du langage les acrobaties des zanni.
Conclusion : L'Île
des esclaves relève donc moins de la franche comédie
que d'une réflexion morale sur le thème de l’échange. Marivaux
se livre ici à l'exercice difficile d'un propos politique dont
les angles polémiques doivent être émoussés. De ce fait la
comédie, conduisant les spectateurs à deviner la vision
utopique d'une société nouvelle, les maintient habilement dans
le cadre plaisant et distancié de l'apologue moral. Certes
celui-ci exige une simplification démonstrative qui pourrait
nuire au comique, mais l'alerte brièveté des dialogues,
dépourvus de la lourdeur démonstrative d'une argumentation,
favorise agréablement l'expression des conflits et suffit à la
clarté de la leçon. Ainsi, la pièce est proche de la comédie
classique qui épura les effets de la farce au profit d'un
comique plus psychologique et plus moral. Marivaux semble
livrer ici sa conception d'un théâtre qu'il contribua à
dégager des règles qui le bridaient : si le rire n'en est pas
banni, il cède néanmoins le pas à la fonction thérapeutique du
jeu et la pièce garde quelque chose dans son dénouement de la
catharsis des Anciens.